Read Ebook: Cours familier de Littérature - Volume 04 by Lamartine Alphonse De
Font size:
Background color:
Text color:
Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page
Ebook has 1085 lines and 103076 words, and 22 pages
Une heure est ? Venise,--heure des s?r?nades; Lorsqu'autour de Saint-Marc, sous les sombres arcades, Les pieds dans la ros?e, et son masque ? la main, Une nuit de printemps joue avec le matin. Nul bruit ne trouble plus, dans les palais antiques. La majest? des saints debout sous les portiques. La ville est assoupie, et les flots prisonniers S'endorment sur le bord de ses blancs escaliers. C'est alors que de loin, au d?tour d'une all?e, Se d?tache en silence une barque isol?e, Sans voile, pour tout guide ayant son matelot, Avec son pavillon flottant sous son falot. Telle, au sein de la nuit, et par l'onde berc?e, Glissait, par le z?phir lentement balanc?e, La l?g?re chaloupe o? le jeune Dalti... Agitait en ramant le flot appesanti. Longtemps, au double ?cho de la vague plaintive, On le vit s'?loigner, en voguant, de la rive; Mais lorsque la cit? qui semblait s'abaisser, Et lentement au loin dans les flots s'enfoncer, Eut, en se d?robant, laiss? l'horizon vide, Semblable ? l'alcyon qui, dans son cours rapide, S'arr?te tout ? coup, la chaloupe ?carta Ses rames sur l'azur des mers, et s'arr?ta. --Portia, dit l'?tranger, un vent plus doux commence ? se faire sentir.--Chante-moi ta romance.
De tels vers font pleurer de regret de ce qu'un po?te capable de les avoir sentis et ?crits ait tremp? sa plume si souvent dans le ruisseau trivial de Paris, au lieu de la tremper toujours dans la mer limpide et inspiratrice des lagunes. Mais il semble se complaire, comme un violoniste impatient, ? briser la corde ? laquelle il vient de faire rendre de si d?licieux accords. Il n'y manque pas ici comme ailleurs. La romance est une trag?die, et pis qu'une trag?die, une d?rision.
Quel homme fut jamais si grand, qu'il se p?t croire Certain, ayant v?cu, d'avoir une m?moire O? son souvenir, jeune et bravant le tr?pas, P?t revivre une vie, et ne s'?teindre pas? Les larmes d'ici-bas ne sont qu'une ros?e Dont un matin au plus la terre est arros?e, Que la brise secoue, et que boit le soleil; Puis l'oubli vient au coeur, comme aux yeux le sommeil.
Le po?te pr?pare par cette r?flexion de l'indiff?rence, la confidence cruelle que Dalti va faire ? Portia dans la gondole.--<
Je ne m'en repens pas.--? nature, nature! Murmura l'?tranger, vois cette cr?ature; Sous les cieux les plus doux qui la pouvaient nourrir, Cette fleur avait mis dix-huit ans ? s'ouvrir. A-t-elle pu tomber et se faner si vite, Pour avoir une nuit touch? ma main maudite?
Apr?s cette exclamation o? le remords du s?ducteur pr?vaut sur la f?licit? m?me de l'amant, Dalti avoue ? Portia qu'il n'est rien de ce qu'il para?t ?tre; qu'il est le fils d'un p?cheur de Venise, corrompu de bonne heure par les vices de cette ville d?bauch?e; qu'apr?s avoir fr?quent? les plus viles courtisanes et les maisons de jeu de Venise, il a tromp? Portia sur son rang et sur sa fortune; que ce rang est d?rob?; que cette fortune, acquise un moment au jeu, est perdue jusqu'? la derni?re obole, et qu'il ne lui reste que cette barque achet?e la veille pour gagne-pain. Cette confidence ?tonne, sans l'?branler, le coeur intr?pide de Portia. Ici encore le po?te laisse le r?le sublime du d?vouement ? la femme.
Portia, d?s le berceau, d'amour environn?e, Avait v?cu comtesse ainsi qu'elle ?tait n?e, Jeune, passant sa vie au milieu des plaisirs. Elle avait de bonne heure ?puis? les d?sirs, Ignorant le besoin, et jamais, sur la terre, Sinon pour l'adoucir, n'ayant vu de mis?re. Son p?re, d?j? vieux, riche et noble seigneur, Quoique avare, l'aimait, et n'avait de bonheur Qu'? la voir admirer, et quand on disait d'elle Qu'?tant la plus heureuse, elle ?tait la plus belle. Car tout lui souriait, et m?me son ?poux, Onorio, n'avait pli? les deux genoux Que devant elle et Dieu. Cependant, en silence, Comme Dalti parlait, sur l'oc?an immense Longtemps elle sembla porter ses yeux errants. L'horizon ?tait vide, et les flots transparents Ne refl?taient au loin, sur leur ab?me sombre, Que l'astre au p?le front qui s'y mirait dans l'ombre. Dalti la regardait, mais sans dire un seul mot.
--Avait-elle h?sit??--Je ne sais;--mais bient?t, Comme une tendre fleur que le vent d?racine. Faible, et qui lentement sur sa tige s'incline, Telle, elle d?tourna la t?te, et lentement S'inclina tout en pleurs jusqu'? son jeune amant. --Songez bien, dit Dalti, que je ne suis, comtesse, Qu'un p?cheur; que demain, qu'apr?s, et que sans cesse Je serai ce p?cheur. Songez bien que tous deux Avant qu'il soit longtemps nous allons ?tre vieux. Que je mourrai peut-?tre avant vous.
--Dieu rassemble Les amants, dit Portia; nous partirons ensemble. Ton ange en t'emportant me prendra dans ses bras.
Mais o? est la vigueur morale quand toute foi dans sa propre nature manque ? l'?me? Elle n'est plus que dans le repentir, car le repentir est la derni?re force de l'?me; c'est celle qui se r?veille quand toutes les autres sont assoupies. Neuf fois sur dix, l'homme qui va quitter ce monde expire en se frappant la poitrine et en implorant le divin pardon. Mais, ce jeune homme d?bordant de vie ?tait loin du jour o? l'on se demande: <
On est ?tonn? du milieu de ces chansons moqueuses, d'entendre tout ? coup une note triste dissonner par moment dans la voix du jeune Anacr?on et trahir quelque chose qui ressemble au d?boire apr?s l'ivresse. Tels sont les vers adress?s par Alfred de Musset ? Ulric Guttinger, po?te jeune, tendre et path?tique alors comme Musset lui-m?me, mais d?j? touch? au coeur par cette pointe salutaire de la premi?re douleur, qui gu?rit ceux qu'elle blesse. L'accent de ces vers ? Guttinger a un pressentiment de gravit? qui annonce un commencement d'amertume dans la joie. On sent que l'homme qui chante va bient?t pleurer.
Ulric, nul oeil des mers n'a mesur? l'ab?me, Ni les h?rons plongeurs, ni les vieux matelots. Le soleil vient briser ses rayons sur leur cime, Comme un soldat vaincu brise ses javelots. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mais laisse-moi du moins regarder dans ton ?me, Comme un enfant craintif se penche sur les eaux; Toi si plein, front p?li sous des larmes de femme! Moi si jeune, enviant ta tristesse et tes maux!
C'?tait, dans la nuit brune, Sur le clocher jauni, La lune Comme un point sur un i.
Ces strophes de Scarron prises au s?rieux par les classiques, firent plus pour la c?l?brit? pr?coce du po?te que les plus beaux vers. Mais malheur aux c?l?brit?s qui ?clatent par un scandale d'esprit! Il ne faut pas plaisanter avec la gloire.
Gr?ce, ? m?re des arts, terre d'idol?trie, De mes voeux insens?s ?ternelle patrie, J'?tais n? pour ces temps o? les fleurs de ton front Couronnaient dans les mers l'azur de l'Hellespont. Je suis un citoyen de tes si?cles antiques; Mon ?me avec l'abeille erre sous tes portiques. La langue de ton peuple, ? Gr?ce! peut mourir. Nous pouvons oublier le nom de tes montagnes; Mais qu'en fouillant le sein de tes blondes campagnes, Nos regards tout ? coup viennent ? d?couvrir Quelque dieu de tes bois, quelque V?nus perdue... La langue que parlait le coeur de Phidias Sera toujours vivante et toujours entendue; Les marbres l'ont apprise, et ne l'oublieront pas.
Un secret remords de talent perdu semble par moment l'avertir qu'il ne faut pas ainsi r?pandre la po?sie, cette huile des parfums, sur les pieds des courtisanes. ?coutez ce remords dans ces beaux vers:
Tu te frappais le front en lisant Lamartine, Ami, tu p?lissais comme un joueur maudit; Le frisson te prenait, et la foudre divine, Tombant dans ta poitrine, T'?pouvantait toi-m?me en traversant ta nuit.
Ah! frappe-toi le coeur, c'est l? qu'est le g?nie. C'est l? qu'est la piti?, la souffrance et l'amour; C'est l? qu'est le rocher du d?sert de la vie, D'o? les flots d'harmonie, Quand Mo?se viendra, jailliront quelque jour.
Ah! frappe-toi le coeur, c'est l? qu'est le g?nie!
C'est pour avoir trop souvent frapp? son front au lieu de son coeur qu'il n'a ?t? qu'une grande esp?rance, au lieu d'?tre un grand monument, et qu'il a cr?? cette ?cole des po?tes actuels de l'esprit au lieu de cr?er l'?cole des proph?tes du coeur.
?toile qui descends sur la verte colline, Triste larme d'argent du manteau de la Nuit, Toi qui regarde au loin le p?tre qui chemine, Tandis que pas ? pas son long troupeau le suit; ?toile, o? t'en vas-tu dans cette nuit immense? Cherches-tu sur la rive un lit dans les roseaux? Ou t'en vas-tu si belle, ? l'heure du silence, Tomber comme une perle au sein profond des eaux? Ah! si tu dois mourir, bel astre, et si ta t?te Va dans la vaste mer plonger ses blonds cheveux, Avant de nous quitter, un seul instant arr?te; ?toile de l'amour, ne descends pas des cieux!
Comme avec majest? sur ces roches profondes Que l'inconstante mer ronge ?ternellement, Du sein des flots ?mus sort l'astre tout-puissant, Jeune et victorieux,--seule ?me des deux mondes! L'Oc?an fatigu? de suivre dans les cieux Sa d?esse voil?e au pas silencieux, Sous les rayons divins retombe et se balance. Dans les ondes sans fin plonge le ciel immense. La terre lui sourit.--C'est l'heure de prier:
?tre sublime! esprit de vie et de lumi?re, Qui, reposant ta force au centre de la Terre, Sous ta c?leste cha?ne y restes prisonnier! Toi, dont le bras puissant, dans l'?ternelle plaine, Parmi les astres d'or la soul?ve et l'entra?ne Sur la route invisible o? d'un regard de Dieu Tomba dans l'infini l'hyperbole de feu! Tu peux faire accourir ou chasser la temp?te Sur ce globe d'argile ? l'espace jet?, D'o? vers son Cr?ateur l'homme ?levant sa t?te, Passe et tombe en r?vant une immortalit?; Mais comme toi son sein renferme une ?tincelle De ce foyer de vie et de force ?ternelle, Vers lequel en tremblant le monde ?tend les bras, Pr?t ? s'an?antir, s'il ne l'animait pas! Son essence ? la tienne est ?gale et semblable. Lorsque Dieu l'en tira pour lui donner le jour, Il te fit immortel, et le fit p?rissable.... Il te fit solitaire, et lui donna l'amour. Amour! Torrent divin de la source infinie! ? Dieu d'oubli, Dieu jeune, au front p?le et charmant! Toi que tous ces bonheurs, tous ces biens qu'on envie Font quelquefois de loin sourire tristement, Qu'importe cette mer, son calme et ses temp?tes, Et ces mondes sans nom qui roulent sur nos t?tes, Et le temps et la vie, au coeur qui t'a connu?
Il y a des d?tails ravissants, tels que cette premi?re rencontre du bandit et de sa ma?tresse.
Fatigu? de la route et du bruit de la guerre, Ce matin de mon camp je me suis ?cart?: J'avais soif; mon cheval marchait dans la poussi?re; Et sur le bord d'un puits je me suis arr?t?. J'ai trouv? sur un banc une femme endormie, Une pauvre laiti?re, une enfant de quinze ans, Que je connais, Gunther.--Sa m?re est mon amie. J'ai pass? de beaux jours chez ces bons paysans. Le cher ange dormait les l?vres demi-closes.-- .--Ses petits bras lass?s Avaient dans son panier roul? les mains ouvertes. D'herbes et d'?glantine elles ?taient couvertes. De quel r?ve enfantin ses sens ?taient berc?s, Je l'ignore.--On e?t dit qu'en tombant sur sa couche Elle avait ? moiti? laiss? quelque chanson, Qui revenait encor voltiger sur sa bouche, Comme un oiseau l?ger sur la fleur d'un buisson. Nous ?tions seuls.--J'ai pris ses deux mains dans les miennes. Je me suis inclin?,--sans l'?veiller pourtant, ? Gunther! J'ai pos? mes l?vres sur les siennes, Et puis je suis parti, pleurant comme un enfant.
Goethe n'a pas plus de na?vet?, Byron plus de fra?cheur. Ajoutons qu'ils n'ont ni l'un ni l'autre plus de force et plus de d?sespoir de pens?e que dans les vers suivants, impr?cations de Frank qui se cramponne ? la vie.
Et toi, morne tombeau, tu m'ouvres ta m?choire. Tu ris, spectre affam?. Je n'ai pas peur de toi. Je renierai l'amour, la fortune et la gloire; Mais je crois au n?ant, comme je crois en moi. Le soleil le sait bien, qu'il n'est sous sa lumi?re Qu'une immortalit?, celle de la mati?re. La poussi?re est ? Dieu;--le reste est au hasard. Qu'a fait le vent du nord des cendres de C?sar? Une herbe, un grain de bl?, mon Dieu, voil? la vie. Mais moi, fils du hasard, moi Frank, avoir ?t? Un petit monde, un tout, une forme p?trie. Une lampe o? br?lait l'ardente volont?, Et que rien, apr?s moi, ne reste sur le sable, O? l'ombre de mon corps se prom?ne ici-bas? Rien! pas m?me un enfant, un ?tre p?rissable! Rien qui puisse y clouer la trace de mes pas! Rien qui puisse crier d'une voix ?ternelle ? ceux qui t?teront la commune mamelle: Moi, votre fr?re a?n?, je m'y suis suspendu! Je l'ai t?t?e aussi, la vivace mar?tre; Elle m'a, comme ? vous, livr? son sein d'alb?tre... --Et pourtant, jour de Dieu, si je l'avais mordu? Si je l'avais mordu, le sein de la nourrice; Si je l'avais meurtri d'une telle fa?on Qu'elle en puisse ? jamais garder la cicatrice, Et montrer sur son coeur les dents du nourrisson? Qu'importe le moyen, pourvu qu'on s'en souvienne? Le bien a pour tombeau l'ingratitude humaine. Le mal est plus solide: ?rostrate a raison. Emp?docle a vaincu les h?ros de l'histoire, Le jour qu'en se lan?ant dans le coeur de l'Etna, Du plat de sa sandale il souffleta la gloire, Et la fit tr?bucher si bien qu'elle y tomba. Que lui faisait le reste? Il a prouv? sa force. Les si?cles maintenant peuvent se remplacer; Il a si bien grav? son chiffre sur l'?corce Que l'arbre peut changer de peau sans l'effacer. Les parchemins sacr?s pourriront dans les livres; Les marbres tomberont comme des hommes ivres, Et la langue d'un peuple avec lui s'?teindra. Mais le nom de cet homme est comme une momie, Sous les baumes puissants pour toujours endormie, Sur laquelle jamais l'herbe ne poussera. Je ne veux pas mourir.--Regarde-moi, Nature!
Un jeune homme a us? sa vie, son ?me et sa fortune en quelques ann?es de d?bauches. Corrompu jusqu'? la moelle, il veut corrompre toute innocence autour de lui; il veut que son dernier soupir soit un dernier crime. Il ach?te d'une m?re inf?me une pauvre victime innocente de la mis?re et du libertinage; il s'en fait aimer; puis quand il a d?pens? sa derni?re obole, il savoure un inf?me suicide dans les bras de la courtisane involontaire dont il a tu? l'?me avant de se tuer lui-m?me. Il l?gue un cadavre ? un lieu de d?bauche! Voil? le po?me.
Ce sujet plaisait tant ? l'imagination d?prav?e de l'auteur qu'on le retrouve avec quelques variantes dans cinq ou six de ses oeuvres en prose et en vers. C'est toujours le suicide r?fl?chi qui est le d?no?ment d'un amour des sens, d?testable image ? offrir ? l'imagination des jeunes hommes! La fum?e d'un r?chaud, la pointe d'un stylet, la goutte d'opium d?lay?e dans un verre de vin de Champagne sont des issues plus faciles pour sortir d'embarras avec le sort, qu'un effort g?n?reux pour reconqu?rir l'innocence et l'honneur, et qu'une vie d'honn?te homme pour racheter une jeunesse de d?bauches. C'est l? le danger de cette po?sie ou de cette litt?rature du suicide apr?s l'orgie. C'est la derni?re tentation et en m?me temps la derni?re impunit? du libertinage. Werther se tuait, mais au moins c'?tait pour ?chapper au crime; Rolla et les h?ros de Musset se tuent, mais c'est pour ?chapper ? la sati?t? ou ? la punition de leurs fautes. Voyez quel progr?s dans l'immoralit?! Byron, Heine, Musset et tant d'autres ont fait faire un demi-si?cle de chemin ? la po?sie sur la route du mal!
Lorsque dans le d?sert la cavale sauvage, Apr?s trois jours de marche, attend un jour d'orage, Pour boire l'eau du ciel sur ses palmiers poudreux; Le soleil est de plomb, les palmiers en silence Sous leur ciel embras? penchent leurs longs cheveux; Elle cherche son puits dans le d?sert immense, Le soleil l'a s?ch?; sur le rocher br?lant Les lions h?riss?s dorment en grommelant. Elle se sent fl?chir; ses narines qui saignent S'enfoncent dans le sable, et le sable alt?r? Vient boire avidement son sang d?color?. Alors elle se couche, et ses grands yeux s'?teignent, Et le p?le d?sert roule sur son enfant Le flot silencieux de son linceul mouvant.
Elle ne savait pas, lorsque les caravanes Avec leurs chameliers passaient sous les platanes, Qu'elle n'avait qu'? suivre et qu'? baisser le front, Pour trouver ? Bagdad de fra?ches ?curies, Des r?teliers dor?s, des luzernes fleuries, Et des puits dont le ciel n'a jamais vu le fond.
Lisez ? quelques vers de l? la description du sommeil de l'innocence.
Est-ce sur de la neige, ou sur une statue, Que cette lampe d'or, dans l'ombre suspendue, Fait onduler l'azur de ce rideau tremblant? Non, la neige est plus p?le, et le marbre est moins blanc. C'est un enfant qui dort.--Sur ses l?vres ouvertes Voltige par instants un faible et doux soupir; Un soupir plus l?ger que ceux des algues vertes Quand le soir sur les mers voltige le Z?phyr, Et que, sentant fl?chir ses ailes embaum?es, Sous les baisers ardents de ses fleurs bien-aim?es, Il boit sur ses bras nus les perles des roseaux.
C'est une enfant qui dort sous ces ?pais rideaux, Une enfant de quinze ans,--presque une jeune femme; Rien n'est encor form? dans cet ?tre charmant. Le petit ch?rubin qui veille sur son ?me Doute s'il est son fr?re, ou s'il est son amant. Ses longs cheveux ?pars la couvrent tout enti?re. La croix de son collier repose dans sa main, Comme pour t?moigner qu'elle a fait sa pri?re, Et qu'elle va la faire en s'?veillant demain.
Elle dort, regardez:--quel front noble et candide! Partout, comme un lait pur sur une onde limpide Le ciel sur la beaut? r?pandit la pudeur. Elle dort toute nue et la main sur son coeur.
Les pas silencieux du pr?tre dans l'enceinte Font tressaillir le coeur d'une terreur moins sainte, ? vierge! que le bruit de tes soupirs l?gers. Regardez cette chambre et ces frais orangers, Ces livres, ce m?tier, cette branche b?nite Qui se penche en pleurant sur ce vieux crucifix; Ne chercherait-on pas le rouet de Marguerite Dans ce m?lancolique et chaste paradis? N'est-ce pas qu'il est pur, le sommeil de l'enfance? Que le ciel lui donna sa beaut? pour d?fense? Que l'amour d'une vierge est une pi?t? Comme l'amour c?leste, et qu'en approchant d'elle Dans l'air qu'elle respire on sent frissonner l'aile Du s?raphin jaloux qui veille ? son c?t??
Y a-t-il rien dans la langue de si vrai, de si frais, de si pur, que ce coin de sainte famille de Rapha?l ? c?t? de l'inf?me famille qui va sp?culer tout ? l'heure sur la chaste innocence de cette enfant?
Poursuivons, car le po?te ne se lasse pas lui-m?me de r?pandre les odeurs de l'?den sur ce m?phitisme du mauvais lieu.
Oh! sur quel oc?an, sur quelle grotte obscure, Sur quel bois d'alo?s et de frais oliviers, Sur quelle neige intacte au sommet des glaciers. Souffle-t-il ? l'aurore une brise aussi pure, Un vent d'est aussi plein des larmes du printemps, Que celui qui passa sur ta t?te blanchie, Quand le ciel te donna de ressaisir la vie Au manteau virginal d'un enfant de quinze ans! Quinze ans?--? Rom?o! l'?ge de Juliette! L'?ge o? vous vous aimiez! o? le vent du matin, Sur l'?chelle de soie, au chant de l'alouette, Ber?ait vos longs baisers et vos adieux sans fin! Quinze ans!--l'?ge c?leste o? l'arbre de la vie, Sous la ti?de oasis du d?sert embaum?, Baigne ses fruits dor?s de myrrhe et d'ambroisie, Et pour f?conder l'air, comme un palmier d'Asie, N'a qu'? jeter au vent son voile parfum?! Quinze ans!--l'?ge o? la femme, au jour de sa naissance, Sortit des mains de Dieu si blanche d'innocence, Si riche de beaut?, que son p?re immortel De ses phalanges d'or en fit l'?ge ?ternel!
Oh! la fleur de l'?den, pourquoi l'as-tu fan?e, Insouciante enfant, belle ?ve aux blonds cheveux? Tout trahir et tout perdre ?tait ta destin?e; Tu fis ton dieu mortel, et tu l'en aimas mieux. Qu'on te rende le ciel, tu le perdras encore. Tu sais trop bien qu'ailleurs, c'est toi que l'homme adore; Avec lui de nouveau tu voudrais t'exiler, Pour mourir sur son coeur, et pour l'en consoler!
Rolla s'?veille apr?s une nuit de d?lices contre nature, car l'amour et l'agonie s'excluent comme la vie et la mort. Quel contre-sens qu'un corps qui jouit pendant que l'esprit agonise? Or, Rolla savait que l'aurore pour lui ?tait la mort; il mourait d'avance dans sa pens?e. Tout sophisme de morale entra?ne au sophisme de composition. C'est le vice fondamental de ce po?me. Il repose sur un mensonge de nature comme sur un mensonge de situation. Mais que la description de cette aurore fun?bre contempl?e de la fen?tre d'un lieu de d?bauche est poignante! Comme le po?te retrouve dans le d?tail, la v?rit? et le path?tique perdu dans l'ensemble!
Rolla s'?crie en regardant le ciel:
Vous qui volez l?-bas, l?g?res hirondelles, Dites-moi, dites-moi, pourquoi vais-je mourir? Oh! l'affreux suicide! oh! si j'avais des ailes, Par ce beau ciel si pur je voudrais les ouvrir! Dites-moi, terre et cieux, qu'est-ce donc que l'aurore? Qu'importe un jour de plus ? ce vieil univers? Dites-moi, verts gazons, dites-moi, sombres mers, Quand des feux du matin l'horizon se colore, Si vous n'?prouvez rien, qu'avez-vous donc en vous Qui fait bondir le coeur et fl?chir les genoux? ? terre, ? ton soleil qui donc t'a fianc?e? Que chantent tes oiseaux? Que pleure ta ros?e? Pourquoi de tes amours viens-tu m'entretenir? Que me voulez-vous tous, ? moi qui vais mourir? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et qu'y a-t-il de plus touchant que ce retour de la pens?e au chaste amour, du sein de la d?bauche blas?e et du suicide d?j? consomm? en esprit?
Rolla, p?le et tremblant, referma la crois?e. Il brisa sur sa tige un pauvre dahlia. J'aime, lui dit la fleur, et je meurs embras?e Des baisers du z?phyr, qui me rel?vera. --J'ai jet? loin de moi, quand je me suis par?e, Les ?l?ments impurs qui souillaient ma fra?cheur. Il m'a bais?e au front dans ma robe dor?e; Tu peux m'?panouir, et me briser le coeur.
J'aime!--voil? le mot que la nature enti?re Crie au vent qui l'emporte, ? l'oiseau qui le suit! Sombre et dernier soupir que poussera la terre, Quand elle tombera dans l'?ternelle nuit! Oh! vous le murmurez dans vos sph?res sacr?es, ?toiles du matin, ce mot triste et charmant! La plus faible de vous, quand Dieu vous a cr??es, A voulu traverser les plaines ?th?r?es, Pour chercher le soleil, son immortel amant. Elle s'est ?lanc?e au sein des nuits profondes. Mais une autre l'aimait elle-m?me;--et les mondes Se sont mis en voyage autour du firmament.
Et ce retour amer et d?licieux ? l'?ge de puret? et d'innocence par l'air oubli? et retrouv? d'un orgue dans la rue, comme il est compris et rendu dans ces vers fun?bres.
Quand Rolla sur les toits vit le soleil para?tre, Il alla s'appuyer au bord de la fen?tre. De pesants chariots commen?aient ? rouler. Il courba son front p?le, et resta sans parler. En longs ruisseaux de sang se d?chiraient les nues; Tel, quand J?sus cria, des mains du ciel venues Fendirent en lambeaux le voile aux plis sanglants.
Un groupe d?laiss? de chanteurs ambulants Murmuraient sur la place une ancienne romance. Ah! comme les vieux airs qu'on chantait ? douze ans Frappent droit dans le coeur aux heures de souffrance! Comme ils d?vorent tout! comme on se sent loin d'eux! Comme on baisse la t?te en les trouvant si vieux! Sont-ce l? tes soupirs, noir Esprit des ruines? Ange des souvenirs, sont-ce l? tes sanglots? Ah! comme ils voltigeaient, frais et l?gers oiseaux, Sur le palais dor? des amours enfantines! Comme ils savent rouvrir les fleurs des temps pass?s, Et nous ensevelir, eux qui nous ont berc?s!
Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page