bell notificationshomepageloginedit profileclubsdmBox

Read Ebook: Histoire littéraire d'Italie (2/9) by Ginguen Pierre Louis Daunou P C F Pierre Claude Fran Ois Editor

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page

Ebook has 344 lines and 122374 words, and 7 pages

Editor: Pierre-Claude-Fran?ois Daunou

HISTOIRE LITT?RAIRE D'ITALIE.

MOREAU, IMPRIMEUR, RUE COQUILLI?RE, N? 27.

HISTOIRE LITT?RAIRE D'ITALIE,

PAR P.L. GINGUEN?,DE L'INSTITUT DE FRANCE.

SECONDE ?DITION, REVUE ET CORRIG?E SUR LES MANUSCRITS DE L'AUTEUR, ORN?E DE SON PORTRAIT, ET AUGMENT?E D'UNE NOTICE HISTORIQUE PAR M. DAUNOU.

TOME SECOND.

A PARIS, CHEZ L.G. MICHAUD, LIBRAIRE-EDITEUR, PLACE DES VICTOIRES, N?. 3.

PREMI?RE PARTIE.

SUITE DU DANTE.

SECTION PREMI?RE.

C'est aussi ce que fit Dante; mais avec quelle diff?rence dans les temps, dans les ?v?nements publics, dans les croyances, dans les maximes de la morale! Une barbarie plus f?roce que celle des premiers si?cles de la Gr?ce, avait couvert l'Europe; on en sortait ? peine, ou plut?t elle r?gnait encore. Il n'y avait point eu, entre elle et le po?te, des si?cles h?ro?ques qui laissassent de grands souvenirs, qui pussent fournir ? la po?sie des peintures de moeurs touchantes, des r?cits d'exploits et de travaux entrepris pour le bonheur des hommes, ou de grands actes de d?vouement et de vertu. Ceux de ces ?v?nements qui pouvaient, ? certains ?gards, avoir ce caract?re n'avaient point encore acquis par l'?loignement l'esp?ce d'optique qui efface les petits d?tails et ne fait briller que les grands objets. Les querelles entre le Sacerdoce et l'Empire, les Gibelins et les Guelfes, les Blancs et les Noirs, c'?tait l? tout ce qui, en Italie, occupait les esprits, parce que c'?tait ce qui touchait ? tous les int?r?ts, disposait des fortunes et presque de l'existence de tous. Dante, plus qu'aucun autre, personnellement compromis dans ces troubles, devenu Gibelin passionn?, en devenant victime d'une faction form?e dans le parti des Guelfes, ne pouvait, lorsqu'il con?ut et surtout lorsqu'il ex?cuta le plan de son po?me, voir d'autres faits publics ? y placer que ceux de ces querelles et de ces guerres.

Des croyances abstraites, et peu faites pour frapper l'imagination et les sens; tristes, et qui, selon l'expression tr?s-juste de Boileau,

D'ornements ?gay?s ne sont point susceptibles;

terribles, comme il le dit encore, et qui tenaient les esprits fix?s presque toujours sur des images de supplices, d'?pouvante et de d?sespoir, avaient pris la place des ing?nieuses et po?tiques fictions de la Mythologie. Ces croyances ?taient devenues l'objet d'une science subtile et compliqu?e, o? notre po?te avait le malheur d'?tre si habile, qu'il y avait obtenu la palme dans l'universit? m?me qui l'emportait sur toutes les autres. La morale des premiers si?cles de la philosophie, ni celle des premiers si?cles du christianisme, la morale d'Hom?re, ni celle de l'Evangile n'existaient plus; des pratiques superstitieuses, de v?tilleuses momeries, qui ne pouvaient ?tre ni la source ni l'expression d'aucune vertu grande et utile, et qui par l'abus des pardons et des indulgences s'accordaient avec tous les vices, tenaient lieu de toutes les vertus.

C'est dans de telles circonstances, c'est avec ces mat?riaux si diff?rents de ceux qu'avait employ?s le prince des po?tes, que Dante con?ut le dessein d'?lever un monument qui frappe l'imagination par sa hardiesse, et l'?tonne par sa grandeur. Des terreurs qui redoublaient surtout ? la fin de chaque si?cle, comme s'il pouvait y avoir des si?cles et des divisions de temps dans la pens?e de l'?ternel, pr?sageaient au monde une fin prochaine et un dernier jugement. Les missionnaires int?ress?s qui pr?chaient cette catastrophe la repr?sentaient comme imminente, pour acc?l?rer et pour grossir les dons qui pouvaient la rendre moins redoutable aux donataires. Au milieu des r?volutions et des agitations de la vie pr?sente, les esprits se portaient avec frayeur vers cette vie future dont on ne cessait de les entretenir. C'est cette vie future que le po?te entreprit de peindre: s?r de remuer toutes les ?mes par des tableaux dont l'original ?tait empreint dans toutes les imaginations, il voulut les frapper par des formes vari?es et terribles de supplices sans fin et sans esp?rance, par des peines non moins douloureuses, mais que l'espoir pouvait adoucir; enfin par les jouissances d'un bonheur au-dessus de toute expression, comme ? l'abri de tout revers. L'Enfer, le Purgatoire et le Paradis s'offrirent ? lui comme trois grands th??tres o? il pouvait exposer et en quelque sorte personnifier tous les dogmes, faire agir tous les vices et toutes les vertus, punir les uns, r?compenser les autres, placer au gr? de ses passions ses amis et ses ennemis, et distribuer au gr? de son g?nie tous les ?tres surnaturels et tous les objets de la nature.

A mesure que dans cette t?te forte un si vaste plan se d?veloppe, les richesses de la po?sie viennent s'y placer comme d'elles-m?mes; les beaut?s qui naissent du sujet l'enflamment, et les difficult?s l'irritent sans l'arr?ter; il s'en offre cependant une qui dut sembler d'abord invincible. Comment ces trois parties si diff?rentes formeront-elles un seul tout! Comment dans un seul ?difice les ordonner toutes trois ensemble? Comment passer de l'une ? l'autre? Aura-t-il trois visions? Et s'il n'en a qu'une, comme la raison et cet instinct naturel du go?t qui en pr?c?de les r?gles paraissent l'exiger, comment, dans un seul voyage, parcourra-t-il l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis? Comment d'ailleurs, dans ces trois enceintes de douleurs et de f?licit?s, pourra-t-il graduer sans confusion, selon les m?rites, et l'infortune et le bonheur? Ces obstacles ?taient grands, et tels peut-?tre qu'il les faut au g?nie pour qu'il exerce toute sa force. Celui du Dante y trouva l'id?e de la machine po?tique la plus extraordinaire et de l'ordonnance la plus neuve et la plus hardie.

Ils arrivent au pied d'une montagne qu'ils commencent ? gravir; ils montent jusqu'? une certaine hauteur, o? se trouve l'entr?e du Purgatoire, divis? en degr?s ascendants comme l'Enfer en degr?s contraires. Dans chacun, ils voient des p?cheurs qui expient leurs fautes et qui attendent leur d?livrance. Chaque cercle ou degr? est le lieu d'expiation d'un p?ch? mortel; et comme on compte sept de ces p?ch?s, il y a sept cercles qui leur correspondent. Au-del? du septi?me, la montagne s'?l?ve encore jusqu'? ce que, sur son sommet, on trouve le Paradis terrestre. C'est l? que Virgile est oblig? de quitter son ?l?ve et de le livrer ? lui-m?me. Dante n'y reste pas long-temps. B?atrix descend du ciel, vient au-devant de lui, et lui ayant fait subir quelques ?preuves expiatoires, l'introduit dans le s?jour c?leste. Elle parcourt avec lui les cieux des sept plan?tes, s'?l?ve jusqu'? l'empir?e, et le conduit au pied du tr?ne de l'?ternel, apr?s avoir, dans chaque degr?, r?pondu ? ses questions, ?clairci ses doutes, et lui avoir expliqu? les difficult?s les plus embarassantes de la th?ologie et ses plus secrets myst?res, avec toute la clart? que ces mati?res peuvent permettre, avec une po?sie de style qui se soutient toujours, et une orthodoxie ? laquelle les docteurs les plus difficiles n'ont jamais rien pu reprocher.

Telle est cette immense machine dans laquelle on ne sait ce qu'on doit admirer le plus, ou l'audace du premier dessin, ou la fermet? du pinceau qui, dans un tableau si vaste, ne para?t pas s'?tre repos? un seul instant. ?trange et admirable entreprise, s'?crie un homme d'esprit qui n'avait pas celui qu'il fallait pour traduire le Dante, mais qui avait une t?te assez forte pour comprendre et pour admirer un pareil plan! Entreprise ?trange sans doute, et admirable dans l'ensemble de ses trois grandes divisions! Il reste ? voir si elle l'est autant dans l'ex?cution particuli?re de chaque partie, et ? consid?rer ce qu'au travers des vices du temps, de ceux du sujet et de ceux de son propre g?nie, un grand po?te a pu y r?pandre de peintures vari?es, de richesses et de beaut?s.

Virgile, en empruntant ? Hom?re, cet ?pisode, y ajouta ce que la fable avait acquis depuis ces anciens temps, ce que la philosophie platonicienne y pouvait m?ler de s?duisant pour l'imagination, et ce qui pouvait int?resser les Romains et flatter Auguste. ?n?e conduit par la Sybille p?n?tre avec elle dans les Enfers. Des monstres, des fant?mes horribles semblent en d?fendre l'entr?e; le deuil, les soucis vengeurs, les p?les maladies, la triste vieillesse, la crainte, la faim qui conseille le crime, la pauvret? honteuse, la mort, le travail, le sommeil, fr?re de la mort, les joies criminelles, la guerre meurtri?re, les Eum?nides sur leurs lits de fer, la Discorde aux crins de couleuvres, et d'autres monstres encore, forment cette garde terrible; mais ce ne sont que des fant?mes. ?n?e, sans en ?tre effray?, parvint aux bords du Styx. Les ombres des morts qui n'ont point re?u la s?pulture y errent en foule et ne peuvent le passer. Le vieux nocher Caron prend dans sa barque ?n?e et la Sybille, et les conduit ? l'autre bord.

Les ?mes des enfants, morts ? l'entr?e m?me de la vie, et celles des hommes injustement condamn?s au supplice, se pr?sentent ? eux les premi?res. Minos juge les morts cit?s devant son tribunal. Ceux qui se sont tu?s eux-m?mes voudraient remonter ? la vie; ceux dont un amour malheureux a caus? la mort errent tristement dans une for?t de myrtes. ?n?e y aper?oit Didon; il voit sa blessure r?cente; il lui parle en versant des larmes; mais elle garde devant lui le m?me silence qu'Ajax devant Ulysse. C'est ainsi que le g?nie imite, et qu'il sait s'approprier les inventions du g?nie. Les h?ros viennent apr?s les h?ro?nes. L'ombre sanglante et horriblement mutil?e de D?iphobus, fils de Priam, arr?te ?n?e quelques instants; mais la Sybille le presse de marcher vers l'Elys?e. En passant devant l'entr?e du Tartare elle lui en d?voile les affreux secrets, et lui explique les supplices des grands coupables, de l'impie Salmon?e, de Titye, dont un vautour d?chire le coeur, des Lapithes, d'Ixion, de Piritho?s, qui voient un ?norme rocher toujours suspendu sur leur t?te; les mauvais fr?res, les parricides, les patrons qui ont tromp? leurs clients, les avares, les adult?res, ceux qui ont port? les armes contre leur patrie, ceux qui l'ont vendue, ou qui ont port? et rapport? des lois ? prix d'argent, les p?res qui ont souill? le lit de leur fille, subissent diff?rentes peines, roulent des rochers, ou sont attach?s ? des roues. Th?s?e, ravisseur de Proserpine, sera ?ternellement assis; Phl?gyas, qui br?la le temple de Delphes, instruit les hommes par son supplice ? ne pas m?priser les dieux.

Les commentateurs ont prodigieusement raffin? sur le g?nie all?gorique du Dante; ils ont voulu voir partout des all?gories, et le plus souvent il les ont moins vues que r?v?es; mais il y a pourtant beaucoup d'endroits de son po?me qui ne peuvent s'entendre autrement. Le commencement est de ce nombre. Au milieu du chemin de cette vie humaine, le po?te se trouve ?gar? dans une for?t obscure et sauvage. Il ne peut dire comment il y ?tait entr?, tant il ?tait alors accabl? de sommeil. Il arrive au pied d'une colline, l?ve les yeux, et voit poindre sur son sommet les premiers rayons du soleil. Ce spectacle calme un peu sa frayeur; il se retourne pour voir l'espace horrible qu'il avait franchi, comme un voyageur hors d'haleine, descendu sur le rivage, tourne ses regards vers la mer o? il a couru tant de dangers.

Apr?s quelques moments de repos, il commence ? gravir la colline: une panth?re ? peau tigr?e vient lui barrer le chemin. Un lion para?t ensuite, et accourt vers lui la t?te haute, comme pr?t ? le d?vorer. Une louve maigre et affam?e se joint ? eux, et lui cause tant d'effroi qu'il perd l'esp?rance d'arriver au haut de la montagne. Il reculait vers le soleil couchant, et redescendait malgr? lui, lorsqu'une figure d'homme se pr?sente, d'abord muette, et la voix affaiblie par un long silence. Dante l'interroge; c'est Virgile. D?s qu'il s'est fait conna?tre: <>. Je ne puis me r?soudre ? alt?rer, par des p?riphrases, cette simplicit? na?ve. C'est ce que nos traducteurs n'ont pas vu; ils se sont cru oblig?s de donner de l'esprit ? de si beaux vers:

O degli altri poeti onore e lume, Vagliami'l lungo studio e'l grand' amore Che m'han fatto cerrar lo tuo volume.

Oui certes, voil? un beau style, et le plus beau qu'ait employ? aucun po?te, depuis que Virgile lui-m?me avait cess? de se faire entendre.

Le ma?tre avertit son disciple qu'il a pris une fausse route; qu'il est impossible de parvenir au haut de la colline malgr? le monstre qui lui a caus? tant de frayeur, monstre si d?vorant et si terrible, que rien ne le peut assouvir; il va le conduire par une voie plus s?re, quoique dangereuse et p?nible. Il lui fera voir le s?jour des supplices ?ternels, et celui des tourments qui sont adoucis par l'esp?rance. S'il veut s'?lever ensuite jusqu'? la demeure des bienheureux, c'est un autre que lui qui sera son guide. Dante consent ? se laisser conduire, et Virgile marche devant lui. De quelque mani?re qu'on entende cette all?gorie, c'en est une incontestablement, et ce n'est pas chercher des explications trop raffin?es, que d'y voir que le po?te, parvenu au milieu de sa carri?re, apr?s s'?tre ?gar? dans les sentiers de l'ambition et des passions humaines, veut enfin s'?lever jusqu'aux hauteurs qu'habite la vertu. L'amour des plaisirs s'oppose d'abord ? son dessein; l'orgueil, ou l'amour des distinctions vient ensuite; l'avarice, ou l'amour des richesses est l'ennemi le plus redoutable. Le sage, qui vient ? son secours, lui apprend qu'on ne peut vaincre de front tous ces obstacles; que ce n'est pas en quittant le chemin du vice, qu'on peut arriver imm?diatement ? la vertu; que pour y parvenir, il faut s'en rendre digne par la m?ditation des le?ons de la sagesse. Or, en ce temps-l?, ces le?ons consistaient dans la contemplation des destin?es de l'homme apr?s sa mort, et dans la connaissance qu'on croyait pouvoir acqu?rir de l'Enfer, du Purgatoire et du Paradis. C'est l? sans doute le sens et le but de cette vision; elle n'a rien d'?trange, d'apr?s l'esprit qui r?gnait dans ce si?cle; mais ce qui surprend toujours davantage, c'est que l'auteur ait pu tirer d'un pareil fonds un si grand nombre de beaut?s.

Le jour d?clinait, continue-t-il dans des vers dignes de Virgile, et l'air sombre d?livrait de leurs travaux les animaux qui sont sur la terre; lui seul se pr?parait ? soutenir la fatigue du chemin et les assauts de la piti?. Il invoque le secours des Muses et celui de sa m?moire qui doit lui retracer ces grands spectacles. Il soumet ensuite ? Virgile quelques doutes et quelques craintes. Le po?te romain, pour r?ponse, lui apprend quelle est la cause qui l'a fait venir ? sa rencontre. Il reposait dans une esp?ce de limbe, o? Dante place ceux qui n'avaient pu conna?tre la vraie religion, lorsqu'une belle femme est descendue du ciel, et lui a dit avec une voix ang?lique: <> Dans cette apparition de B?atrix, et dans cette mission dont elle charge Virgile, on entend g?n?ralement la Th?ologie, ou la connaissance des choses divines; et il est certain que la suite de ce dialogue le fait assez voir; mais c'est sous la figure de cette B?atrix qui lui avait ?t?, qui lui ?tait toujours si ch?re, qu'il repr?sente la science alors regard?e comme la premi?re, et presque comme une science surnaturelle. Quelle femme a jamais re?u apr?s sa mort un plus noble hommage? et quelle preuve plus forte pourrait-on avoir de l'?l?vation et de la puret? des sentiments qui avaient uni l'une ? l'autre, pendant quinze ann?es, deux ?mes si dignes de s'aimer? C'est un exemple, peut-?tre unique, du parti qu'on pourrait tirer en po?sie de la combinaison d'un personnage all?gorique avec un ?tre r?el. L'effet m?lancolique et attachant qu'il produit ici aurait d? engager ? l'imiter, s'il n'y avait pas quelque chose d'inimitable dans ce qu'une sensibilit? profonde peut seule dicter au g?nie.

Les explications qu'il re?oit de Virgile rendent au po?te tout son courage; ce qu'il exprime par cette comparaison charmante: <>. Il ne craint plus ni les dangers ni la fatigue; son guide marche, il le suit. Tout ? coup et sans pr?paration, ces mots c?l?bres et terribles frappent le lecteur:

PER ME SI VA NELLA CITTA DOLENTE: PER ME SI VA NELL' ETERNO DOLORE: PER ME SI VA TRA LA PERDUTA GENTE,

<>! L'int?rieur r?pond ? cette redoutable annonce: <>.

Ce s?jour affreux n'est pourtant encore que celui de ces hommes indiff?rents qui ont v?cu sans honte et sans gloire. Dante les place avec les anges qui ne furent ni rebelles ni fid?les ? Dieu; qui furent chass?s du ciel, mais que les profondeurs de l'Enfer ne voulurent pas recevoir. On a beaucoup dissert? sur cette troisi?me esp?ce d'anges qu'il semble cr?er ici de sa propre autorit?. Mais ne peut-on pas dire qu'habitu? aux agitations d'une r?publique o? les partis se heurtaient et se combattaient sans cesse, il a voulu d?signer et couvrir du m?pris qu'ils m?ritent, ces hommes qui, lorsqu'il s'agit des int?r?ts de la patrie, gardent une neutralit? coupable, exempts des sacrifices qu'elle impose, des services qu'elle r?clame, des p?rils auxquels elle a le droit de vouloir qu'on s'expose pour elle, et toujours pr?ts, quoi qu'il arrive, ? se ranger du parti du vainqueur? Si ce n'a pas ?t? l'intention du po?te, du moins semble-t-il aller au-devant des applications, surtout quand il se fait dire par Virgile: <>. Ces mis?rables, qui ne v?curent jamais, sont forc?s de se pr?cipiter en foule apr?s une enseigne qui court rapidement devant eux: ils sont nus et piqu?s sans cesse par des gu?pes et par des taons. Le sang coule sur leur visage, se confond avec leurs larmes, et tombe jusqu'? leurs pieds, o? des vers d?go?tants s'en nourrissent.

Les deux voyageurs s'avancent jusqu'au fleuve de l'Ach?ron, car Dante ne fait nulle difficult? de m?ler ainsi l'ancien Enfer et le nouveau. Caron, pour plus de ressemblance, y passe les ?mes dans sa barque. C'est un d?mon sous la figure d'un vieillard ? barbe grise, mais qui a les yeux entour?s d'un cercle de flammes, et ardents comme la braise. <>. Il s'indigne de voir se pr?senter ? lui une ?me vivante, et veut la repousser. <>. Caron se tait; mais les ?mes qui bordent le fleuve, nues et accabl?es de fatigue, changent de couleur ? ses menaces, grincent des dents, blasph?ment Dieu, leurs parents, l'esp?ce humaine, le lieu, le temps de leur g?n?ration et de leur naissance. Caron les prend chacune ? leur tour, et frappe de sa rame celles qui sont trop lentes. <>. On reconna?t encore dans cette belle comparaison l'?l?ve et l'imitateur de Virgile.

Tandis que Dante interroge son ma?tre et qu'il ?coute ses r?ponses, la sombre campagne s'?branle: cette terre baign?e de larmes exhale un vent imp?tueux qui lance des ?clairs d'une lumi?re sanglante. Le po?te perd tout sentiment; il tombe comme un homme accabl? de sommeil. Un tonnerre ?clatant le r?veille; il se trouve de l'autre c?t? du fleuve, et sur le bord de l'ab?me de douleurs, o? retentit le bruit d'un nombre infini de supplices. Dans cette cavit? obscure et profonde, l'oeil a beau se fixer vers le fond, il n'y distingue rien; c'est le gouffre immense des Enfers o? les deux po?tes vont descendre de cercle en cercle. Dans le premier qui fait le tour entier de l'ab?me, il n'y a point de cris ni de larmes, mais seulement des soupirs dont l'air ?ternel retentit. Ce sont les limbes, o? une foule innombrable d'enfants, d'hommes et de femmes, souffre une douleur sans martyre. Leur seul crime est d'avoir ignor? une religion qu'ils ne pouvaient conna?tre. Virgile, qui explique au Dante leur destin?e, ajoute qu'il est lui-m?me de ce nombre; que, pour cette seule faute, ils sont perdus ? jamais; mais que leur seul supplice est un d?sir sans esp?rance.

Cependant un feu brillant vient ?clairer ce t?n?breux h?misph?re. Quatre ombres s'avancent, et tout ce qui les entoure para?t leur rendre hommage. Une voix fait entendre ces mots: <>. Dante voit marcher vers lui ces quatre grandes ombres, dont l'aspect n'annonce ni la tristesse ni la joie. <>. Quand ils se furent entretenus quelque temps, ils se tourn?rent vers moi et me salu?rent: mon ma?tre sourit; alors ils me trait?rent plus honorablement encore; ils m'admirent enfin dans leur troupe, et je me trouvai le sixi?me, parmi de si grands g?nies.

Add to tbrJar First Page Next Page

 

Back to top