Read Ebook: Lettres de Mmes. de Villars de Coulanges et de La Fayette de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé accompagnées de notices bibliographiques de notes explicatives par Louis-Simon Auger by A Ss C E Charlotte Elisabeth Coulanges Marie Ang Lique Du Gu Bagnoles La Fayette Madame De Marie Madeleine Pioche De La Vergne Lenclos Ninon De Villars Marie Gigault De Bellefonds Marquise De Auger L S Louis Simon Commentator
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Ebook has 321 lines and 117677 words, and 7 pages
Commentator: Louis-Simon Auger
LETTRES
MMES. DE VILLARS,
DE COULANGES,
ET DE LA FAYETTE;
DE NINON DE L'ENCLOS,
ET DE
MADEMOISELLE A?SS?;
Accompagn?es de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de LA COQUETTE VENG?E, par NINON DE L'ENCLOS.
SECONDE ?DITION.
TOME PREMIER. ET TOME SECOND.
A PARIS,
Chez L?OPOLD COLLIN, Libraire,
Rue G?t-le-coeur, N?. 18.
AVERTISSEMENT DE L'?DITEUR.
Dans la premi?re, ?dition de ce recueil, les notices biographiques avoient ?t? plac?es toutes ensemble, au commencement du volume. Mais cette fois nous les avons dispos?es plus convenablement; chacune se trouve en t?te de la correspondance ? laquelle elle a rapport.
NOTICE
SUR
MADAME DE VILLARS.
LETTRES
MADAME DE VILLARS,
A MADAME DE COULANGES.
LETTRE PREMI?RE.
La jeune reine, comme vous pouvez penser, ?toit habill?e ? l'espagnole, de ces belles ?toffes qu'elle a apport?es de France; tr?s-bien coiff?e, ses cheveux de travers sur le front, et le reste ?pars sur les ?paules. Elle a le teint admirable, de beaux yeux, la bouche tr?s-agr?able quand elle rit. Que c'est une belle chose de rire en Espagne! Mais il est plaisant que je vous fasse le portrait de la reine.
Adieu, madame: si ma lettre ne vous prouve le plaisir que je prends ? penser ? vous, et ? vous entretenir, je ne sais pas ce qu'il faut faire pour vous le persuader. Peut-?tre aimeriez-vous mieux en douter; car cette lettre est bien longue pour une personne comme vous, au milieu de la bonne compagnie et des plaisirs. Telle cependant que vous voyez cette lettre, il y a mille choses que je ne vous mande point, et que je vous dirois bien. Je ne pense point, quand tout le monde verroit ceci, que je pusse en recevoir ni reproche ni bl?me. Cependant usez-en avec prudence.
Je ne me suis point encore habill?e ? l'espagnole, quoique j'aie fait faire deux habits. La reine m?re aime tout-?-fait l'habit ? la fran?oise, et toutes les dames aussi; c'est-?-dire, les manteaux principalement, et c'est ce qui m'accommode fort. Le noir ou la couleur ne marquent pas plus de respect l'un que l'autre.
Il fait aussi froid ici qu'? Paris; j'esp?re qu'il n'y fera pas plus chaud.
Je n'ai ?t? qu'une seule fois chez la reine m?re depuis que je suis ici.
Je ne passe pas en Espagne une vie aussi oisive que je voudrois, et ce sera beaucoup si je puis jamais rendre toutes les visites que j'ai ? y faire. Tout ce que j'y ai de plus agr?able, c'est la commodit? des habits. La reine m?re et toutes les dames approuvent toujours si fort ceux que j'ai, et sur-tout les manteaux, que vous pouvez croire avec quel plaisir je les satisfais. Le noir, comme je crois vous l'avoir d?j? mand?, n'est pas une couleur plus respectueuse qu'une autre.
Toutes les dames, g?n?ralement parlant, sont honn?tes et civiles, sur-tout celles qui ont un peu voyag? avec leurs maris.
Le roi d'Espagne hait parfaitement Fran?ois et Fran?oises.
Nous voici au mercredi des Cendres. Je n'ai rien ? vous dire du carnaval. Comme le car?me n'est point du tout ici un temps de p?nitence, celui qui le pr?c?de ne se distingue par aucun plaisir; car jamais vous ne voudriez croire que c'en f?t un que de jeter sur les passans beaucoup d'eau par la fen?tre. Pour ce qui se passe dans le palais, le roi, la reine et les dames se battent ? coups d'oeufs remplis d'eau de senteur, mais en si prodigieuse quantit?, que l'on ne comprend pas o? l'on peut en trouver tant. Ils sont tous argent?s et peints. La reine m'en donna un panier dont je r?galai ma fille. Voil?, madame, par o? l'on marque ? cette jeune princesse des jours qu'elle passoit autrement en France, et dont je t?che, autant que je le puis, de lui ?ter le souvenir. En v?rit?, sa douceur, sa complaisance et toute sa conduite, sont des choses extraordinaires ? dix-huit ans. Il entre de tout dans cette heureuse composition; et, pour ajouter encore ? la gloire qu'elle peut tirer de tout ce qu'elle fait, c'est que d'abord qu'elle arriva, on lui donna les plus m?chans conseils du monde. Elle le conno?t bien pr?sentement.
J'ai ?t? assez souvent ? la com?die espagnole avec elle: rien n'est si d?testable. Je m'y amusois ? voir les amans regarder leurs ma?tresses, et leur parler de loin avec des signes qu'ils font de leurs doigts; pour moi je suis persuad?e que c'est plut?t une marque de leur souvenir qu'un langage; car leurs doigts vont si v?te, que, si ces amans s'entendent, il faut que l'amour d'Espagne soit un excellent ma?tre dans cet art. Je pense que c'est qu'il y voit plus clair qu'ailleurs, et qu'il ne se soucie gu?re de faire plus de chemin.
Il y eut dimanche, au Retiro, une com?die de machines, o? les deux reines et le roi ?toient. Il y falloit ?tre ? midi. L'on y mouroit de froid. Comme je me promenois dans les galeries de cette maison, qui sont tr?s-agr?ables, habill?e ? ma commodit? comme devant voir cette com?die derri?re des jalousies, et ne songeant ni ? roi, ni ? reine, j'entendis notre jeune princesse qui m'appeloit fort haut par mon nom. J'entrai dans le lieu d'o? me paroissoit venir sa voix, avec un air un peu compos?: je la trouvai assise au milieu du roi et de la reine m?re. Elle n'avoit consult?, en m'appelant, que son envie de me voir, et avoit tout-?-fait oubli? la gravit? espagnole. Elle de rire en me voyant. La reine m?re me rassura; elle est toujours aise que la reine sa belle-fille se divertisse. Elle lui donna m?me occasion de me venir parler aupr?s d'une fen?tre; mais je m'en retirai bient?t. Elle me demanda si je n'avois point re?u de vos lettres.
Si trois semaines apr?s que vous aurez re?u cette lettre, vous envoyez un laquais au quartier de Richelieu, faites-le passer au couvent des Petits-P?res, et dites-lui de s'informer si deux de leurs religieux ne sont pas arriv?s d'Espagne. Ces p?res ont pour vous une petite bo?te o? il y a le plus petit pr?sent du monde. Faites pourtant cas des tasses de boucaro. J'ai, en v?rit?, quelque sorte de honte, non du petit pr?sent, mais de cette longue lettre. Il n'appartient pas ? quelqu'un qui est ? Madrid de tenter la patience d'une personne comme vous, dont les journ?es sont remplies d'occupations agr?ables ou soi-disantes.
Je veux vous parler d'une promenade o? je fus hier, qui est la plus ordinaire, quand il fait chaud; et il en fait d?j? beaucoup ici. C'est dans cette rivi?re si vant?e du Man?anar?s: au pied de la lettre, la poussi?re commence ? y ?tre si grande, qu'elle incommode d?j? beaucoup. Il y a de petits filets d'eau par-ci, par-l?, mais pas assez pour qu'on en puisse arroser des sables menus, qui s'?l?vent sous les pieds des chevaux; en sorte que cette promenade n'est plus supportable. Ce n'est donc pas pour vous dire une mauvaise plaisanterie, mais une v?rit? assez extraordinaire. Je vous prie, madame, de conter cela, comme vous savez orner toutes les choses auxquelles vous voulez donner un air. Je vous expose seulement celle-ci, qu'on ne peut se promener dans une rivi?re, parce qu'il y a de la poudre. Mais ce n'est rien: il faut voir le grand et prodigieux pont qu'un roi d'Espagne a fait b?tir sur ce Man?anar?s. Il est bien plus large et bien plus long que le Pont-Neuf de Paris: et l'on ne peut s'emp?cher de savoir bon gr? ? celui qui conseilla ? ce prince de vendre ce pont, ou d'acheter une rivi?re. Je pensois que je pourrois vous dire tout ceci en cinq ou six lignes; en voil? bien davantage.
Si j'avois ?t? dimanche ? une belle procession qui se fit encore, je vous en rendrois un l?ger compte; mais je ne jugeai pas raisonnable de passer de propos d?lib?r? toute la matin?e du dimanche des Rameaux sans prier Dieu. Je me contentai la veille de voir l'habit de la reine qu'elle me fit apporter. Il y en a toujours un expr?s pour cette c?r?monie, o? il s'agit de marquer le deuil et la mortification. Le fond de cet habit est de satin noir tout brod? de jais blanc et d'acier, mais, sans nulle comparaison, mieux qu'on ne les emploie en France. C'est la seule broderie que j'aie vue dans sa perfection. La reine avoit beaucoup de pierreries, mais avec de petits morceaux de gaze pliss?s, attach?s en quelques endroits sur le corps de jupe; l'on pr?tend marquer une grande modestie. Les dix filles d'honneur avaient des pointes de gaze blanche sur leurs t?tes, et leurs amans ? leurs c?t?s. Je ne vous dirai rien, de tout ce qui se passe les trois jours saints, mercredi, jeudi et vendredi. Toutes les femmes sont par?es, et courent d'?glise en ?glise toute la nuit, hors celles qui ont trouv? dans la premi?re o? elles ont ?t?, ce qu'elles y cherchoient; car il y en a plusieurs, qui, de toute l'ann?e, ne parlent ? leurs amans que ces trois jours-l?.
Tout ce que je puis vous dire de la reine, c'est qu'elle continue ? bien faire. Le roi fut mercredi ? l'Escurial, et en revint vendredi. Il faut des airs ici: la reine eut tous ceux qui ?toient n?cessaires pour marquer une grande m?lancolie de cette absence. Je ne serois pas bonne com?dienne; mais je sais bien comme il faut louer, et donner des avis ? propos, quand je me trouve dans l'occasion de le faire. Ils se sont envoy?, pendant cette courte absence, des pr?sens riches et galans.
Vous dites, madame, que j'attire des louanges ? la reine par le go?t qu'elle paro?t avoir pour moi, et le d?sir qu'elle fait voir que je sois presque toujours aupr?s d'elle. Elle en m?rite, en v?rit?, d'autres, par la mani?re dont elle supporte cette vie affreuse du palais. Elle joue trois ou quatre heures par jour aux jonchets, qui est le jeu favori du roi, sans lui marquer de chagrin. Il lui fait souvent des pr?sens qu'elle aime fort, et voil? par o? il la console.
Les Espagnols nous disent incessamment que nous aurons bient?t la guerre: les pauvres gens en ont grand'peur. Pour moi, j'aime bien mieux l'ennui de Madrid, que d'en partir pour une telle raison, et je leur r?ponds toujours que je n'en crois rien. Ce bruit est plus grand au palais qu'ailleurs; et la reine, comme vous pouvez penser, en est bien alarm?e. Elle continue de se bien porter. C'est un heureux temp?rament pour la sant?; et je ne sais pas ce qui se passe dans son esprit et dans sa t?te, pour la soutenir si bien; car pour son coeur, je crois qu'il ne s'y passe rien. Quand je suis un peu de temps sans la voir, elle ne le trouve point bon. Nous chantons comme des cigales. Elle lit des op?ras; elle joue ? merveille du clavecin, assez bien de la guitare; en moins de rien, elle a appris ? jouer de la harpe. Elle ne prend pas beaucoup de consolation dans les livres de d?votion. Cela n'est point extraordinaire ? son ?ge. Je dis souvent que je voudrois bien qu'elle f?t grosse, et qu'elle e?t un enfant.
Je n'ai pas eu le courage d'assister ? cette horrible ex?cution des Juifs. Ce fut un affreux spectacle, selon ce que j'en ai entendu dire; mais, pour la semaine du jugement, il fallut bien y ?tre, ? moins de bonnes attestations de m?decins d'?tre ? l'extr?mit?; car autrement on e?t pass? pour h?r?tique. On trouve m?me tr?s-mauvais que je ne parusse pas me divertir tout-?-fait de ce qui s'y passoit. Mais ce qu'on a vu exercer de cruaut?s ? la mort de ces mis?rables, c'est ce qu'on ne vous peut d?crire.
Si vous n'avez encore ni donn? ni rompu ces petits boucaro, que je vous ai envoy?s, dont le dedans ?toit blanc, conservez-les; car ce blanc est une composition de b?zoard.
Je vous adresse cette lettre ? Paris, quoique, par votre derni?re, vous m'ayez mand? que, dans trois jours, vous partiez pour Lyon. Il me revient par vous et par tout le monde, ? quel point vous faites valoir mes lettres; et, comme je ne suis pas persuad?e de leur m?rite, j'ai ?t? jusqu'? pr?sent tout ?tonn?e du cas qu'on en faisoit. Mais je crois en avoir d?couvert la raison; c'est que vous ne les donnez pas ? lire, et que vous les lisez vous-m?me; comme cela ne vous co?te gu?re, vous y mettez tout ce qui leur manque pour les rendre agr?ables, et pour leur attirer des louanges. Je vous prie, ma ch?re madame, de m'avouer la v?rit? l?-dessus, sans consulter votre modestie. Je lirai avec plus d'attention et de sensibilit? tout ce que vous m'?crirez de Lyon, que tout ce que vous m'?crivez de Paris, parce que vous me parlerez plus de vous et de tout ce qui vous touche; car je pr?tends que vous n'omettiez rien de tout ce que vous ferez; je voudrois bien aussi tout ce que vous penserez. Pour moi, madame, si je voulois ne vous parler que de ce qui m'occupe le plus ici pr?sentement, ce seroit de la cruelle canicule qu'on y souffre. Car la peste et la famine, que nous avons d?j? vues deux fois, et la guerre qu'on croit fort proche, ne me paroissent pas encore si insupportables que l'horrible chaleur qu'il fait. Encore le jour se sauve-t-on assez, en se tenant dans un appartement bas; mais la nuit on n'y peut coucher, ? cause des moucherons qui d?vorent les pauvres personnes.
Puisque nous sommes sur les copies; voulez-vous bien que je vous fasse souvenir que vous m'avez parl? de votre portrait? Je n'aurois os? vous le demander, quelqu'envie que j'en eusse, si vous ne m'en aviez parl? la premi?re.
J'aime notre jeune reine du plaisir qu'elle me paro?t avoir, quand je lui nomme votre nom, et que je lui dis que vous vous souvenez d'elle. Elle m'a charg?e de beaucoup d'amiti?s pour vous. Je ne saurois vous rien dire qui puisse vous instruire sur tout ce qui la regarde. Nous en parlerons un jour, si nous nous revoyons. Elle est grasse, belle, buvant, mangeant, dormant, riant tr?s-souvent, dansant de tout son coeur, quand nous sommes seules; moi chantant le menuet et le passe-pied. Contentez-vous de cela.
Vous me dites, et cela est vrai, que l'on seroit bien heureux, si les lieux d'ennui pouvoient inspirer de solides et s?rieuses r?flexions pour le salut, nous d?tacher des choses de ce monde, qui se d?tachent tous les jours de nous: la sant?, la jeunesse, la beaut?, les amis.
Nous avons ?t? ici en v?ritable p?ril de mourir des excessives chaleurs. La beaut? et la fra?cheur de la reine n'en ont point souffert. Elle m'a promis de me donner un petit coffre pour vous. D?s que je l'aurai, je chercherai une voie pour vous le faire tenir. Elle me paro?t fort souhaiter votre amiti?; je l'assure aussi qu'elle a raison de la souhaiter.
Je voudrois que l'on cr?t un peu moins aux horoscopes; je ne me reprocherai jamais d'avoir eu, sur ce sujet, de pernicieuse complaisance, et de n'avoir pas fait mon possible pour d?sabuser des fausset?s qui s'y trouvent.
L'on ne parle plus de guerre ici. Ce n'est pas ce qui me rassureroit.
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