Read Ebook: Edouard by Duras Claire De Durfort Duchesse De
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Ebook has 117 lines and 32504 words, and 3 pages
Jamais je n'avais vu Mme de Nevers plus ravissante qu'elle ne l'?tait ce soir-l?. Cette coiffure de velours noir, brod?e de diamants, ne couvrait qu'? demi ses beaux cheveux blonds; un grand voile brod? d'or et tr?s-l?ger surmontait cette coiffure, et tombait avec gr?ce sur son cou et sur ses ?paules, qui n'?taient cach?es que par lui; un corset de soie rouge boutonn?, et aussi orn? de diamants, dessinait sa jolie taille; ses manches blanches ?taient retenues par des bracelets de pierreries, et sa jupe courte laissait voir un pied charmant, ? peine press? dans une petite chaussure en brodequin, de soie aussi et lac?e d'or; enfin, rien ne peut peindre la gr?ce de Mme de Nevers dans cet habit ?tranger, qui semblait fait expr?s pour le caract?re de sa figure et la proportion de sa taille. Je me sentis troubl? en la voyant, une palpitation me saisit; je fus oblig? de m'appuyer contre une chaise. Je crois qu'elle le remarqua: elle me regarda avec douceur. Depuis si longtemps je cherchais ce regard qu'il ne fit qu'ajouter ? mon ?motion. "N'allez-vous pas au spectacle? me demanda-t-elle. -- Non, lui dis-je, ma soir?e est finie. -- Cependant, reprit-elle, il n'est pas encore huit heures? -- N'allez-vous pas sortir?" r?pondis-je. Elle soupira; puis, me regardant tristement: "J'aimerais mieux rester," dit-elle. On l'appela; elle partit. Mais, grand Dieu! quel changement s'?tait fait autour de moi! "J'aimerais mieux rester!" Ces mots si simples avaient boulevers? toute mon ?me! "J'aimerais mieux rester!" Elle me l'avait dit, je l'avais entendu; elle avait soupir?, et son regard disait plus encore! Elle aimerait mieux rester! rester pour moi! O Ciel! cette id?e contenait trop de bonheur: je ne pouvais la soutenir; je m'enfuis dans la biblioth?que; je tombai sur une chaise. Quelques larmes soulag?rent mon coeur. "Rester pour moi!" r?p?tai-je. J'entendais sa voix, son soupir; je voyais son regard, il p?n?trait mon ?me, et je ne pouvais suffire ? tout ce que j'?prouvais ? la fois de sensations d?licieuses. Ah! qu'elles ?taient loin, les humiliations de mon amour-propre! que tout cela me paraissait en ce moment petit et mis?rable! Je ne concevais pas que j'eusse jamais ?t? malheureux. "Quoi! elle aurait piti? de moi!" Je n'osais dire: "Quoi! elle m'aimerait!" Je doutais, je voulais douter! Mon coeur n'avait pas la force de soutenir cette joie! Je le temp?rais comme on ferme les yeux ? l'?clat d'un beau soleil; je ne pouvais la supporter tout enti?re. Mme de Nevers se tenait souvent le matin dans cette m?me biblioth?que o? je m'?tais r?fugi?: je trouvai sur la table un de ses gants; je le saisis avec transport; je le couvris de baisers; je l'inondai de larmes. Mais bient?t je m'indignai contre moi-m?me d'oser ainsi profaner son image par mes coupables pens?es; je lui demandais pardon de la trop aimer. "Qu'elle me permette seulement de souffrir pour elle! me disais-je; je sais bien que je ne puis pr?tendre au bonheur. Mais est-il donc possible que ce qu'elle m'a dit ait le sens que mon coeur veut lui pr?ter? Peut-?tre que si elle f?t rest?e un instant de plus elle aurait tout d?menti." C'est ainsi que le doute rentrait dans mon ?me avec ma raison; mais bient?t cet accent si doux se faisait entendre de nouveau au fond de moi-m?me. Je le retenais, je craignais qu'il ne s'?chapp?t; il ?tait ma seule esp?rance, mon seul bonheur: je le conservais comme une m?re serre un enfant dans ses bras!
Ma nuit enti?re se passa sans sommeil. J'aurais ?t? bien f?ch? de dormir, et de perdre ainsi le sentiment de mon bonheur. Le lendemain, M. le mar?chal d'Olonne me fit demander dans son cabinet. Je commen?ai alors ? penser qu'il fallait cacher ce bonheur, qu'il me semblait que tout le monde allait deviner; mais je ne pus surmonter mon invincible distraction. Je n'eus pas besoin longtemps de dissimuler pour avoir l'air triste... Je revis Mme de Nevers; elle ?vita mes regards, ne me parla point, sortit de bonne heure et me laissa au d?sespoir. Cependant sa s?v?rit? s'adoucit un peu les jours suivants, et je crus voir qu'elle n'?tait pas insensible ? la peine qu'elle me causait. Je ne pouvais presque pas douter qu'elle ne m'e?t devin?: si j'eusse ?t? s?r de sa piti?, je n'aurais pas ?t? malheureux.
Quelques jours apr?s le bal de l'ambassadeur d'Angleterre, la conversation se mit sur les f?tes en g?n?ral; on parla de celles qui venaient d'avoir lieu, et l'on cita les plus magnifiques et les plus gaies. "Gaies, s'?cria Mme de Nevers; je ne reconnais pas qu'aucune f?te soit gaie; j'ai toujours ?t? frapp?e, au contraire, qu'on n'y voyait que des gens tristes et qui semblaient fuir l? quelque grande peine. -- Qui se serait dout? que Mme de Nevers ferait une telle remarque? dit le duc de L.... Quand on est jeune, belle, heureuse, comment voit-on autre chose que l'envie qu'on excite et l'admiration qu'on inspire? -- Je ne vois rien de tout cela, dit-elle, et j'ai raison; mais, s?rieusement, ne trouvez-vous pas comme moi que la foule est toujours triste? Je suis persuad?e que la dissipation est n?e du malheur: le bonheur n'a pas cet air agit?. -- Nous interrogerons les assistants au premier bal, dit en riant le duc de L.... -- Ah! reprit Mme de Nevers, si cela se pouvait, vous seriez peut-?tre bien ?tonn? de leurs r?ponses! -- S'il y a au bal des malheureux, dit le duc de L..., ce sont ceux que vous faites, Madame. Voici le prince d'Enrichemont: je vais l'appeler et invoquer son t?moignage." Le duc de L... se tirait toujours de la conversation par des plaisanteries: observer et raisonner ?tait une esp?ce de fatigue dont il ?tait incapable; son esprit ?tait comme son corps, et avait besoin de changer de place ? tout moment. Je me demandai aussi pourquoi Mme de Nevers avait fait cette r?flexion sur les f?tes, et pourquoi depuis six mois elle y avait pass? sa vie. Je n'osais croire ce qui se pr?sentait ? mon esprit: j'aurais ?t? trop heureux.
Les jours suivants, Mme de Nevers me parut triste, mais elle ne me fuyait pas. Un soir, elle me dit: "Je sais que mon p?re s'est occup? de vous, et qu'il esp?re que vous serez plac? avantageusement au minist?re des affaires ?trang?res. Cela vous donnera des moyens de vous distinguer prompts et s?rs, et cela vous mettra aussi dans un monde agr?able. -- Je tenais ? la profession de mon p?re, lui dis-je; mais il me sera doux de laisser M. le mar?chal d'Olonne et vous disposer de ma vie."
Peu de jours apr?s, elle me dit: "La place est obtenue, mais mon p?re ne pourra pas longtemps vous y ?tre utile. -- Les bruits qu'on fait courir sur la disgr?ce de M. le duc d'A... sont donc vrais? lui demandai-je. -- Ils sont trop vrais, me r?pondit-elle, et je crois que mon p?re la partagera. Suivant toute apparence, il sera exil? ? Faverange, au fond du Limousin, et je l'y accompagnerai. -- Grand Dieu! m'?criai-je, et c'est en ce moment que vous me parlez de place? Vous me connaissez donc bien peu si vous me croyez capable d'accepter une place pour servir vos ennemis! Je n'ai qu'une place au monde: c'est ? Faverange, et ma seule ambition, c'est d'y ?tre souffert." Je la quittai en disant ces mots, et j'allai, encore tout ?mu, chez M. le mar?chal d'Olonne lui dire tout ce que mon coeur m'inspirait. Il en fut touch?. Il me dit qu'en effet le duc d'A... ?tait disgraci?, et que, sans avoir partag? ni sa faveur ni sa puissance, il partagerait sa disgr?ce. "J'ai d? le soutenir dans une question o? son honneur ?tait compromis, dit-il; je suis tranquille, j'ai fait mon devoir, et la v?rit? sera connue t?t ou tard. J'accepterai votre d?vouement, mon cher Edouard, comme j'aurais accept? celui de votre p?re; je vous laisserai ici pour quelques jours; vous terminerez des affaires importantes, que sans doute on ne me donnera pas le temps de finir. Restez avec moi, me dit-il; je veux mettre ordre au plus press?, ?tre pr?t et n'avoir rien ? demander, pas m?me un d?lai."
L'ordre d'exil arriva dans la soir?e, et r?pandit la douleur et la consternation ? l'h?tel d'Olonne. M. le mar?chal d'Olonne, avec le plus grand calme, donna des ordres pr?cis, et, en fixant une occupation ? chacun, suspendit les plaintes inutiles.
Le duc de L..., le prince d'Enrichemont et les autres amis de la famille accoururent ? l'h?tel d'Olonne au premier bruit de cette disgr?ce. M. le mar?chal d'Olonne eut toutes les peines du monde ? contenir le bouillant int?r?t du duc de L..., ? encha?ner son z?le inconsid?r? et ? temp?rer la violence de ses discours. Le prince d'Enrichemont, au contraire, toujours dans une mesure parfaite, disait tout ce qu'il fallait dire, et je ne sais comment, en ?tant si convenable, il trouvait le moyen de me choquer ? tout moment. Quelquefois, en ?coutant ces phrases si bien tourn?es, je regardais Mme de Nevers, et je voyais sur ses l?vres un l?ger sourire, qui me prouvait que le prince d'Enrichemont n'avait pas aupr?s d'elle plus de succ?s qu'aupr?s de moi. J'eus ? cette ?poque un chagrin sensible. M. d'Herbelot se conduisit envers M. le mar?chal d'Olonne de la mani?re la plus ind?licate. Ils avaient eu ? traiter ensemble une affaire relative au gouvernement de Guienne, et, apr?s des contestations assez vives, mon oncle avait eu le dessous. Il restait quelques points en litige; mon oncle crut le moment favorable pour le succ?s; il intrigua et fit d?cider l'affaire en sa faveur. Je fus bless? au coeur de ce proc?d?.
Cependant les ballots, les paquets, remplirent bient?t les vestibules et les cours de l'h?tel d'Olonne, quelques chariots partirent en avant avec une partie de la maison, et M. le mar?chal d'Olonne et Mme de Nevers quitt?rent Paris le lendemain, ne voulant ?tre accompagn?s que de l'abb? Tercier. Tout Paris ?tait venu dans la soir?e ? l'h?tel d'Olonne; mais M. le mar?chal d'Olonne n'avait re?u que ses amis. Il d?daignait cette insulte au pouvoir, dont les exemples ?taient alors si communs; il trouvait plus de dignit? dans un respectueux silence. Je l'imite, mais je ne doute pas qu'? cette ?poque vous n'ayez entendu parler de l'exil de M. le mar?chal d'Olonne comme d'une grande injustice et d'un abus de pouvoir fond? sur la plus ?trange erreur.
Les affaires de M. le mar?chal d'Olonne me retinrent huit jours ? Paris. Je partis enfin pour Faverange, et mon coeur battit de joie en songeant que j'allais me trouver presque seul avec celle que j'adorais. Joie coupable! indigne personnalit?! J'en ai ?t? cruellement puni, et cependant le souvenir de ces jours orageux que j'ai pass?s pr?s d'elle sont encore la consolation et le seul soutien de ma vie.
J'arrivai ? Faverange dans les premiers jours de mai. Le mar?chal d'Olonne se m?prit ? la joie si vive que je montrai en le revoyant; il m'en sut gr?, et je re?us ses ?loges avec embarras. S'il e?t pu lire au fond de mon coeur, combien je lui aurais paru coupable! Lorsque j'y r?fl?chis, je ne comprends pas que M. le mar?chal d'Olonne n'e?t point encore devin? mes sentiments secrets; mais la vieillesse et la jeunesse manquent ?galement de p?n?tration: l'une ne voit que ses esp?rances, et l'autre que ses souvenirs.
Faverange ?tait ce vieux ch?teau o? Mme de Nevers avait ?t? ?lev?e et dont elle m'avait parl? une fois. Situ? ? quelques lieues d'Uzerches, sur un rocher, au bord de la Corr?ze, sa position ?tait ravissante. Un grand parc fort sauvage environnait le ch?teau; la rivi?re qui baignait le pied des terrasses fermait le parc de trois c?t?s. Une for?t de vieux ch?taigniers couvrait un espace consid?rable, et s'?tendait depuis le sommet du coteau jusqu'au bord de la rivi?re. Ces arbres v?n?rables avaient donn? leur ombre ? plusieurs g?n?rations. On appelait ce lieu la Ch?taigneraie. La rivi?re, les campagnes, les collines bleu?tres qui fermaient l'horizon, tout me plaisait dans cet aspect; mais tout m'aurait plu dans la disposition actuelle de mon ?me. La solitude, la vie que nous menions, l'air de paix, de contentement de Mme de Nevers, tout me jetait dans cet ?tat si doux o? le pr?sent suffit, o? l'on ne demande rien au pass? ni ? l'avenir, o? l'on voudrait faire durer le temps, retenir l'heure qui s'?chappe et le jour qui va finir.
M. le mar?chal d'Olonne, en arrivant ? Faverange, avait ?tabli une r?gularit? dans la mani?re de vivre qui laissait du temps pour tout. Il avait annonc? qu'il recevrait tr?s-peu de monde, et, avec le bon esprit qui lui ?tait propre, il s'?tait cr?? des occupations qui avaient de l'int?r?t, parce qu'elles avaient un but utile. De grands d?frichements, la construction d'une manufacture, celle d'un hospice, occupaient une partie de ses matin?es; d'autres heures ?taient employ?es dans son cabinet ? ?crire des m?moires sur quelques parties de sa vie plus consacr?es aux affaires publiques. Le soir, tous r?unis dans le salon, M. le mar?chal d'Olonne animait l'entretien par ses souvenirs ou ses projets; les gazettes, les lectures, fournissaient aussi ? la conversation, et jamais un moment d'humeur ne trahissait les regrets de l'ambition dans le grand seigneur exil?, ni le d?pit dans la victime d'une injustice. Cette simplicit?, cette ?galit? d'?me, n'?taient point un effort dans M. le mar?chal d'Olonne: il ?tait si naturellement au-dessus de toutes les prosp?rit?s et de tous les revers de la fortune qu'il ne lui en co?tait rien de les d?daigner, et si la faiblesse humaine, se glissant ? son insu dans son coeur, y e?t fait entrer un regret de la vanit?, il l'aurait racont? na?vement et s'en serait moqu? le premier. Cette grande bonne foi d'un caract?re ?lev? est un des spectacles les plus satisfaisants que l'homme puisse rencontrer; il console et honore ceux m?mes qui ne sauraient y atteindre.
Je parlais un jour avec admiration ? Mme de Nevers du caract?re de son p?re. "Vous avez, me dit-elle, tout ce qu'il faut pour le comprendre. Le monde admire ce qui est bien, mais c'est souvent sans savoir pourquoi; ce qui est doux, c'est de retrouver dans une autre ?me tous les ?l?ments de la sienne, et, quoi qu'on fasse, dit-elle, ces ?mes se rapprochent: on veut en vain les s?parer! -- Ne dites pas cela! lui r?pondis-je; je vous prouverais trop ais?ment le contraire. -- Peut-?tre ce que vous me diriez fortifierait mon raisonnement, reprit-elle; mais je ne veux pas le savoir." Elle se rapprocha de l'abb? Tercier, qui ?tait sa ressource pour ne pas rester seule avec moi.
Il ?tait impossible qu'elle ne v?t pas que je l'adorais: quelquefois j'oubliais l'obstacle ?ternel qui nous s?parait. Dans cette solitude, le bonheur ?tait le plus fort. La voir, l'entendre, marcher pr?s d'elle, sentir son bras s'appuyer sur le mien, c'?taient autant de d?lices auxquelles je m'abandonnais avec transport. Il faut avoir aim? pour savoir jusqu'o? peut aller l'impr?voyance; il semble que la vie soit concentr?e dans un seul point, et que tout le reste ne se pr?sente plus ? l'esprit que comme des images effac?es. C'est avec effort que l'on appelle sa pens?e sur d'autres objets, et, d?s que l'effort cesse, on rentre dans la nature de la passion, dans l'oubli de tout ce qui n'est pas elle.
Quelquefois je croyais que Mme de Nevers n'?tait pas insensible ? un sentiment qui ressemblait si peu ? ce qu'elle avait pu inspirer jusqu'alors; mais, par la bizarrerie de ma situation, l'id?e d'?tre aim?, qui aurait d? me combler de joie, me gla?ait de crainte. Je ne mesurais qu'alors la distance qui nous s?parait; je ne sentais qu'alors de combien de mani?res il ?tait impossible que je fusse heureux. Le remords aussi entrait dans mon ?me avec l'id?e qu'elle pouvait m'aimer. Jusqu'ici je l'avais ador?e en secret, sans but, sans projets, et sachant bien que cette passion ne pouvait me conduire qu'? ma perte; mais enfin je n'?tais responsable ? personne du choix que je faisais pour moi-m?me. Mais, si j'?tais aim? d'elle, combien je devenais coupable! Quoi! je serais venu chez M. le mar?chal d'Olonne, il m'aurait trait? comme un fils, et je n'aurais us? de la confiance qui m'admettait chez lui que pour adorer sa fille, pour m'en faire aimer, pour la pr?cipiter peut-?tre dans les tourments d'une passion sans espoir! Cette trahison me paraissait indigne de moi, et l'id?e d'?tre aim?, qui m'enivrait, ne pouvait pourtant m'aveugler au point de voir une excuse possible ? une telle conduite; mais l? encore l'amour ?tait le plus fort: il n'effa?ait pas mes remords, mais il m'?tait le temps d'y penser. D'ailleurs, la certitude d'?tre aim? ?tait bien loin de moi, et le temps s'?coulait comme il passe ? vingt-trois ans, avec une passion qui vous poss?de enti?rement.
Un soir, la chaleur ?tait ?touffante; on n'avait pu sortir de tout le jour; le soleil venait de se coucher, et l'on avait ouvert les fen?tres pour obtenir un peu de fra?cheur. M. le mar?chal d'Olonne, l'abb? et deux hommes d'une petite ville voisine assez instruits ?taient engag?s dans une conversation sur l'?conomie politique; ils agitaient depuis une heure la question du commerce des grains, et cela faisait une de ces conversations pesantes o? l'on parle longuement, o? l'on suit un raisonnement, o? les arguments s'encha?nent et o? l'attention de ceux qui ?coutent est enti?rement absorb?e; mais rien aussi n'est si favorable ? la r?verie de ceux qui n'?coutent pas: ils savent qu'ils ne seront pas interrompus et qu'on est trop occup? pour songer ? eux. Mme de Nevers s'?tait assise dans l'embrasure d'une des fen?tres pour respirer l'air frais du soir; un grand jasmin qui tapissait le mur de ce c?t? du ch?teau montait dans la fen?tre et s'entrela?ait dans le balcon. Debout ? deux pas derri?re elle, je voyais son profil charmant se dessiner sur un ciel d'azur encore dor? par les derniers rayons du couchant; l'air ?tait rempli de ces petites particules brillantes qui nagent dans l'atmosph?re ? la fin d'un jour chaud de l'?t?; les coteaux, la rivi?re, la for?t, ?taient envelopp?s d'une vapeur violette qui n'?tait plus le jour et qui n'?tait pas encore l'obscurit?. Une vive ?motion s'empara de mon coeur. De temps en temps un souffle d'air arrivait ? moi; il m'apportait le parfum du jasmin, et ce souffle embaum? semblait s'exhaler de celle qui m'?tait si ch?re! Je le respirais avec avidit?. La paix de ces campagnes, l'heure, le silence, l'expression de ce doux visage, si fort en harmonie avec ce qui l'entourait, tout m'enivrait d'amour. Mais bient?t mille r?flexions douloureuses se pr?sent?rent ? moi. "Je l'adore, pensai-je, et je suis pour jamais s?par? d'elle! Elle est l?, je passe ma vie pr?s d'elle, elle lit dans mon coeur, elle devine mes sentiments, elle les voit peut-?tre sans col?re: eh bien! jamais, jamais, nous ne serons rien l'un ? l'autre! La barri?re qui nous s?pare est insurmontable... Je ne puis que l'adorer; le m?pris la poursuivrait dans mes bras! Et cependant nos coeurs sont cr??s l'un pour l'autre. Et n'est-ce pas l? peut-?tre ce qu'elle a voulu dire l'autre jour!" Un mouvement irr?sistible me rapprocha d'elle; j'allai m'asseoir sur cette m?me fen?tre o? elle ?tait assise, et j'appuyai ma t?te sur le balcon. Mon coeur ?tait trop plein pour parler. "Edouard, me dit-elle, qu'avez-vous? -- Ne le savez-vous pas?" lui dis-je. Elle fut un moment sans r?pondre; puis elle me dit: "Il est vrai, je le sais; mais, si vous ne voulez pas m'affliger, ne soyez pas ainsi malheureux. Quand vous souffrez, je souffre avec vous; ne le savez-vous pas aussi? -- Je devrais ?tre heureux de ce que vous me dites, r?pondis-je, et cependant je ne le puis. -- Quoi! dit-elle, si nous passions notre vie comme nous avons pass? ces deux mois, vous seriez malheureux?" je n'osai lui dire que oui; je cueillis des fleurs de ces jasmins qui l'entouraient et qu'on ne distinguait plus qu'? peine; je les lui donnai, je les lui repris, puis je les couvris de mes baisers et de mes larmes. Bient?t j'entendis qu'elle pleurait, et je fus au d?sespoir. "Si vous ?tes malheureuse, lui dis-je, combien je suis coupable! Dois-je donc vous fuir? -- Ah! dit-elle, il est trop tard." On apporta des lumi?res, je m'enfuis du salon; je me trouvais si ? plaindre! et pourtant j'?tais si heureux que mon ?me ?tait enti?rement boulevers?e.
Je sortis du ch?teau, mais sans pouvoir m'en ?loigner; j'errais sur les terrasses, je m'appuyais sur ces murs qui renfermaient Mme de Nevers, et je m'abandonnais ? tous les transports de mon coeur. Etre aim?, aim? d'elle! Elle me l'avait presque dit, mais je ne pouvais le croire. Elle a piti? de moi, me disais-je: voil? tout; mais n'est-ce pas assez pour ?tre heureux! Elle n'?tait plus ? la fen?tre; je vis de la lumi?re dans une tour qui formait l'un des angles du ch?teau. Cette lumi?re venait d'un cabinet d'?tude qui d?pendait de l'appartement de Mme de Nevers. Un escalier tournant, pratiqu? dans une tourelle, conduisait de la terrasse ? ce cabinet. La porte ?tait ouverte, je m'en rapprochai involontairement; mais ? peine eus-je franchi les premi?res marches que je m'arr?tai tout ? coup. "Que vais-je faire? pensai-je; lui d?plaire peut-?tre, l'irriter!" Je m'assis sur les marches; mais bient?t, entra?n? par ma faiblesse, je montai plus haut. "Je n'entrerai pas, me disais-je; je resterai ? la porte, je l'entendrai seulement, et je me sentirai pr?s d'elle." Je m'assis sur la derni?re marche, ? l'entr?e d'une petite pi?ce qui pr?c?dait le cabinet. Mme de Nevers ?tait dans ce cabinet! Bient?t je l'entendis marcher, puis s'arr?ter, puis marcher encore. Mon coeur, plein d'elle, battait dans mon sein avec une affreuse violence. Je me levai, je me rassis, sans savoir ce que je voulais faire. En ce moment sa porte s'ouvrit: "Agathe, dit-elle, est-ce vous? -- Non, r?pondis-je; me pardonnerez-vous? J'ai vu de la lumi?re dans ce cabinet... j'ai pens? que vous y ?tiez... Je ne sais comment je suis ici. -- Edouard, dit-elle, venez. J'allais vous ?crire; il vaut mieux que je vous parle, et peut-?tre que j'aurais d? vous parler plus t?t." Je vis qu'elle avait pleur?. "Je suis bien coupable, lui dis-je; je vous offense en vous aimant, et cependant que puis-je faire? Je n'esp?re rien, je ne demande rien: je sais trop bien que je ne puis ?tre que malheureux. Mais dites-moi seulement que, si le sort m'e?t fait votre ?gal, vous ne m'eussiez pas d?fendu de vous aimer? -- Pourquoi ce doute? me dit-elle; ne savez-vous pas, Edouard, que je vous aime? Nos deux coeurs se sont donn?s l'un ? l'autre en m?me temps; je ne me suis fait aucune illusion sur la folie de cet attachement; je sais qu'il ne peut que nous perdre. Mais comment fuir sa destin?e? L'absence e?t gu?ri un sentiment ordinaire: j'allai pr?s de mon amie chercher de l'appui contre cette passion qui fera, Edouard, le malheur de tous deux. Eug?nie employa toute la force de sa raison pour me d?montrer la n?cessit? de combattre mes sentiments. H?las! vous n'ignorez pas tout ce qui nous s?pare! Je crus qu'elle m'avait persuad?e; je revins ? Paris arm?e de sa sagesse bien plus que de la mienne. Je pris la r?solution de vous fuir; je cherchai la distraction dans ce monde o? j'?tais s?re de ne pas vous trouver. Quelle profonde indiff?rence je portais dans tous ces lieux o? vous n'?tiez pas, o? vous ne pouviez jamais venir! Ces portes s'ouvraient sans cesse, et ce n'?tait jamais pour vous! Le duc de L... me plaisantait souvent sur mes distractions. En effet, je sentais bien que je pouvais ob?ir aux conseils d'Eug?nie et conduire ma personne au bal; mais, Edouard, n'avez-vous jamais senti que mon ?me ?tait errante autour de vous, que la meilleure moiti? de moi-m?me restait pr?s de vous, qu'elle ne pouvait pas vous quitter?" Je tombai ? ses pieds. Ah! si j'avais os? la serrer dans mes bras! Mais je n'avais que de froides paroles pour peindre les transports de mon coeur. Je lui redis mille fois que j'?tais heureux; que je d?fiais tous les malheurs de m'atteindre; que ma vie se passerait pr?s d'elle ? l'aimer, ? lui ob?ir; qu'elle ne pouvait rien m'imposer qui ne me par?t facile. En effet, mes chagrins, mes remords, son rang, ma position, la distance qui nous s?parait, tout avait disparu; il me semblait que je pouvais tout supporter, tout braver, et que j'?tais inaccessible ? tout ce qui n'?tait pas l'ineffable joie d'?tre aim? de Mme de Nevers. "Je ne vous impose qu'une loi, me dit-elle: c'est la prudence. Que mon p?re ne puisse jamais soup?onner nos sentiments: vous savez assez que, s'il en avait la moindre id?e, il se croirait profond?ment offens?; son bonheur, son repos, la paix de notre int?rieur, seraient d?truits sans retour. C'est de cela que je voulais vous parler, ajouta-t-elle en rougissant. Voyez, Edouard, si je dois ainsi rester seule avec vous? Je vous ai dit tout ce que je ne voulais pas vous dire. H?las! nous ne savons que trop bien ? pr?sent ce qui est au fond de nos coeurs! Ne nous voyons plus seuls. -- Je vais vous quitter, lui dis-je; ne m'enviez pas cet instant de bonheur... Est-il donc d?j? fini?"
L'enchantement d'?tre aim? suspendit en moi pour quelques jours toute esp?ce de r?flexion: j'?tais devenu incapable d'en faire. Chacune des paroles de Mme de Nevers s'?tait grav?e dans mon souvenir et y rempla?ait mes propres pens?es; je les r?p?tais sans cesse, et le m?me sentiment de bonheur les accompagnait toujours. J'oubliais tout: tout se perdait dans cette id?e ravissante que j'?tais aim?; que nos deux coeurs s'?taient donn?s l'un ? l'autre en m?me temps; que, malgr? tous ses efforts, elle n'avait pu se d?tacher de moi; qu'elle m'aimait; qu'elle avait accept? mon amour; que ma vie s'?coulerait pr?s d'elle; que la certitude d'?tre aim? me tiendrait lieu de tout bonheur. Je le croyais de bonne foi, et il me paraissait impossible que la f?licit? humaine p?t aller au del? de ce que Mme de Nevers venait de me faire ?prouver lorsqu'elle m'avait dit que, m?me absente, son ?me ?tait errante autour de moi.
Cet enivrement aurait peut-?tre dur? longtemps si M. le mar?chal d'Olonne, qui se plaisait ? louer ceux qu'il aimait, n'e?t voulu un soir faire mon ?loge. Il parlait ? quelques voisins qui avaient d?n? ? Faverange; j'avais essay? de sortir d?s le commencement de la conversation, mais il m'avait forc? de rester. Ah! quel supplice il m'imposait! M'entendre vanter pour ma d?licatesse, pour ma reconnaissance, pour mon d?vouement! Il n'en fallait pas tant pour rappeler ma raison ?gar?e et pour faire rentrer le remords dans mon ?me. Il s'en empara avec violence, et me d?chira d'autant plus que j'avais pu l'oublier un moment; mais, par une bizarrerie de mon caract?re, j'?prouvai une sorte de joie de voir pourtant que je sentais encore ce que devait sentir un homme d'honneur; que la passion m'entra?nait sans m'aveugler, et que du moins Mme de Nevers ne m'avait pas encore ?t? le regret des vertus que je perdais pour elle. J'essayai de me dire qu'un jour je la fuirais. Fuir Mme de Nevers! m'en s?parer! Je ne pouvais en soutenir la pens?e, et cependant j'avais besoin de me dire que dans l'avenir j'?tais capable de ce sacrifice. Non, je ne l'?tais pas; j'ai senti plus tard que m'arracher d'aupr?s d'elle, c'?tait aussi m'arracher la vie.
Il ?tait impossible qu'un coeur d?chir? comme l'?tait le mien p?t donner ni recevoir un bonheur paisible. Mme de Nevers me reprochait l'in?galit? de mon humeur. Elle qui n'avait besoin que d'aimer pour ?tre heureuse, tout ?tait facile de sa part: c'?tait elle qui faisait les sacrifices; mais moi, qui l'adorais et qui ?tais certain de ne la poss?der jamais, d?vor? de remords, oblig? de cacher ? tous les yeux cette passion sans espoir, qui ferait ma honte si le hasard la d?voilait ? M. le mar?chal d'Olonne! Que me dirait-il? que je devais fuir? Il aurait raison, et je sentais que je n'avais d'autre excuse qu'une faiblesse indigne d'un honn?te homme, indigne de mon p?re, indigne de moi-m?me; mais cette faiblesse me ma?trisait enti?rement: j'adorais Mme de Nevers, et un de ses regards payait toutes mes douleurs. Grand Dieu! je n'ose dire qu'il effa?ait tous mes remords.
On passait ordinairement les matin?es dans une grande biblioth?que, que M. le mar?chal d'Olonne avait fait arranger depuis qu'il ?tait ? Faverange. On venait de recevoir de Paris plusieurs caisses remplies de livres, de gravures, de cartes g?ographiques, et un globe fort grand et fort beau nouvellement trac? d'apr?s les d?couvertes r?centes de Cook et de Bougainville. Tous ces objets avaient ?t? plac?s sur des tables, et M. le mar?chal d'Olonne, apr?s les avoir examin?s avec soin, sortit, emmenant avec lui l'abb? Tercier.
Je demeurai seul avec Mme de Nevers, et nous rest?mes quelque temps, debout devant une table, ? faire tourner ce globe avec l'esp?ce de r?verie qu'inspire toujours l'image, m?me si abr?g?e, de ce monde que nous habitons. Mme de Nevers fixa ses regards sur le grand Oc?an pacifique et sur l'archipel des ?les de la Soci?t?, et elle remarqua cette multitude de petits points qui ne sont marqu?s que comme des ?cueils. Je lui racontai quelque chose du voyage de Cook que je venais de lire, et des dangers qu'il avait courus dans ces r?gions inconnues par ces bancs de corail que nous voyons figur?s sur le globe, et qui entourent cet archipel comme pour lui servir de d?fense contre l'Oc?an. J'essayai de d?crire ? Mme de Nevers quelques-unes de ces ?les charmantes; elle me montra du doigt une des plus petites, situ?e un peu au nord du tropique, et enti?rement isol?e. "Celle-ci, lui dis-je, est d?serte; mais elle m?riterait des habitants: le soleil ne la br?le jamais, de grands palmiers l'ombragent; l'arbre ? pain, le bananier, l'ananas, y produisent inutilement leurs plus beaux fruits; ils m?rissent dans la solitude, ils tombent, et personne ne les recueille. On n'entend d'autre bruit, dans cette retraite, que le murmure des fontaines et le chant des oiseaux; on n'y respire que le doux parfum des fleurs; tout est harmonie, tout est bonheur dans ce d?sert. Ah! lui dis-je, il devrait servir d'asile ? ceux qui s'aiment. L?, on serait heureux des seuls biens de la nature, on ne conna?trait pas la distinction des rangs, ni l'inf?riorit? de la naissance; l?, on n'aurait pas besoin de porter d'autres noms que ceux que l'amour donne, on ne serait pas d?shonor? de porter le nom de ce qu'on aime!" Je tombai sur une chaise en disant ces mots; je cachai mon visage dans mes mains, et je sentis bient?t qu'il ?tait baign? de mes larmes. Je n'osais lever les yeux sur Mme de Nevers. "Edouard, me dit-elle, est-ce un reproche? Pouvez-vous croire que j'appellerais un sacrifice ce qui me donnerait ? vous? Sans mon p?re, croyez-vous que j'eusse h?sit??" Je me prosternai ? ses pieds; je lui demandai pardon de ce que j'avais os? lui dire: "Lisez dans mon coeur, lui dis-je; concevez, s'il est possible, une partie de ce que je souffre, de ce que je vous cache... Si vous me plaignez, je serai moins malheureux."
Cette ?le imaginaire devint l'objet de toutes mes r?veries. Dupe de mes propres fictions, j'y pensais sans cesse; j'y transportais en id?e celle que j'aimais. L?, elle m'appartenait; l?, elle ?tait ? moi, toute ? moi! Je vivais de ce bonheur chim?rique; je la fuyais elle-m?me pour la retrouver dans cette cr?ation de mon imagination, ou, loin de ces lois sociales, cruelles et impitoyables, je me livrais ? de folles illusions d'amour, qui me consolaient un moment, pour m'accabler ensuite d'une nouvelle et plus poignante douleur.
Il ?tait impossible que ces violentes agitations n'alt?rassent pas ma sant?: je me sentais d?p?rir et mourir; d'affreuses palpitations me faisaient croire quelquefois que je touchais ? la fin de ma vie, et j'?tais si malheureux que j'en voyais le terme avec joie. Je fuyais Mme de Nevers; je craignais de rester seul avec elle, de l'offenser peut-?tre en lui montrant une partie des tourments qui me d?chiraient.
Un jour, elle me dit que je lui tenais mal la promesse que je lui avais faite d'?tre heureux du seul bonheur d'?tre aim? d'elle. "Vous ?tes mauvais juge de ce que je souffre, lui dis-je, et je ne veux pas vous l'apprendre. Le bonheur n'est pas fait pour moi, je n'y pr?tends pas; mais dites-moi seulement, dites-moi une fois que vous me regretterez quand je ne serai plus, que ce tombeau qui me renfermera bient?t attirera quelquefois vos pas; dites que vous eussiez souhait? qu'il n'y e?t pas d'obstacle entre nous." Je la quittai sans attendre sa r?ponse; je n'?tais plus ma?tre de moi; je sentais que je lui dirais peut-?tre ce que je ne voulais pas lui dire, et la crainte de lui d?plaire r?gnait dans mon ?me autant que mon amour et que ma douleur. Je m'en allais dans la campagne; je marchais des journ?es enti?res, dans l'esp?rance de fuir deux pens?es d?chirantes qui m'assi?geaient tour ? tour: l'une, que je ne poss?derais jamais celle que j'aimais; l'autre, que je manquais ? l'honneur en restant chez M. le mar?chal d'Olonne. Je voyais l'ombre de mon p?re me reprocher ma conduite, me demander si c'?tait l? le fruit de ses le?ons et de ses exemples; puis ? cette vision terrible succ?dait la douce image de Mme de Nevers: elle ranimait pour un moment ma triste vie; je fermais les yeux pour que rien ne v?nt me distraire d'elle. Je la voyais, je me p?n?trais d'elle; elle devenait comme la r?alit?, elle me souriait, elle me consolait, elle calmait par degr? mes douleurs, elle apaisait mes remords. Quelquefois je trouvais le sommeil dans les bras de cette ombre vaine; mais, h?las! j'?tais seul ? mon r?veil! O mon Dieu! si vous m'eussiez donn? seulement quelques jours de bonheur! Mais jamais, jamais! tout ?tait inutile; et ces deux coeurs form?s l'un pour l'autre, p?tris du m?me limon, p?n?tr?s du m?me amour, le sort impitoyable les s?parait pour toujours!
Un soir, revenant d'une de ces longues courses, je m'?tais assis ? l'extr?mit? de la Ch?taigneraie, dans l'enceinte du parc, mais cependant fort loin du ch?teau. J'essayais de me calmer avant que de rentrer dans ce salon o? j'allais rencontrer les regards de M. le mar?chal d'Olonne, lorsque je vis de loin Mme de Nevers qui s'avan?ait vers moi. Elle marchait lentement sous les arbres, plong?e dans une r?verie dont j'osai me croire l'objet: elle avait ?t? son chapeau, ses beaux cheveux tombaient en boucles sur ses ?paules; son v?tement l?ger flottait autour d'elle; son joli pied se posait sur la mousse si l?g?rement qu'il ne la foulait m?me pas; elle ressemblait ? la nymphe de ces bois. Je la contemplais avec d?lices; jamais je ne m'?tais encore senti entra?n? vers elle avec tant de violence; le d?sespoir auquel je m'?tais livr? tout le jour avait redoubl? l'empire de la passion dans mon coeur. Elle vint ? moi, et, d?s que j'entendis le son de sa voix, il me sembla que je reprenais un peu de pouvoir sur moi-m?me. "O? avez-vous donc pass? la journ?e? me demanda-t-elle; ne craignez-vous pas que mon p?re ne s'?tonne de ces longues absences? -- Qu'importe! lui r?pondis-je; mon absence bient?t sera ?ternelle. -- Edouard, me dit-elle, est-ce donc l? les promesses que vous m'aviez faites? -- Je ne sais ce que j'ai promis, lui dis-je; mais la vie m'est ? charge: je n'ai plus d'avenir, et je ne vois de repos que dans la mort. Pourquoi s'en effrayer? Lui dis-je; elle sera plus bienfaisante pour moi que la vie. Il n'y a pas de rangs dans la mort, je n'y retrouverai pas l'inf?riorit? de ma naissance, qui m'emp?che d'?tre ? vous, ni mon nom obscur: tous portent le m?me nom dans la mort! Mais l'?me ne meurt pas, elle aime encore apr?s la vie, elle aime toujours. Pourquoi dans cet autre monde ne serions nous pas unis? -- Nous le serons dans celui-ci, me dit-elle. Edouard, mon parti est pris: je serai ? vous, je serai votre femme. H?las! c'est mon bonheur aussi bien que le v?tre que je veux! Mais dites-moi que je ne verrai plus votre visage p?le et d?compos? comme il l'est depuis quelque temps; dites-moi que vous reviendrez ? la vie, ? l'esp?rance; dites-moi que vous serez heureux. -- Jamais! m'?criai-je avec d?sespoir. Grand Dieu! c'est donc quand vous me proposez le comble de la f?licit? que je dois me trouver le plus malheureux de tous les hommes!... Moi, vous ?pouser! Moi, vous faire d?choir! vous rendre l'objet du m?pris! changer l'?clat de votre rang contre mon obscurit?! vous faire porter mon nom inconnu! -- Eh! qu'importe? dit-elle; j'aime mieux ce nom que tous ceux de l'histoire; je m'honorerai de le porter, il est le nom de ce que j'aime. Edouard! ne sacrifiez pas notre bonheur ? une fausse d?licatesse. -- Ah! ne me parlez pas de bonheur, lui dis-je; point de bonheur avec la honte! Moi, trahir l'honneur! trahir M. le mar?chal d'Olonne! Je ne pourrais seulement soutenir son regard! D?j? je voudrais me cacher ? ses yeux! De quelle juste indignation ne m'accablerait-il pas! Le d?shonneur! c'est comme l'impossible; rien ? ce prix! -- Eh bien, Edouard, dit-elle, il faudra donc nous s?parer?" Je demeurai an?anti. "Vous voulez ma mort, lui dis-je; vous avez raison, elle seule peut tout arranger. Oui, je vais partir; je me ferai soldat, je n'aurai pas besoin pour cela de prouver ma noblesse; j'irai me faire tuer. Ah! que la mort me sera douce! Je b?nirais celui qui me la donnerait en ce moment." Je ne regardais pas Mme de Nevers en pronon?ant ces affreuses paroles. H?las! la vie semblait l'avoir abandonn?e. P?le, glac?e, immobile, je crus un moment qu'elle n'existait plus; je compris alors qu'il y avait encore d'autres malheurs que ceux qui m'accablaient! A ses pieds, j'implorai son pardon; je repris toutes mes paroles, je lui jurai de vivre, de vivre pour l'adorer, son esclave, son ami, son fr?re; nous inventions tous les doux noms qui nous ?taient permis. "Viens, me dit-elle en se jetant ? genoux; prions ensemble; demandons ? Dieu de nous aimer dans l'innocence, de nous aimer ainsi jusqu'? la mort!" Je tombai ? genoux ? c?t? d'elle; j'adorai cet ange presque autant que Dieu m?me; elle ?tait un souffle ?man? de lui; elle avait la beaut?, l'ang?lique puret? des enfants du Ciel. Comment un d?sir coupable m'aurait-il atteint pr?s d'elle? elle ?tait le sanctuaire de tout ce qui ?tait pur. Mais loin d'elle, h?las! je redevenais homme, et j'aurais voulu la poss?der ou mourir.
Nous entr?mes bient?t dans la lutte la plus singuli?re et la plus p?nible, elle pour me d?terminer ? l'?pouser, et moi pour lui prouver que l'honneur me d?fendait cette f?licit? que j'eusse pay?e de mon sang et de ma vie. Que ne me dit-elle pas pour me faire accepter le don de sa main! Le sacrifice de son nom, de son rang ne lui co?tait rien; elle me le disait, et j'en ?tais s?r. Tant?t elle m'offrait la peinture s?duisante de notre vie int?rieure. "Retir?s, disait-elle, dans notre humble asile, au fond de nos montagnes, heureux de notre amour, en paix avec nous-m?mes, saurons-nous seulement si l'on nous bl?me dans le monde?" Et elle disait vrai, et je connaissais assez la simplicit? de ses go?ts pour ?tre certain qu'elle e?t ?t? heureuse, sous notre humble toit, avec mon amour et l'innocence. Quelquefois elle me disait: "Il se peut que j'offense, en vous aimant, les convenances sociales; mais je n'offense aucune des lois divines: je suis libre, vous l'?tes aussi, ou plut?t nous ne le sommes plus ni l'un ni l'autre. Y a-t-il, Edouard, un lien plus sacr? qu'un attachement comme le n?tre? Que ferions-nous dans la vie, maintenant, si nous n'?tions pas unis? Pourrions-nous faire le bonheur de personne?" Je ne puis dire ce que me faisait ?prouver un pareil langage: je n'?tais pas s?duit, je n'?tais pas m?me ?branl?; mais je l'?coutais comme on pr?te l'oreille ? des sons harmonieux qui bercent et endorment les douleurs. Je n'essayais pas de lui r?pondre; je l'?coutais, et ses paroles enchanteresses tombaient comme un baume sur mes blessures. Mais, par une bizarrerie que je ne saurais expliquer, quelquefois ces m?mes paroles produisaient en moi un effet tout contraire, et elles me jetaient dans un profond d?sespoir. Incons?quence des passions! le bonheur d'?tre aim? me consolait de tout ou mettait le comble ? mes maux. Mme de Nevers quelquefois feignait de douter de mon amour. "Vous m'aimez bien peu, disait-elle, si je ne vous console pas des m?pris du monde. -- J'oublierais tout ? vos pieds, lui disais-je, hors le d?shonneur, hors le bl?me dont je ne pourrais pas vous sauver. Je le sais bien, que les maux de la vie ne vous atteindraient pas dans mes bras; mais le bl?me n'est pas comme les autres blessures, sa pointe aigu? arriverait ? mon coeur avant que de passer au v?tre; mais elle vous frapperait malgr? moi, et j'en serais la cause. De quel nom ne fl?trirait-on pas le sentiment qui nous lie? Je serais un vil s?ducteur, et vous une fille d?natur?e. Ah! n'acceptons pas le bonheur au prix de l'infamie! T?chons de vivre encore comme nous vivons, ou laissez-moi vous fuir et mourir. Je quitterai la vie sans regret: qu'a-t-elle qui me retienne? Je d?sire la mort plut?t; je ne sais quel pressentiment me dit que nous serons unis apr?s la mort, qu'elle sera le commencement de notre ?ternelle union."
Nos larmes finissaient ordinairement de telles conversations; mais, quoique le sujet en f?t si triste, elles portaient en elles je ne sais quelle douceur qui vient de l'amour m?me. Il est impossible d'?tre tout ? fait malheureux quand on s'aime, qu'on se le dit, qu'on est pr?s l'un de l'autre. Ce bien-?tre ineffable que donne la passion ne saurait ?tre d?truit que par le changement de ceux qui l'?prouvent, car la passion est plus forte que tous les malheurs qui ne viennent pas d'elle-m?me.
Cependant nous sentions la n?cessit? de nous distraire quelquefois de ces pens?es douloureuses pour conserver la force de les supporter. Nous essay?mes de lire ensemble, de fixer sur d'autres objets que nous-m?mes nos id?es et nos r?flexions; mais l'imagination pr?occup?e par l'amour ressemble ? cette for?t enchant?e que nous peint le Tasse, et dont toutes les issues ramenaient toujours dans le m?me lieu. La passion r?pond ? tout, et tout ram?ne ? elle. Si nous trouvions dans nos lectures quelques sentiments exprim?s avec v?rit?, c'est qu'ils nous rappelaient les n?tres; si les descriptions de la nature avaient quelque charme pour nous, c'est qu'elles retra?aient ? nos coeurs l'image de la solitude o? nous eussions voulu vivre. Je trouvais ? Mme de Nevers la beaut? et la modestie de l'Eve de Milton, la tendresse de Juliette, et le d?vouement d'Emma.
La passion, qui produit tous les fruits de la faiblesse, est cependant ce qui met l'homme de niveau avec tout ce qui est grand, noble, ?lev?. Il nous semblait quelquefois que nous ?tions capables de tout ce que nous lisions de sublime: rien ne nous ?tonnait, et l'id?al de la vie nous semblait l'?tat naturel de nos coeurs, tant nous vivions facilement dans cette sph?re ?lev?e des sentiments g?n?reux. Mais quelquefois aussi un mot qui nous rappelait trop vivement notre propre situation, ou ces tableaux touchants de l'amour dans le mariage, qu'on rencontre si fr?quemment dans la po?sie anglaise, me pr?cipitaient du fa?te de mes illusions dans un violent d?sespoir. Mme de Nevers alors me consolait, essayait de nouveau de me convaincre qu'il n'?tait pas impossible que nous fussions heureux, et la m?me lutte se renouvelait entre nous et apportait avec elle les m?mes douleurs et les m?mes consolations.
Il y avait environ six mois que M. le mar?chal d'Olonne ?tait ? Faverange, et nous touchions aux derniers jours de l'automne, lorsqu'un soir, comme on allait se retirer, on entendit un bruit inaccoutum? autour du ch?teau: les chiens aboyaient, les grilles s'ouvraient, les cha?nes des ponts faisaient entendre leur claquement en s'abaissant, les fouets des postillons, le hennissement des chevaux, tout annon?ait l'arriv?e de plusieurs voitures en poste. Je regardai Mme de Nevers: le m?me pressentiment nous avait fait p?lir tous deux, mais nous n'e?mes pas le temps de nous communiquer notre pens?e. La porte s'ouvrit, et le duc de L... et le prince d'Enrichemont parurent. Leur pr?sence disait tout, car M. le mar?chal d'Olonne avait annonc? qu'il ne voulait recevoir aucune visite tant que durerait son exil, et il n'?tait venu ? Faverange que deux ou trois vieux amis, qui m?me n'y avaient fait que peu de s?jour. M. le mar?chal d'Olonne ?tait en effet rappel?. Le duc de L... le lui annon?a avec le bon coeur et la bonne gr?ce qu'il mettait ? tout, et le prince d'Enrichemont recommen?a ? dire toutes ces choses convenables que Mme de Nevers ne pouvait lui pardonner. Il en avait toujours de pr?tes pour la joie comme pour la douleur, et il n'en fut point avare en cette occasion. Il s'adressait plus particuli?rement ? Mme de Nevers. Elle r?pondait en plaisantant. La conversation s'animait entre eux, et je retrouvais ces anciennes souffrances que je ne connaissais plus depuis six mois; seulement elles me paraissaient encore plus cruelles par le souvenir du bonheur dont j'avais joui pr?s de Mme de Nevers, seul en possession du moins de ce charme de sociabilit? qui n'appartenait qu'? elle: ? pr?sent il fallait le partager avec ces nouveaux venus, et, pour que rien ne me manqu?t, je retrouvais encore leur politesse, c?r?monieuse de la part du prince d'Enrichemont, cordiale de la part du duc de L..., mais enfin me faisant toujours ressouvenir et de ce qu'ils ?taient et de ce que j'?tais moi-m?me.
La conversation s'?tablit sur les nouvelles de la soci?t?, sur Paris, sur Versailles. Il ?tait simple que M. le mar?chal d'Olonne f?t curieux de savoir mille d?tails que personne depuis longtemps n'avait pu lui apprendre; mais j'?prouvais un sentiment de souffrance inexprimable en me sentant si ?tranger ? ce monde dans lequel Mme de Nevers allait de nouveau passer sa vie. Le prince d'Enrichemont conta que la reine avait dit qu'elle esp?rait que Mme de Nevers serait de retour pour le premier bal qu'elle donnerait ? Trianon. Le duc de L... parla du voyage de Fontainebleau, qui venait de finir. Je ne pouvais m'?tonner que Mme de Nevers s'occup?t de personnes qu'elle connaissait, de la soci?t? dont elle faisait partie; mais cette conversation ?tait si diff?rente de celles que nous avions ordinairement ensemble qu'elle me faisait l'effet d'une langue inconnue, et j'?prouvais une sensation p?nible en voyant cette langue si famili?re ? celle que j'aimais. H?las! j'avais oubli? qu'elle ?tait la sienne, et le doux langage de l'amour que nous parlions depuis si longtemps, avait effac? tout le reste.
Le duc de L..., qu'on ne fixait jamais longtemps sur le m?me sujet, revint ? parler de Faverange, et s'engoua de tout ce qu'il voyait, de l'aspect du ch?teau par le clair de lune, de l'escalier gothique, surtout de la salle o? nous ?tions. Il admira la vieille boiserie de ch?ne, noir et poli comme l'?b?ne, qui portait dans chacun de ses panneaux un chevalier arm? de toutes pi?ces, sculpt?s en relief, avec le nom et la devise du chevalier, sculpt?s aussi au bas du panneau. Le duc de L... lut les devises et plaisanta sur la d?livrance de Mme de Nevers, enferm?e dans ce donjon gothique comme une princesse du temps de la chevalerie. Il lui demanda si elle ne s'?tait pas bien ennuy?e depuis six mois. "Non sans doute, dit-elle, je ne me suis jamais trouv?e plus heureuse, et je suis s?re que mon p?re quittera Faverange avec regret. -- Oui, dit M. le mar?chal d'Olonne, le souvenir du temps que j'ai pass? ici sera toujours un des plus doux de ma vie. Il y a deux mani?res d'?tre heureux, ajouta M. le mar?chal d'Olonne: on l'est par le bonheur qu'on ?prouve ou par celui qu'on fait ?prouver. S'occuper du perfectionnement moral et du bien-?tre physique d'un grand nombre d'hommes est certainement la source des jouissances les plus pures et les plus durables, car le plaisir dont on se lasse le moins est celui de faire le bien, et surtout un bien qui doit nous survivre." Je fus frapp? au dernier point de ce peu de paroles. Une pens?e traversa mon esprit. Quoi! M. le mar?chal d'Olonne, si je lui ravissais sa fille, aurait encore une autre mani?re d'?tre heureux; et moi, grand Dieu! en perdant Mme de Nevers, je sentais que tout ?tait fini pour moi dans la vie! Avenir, repos, vertu m?me, tout me devenait indiff?rent; et jusqu'? ce fant?me d'honneur auquel je me sacrifiais, je sentais qu'il ne me serait plus rien si je me s?parais d'elle. La mort seule alors deviendrait ma consolation et mon but: rien n'?tait plus rien pour moi dans le monde; le monde lui-m?me n'?tait plus qu'un d?sert et un tombeau. Cette id?e que M. le mar?chal d'Olonne serait heureux sans sa fille ?tait le pi?ge le plus dangereux qu'on e?t encore pu m'offrir.
Deux jours apr?s l'arriv?e des deux amis, M. le mar?chal d'Olonne quitta Faverange. Avec quelle douleur je m'arrachai de ce lieu o? Mme de Nevers m'avait avou? qu'elle m'aimait! Je ne partis que quelques heures apr?s elle; je les employai ? dire un tendre adieu ? tout ce qui restait d'elle. J'entrai dans le cabinet de la tour, dans ce cabinet o? elle n'?tait plus; je me mis ? genoux devant le si?ge qu'elle occupait; je baisais ce qu'elle avait touch?; je m'emparais de ce qu'elle avait oubli?; je pressais sur mon coeur ces vestiges qu'avait laiss?s sa pr?sence. H?las! c'?tait tout ce qu'il m'?tait permis de poss?der d'elle, mais ils m'?taient chers comme elle-m?me, et je ne pouvais m'arracher de ces murs qui l'avaient entour?e, de ce si?ge o? elle s'?tait assise, de cet air qu'elle avait respir?. Je savais bien que je serais moins avec elle o? j'allais la retrouver que je ne l'?tais en ce moment dans cette solitude remplie de son image: un triste pressentiment me disait que j'avais pass? ? Faverange les seuls jours heureux que le ciel m'e?t destin?s.
En arrivant ? l'h?tel d'Olonne, j'?prouvai un premier chagrin: Mme de Nevers ?tait sortie. Je parcourus ces grands salons d?serts avec une profonde tristesse. Le souvenir de la mort de mon p?re se r?veilla dans mon coeur. Je ne sais pourquoi cette maison semblait me pr?sager de nouveaux malheurs. J'allai dans ma chambre: j'y retrouvai le portrait de Mme de Nevers enfant. Sa vue me consola un peu, et je restai ? le contempler jusqu'? l'heure du souper. Alors je descendis dans le salon: je le trouvai plein de monde. Mme de Nevers faisait les honneurs de ce cercle avec sa gr?ce accoutum?e, mais je ne sais quel nuage de tristesse couvrait son front. Quand elle m'aper?ut, il se dissipa tout ? coup. Magie de l'amour! j'oubliai toutes mes peines; je me sentis fier de ses succ?s, de l'admiration qu'on montrait pour elle. Si j'eusse pu lui ?ter une nuance de ce rang qui nous s?parait pour toujours, je n'y aurais pas consenti. En ce moment, je jouissais de la voir au-dessus de tous encore plus que je ne souhaitais de la poss?der, et j'?prouvais pour elle un enivrement d'orgueil dont j'?tais incapable pour moi-m?me. Si j'avais pu ainsi m'oublier toujours, j'aurais ?t? moins malheureux; mais cela ?tait impossible: tout me froissait, tout blessait ma fiert?. Ce que j'enviais le plus dans une position ?lev?e, c'est le repos que je me figurais qu'on devait y ?prouver; c'?tait de ne compter avec personne et d'?tre ? sa place partout. Cette inqui?tude, ce malaise d'amour-propre, aurait ?t? un v?ritable malheur si un sentiment bien plus fort m'e?t laiss? le temps de m'y livrer; mais je pensais trop ? Mme de Nevers pour que les chagrins de ma vanit? fussent durables, et je les sentais surtout parce qu'ils ?taient une preuve de plus de l'impossibilit? de notre union. Tout ce qui me rabaissait m'?loignait d'elle, et cette r?flexion ajoutait une nouvelle amertume ? des sentiments d?j? si amers.
J'occupai, ? mon retour de Faverange, la place que M. le mar?chal d'Olonne m'avait fait obtenir aux affaires ?trang?res, et qu'on m'avait conserv?e par consid?ration pour lui. Le travail n'en ?tait pas assujettissant, et cependant je le faisais avec n?gligence. La passion rend surtout incapable d'une application suivie: c'est avec effort qu'on ?carte de soi une pens?e qui suffit au bonheur, et tout ce qui distrait d'un objet ador? semble un vol fait ? l'amour. Cependant ces sortes d'affaires sont si faciles qu'on ?tait content de moi et que je recueillais de ma place ? peu pr?s tout ce qu'elle avait d'agr?able; elle me donnait des relations fr?quentes avec les hommes distingu?s qui affluaient ? Paris de toutes les parties de l'Europe, et je prenais insensiblement un peu plus de consistance dans le monde, ? cause des petits services que je pouvais rendre. Je logeais toujours ? l'h?tel d'Olonne; j'y passais toutes mes journ?es, et ce nouvel arrangement n'avait rien chang? ? ma vie que de cr?er quelques rapports de plus. Les ?trangers qui venaient chez M. le mar?chal d'Olonne, me connaissant davantage, me montraient en g?n?ral plus d'obligeance et de bont?.
Je tombai bient?t dans un ?tat qui tenait le milieu entre le d?sespoir et la folie. En proie ? une id?e fixe, je voyais sans cesse Mme de Nevers; elle me poursuivait pendant mon sommeil; je m'?lan?ais pour la saisir dans mes bras, mais un ab?me se creusait tout ? coup entre nous deux; j'essayais de le franchir, et je me sentais retenu par une puissance invincible; je luttais en vain, je me consumais en efforts superflus; je sortais ?puis?, an?anti, de ce combat qui n'avait de r?el que le mal qu'il me faisait et la passion qui en ?tait cause. Myst?rieuse alliance de l'?me et du corps! Qu'est-ce que cette enveloppe fragile qui ob?it ? une pens?e, que le malheur d?truit et qu'une id?e fait mourir! Je sentais que je ne r?sisterais pas longtemps ? ces cruelles souffrances. Mme de Nevers me montrait sans d?guisement sa douleur et son inqui?tude; elle cherchait ? adoucir mes peines sans pouvoir y parvenir; sa tendresse ing?nieuse me prouvait sans cesse qu'elle me pr?f?rait ? tout. Elle, si brillante, si entour?e, elle d?daignait tous les hommages, elle trouvait moyen de me montrer ? chaque instant qu'elle pr?f?rait mon amour aux adorations de l'univers. Une reconnaissance passionn?e venait se joindre ? tous les autres sentiments de mon coeur, qui se concentraient tous en elle seule. Si j'avais pu lui donner ma vie! mourir pour elle, pour qu'elle f?t heureuse! ajouter mes jours ? ses jours, ma vie ? sa vie! H?las je ne pouvais rien, et elle me donnait ce tr?sor inestimable de sa tendresse sans que je pusse lui rien donner en retour.
Chaque jour la contrainte o? je vivais, la dissimulation ? laquelle j'?tais forc?, me devenait plus insupportable. J'avais renonc? au bonheur, et il me fallait sacrifier jusqu'au dernier plaisir des malheureux, celui de s'abandonner sans r?serve au sentiment de leurs maux! il me fallait composer mon visage et feindre quelquefois une gaiet? trompeuse qui p?t masquer les tourments de mon coeur et pr?venir des soup?ons qui atteindraient Mme de Nevers! La crainte de la compromettre pouvait seule me donner assez d'empire sur moi-m?me pour pers?v?rer dans un r?le qui m'?tait si p?nible.
Je m'apercevais depuis quelque temps que cette bienveillance dont j'avais eu tant ? me louer de la part du prince d'Enrichemont et du duc de L... avait enti?rement cess?. Le prince d'Enrichemont me montrait une froideur qui allait jusqu'au d?dain, et le duc de L... avait avec moi une sorte d'ironie qui n'?tait ni dans son caract?re ni dans ses mani?res habituelles. Si j'eusse ?t? moins pr?occup?, j'aurais fait plus d'attention ? ce changement; mais M. le mar?chal d'Olonne me traitait toujours avec la m?me bont?, me montrait toujours la m?me confiance: il me semblait que je n'avais ? craindre que lui seul, et que, tant qu'il ne soup?onnerait pas mes sentiments pour Mme de Nevers, j'?tais en s?ret?. La conduite du prince d'Enrichemont et du duc de L... me blessa donc sans m'?clairer. Je n'avais jamais aim? le premier, et je me sentais ? mon aise pour le ha?r; je n'?tais pas jaloux de lui, je savais que Mme de Nevers ne l'?pouserait jamais, et cependant je l'enviais d'oser pr?tendre ? elle et d'en avoir le droit. Je lui rendais avec usure la s?cheresse et l'aigreur qu'il me montrait, et je ne perdais pas une occasion de me moquer devant lui des d?fauts ou des ridicules dont on pouvait l'accuser, et de louer avec exag?ration les qualit?s qu'on savait bien qu'il ne poss?dait pas.
Un jour M. le mar?chal d'Olonne alla souper et coucher ? Versailles: Mme de Nevers devait l'accompagner, mais elle se trouva souffrante: elle fit fermer sa porte, resta dans son cabinet, et l'abb? et moi nous pass?mes la soir?e avec elle. Jamais je ne l'avais vue si belle que dans cette parure n?glig?e, ? demi couch?e sur un canap?, et un peu p?le de la souffrance qu'elle ?prouvait. Je lui lus un roman qui venait de para?tre, et dont quelques situations ne se rapportaient que trop bien avec la n?tre. Nous pleur?mes tous deux; l'abb? s'endormit. A dix heures, il se r?veilla, et mon coeur battit de joie en voyant qu'il allait se retirer. Il partit et nous laissa seuls: dangereux t?te-?-t?te, pour lequel nous ?tions bien mal pr?par?s tous deux! "Edouard, me dit-elle, je veux vous gronder... Qu'est-ce que ces continuelles altercations dans lesquelles vous ?tes avec le prince d'Enrichemont? Hier vous lui avez dit les choses les plus aigres et les plus piquantes. -- Prenez-vous son parti? lui demandai-je. Il est vrai, je le hais; il pr?tend ? vous, et je ne puis le lui pardonner. -- Je vous conseille d'?tre jaloux du prince d'Enrichemont! me dit-elle; je vous offre ce que je lui refuse, et vous ne l'acceptez pas! -- Ah! faites-moi le plus grand roi du monde, m'?criai-je, et je serai ? vos genoux pour vous demander d'?tre ? moi. -- Vous ne voulez pas recevoir de moi ce que vous voudriez me donner, me dit-elle. Est-ce ainsi que l'amour calcule? Tout n'est-il pas commun dans l'amour? -- Ah! sans doute, lui dis-je; mais c'est quand on s'appartient l'un ? l'autre, quand on n'a plus qu'un coeur et qu'une ?me! Alors, en effet, tout est commun dans l'amour. -- Si vous m'aimiez comme je vous aime, dit-elle, combien il vous en co?terait peu d'oublier ce qui nous s?pare!" Je me mis ? ses pieds. "Ma vie est ? vous, lui dis-je, vous le savez bien; mais l'honneur! il faut le conserver: vous m'?teriez votre amour si j'?tais d?shonor?. -- Vous ne le seriez point, me dit-elle. Le monde nous bl?merait peut-?tre... Eh! qu'importe? quand on est ? ce qu'on aime, que faut-il de plus? -- Ayez piti? de moi, lui dis-je; ne me montrez pas toujours l'image d'un bonheur auquel je ne puis atteindre: la tentation est trop forte. -- Je voudrais qu'elle f?t irr?sistible, dit-elle. Edouard! ne refusez pas d'?tre heureux!... Va, dit-elle avec un regard enivrant, je te ferais tout oublier! -- Vous me faites mourir, lui dis-je. Eh bien, r?pondez-moi. Ce sacrifice que vous me demandez, c'est celui de mon honneur. Le feriez-vous, ce sacrifice, dites, le feriez-vous, ? mon repos? le feriez-vous, h?las! ? ma vie?" Elle ne me comprit que trop bien. "Edouard, dit-elle d'une voix alt?r?e, est-ce vous qui me parlez?" J'allai me jeter sur une chaise ? l'autre extr?mit? du cabinet. Je crus que j'allais mourir: cette voix s?v?re avait perc? mon coeur comme un poignard. Me voyant si malheureux, elle s'approcha de moi et voulut prendre ma main. "Laissez-moi, lui dis-je; ne me faites pas perdre le peu de raison que je conserve encore." Je me levai pour sortir; elle me retint. "Non, dit-elle en pleurant, je ne croirai jamais que vous ayez besoin de me fuir pour me respecter!" Je tombai ? ses genoux. "Ange ador?, je te respecterai toujours, lui dis-je; mais, tu le vois, tu le sens bien toi-m?me, que je ne puis vivre sans toi! Je ne puis ?tre ? toi, il faut donc mourir!... Ne t'effraye pas de cette pens?e: nous nous retrouverons dans une autre vie, bien-aim?e de mon coeur! Y seras-tu belle, charmante, comme tu l'es en ce moment? viendras-tu l? te rejoindre ? ton ami? lui tiendras-tu les promesses de l'amour? Dis, seras-tu ? moi dans le Ciel? -- Edouard, vous le savez bien, dit-elle toute troubl?e, si vous mourez, je meurs... Ma vie est dans ton coeur: tu ne peux mourir sans moi!" Je passai mes bras autour d'elle; elle ne s'y opposa point; elle pencha sa t?te sur mon ?paule. "Qu'il serait doux, dit-elle, de mourir ainsi! -- Ah! lui dis-je, il serait bien plus doux d'y vivre! Ne sommes-nous pas libres tous deux? Personne n'a re?u nos serments: qui nous emp?che d'?tre l'un ? l'autre? Dieu aura piti? de nous." Je la serrai sur mon coeur. "Edouard, dit-elle, aie toi-m?me piti? de moi, ne d?shonore pas celle que tu aimes! Tu le vois, je n'ai pas de forces contre toi. Sauve-moi! sauve-moi! S'il ne fallait que ma vie pour te rendre heureux, il y a longtemps que je te l'aurais donn?e; mais tu ne te consolerais pas toi-m?me de mon d?shonneur. Eh quoi! tu ne veux pas m'?pouser, et tu veux m'avilir? -- Je ne veux rien, lui dis-je au d?sespoir, je ne veux que la mort! Ah! si du moins je pouvais mourir dans tes bras, exhaler mon dernier soupir sur tes l?vres!" Elle pleurait; je n'?tais plus ma?tre de moi: j'osai ravir ce baiser qu'elle me refusait. Elle s'arracha de mes bras; ses larmes, ses sanglots, son d?sespoir, me firent payer bien cher cet instant de bonheur: elle me for?a de la quitter. Je rentrai dans ma chambre le plus malheureux des hommes, et pourtant jamais la passion ne m'avait poss?d? ? ce point. J'avais senti que j'?tais aim?; je pressais encore dans mes bras celle que j'adorais. Au milieu des horreurs de la mort, j'aurais ?t? heureux de ce souvenir. Ma nuit enti?re se passa dans d'affreuses agitations; mon ?me ?tait enti?rement boulevers?e; j'avais perdu jusqu'? cette vue distincte de mon devoir qui m'avait guid? jusqu'ici. Je me demandais pourquoi je n'?pouserais pas Mme de Nevers; je cherchais des exemples qui pussent autoriser ma faiblesse; je me disais que dans une profonde solitude j'oublierais le monde et le bl?me; que, s'il le fallait, je fuirais avec elle en Am?rique et jusque dans cette ?le d?serte objet de mes anciennes r?veries. Quel lieu du monde ne me para?trait pas un lieu de d?lices avec la compagne ch?rie de mes jours, mon amie, ma bien-aim?e? Natalie! Natalie! Je r?p?tais son nom ? demi-voix pour que ces doux sons vinssent charmer mon oreille et calmer un peu mon coeur. Le jour parut, et peu d'instants apr?s on me remit une lettre. Je reconnus l'?criture de Mme de Nevers... Jugez de ce que je dus ?prouver en la lisant!
"Ne craignez pas mes reproches, Edouard; je ne vous en ferai point: je sais trop que je suis aussi coupable et plus coupable que vous; mais que cette le?on nous montre du moins l'ab?me qui est ouvert sous nos pas: il est encore temps de n'y point tomber. Plus tard, Edouard, cet ab?me ensevelirait ? la fois et notre bonheur et notre vertu. Ne trahissons pas les sentiments qui ont uni nos deux coeurs. C'est par ce qui est bon, c'est par ce qui est juste, vrai, ?lev? dans la vie, que nous nous sommes entendus; nous avons senti que nous parlions le m?me langage, et nous nous sommes aim?s. Ne d?mentons pas ? pr?sent ces qualit?s de l'?me auxquelles nous devons notre amour, et sachons ?tre heureux dans l'innocence et nous contenter du bonheur dont nous pouvons jouir devant Dieu.
"Il le faut, Edouard, oui, il faut nous unir ou nous s?parer. Nous s?parer! Crois-tu que je pourrais ?crire ce mot si je ne savais bien que l'effet en est impossible? o? trouverais-tu de la force pour me fuir? O? en trouverais-je pour vivre sans toi? Toi, moiti? de moi-m?me, sans lequel je ne puis seulement supporter la vie un seul jour, ne sens-tu pas comme moi que nous sommes ins?parables? Que peux-tu m'opposer? Un fant?me d'honneur qui ne reposerait sur rien. Le monde t'accuserait de m'avoir s?duite! Eh! quelle s?duction y a-t-il, pour deux ?tres qui s'aiment, que la s?duction de l'amour? N'est-ce pas moi, d'ailleurs, qui t'ai s?duit? Si je ne t'avais montr? que je t'aimais, m'aurais-tu avou? ta tendresse? H?las! tu mourais plut?t que de m'en faire l'aveu! Tu dis que tu ne veux pas m'abaisser! Mais, pour une femme, y a-t-il une autre gloire que d'?tre aim?e? un autre rang que d'?tre aim?e? un autre titre que d'?tre aim?e? Te d?fies-tu assez de ton coeur pour croire qu'il ne me rendrait pas tout ce que tu te figures que tu me ferais perdre? Imagine, si tu le peux, le bonheur qui nous attend quand nous serons unis, et regrette, si tu l'oses, ces pr?tendus avantages que tu m'enl?ves. Mon p?re, Edouard, est le seul obstacle: je m?prise tous les autres, et je les trouve indignes de nous. Eh bien! je veux t'avouer que je ne suis pas sans esp?rance d'obtenir un jour le pardon de mon p?re. Oui, Edouard, mon p?re m'aime; il t'aime aussi: qui ne t'aimerait pas? Je suis s?re que mon p?re a regrett? mille fois de ne pouvoir faire de toi son fils: tu lui plais, tu l'entends, tu es le fils de son coeur. Eh! n'es-tu pas celui de son vieil ami, qui sauva autrefois son honneur et sa fortune? Eh bien! nous forcerons mon p?re d'?tre heureux par nos soins, par notre tendresse. S'il nous exile de Paris, il nous admettra ? Faverange. L?, il osera nous reconna?tre pour ses enfants; l?, il sera p?re dans l'ordre de la nature, et non dans l'ordre des convenances sociales, et la vue de notre amour lui fera oublier tout le reste. Ne crains rien. Ne sens-tu pas que tout nous sera possible quand nous serons une fois l'un ? l'autre? Crois-moi, il n'y a d'impossible que de cesser de nous aimer ou de vivre sans nous le dire. Choisis, Edouard! ose choisir le bonheur. Ah! ne le refuse pas! Crois-tu n'?tre responsable de ton choix qu'? toi seul? H?las! ne vois-tu pas que notre vie tient au m?me fil? Tu choisirais la mort en choisissant la fuite, et ma mort avec la tienne!"
En achevant cette lettre, je tombai ? genoux; je fis le serment de consacrer ma vie ? celle qui l'avait ?crite, de l'aimer, de l'adorer, de la rendre heureuse. J'?tais plong? dans l'ivresse; tous mes remords avaient disparu, et la f?licit? du Ciel r?gnait seule dans mon coeur. "Mme de Nevers conna?t mieux que moi ce monde o? elle passe sa vie, me disais-je; elle sait ce que nous avons ? en redouter. Si elle croit notre union possible, c'est qu'elle l'est. Que j'?tais insens? de refuser le bonheur! M. d'Olonne nous pardonnera d'?tre heureux; un jour il nous b?nira tous deux. Et Natalie! Natalie sera ma compagne ch?rie, ma femme bien-aim?e; je passerai ma vie enti?re pr?s d'elle, uni ? elle." Je succombais sous l'empire de ces pens?es d?licieuses, et mes larmes seules pouvaient all?ger cette joie trop forte pour mon coeur, cette joie qui succ?dait ? des ?motions si am?res, si profondes et souvent si douloureuses.
J'attendais avec impatience qu'il f?t midi, heure ? laquelle je pouvais, sans donner de soup?ons, para?tre un instant chez Mme de Nevers et la trouver seule. Les plus doux projets remplirent cet intervalle; j'?tais trop enivr? pour qu'aucune r?flexion v?nt troubler ma joie. Mon sort ?tait d?cid?; je me relevais ? mes propres yeux de la pr?f?rence que m'accordait Mme de Nevers, et une pens?e, une seule pens?e absorbait toutes les autres: elle sera ? moi! elle sera toute ? moi! La mort, s'il e?t fallu payer de la mort une telle f?licit?, m'en e?t sembl? un l?ger salaire. Mais penser que ce serait l? le bonheur, le charme, le devoir de ma vie! Non, l'imagination chercherait en vain des couleurs pour peindre de tels sentiments, ou des mots pour les rendre! Que ceux qui les ont ?prouv?s les comprennent, et que ceux qui les ignorent les regrettent: car tout est vide et fini dans la vie sans eux ou apr?s eux!
Les deux jours qui suivirent cette d?cision de notre sort furent remplis de la f?licit? la plus pure. Mme de Nevers essayait de me prouver que c'?tait moi qui lui faisais des sacrifices, et que je ne lui devais point de reconnaissance d'avoir voulu son bonheur, et un bonheur sans lequel elle ne pouvait plus vivre. Nous conv?nmes qu'elle irait au mois de mai en Hollande. Ce voyage ?tait pr?vu; une visite promise depuis longtemps ? Mme de C... en serait le pr?texte naturel. Je devais de mon c?t? feindre des affaires en Forez, qui me forceraient de m'absenter quinze jours; j'irais secr?tement rejoindre Mme de Nevers ? La Haye, o? le chapelain de l'ambassade devait nous unir: c'?tait un vieux pr?tre qu'elle connaissait et sur la fid?lit? duquel elle comptait enti?rement. Une fois de retour, nous avions mille moyens de nous voir et d'?viter les soup?ons.
Lorsque je r?fl?chis aujourd'hui sur quelles bases fragiles ?tait construit l'?difice de mon bonheur, je m'?tonne d'avoir pu m'y livrer, ne f?t-ce qu'un instant, avec une s?curit? si enti?re; mais la passion cr?e autour d'elle un monde id?al. On juge tout par d'autres r?gles; les proportions sont agrandies; le factice, le commun disparaissent de la vie; on croit les autres capables des m?mes sacrifices qu'on ferait soi-m?me, et, lorsque le monde r?el se pr?sente ? vous, arm? de sa froide raison, il cause un douloureux et profond ?tonnement.
"Eh bien! Edouard, me dit-il, tu d?butes bien dans la carri?re! Vraiment, je te fais mon compliment, tu es pass? ma?tre. Ma foi, nous sommes dans l'admiration, et Luceval et Bertheney pr?disent que tu iras au plus loin. -- Que voulez-vous dire, mon oncle? lui demandai-je assez s?rieusement. -- Allons donc! dit-il, vas-tu faire le myst?rieux? Mon cher, le secret est bon pour les sots; mais, quand on vise haut, il faut de la publicit?, et la plus grande. On n'a tout de bon que ce qui est bien constat?; l'une est un moyen d'arriver ? l'autre, et il faudra bient?t grossir ta liste. -- Je ne vous comprends pas, lui dis-je, et je ne con?ois pas de quoi vous voulez parler. -- Tu t'y es pris au mieux, continua-t-il sans m'?couter, tu as mis le temps ? profit. Que diront les b?gueules et les cagots? Toutes les femmes raffoleront de toi. -- De moi! r?p?tai-je; qu'est-ce que tout cela signifie? -- Tu es un beau gar?on, je ne suis pas ?tonn? que tu leur plaises. Diable! elles en ont de plus mal tourn?s. -- Qui donc? de quoi parlez-vous? -- Comment! de quoi je parle? Eh! mais, mon cher, je parle de Mme de Nevers. N'es-tu pas son amant? Tout Paris le dit. Ma foi, tu ne peux pas avoir une plus jolie femme et qui te fasse plus d'honneur. Il faut pousser ta pointe; nous ?tablirons le fait publiquement, et c'est l?, Edouard, le chemin de la mode et de la fortune." Je sentis mon sang se glacer dans mes veines. "Quelle horreur! m'?criai-je; qui a pu vous dire une si inf?me calomnie? Je veux conna?tre l'insolent et lui faire rendre raison de son crime." Mon oncle se mit ? rire. "Comment donc, dit-il, ne serais-tu pas si avanc? que je croyais? Serais-tu amoureux, par hasard? Va, tu te corrigeras de cette sottise. Mon cher, on a une femme aujourd'hui, une autre demain; elles ne sont occup?es elles-m?mes qu'? s'enlever leurs amants les unes aux autres. Avoir et enlever, voil? le monde, Edouard, et la vraie philosophie. -- Je ne sais o? vous avez vu de pareilles moeurs, lui dis-je indign?; gr?ce au Ciel, elles me sont ?trang?res, et elles le sont encore plus ? la femme ang?lique que vous outragez. Nommez-moi dans l'instant l'auteur de cette horrible calomnie!" Mon oncle ?clata de rire de nouveau, et me r?p?ta que tout Paris parlait de ma bonne fortune et me louait d'avoir ?t? assez habile et assez adroit pour s?duire une jeune femme qui ?tait sans doute fort gard?e. "Sa vertu la garde! r?pliquai-je dans une indignation dont je n'?tais plus le ma?tre; elle n'a pas besoin d'?tre autrement gard?e. -- C'est ?tonnant! dit mon oncle. Mais o? as-tu donc v?cu? dans un couvent de nonnes? -- Non, Monsieur, r?pondis-je; j'ai v?cu dans la maison d'un honn?te homme, o? vous n'?tes pas digne de rester." -- Et, oubliant ce que je devais au fr?re de ma m?re, je poussai dehors M. d'Herbelot et fermai ma porte sur lui.
Je demeurai dans un d?sespoir qui m'?tait presque l'usage de la raison. Grand dieu! j'avais fl?tri la r?putation de Mme de Nevers! La calomnie osait profaner sa vie, et j'en ?tais cause! On se servait de mon nom pour outrager l'ange adorable objet de mon culte et de mon idol?trie! Ah! j'?tais digne de tous les supplices, mais ils ?taient tous dans mon coeur. "C'est mon amour qui la d?shonore, pensai-je, qui la livre au bl?me, au m?pris, ? cette honte que rien n'efface, qui repara?t toujours comme la tache sanglante sur la main de Macbeth! Ah! la calomnie ne se d?truit jamais, sa souillure est ?ternelle; mais les calomniateurs p?riront, et je vengerai l'ange de tous ceux qui l'outragent. Se peut-il qu'oubliant l'honneur et mon devoir j'aie risqu? de m?riter ces vils ?loges? Voil? donc comment ma conduite peut se traduire dans le langage du vice? H?las! le pi?ge le plus dangereux que la passion puisse offrir, c'est ce voile d'honn?tet? dont elle s'enveloppe." Je voyais ? pr?sent la v?rit? nue, et je me trouvais le plus vil comme le plus coupable des hommes. Que faire? que devenir? Irais-je annoncer ? Mme de Nevers qu'elle est d?shonor?e, qu'elle l'est par moi? Mon coeur se gla?ait dans mon sein ? cette pens?e. H?las! qu'?tait devenu notre bonheur? Il avait eu la dur?e d'un songe! Mon crime ?tait irr?parable! Si j'?pousais ? pr?sent Mme de Nevers, que n'imaginerait-on pas? quelle calomnie nouvelle inventerait-on pour la fl?trir? Il fallait fuir! il fallait la quitter! Je le sentais, je voyais que c'?tait mon devoir; mais cette n?cessit? funeste m'apparaissait comme un fant?me dont je d?tournais la vue. Je reculais devant ce malheur, ce dernier malheur, qui achevait pour moi tous les autres et mettait le comble ? mon d?sespoir. Je ne pouvais croire que cette s?paration f?t possible: le monde ne m'offrait pas un asile loin d'elle; elle seule ?tait pour moi la patrie, tout le reste un vaste exil. D?chir? par la douleur, je perdais jusqu'? la facult? de r?fl?chir. Je voyais bien que je ne pouvais rester pr?s de Mme de Nevers; je sentais que je voulais la venger, surtout sur le duc de L..., que mon oncle m'avait d?sign? comme l'un des auteurs de ces calomnies; mais le d?sespoir surmontait tout: j'?tais comme noy?, ab?m?, dans une mer de pens?es accablantes; aucune consolation, aucun repos, ne se pr?sentait d'aucun c?t?; je ne pouvais pas m?me me dire que le sacrifice que je ferais en partant serait utile: je le faisais trop tard; je ne prenais pas une r?solution vertueuse; je fuyais Mme de Nevers comme un criminel, et rien ne pouvait r?parer le mal que j'avais fait: ce mal ?tait irr?parable! Tout mon sang vers? ne rach?terait pas sa r?putation injustement fl?trie! Elle, pure comme les anges du Ciel, verrait son nom associ? ? ceux de ces femmes perdues objets de son juste m?pris! et c'?tait moi, moi seul, qui versais cet opprobre sur sa t?te! La douleur et le d?sespoir s'?taient empar?s de moi ? un point que l'id?e de la vengeance pouvait seule en ce moment m'emp?cher de m'?ter la vie.
Je balan?ais si j'irais chez le duc de L... avant de parler ? Mme de Nevers, lorsque j'entendis sonner avec violence les sonnettes de son appartement. Un mouvement involontaire me fit courir de ce c?t?; un domestique m'apprit que Mme de Nevers venait de se trouver mal et qu'elle ?tait sans connaissance. Glac? d'effroi, je me pr?cipitai vers son appartement; je traversai deux ou trois grandes pi?ces sans savoir ce que je faisais, et je me trouvai ? l'entr?e de ce m?me cabinet o? la veille encore nous avions os? croire au bonheur. Mme de Nevers ?tait couch?e sur un canap?, p?le et sans mouvement. Une jeune femme que je ne connaissais point la soutenait dans ses bras; je n'eus que le temps de l'entrevoir. M. le mar?chal d'Olonne vint au-devant de moi. "Que faites-vous ici? me dit-il d'un air s?v?re. Sortez. -- Non, lui dis-je; si elle meurt, je meurs." Je me pr?cipitai au pied du canap?. M. le mar?chal d'Olonne me releva. "Vous ne pouvez rester ici, me dit-il; allez dans votre chambre... Plus tard je vous parlerai." Sa s?cheresse, sa froideur, aurait perc? mon coeur, si j'avais pu penser ? autre chose qu'? Mme de Nevers mourante; mais je n'entendais qu'? peine M. le mar?chal d'Olonne; il me semblait que ma vie ?tait comme en suspens et ne tenait plus qu'? la sienne. La jeune femme se tourna vers moi; je vis des larmes dans ses yeux. "Natalie va vous voir quand elle reprendra connaissance, dit-elle; votre vue peut lui faire du mal. -- Le croyez-vous? lui dis-je. Alors je vais sortir." J'allai dans la pi?ce qui pr?c?dait le cabinet; je ne pus aller plus avant, je me jetai ? genoux: "O mon Dieu! m'?criai-je, sauvez-la! sauvez-la!" Je ne pouvais r?p?ter que ces seuls mots: "Sauvez-la!" Bient?t j'entendis qu'elle reprenait connaissance; on parlait, on s'agitait autour d'elle. Un vieux valet de chambre de Mme de Nevers, qui la servait depuis son enfance, parut en ce moment. Me voyant l?, il vint ? moi. "Il faut rentrer chez vous, monsieur Edouard, me dit-il. Bon dieu! comme vous ?tes p?le! Pauvre jeune homme! vous vous tuez. Appuyez-vous sur moi, et regagnons votre chambre." J'allais suivre ce conseil, lorsque M. le mar?chal d'Olonne sortit de chez sa fille. "Encore ici! dit-il d'une voix alt?r?e. Suivez-moi, Monsieur; j'ai ? vous parler. -- Il ne peut se soutenir, dit le vieillard. -- Oui, je le puis," dis-je en l'interrompant; et, essayant de reprendre des forces pour la sc?ne que je pr?voyais, je suivis M. le mar?chal d'Olonne dans son appartement.
"Les explications sont inutiles entre nous, me dit M. le mar?chal d'Olonne: ma fille m'a tout avou?. Son amie, instruite plus t?t que moi des calomnies qu'on r?pandait sur elle, est venue de Hollande pour l'arracher de l'ab?me o? elle ?tait pr?te ? tomber. Je pense que vous n'ignorez pas le tort que vous avez fait ? sa r?putation. Votre conduite est d'autant plus coupable qu'il n'est pas en votre pouvoir de r?parer le mal dont vous ?tes cause. Je d?sire que vous partiez sur-le-champ. Je n'abandonnerai point le fils d'un ancien ami, quelque peu digne qu'il se soit montr? de ma protection: j'obtiendrai pour vous une place de secr?taire d'ambassade dans une cour du nord, vous pouvez y compter. Partez sans d?lai pour Lyon, et vous y attendrez votre nomination. -- Je n'ai besoin de rien, Monsieur, lui dis-je; permettez-moi de refuser vos offres. Demain je ne serai plus ici. -- O? irez-vous? me demanda-t-il. -- Je n'en sais rien, r?pondis-je. -- Quels sont vos projets? -- Je n'en ai point. -- Mais que deviendrez-vous? -- Qu'importe? -- Ne croyez pas, Edouard, que l'amour soit toute la vie. -- Je n'en d?sire point une autre, lui dis-je. -- Ne perdez pas votre avenir. -- Je n'ai plus d'avenir. -- Malheureux! que puis-je donc faire pour toi? -- Rien. -- Edouard, vous me d?chirez mon coeur! Je l'avais arm? de s?v?rit?, mais je ne puis en avoir longtemps avec vous. Je n'ai point oubli? les promesses que je fis ? votre p?re mourant; je ferais tout pour votre bonheur; mais, vous le sentez vous-m?me, Edouard, vous ne pouvez ?pouser ma fille. -- Je le sais, Monsieur, je le sais parfaitement: je partirai demain. Me permettez-vous de me retirer? -- Non, pas ainsi... Edouard, mon enfant, ne suis-je pas ton second p?re? -- Ah! lui dis-je, vous ?tes celui de Mme de Nevers! Soignez-la, aimez-la, consolez-la quand je n'y serai plus. H?las! elle aura besoin de consolation!" Je le quittai. J'allai chez moi, dans cette chambre que j'allais abandonner pour toujours! dans cette chambre o? j'avais tant pens? ? elle, o? je vivais sous le m?me toit qu'elle! "Il faudra donc m'arracher d'ici! me disais-je. Ah! qu'il vaudrait bien mieux y mourir!" J'eus la pens?e de mettre un terme ? ma vie et ? mes tourments. L'id?e de la douleur que je causerais ? Mme de Nevers et le besoin de la vengeance me retinrent.
Ma fureur contre le duc de L... ne connaissait pas de bornes, car il nous voyait d'assez pr?s pour avoir pu juger que mon respect pour Mme de Nevers ?galait ma passion, et il n'avait pu feindre de me croire son amant que par une m?chancet? r?fl?chie, digne de tous les supplices. Je br?lais du d?sir de tirer de lui la vengeance qui m'?tait due, et je jetais sur lui seul la fureur et le d?sespoir que tant de causes r?unies avaient amass?s dans mon sein. Je passai la nuit ? mettre ordre ? quelques affaires; j'?crivis ? Mme de Nevers et ? M. le mar?chal d'Olonne des lettres qui devaient leur ?tre remises si je succombais; je fis une esp?ce de testament pour assurer le sort de quelques vieux domestiques de mon p?re que j'avais laiss?s en Forez. Je me calmais un peu en songeant que je vengerais Mme de Nevers, ou que je finirais ma triste vie et que je serais regrett? par elle. Je me d?fendais de l'attendrissement qui voulait quelquefois p?n?trer dans mon coeur, et aussi des sentiments religieux dans lesquels j'avais ?t? ?lev? et des principes qui, malgr? moi, faisaient entendre leur voix au fond de mon ?me. A huit heures, je me rendis chez le duc de L.... Il n'?tait pas r?veill?. Il me fallut attendre; je me promenais dans un salon avec une agitation qui faisait bouillonner mon sang. Enfin je fus admis. Le duc de L... parut ?tonn? de me voir. "Je viens, Monsieur, lui dis-je, vous demander raison de l'insulte que vous m'avez faite et des calomnies que vous avez r?pandues sur Mme de Nevers ? mon sujet. Vous ne pouvez croire que je supporterai un tel outrage, et vous vous devez, Monsieur, de m'en donner satisfaction. -- Ce serait avec le plus grand plaisir, me dit le duc de L.... Vous savez, Monsieur G..., que je crains peu ces occasions-l?; mais, malheureusement, dans ce cas-ci, c'est impossible. -- Impossible! m'?criai-je; c'est ce qu'il faudra voir! Ne croyez pas que je vous laisserai impun?ment calomnier la vertu et noircir la r?putation d'un ange d'innocence et de puret?! -- Quant ? calomnier, dit en riant le duc de L..., vous me permettrez de ne pas le prendre de si haut. J'ai cru que vous ?tiez l'amant de Mme de Nevers; je le crois encore, je l'ai dit... Je ne vois pas, en v?rit?, ce qu'il y a l? d'offensant pour vous. On vous donne la plus charmante femme de Paris, et vous vous f?chez!... Bien d'autres voudraient ?tre ? votre place, et moi tout le premier. -- Moi, Monsieur, je rougirais d'?tre ? la v?tre. Mme de Nevers est pure, elle est vertueuse, elle est irr?prochable. La conduite que vous m'avez pr?t?e serait celle d'un l?che, et vous devez me rendre raison de vos indignes propos. -- Mes propos sont ce qu'il me pla?t, dit le duc de L...; je penserai de vous et m?me de Mme de Nevers ce que je voudrai. Vous pouvez nier votre bonne fortune: c'est fort bien fait ? vous, quoique ce soit peu l'usage aujourd'hui. Quant ? me battre avec vous, je vous donne ma parole d'honneur qu'? pr?sent j'en ai autant d'envie que vous; mais, vous le savez, cela ne se peut pas... Vous n'?tes point gentilhomme, vous n'avez aucun ?tat dans le monde, et je me couvrirais de ridicule si je consentais ? ce que vous d?sirez. Tel est le pr?jug?. J'en suis d?sesp?r?, ajouta-t-il en se radoucissant; soyez persuad? que je vous estime du fond du coeur, Monsieur G..., et que j'aurais ?t? charm? que nous pussions nous battre ensemble. Vous p?lissez! dit-il; je vous plains, vous ?tes un homme d'honneur. Croyez que je d?teste cet usage barbare: je le trouve injuste, je le trouve absurde; je donnerais mon sang pour qu'il me f?t permis de me battre avec vous. -- Grand Dieu! m'?criai-je, je croyais avoir ?puis? toutes les douleurs! -- Edouard, dit le duc, qui paraissait de plus en plus touch? de ma situation, ne prenez pas un ami pour un ennemi. Ceci me cause, je vous l'assure, une v?ritable peine. Quelques paroles imprudentes ne peuvent-elles se r?parer? -- Jamais! r?pondis-je. Me refusez-vous la satisfaction que je vous demande? -- J'y suis forc?, dit le duc. -- Eh bien! repris-je, vous ?tes un l?che, car c'est une l?chet? que d'insulter un homme d'honneur et de le priver de la vengeance!"
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