Read Ebook: Lettre de Defrance à Bion sur sa réponse aux objections contre l'établissement de la régie intéressée des postes et messageries by Defrance Jean Claude
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Ebook has 36 lines and 6860 words, and 1 pages
LETTRE
DE DEFRANCE
A BION,
Vous avez vos raisons pour le vouloir ainsi, Pour penser autrement j'en puis avoir aussi.
Ou ces calculs ?toient sous les yeux des Commissions, lors de votre premier rapport, ou ils ne leur avoient pas encore ?t? remis. Dans les deux hypoth?ses, voici comme tout homme impartial doit raisonner, et comme on auroit raisonn? du temps m?me d'Aristote. Si ces calculs ?toient connus des Commissions, pourquoi ne les ont-elles pas pris pour bases du premier projet? Il s'en suit tout au moins, ou que ces calculs ne sont pas ? port?e de tout le monde, ou que les Commissions se d?cident autrement que tout le monde. Si ces calculs n'avoient pas encore ?t? remis, il est ?vident, qu'en donnant leur avis, les Commissions ?toient ainsi que vous dans l'erreur, qu'elles pronon?oient sans connoissances suffisantes, ce qui ne feroit pas beaucoup d'honneur ? leurs lumi?res et ? leur d?licatesse, et justifieroit assez la conduite de tous ceux qui se sont oppos?s ? l'admission de ce premier projet.
Je poursuis ce raisonnement. De ce que les Commissions ont commis une premi?re erreur, ne seroit-il pas permis, au moins, de soup?onner la possibilit? d'une seconde? Ne seroit-il pas possible que de nouveaux calculs d?truisissent les premiers, et que ceux-l? fissent adopter la Ferme, comme ceux-ci ont fait rejetter la R?gie actuelle; et si cela est possible, pensez-vous, avec des promesses s?duisantes, rassurer ceux qui ne se rendent qu'? l'?vidence, qui veulent des produits et non des paroles, et qui d?sirent sinc?rement la prosp?rit? de nos finances.
Comment apr?s cela voulez-vous qu'on vous croie quand vous assurez, d'apr?s l'assurance que vous en ont donn?e les R?gisseurs eux-m?mes, que le produit de la poste aux lettres s'?l?vera pour cette ann?e ? 14 millions. Je con?ois facilement, moi, que la garantie des R?gisseurs soit pour vous une autorit? tr?s-respectable; mais enfin ils sont partie int?ress?e dans votre syst?me ou plut?t le leur, et cela suffit pour laisser dans l'esprit defiant de certaines personnes incr?dules des pr?ventions, des soup?ons, des craintes qu'il n'auroit tenu qu'? vous de dissiper, en employant, pour les convaincre, les m?mes moyens qui ont op?r? votre conviction. Il y en a m?me qui poussent la pr?vention jusqu'? soutenir que c'est ? l'?cole des R?gisseurs que vous avez pris des le?ons en r?gie, et que ce n'est que le d?sir bien louable de vous perfectionner sous de tels ma?tres qui vous a fait prendre avec tant de chaleur leur d?fense. Si cela est, on ne peut vous en bl?mer; la reconnoissance est une vertu, et l'int?r?t que vous leur t?moignez est trop naturel pour qu'on puisse jamais vous en faire un crime.
Je vous observerai cependant que votre gratitude envers vos ma?tres, ne devoit pas vous emp?cher d'?tre cons?quent et encore moins d'?tre juste envers vos coll?gues. Que l'on d?raisonne parfois pour trop abonder dans son sens, passe, un exc?s de z?le peut produire la confusion des id?es, et l'intention fournit l'excuse; mais chercher ? tromper, mentir, calomnier pour obliger ses amis, avouez avec moi que c'est outrer les devoirs de l'amiti? qui ne commande pas l'oubli de toutes les biens?ances, et pour un soldat de la d?cence et de l'antique loyaut?, c'est vous en montrer le d?serteur.
Car, de quoi s'agit-il dans le morceau extrait de Montesquieu? Des Traitans tels qu'ils existoient sous le r?gime monarchique, de ces sangsues publiques dont tout le talent ?toit d'imaginer, de multiplier les taxes et les imp?ts, qui avec de l'argent acqu?roient le droit inf?me et monstrueux de pomper et repomper sans cesse par des op?rations fiscales, les produits de l'Agriculture, de l'Industrie, du Commerce et des Arts, les sueurs de l'indigence et le sang de la mis?re, qui avoient la force arm?e ? leurs ordres pour torturer les contribuables, pour ex?cuter au gr? de leur imagination infernale les exactions et les vexations les plus arbitraires et les plus r?voltantes, qui se faisoient vendre au plus vil prix, par un gouvernement foible et dissipateur, les lois, les moeurs et l'honneur d'une nation.
Dites-moi, je vous prie, mon cher Bion, quels rapports de ressemblance vous trouvez entre ces vampires d?vou?s ? l'indignation et ? l'infamie de tous les si?cles, et les Fermiers que l'on proposoit pour l'administration des Postes et Messageries? Croiriez-vous par hazard que sept ann?es de r?volution et la Constitution de l'an 3, n'ont rien chang? ? notre syst?me politique et semblable ? certains visionnaires que je ne caract?rise pas, vous obstineriez-vous ? voir dans le Directoire Ex?cutif l'ancienne Cour de Versailles, et un autre Calonne dans le Ministre des Finances? Pardonnez-moi cette supposition; mais on seroit port? ? le croire, quand vous semblez redouter la v?nalit? du Corps L?gislatif, et que vous affectez de craindre que l'or et l'argent des Fermiers ne leur donnent bient?t de l'empire jusque sur les L?gislateurs.
Qu'ai-je donc entendu, et qu'auriez-vous d? entendre, vous m?me, par les nouveaux Fermiers qui n'ont de commun avec les v?tres que le nom? Ecoutez, brave Bion, et rassurez-vous.
< >>Bien diff?rens des Fermiers-g?n?raux, les Fermiers int?ress?s seront sous la d?pendance du Gouvernement, et le Gouvernement ?toit sous la d?pendance des premiers. Les premiers, moyennant un prix donn?, administroient et percevoient les droits de leur Ferme de la mani?re la plus absolue et la plus souveraine; les seconds seront surveill?s dans leur gestion par les agents du Gouvernement et comptables ? toute r?quisition. Les premiers, plus ils faisoient d'avances au fisc, plus ils accumuloient de millions dans leurs caisses; cette avance s'?changeoit pour un surhaussement de droit. Les second n'auront ? compter que du prix convenu comme bail, et du montant des produits comme R?gie; il n'y a plus de volont? arbitraire qui accumule l'imp?t et aggrave ses taxes... >>L'objet ? exploiter sera tarif?; le tarif est une loi, sa fixit? est invariable et enti?rement ind?pendante du percepteur. Il portera sur la chose et non sur les personnes; il ne peut donc y avoir ni exaction ni vexation>>. Ignorez-vous, mon cher Bion, que quelque respectable que soit l'autorit? de Montesquieu, elle n'est pas une r?gle universelle et infaillible en l?gislation. Les quatre l?gislatures qui se sont succ?d?es depuis le commencement de la r?volution, en adoptant beaucoup de ses principes, en ont rejet? beaucoup d'autres. Vous-m?me, sans vous en douter peut-?tre, avez souvent vot? contre son opinion. Plusieurs ?crivains c?l?bres, tels que J.J. Rousseau, Mabli, Helv?tius, Gavotti, Servant, etc. n'ont pas toujours ?t? de l'avis de ce grand homme, et c'est sur-tout pour le l?gislateur qu'est faite cette maxime d'Horace, Nullius addictus jurare in verba magistri. On peut donc penser autrement que Montesquieu et n'avoir pas tort. Vous me reprochez encore de n'avoir pr?sent? dans mon opinion aucune somme fixe pour l'Etat, et de proposer la r?novation du bail pass? par Calonne en 1786. C'est sur-tout ici que votre mauvaise foi ?clate. Il ne falloit pas vous donner la peine de me transcrire pour vous convaincre d'imposture. Ce trait est tout au plus digne de D. Basile, et vous me permettrez de trouver mauvais que vous travestissiez mon discours pour avoir le frivole pr?texte de d?biter des injures. Vous m'avez menti quand vous avez avanc? que, dans la Ferme int?ress?e, je ne proposois pas un million fixe pour le Tr?sor National, puisque dans le passage m?me que vous avez extrait, j'exige un prix de rigueur ? fixer par le Gouvernement, le versement d'avance tous les six mois, de la moiti? de ce prix, et que je n'admets le partage entre le Gouvernement et les Fermiers que dans les sommes qui exc?deroient ce prix de rigueur quelqu'il soit, qu'il ne nous appartient pas de fixer, que le Pouvoir Ex?cutif a seul le droit d'arr?ter. Mais ce n'?toit pas assez pour vous de vendre aux Fermiers les partisans de la Ferme, il ?toit encore digne de vous d'en faire des conspirateurs. Courage, incorruptible Bion; apr?s ce coup de ma?tre, rien ne doit plus ?tonner de votre part. Vous ?tes un homme incroyable, merveilleux! Il ne vous manque plus pour consommer votre gloire que de dresser leur acte d'accusation, et de les faire traduire devant la Haute Cour Nationale. Je ne doute point, d'apr?s tout ce que vous avez fait, que vous ne parveniez ? les faire condamner, comme contre-r?volutionnaires, anarchistes, Babouvistes, etc. Babeuf n'aime pas les R?gisseurs, donc tous ceux qui n'aiment pas les R?gisseurs, sont Babouvistes. Babeuf accuse les R?gisseurs de dilapidation. Les partisans de la Ferme leur font le m?me reproche. Donc les partisans de la Ferme sont des contre-r?volutionnaires. Avec cette logique et votre p?n?tration, vous ne serez pas embarrass? de prouver ces deux cons?quences. La connexit?, la complicit? sont ?videntes, et d'ailleurs d?s que vous l'aurez dit on vous croira. Il est vrai cependant qu'avec cette mani?re de raisonner, on prouveroit aussi facilement que le Soleil est la Lune et la Lune le Soleil. Car, diroit-on: Le Soleil ?claire, La Lune ?claire, Donc etc. Il seroit encore possible avec une l?g?re addition, de rendre ainsi votre proposition. Babeuf accuse les R?gisseurs de dilapidation. Les partisans de la Ferme leur font le m?me reproche. La France presque enti?re s'?l?ve contre l'infid?lit? et l'inexactitude de leur Administration. Donc, etc. La cons?quence deviendroit bien plus g?n?rale, les conspirateurs seroient bien plus nombreux; mais le nombre doit-il vous effrayer, quand il s'agit du maintien de la R?gie et de l'int?r?t des R?gisseurs. Quel dommage, inappr?ciable Bion, que Robespierre n'ait pas connu toute la f?condit? de vos moyens et le parti qu'il pouvoit tirer de vos talens en conspiration! Je craindrai toujours que ces fonds dont on peut sous mille pr?textes et par mille moyens diff?rens, se dispenser de rendre compte, n'aillent avant peu alimenter l'agiotage d?sastreux de la bourse, le trafic inf?me des Usuriers, des Juifs, des Pr?teurs sur gage, des Banquiers de Pharaon, de Biribi, etc. de cette nu?e d'escrocs et de sangsues qui ?tablissent leurs calculs barbares, et leurs sp?culations atroces sur chaque go?te du sang du peuple malheureux. Adieu, mon cher Bion, j'ai besoin de respirer. Vous voil? maintenant instruit de mes v?ritables sentimens; Vous trouverez peut-?tre que j'ai trait? bien leg?rement un objet de cette importance; mais autrement il e?t fallu se f?cher, dire des injures, se livrer ? des mouvemens d'indignation ou de piti?, et en v?rit? le sujet n'en valoit pas la peine. Salut et Fraternit?. DEFRANCE, Membre du Conseil des Cinq Cens. Paris, le 24 Vent?se; an 5.
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