Read Ebook: Le Tour du Monde; Île d'Elbe Journal des voyages et des voyageurs; 2. sem. 1905 by Various Charton Douard Editor
Font size:
Background color:
Text color:
Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page
Ebook has 916 lines and 57285 words, and 19 pages
Je m'informe ensuite des personnes pr?s de qui j'ai une lettre d'introduction et qui m'aideront ? me d?brouiller, chose si pr?cieuse en pays ?tranger. Ce furent: Signor Emmanuel Camera de Asarta, qui remplissait alors dans l'?le les fonctions du sous-pr?fet absent, et qui mit ? ma disposition tout son cr?dit; Signor Tonietti, agent consulaire de France, qui m'accompagna en personne toutes les fois que sa pr?sence put m'?tre utile; Signor Bigeschi, syndic de Porto-Ferraio. C'est enfin l'excellent abb? Soldani. Je ne veux pas oublier non plus un mot de remerciement pour Signor del Buono, le propri?taire actuel de San Martino. Bien d'autres aussi ont droit ? ma gratitude, qu'il serait trop long d'?num?rer ici. Il est peu de pays dont j'aie rapport? autant de souvenirs d'affabilit? et d'empressement ? m'?tre utile, chacun selon son pouvoir.
Quelle ville extraordinaire, avec des rues tout enti?res en larges escaliers, des vo?tes, des casemates, des tunnels, des remparts vertigineux o? s'accrochent les feuilles en lame de sabre des alo?s et les raquettes des cactus! C'est ainsi que notre esprit se pla?t ? imaginer Carthage. La liti?re de Salammb? ne va-t-elle pas para?tre sur ces marches, ? ce carrefour aveugl? de soleil, et l?-haut, entre ces cr?neaux d?coupant sur le ciel, d'un bleu sombre comme la mer, leur profil anguleux et cuivr?, n'est-ce pas la silhouette velue d'un mercenaire graissant son arc et fourbissant son casse-t?te?
Cependant un bonhomme, qui n'a rien de carthaginois, est accouru vers moi et m'entoure de ses grands saluts: <
Il me prend pour un imb?cile, pensai-je, et s'imagine que j'ignore si l'Empereur est mort ? Elbe ou ? Sainte-H?l?ne. Je me contentai de faire un signe de d?n?gation et me mis ? marcher afin de me d?rober ? ses <
Mais le cic?rone italien ne l?che pas ainsi sa proie, et l'homme me suivait en r?p?tant: <
Intrigu? tout de m?me, et pensant en tous cas me soustraire dans le lieu saint ? son obsession, j'entre dans l'?glise. Mais d?j? notre homme avait couru en face, chez le bedeau, et, revenant avec une clef, il m'ouvrait la sacristie. Il y avait l? un cercueil, en effet, un cercueil somptueux en ?b?ne, noir et luisant, avec des poign?es d'or et une N d'or couronn?e. Aux quatre angles, quatre cierges dans leurs flambeaux de bois argent?. Je me demandais ce que cela signifiait, quand, le bedeau ayant soulev? le haut du couvercle qui ?tait ? charni?re, la t?te de l'Empereur apparut soudain, rigide, immobile, et les yeux clos.... Une t?l? en bronze, toutefois, comme mon cic?rone s'empressa de me le prouver, en la cognant l?g?rement. L'impression n'en avait pas moins ?t? saisissante, car j'?tais loin de m'attendre ? voir para?tre ainsi, dans ce tombeau entr'ouvert, ce masque tragique, reproduction de celui-l? m?me qui, lorsque l'Empereur eut rendu l'?me, fut moul? sur sa face, ? Sainte-H?l?ne, par le docteur Antommarchi. Au milieu du silence sonore de l'?glise o? nous ?tions seuls, le bronze rendit sous le choc du doigt un bruit sourd comme un long sanglot, que la r?sonance des vo?tes se rejeta tour ? tour, et qui s'?teignit ensuite, lentement. Je ne tardai pas ? apprendre que, ne pouvant se consoler de n'avoir pas la tombe de son roi d'un jour, Elbe rendait ? ce cercueil les m?mes honneurs que s'il ?tait r?el; chaque ann?e, ? la date anniversaire de la mort du grand Empereur, on le dresse sur un haut catafalque, les cierges s'allument, la foule emplit l'?glise, et, en pr?sence des autorit?s officielles, une messe solennelle est dite. Et cette impression si singuli?re et si impr?vue de l'homme de bronze couch? l?, immobile et pr?sent, qui me sautait ainsi aux yeux, brusquement, une heure apr?s mon arriv?e, chaque jour, ? chaque pas, allait se marquer davantage. Tandis que pour ceux qui vont sans voir, tout est mort des lieux qu'ils traversent, partout o? j'irais, j'allais retrouver l'Empereur et revivre dans le pass?.
Reprenons cependant notre exploration.
Je me suis d?barrass? de mon cic?rone par un pourboire, en somme m?rit?, et je continue ? errer au hasard entre les murs blancs et les volets clos , ? descendre et ? monter des escaliers.
J'admire, chemin faisant, la propret? des rues. Les larges dalles de pierre dont elles sont pav?es, comme de marbre, ne sont souill?es d'aucune immondice, d'aucune ordure, et l'on se ferait presque scrupule d'y jeter un papier ou une pelure d'orange. C'est, dans cette ville du Midi, une propret? toute hollandaise. Du matin au soir, quatre ou cinq balayeurs ne cessent de circuler, chacun avec une charrette, qui a l'air d'un petit corbillard, et qui est tra?n?e par un tout petit ?ne; ils y ramassent et recueillent sans tr?ve tout ce qu'ils rencontrent, et vont le vider ensuite hors de la ville; puis ils reviennent et recommencent leurs tourn?es, qu'ils continuent sans s'arr?ter, jusqu'? la nuit. Ils passent partout et, par d'interminables d?tours, se hissent d'?tage en ?tage, jusqu'aux quartiers sup?rieurs.
D'aspect, elle ressemble ? l'une de ces villas italiennes, comme on en voit sur la c?te de G?nes ? Bordighera, ? l'une des moins orn?es et des plus simples. L'administration militaire l'occupe aujourd'hui en partie, et des troph?es de boulets on surmontent la porte, comme il convient ? l'ancienne demeure d'un conqu?rant. Ce n'est pas pourtant le dieu de la guerre dont l'esprit semble r?gner ici. Quelle vision soudaine, au contraire, de paix heureuse et rayonnante, d?s que l'on est entr? et que l'on d?couvre, tout ? coup, ? travers les myrtes du jardin et les buissons de fleurs, l'immense et radieux horizon de la mer Tyrrh?nienne! Tout est blanc et bleu comme en un paysage de conte de f?es et de paradis; les grands caps de L'?LE se profilent dans une bu?e d'or; une paix resplendissante plane sur les choses. Et comme l'on est tr?s haut, tr?s ? pic au-dessus de tout cela, il semble vraiment que l'on a laiss? bien loin derri?re soi tout le monde humain, et qu'en demeurant longtemps ici l'on finirait soi-m?me par devenir une ?me. Il est impossible qu'apr?s tant de luttes subies, tant d'?croulements entass?s sur son front parmi les steppes neigeux de la Russie, tant d'angoisses dans l'abdication, le formidable vaincu qui vint un jour s'asseoir l?, devant ce m?me horizon, n'ait pas senti, lui aussi, cette ineffable s?r?nit? monter en lui. Il est certain qu'il y eut ici des jours, des heures du moins, o? son cerveau de fer se d?tendit, o? la vision du repos, qu'il n'avait encore jamais connue, passa devant ses yeux, rapide et insaisissable toutefois, comme quelque chose qu'il ne pouvait arr?ter, car il ?tait <
Maintenant, toute la soir?e, le bruit ira croissant; les gens parlent pour s'entendre parler, les enfants crient pour s'?couter crier, on se croirait ? Paris un soir de Quatorze Juillet. Les guitares, les fl?tes et les accord?ons ne tardent pas ? se mettre de la partie. Tout le monde chante. Le cri m?me des gamins n'a rien de la note acide des enfants; il est musical et rythm?. La brise du soir m'apporte, jusqu'? ma fen?tre, tous ces sons, en les m?lant dans une sorte d'universelle et joyeuse psalmodie des plus bizarres; c'est, dans ce d?cor d'op?ra, comme un op?ra qui se chante. Mon Dieu! que ces gens sont gais et qu'ils ont l'air heureux de vivre!
Cela dure ainsi jusqu'? onze heures ou minuit. Alors le bruit se tait peu ? peu, et, sous la nuit ruisselante d'?toiles, tout redevient silence. La lune d?croissante et tardive se l?ve, semblable ? une grosse boule lumineuse qui commence ? se d?foncer, blanchissant la pierre des grands escaliers et l'escarpement cyclop?en des murailles sur les terrasses desquelles repara?t le n?buleux fant?me de Salammb? qui danse et se prosterne....
Je me remets, le lendemain, ? parcourir Porto-Ferraio en tous sens et dans tous ses coins et recoins; c'est ? chaque pas un aspect pittoresque, nouveau et inattendu. L'abb? Soldani, qui m'accompagne, ne cesse, tout en marchant, de me frapper amicalement sur l'?paule et de brandir en l'air son chapeau en criant: <
Je visite l'h?tel de ville. On y conserve la banni?re napol?onienne, le grand drapeau blanc coup? d'une bande orange avec trois abeilles, que le roi de l'?le d'Elbe fit flotter sur la ville d?s le soir de son arriv?e, et que salua le canon, quand, le jour suivant, il mit pied ? terre. Un vieux brave homme, ancien soldat de Solf?rino, me la d?ploie avec amour et respect; elle est en forte ?toffe de toile et intacte. Au premier ?tage, dans la salle du Conseil, le portrait de l'Empereur, entre ceux de Cosme de M?dicis et du dernier grand-duc de Toscane, le repr?sente, d'apr?s le tableau de G?rard, avec le sceptre en main, le manteau d'hermine sur les ?paules et le laurier d'or au front. Sur le tapis vert de la table, selon un antique et patriarcal usage, chaque conseiller a devant soi une petite s?bile avec des haricots blancs ou rouges, que, pour voter Oui ou Non, il d?pose dans l'urne.
En quittant l'?le d'Elbe, l'Empereur avait ordonn? au grand-mar?chal Bertrand d'empaqueter ? la h?te et d'emporter toutes les archives ayant trait ? l'administration de l'?le durant son s?jour, et il ne reste plus ? l'h?tel de ville qu'un simple paraphe du ma?tre au bas d'un des budgets communaux de Porto-Ferraio.
< < < < Mais voici un autre souvenir qui se m?le ? celui de l'Empereur, et que nous dit tout au long une plaque de marbre grav?e, et clou?e au mur, sur la fa?ade du monument. L'inscription est en italien, et nous traduisons: ICI, DANS PORTO FERRAIO, EN 1802, FUT APPORT? LE TOUT PETIT VICTOR HUGO. ICI NAQUIT SA PAROLE QUI, PLUS TARD, LAVE DE FEU SACR?, DEVAIT COURIR DANS LES VEINES DES PEUPLES, ET PEUT-?TRE TROIS ANN?ES PASS?ES DANS CET AIR ? QUI DONNENT LEURS ATOMES LE FER ET LA MER RAFFERMISSANT SON CORPS D?BILE, CONSERV?RENT ? LA FRANCE L'ORGUEIL DE SA NAISSANCE, AU SI?CLE LA GLOIRE DE SON NOM, ? L'HUMANIT? UN AP?TRE ET UN G?NIE IMMORTEL. En 1802, en effet, quelques mois apr?s sa naissance, Victor Hugo vint ? l'?le d'Elbe. N? ? Besan?on, comme l'on sait, o? son p?re, Joseph Hugo, alors commandant, se trouvait en garnison, il avait d?j? d? ?tre transport? ? Marseille, six semaines apr?s sa naissance. C'?tait un terrible voyage pour un enfant de cet ?ge, Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix, comme il l'a dit lui-m?me, et si particuli?rement faible que le m?decin qui l'avait mis au monde avait d?clar? qu'il ne vivrait pas. Par surcro?t de malheur, il fallut que sa m?re l'abandonn?t pour venir ? Paris solliciter le ministre de la Guerre, en faveur de son mari, lequel r?clamait en vain l'avancement en grade qui lui ?tait d?. Le pauvre bambin resta seul avec son p?re qui le bourrait de bonbons pour le consoler, car depuis le d?part de sa m?re, il n'arr?tait pas de pleurer. Enfin, cette derni?re revint, et tout le r?sultat de ses d?marches fut un ordre d'aller plus loin encore, ? l'?le d'Elbe, avec le r?giment de l'imp?rial Corse. Voil? donc toute la famille qui se remet en route ? nouveau et s'embarque pour Porto-Ferraio, o? elle s'installe. La sant? du petit Victor laissait toujours fort ? d?sirer. Un an apr?s son arriv?e dan l'?le, il n'?tait pas encore parvenu ? redresser sur ses ?paules sa t?te < Mais les souvenirs de l'enfant <
Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page