Read Ebook: Monsieur de Camors — Complet by Feuillet Octave
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Ebook has 1677 lines and 88477 words, and 34 pages
OCTAVE FEUILLET
DE L'ACAD?MIE FRAN?AISE
MONSIEUR DE CAMORS
Des confidences particuli?rement dignes de foi nous ont guid? dans le cours de ce r?cit. La partie du public dont l'int?r?t passionn? s'attachait nagu?re au myst?re dramatique d'une brillante existence parisienne peut donc lire ces pages avec confiance: elle y trouvera la v?rit? m?me sur le caract?re et la destin?e d'un homme qui nous para?t ?tre une des physionomies les plus expressives de son temps et de son pays, le comte Louis Lange d'Ardennes de Camors.
Dire d'un sc?l?rat qu'il ?tait n? sc?l?rat, d'une femme l?g?re qu'elle ?tait n?e courtisane, c'est une vaine et triste parole qu'on entend chaque jour et qu'on lit partout. Cette banalit? a l'inconv?nient de renverser en passant quelques notions de morale encore accr?dit?es dans la foule. Si l'homme n'est responsable de ses actes que devant la gendarmerie, ? la bonne heure; mais, tant que l'humanit? ne se sera pas rendue tout enti?re ? cette croyance aussi ?lev?e que salutaire, il faut t?cher de se persuader et de persuader aux autres qu'il n'y a point de fatalit?s de naissance. Cela est tout au moins encourageant pour les p?res qui se donnent la peine d'?lever leurs enfants, et pour les gens de bien qui se d?vouent ? l'?ducation populaire. Nous croyons, quant ? nous, que le h?ros de ce livre ?tait n? pour ?tre un honn?te homme, ou le contraire, ou quelque chose entre les deux, suivant la direction que ses pr?cepteurs naturels devaient imprimer ? ses penchants et ? ses facult?s, suivant le milieu moral dont il subirait l'influence, et enfin suivant l'usage qu'il ferait lui-m?me sur lui-m?me de sa volont? intelligente et libre.
PREMI?RE PARTIE
Un soir du mois de mai, vers onze heures, un homme d'une cinquantaine d'ann?es, fort bien fait et de haute mine, descendait d'un coup? dans la cour d'un petit h?tel de la rue Barbet-de-Jouy. Il monta d'un pas de ma?tre les marches du perron. Deux ou trois domestiques l'attendaient dans le vestibule. L'un d'eux le suivit dans un vaste cabinet de travail situ? au premier ?tage, et qui communiquait avec une chambre ? coucher par une arcade drap?e. Le valet raviva les feux des lampes qui ?clairaient ces deux pi?ces, et il allait se retirer quand son ma?tre lui dit:
--Mon fils n'est pas rentr??
--Non, monsieur le comte... Monsieur le comte n'est pas souffrant?
--Souffrant? pourquoi?
--Monsieur le comte est p?le.
--J'ai eu un peu froid ce soir au bord du lac.
--Monsieur le comte ne d?sire rien?
--Rien.
Le domestique sortit.
Rest? seul, le comte s'approcha d'un meuble curieusement travaill? ? la mode italienne, et y prit une bo?te longue et plate en bois d'?b?ne. Elle contenait deux pistolets, qu'il s'occupa de charger avec soin. Il y ajusta ensuite des capsules, qu'il ?crasa l?g?rement avec le pouce sur la chemin?e de l'arme. Cela fait, il consulta sa montre, alluma un cigare, et, pendant une demi-heure, le bruit r?gulier de ses pas r?sonna sourdement sur le tapis de la galerie. Son cigare fini, il s'arr?ta, parut r?fl?chir, et entra dans la chambre voisine, emportant ses armes. Cette pi?ce, comme la pr?c?dente, ?tait meubl?e avec une ?l?gance s?v?re et orn?e avec go?t: quelques tableaux, tous de ma?tres, des marbres, des bronzes, des ivoires. Le comte jeta un regard d'int?r?t singulier sur l'int?rieur de cette chambre, qui ?tait la sienne, sur les objets familiers, sur les tentures sombres, sur le lit pr?par? pour le sommeil; puis, se dirigeant vers une table qui ?tait plac?e dans l'embrasure d'une fen?tre, il y posa les pistolets, s'assit, m?dita quelques minutes la t?te dans ses mains, et se mit ? ?crire ce qui suit:
? MON FILS
< >>La science le dit et le prouve. L'homme intelligent et libre est sur cette plan?te un animal impr?vu. Produit d'une s?rie de combinaisons et de transformations inattendues, il ?clate au milieu de la soumission des choses comme une dissonance et une r?volte. La nature l'a engendr? sans l'avoir con?u. C'est une dinde qui a couv? sans le savoir un oeuf d'aigle; effray?e du monstre, elle a pr?tendu l'encha?ner: elle l'a surcharg? d'instincts dont il a fait des devoirs, de r?glements de police dont il a fait des religions. Chacune de ces entraves bris?es, chacune de ces servitudes vaincues marque un pas dans l'?mancipation virile de l'humanit?. >>C'est vous dire que je meurs dans la foi de mon si?cle. Je crois ? la mati?re incr??e, f?conde, toute-puissante, ?ternelle. C'est la Nature des anciens. Il y a eu dans tous les temps les sages qui ont entrevu la v?rit?. M?re aujourd'hui, elle tombe dans le domaine commun: elle appartient ? tous ceux qui sont de taille ? la porter, car cette religion derni?re de l'humanit? est le pain des forts. Elle a sa tristesse, elle isole l'homme; mais elle a sa grandeur, car elle le fait libre, elle le fait dieu. Elle ne lui laisse de devoirs qu'envers lui-m?me; elle ouvre un champ superbe aux gens de t?te et de courage. >>La foule reste encore et restera toujours plus ou moins courb?e sous le joug de ses religions mortes, sous la tyrannie des instincts. On verra toujours plus ou moins ce que vous voyez en ce moment ? Paris: une soci?t? dont le cerveau est ath?e et le coeur d?vot. Au fond, elle ne croit pas plus au Christ qu'? Jupiter, mais elle continue machinalement de b?tir des ?glises. Elle n'est m?me plus d?iste: elle supprime radicalement au fond de sa pens?e la vieille chim?re du Dieu personnel et moral, t?moin, sanction et juge; mais elle ne dit pas un mot, elle n'?crit pas une ligne, elle ne fait pas un geste dans sa vie publique ou priv?e, qui ne soit l'affirmation de cette chim?re. Cela est utile peut-?tre, mais cela est m?prisable. Sortez de ce troupeau, recueillez-vous, et ?crivez votre cat?chisme vous-m?me sur une page blanche. >>Quant ? moi, j'ai manqu? ma vie pour ?tre n? quelques ann?es trop t?t. La terre et le ciel ?taient alors encombr?s de ruines. On n'y voyait pas. La science, d'ailleurs, ?tait relativement en enfance. De plus, j'avais contre les doctrines du monde nouveau les pr?ventions et les r?pugnances naturelles ? mon nom. Je ne comprenais pas qu'il y a quelque chose de mieux ? faire que de bouder pu?rilement contre son vainqueur: c'est de reconna?tre que ses armes sont bonnes, de les lui prendre et de l'en ?craser. Bref, faute d'un principe d'action, j'ai flott? au hasard: ma vie n'a pas eu de plan. Je n'ai ?t? qu'un homme de plaisir, c'est trop peu. Vous serez plus complet, si vous voulez m'en croire. >>Que peut ?tre un homme de ce temps qui a le bon sens et l'?nergie de conformer sa vie ? sa foi? Je pose la question, c'est ? vous de la r?soudre; je ne puis que vous livrer ? la h?te quelques id?es que je crois justes et que vous creuserez ? loisir. Le mat?rialisme n'est une doctrine d'abrutissement que pour les sots ou pour les faibles: assur?ment je ne lis dans son code aucun des pr?ceptes de la morale vulgaire, de ce que nos p?res appelaient la vertu; mais j'y lis un grand mot qui peut suppl?er ? bien d'autres, l'honneur, c'est-?-dire l'estime de soi. Il est clair qu'un mat?rialiste ne peut ?tre un saint; mais il peut ?tre un gentilhomme, c'est quelque chose. Vous avez d'heureux dons, mon fils; je ne vous connais qu'un devoir au monde, c'est de les d?velopper largement et d'en jouir avec pl?nitude. Usez sans scrupule des femmes pour le plaisir, des hommes pour la puissance, mais ne faites rien de bas. >>Pour que l'ennui ne vous chasse pas comme moi pr?matur?ment de ce monde d?s que la saison du plaisir sera close, m?nagez ? votre ?ge m?r les ?motions de l'ambition et de la vie publique. Ne vous engagez pas avec le gouvernement r?gnant: il vous est r?serv? d'en entendre faire l'?loge par ceux qui l'auront renvers?. C'est la mode fran?aise. Chaque g?n?ration veut sa proie. Vous sentirez bient?t la pouss?e de la g?n?ration nouvelle. Pr?parez-vous de loin ? en prendre la t?te. >>En politique, mon fils, vous n'ignorez pas que chacun a les principes de son temp?rament. Les bilieux sont d?magogues, les sanguins sont d?mocrates, et les nerveux sont aristocrates. Vous ?tes ? la fois sanguin et nerveux. C'est une belle constitution. Elle vous permet de choisir. Vous pouvez, par exemple, ?tre aristocrate pour votre compte personnel et d?mocrate pour le compte d'autrui. Vous ne serez pas le seul. >>Rendez-vous ma?tre de toutes les questions qui peuvent passionner vos contemporains; mais ne vous passionnez vous-m?me pour aucune. En r?alit?, tous les principes sont indiff?rents; ils sont tous vrais ou faux, suivant l'heure. Les id?es sont des instruments dont vous devez apprendre ? jouer opportun?ment pour dominer les hommes. Dans cette voie encore, vous aurez des camarades. >>Sachez, mon fils, qu'arriv? ? mon ?ge et lass? de tout, vous aurez besoin de sensations fortes. Les jeux sanglants des r?volutions vous seront alors comme une amourette ? vingt ans. >>Mon fils, je me fatigue. Je vais me r?sumer.--?tre aim? des femmes, ?tre craint des hommes, ?tre impassible comme un dieu devant les larmes des unes et le sang des autres, finir dans une temp?te, voil? la destin?e que j'ai manqu?e et que je vous l?gue: vous ?tes fort capable avec vos grandes facult?s de l'accomplir int?gralement, si vous vous d?faites de je ne sais quelle faiblesse de coeur que j'ai remarqu?e en vous, et qui vous vient sans doute du lait maternel.--Tant que l'homme na?tra de la femme, il y aura en lui quelque chose de d?fectueux. >>Je vous le r?p?te en terminant: appliquez-vous ? secouer toutes les servitudes naturelles, instincts, affections, sympathies; autant d'entraves ? votre libert? et ? votre force. >>Ne vous mariez pas, si quelque int?r?t sup?rieur ne vous y pousse. >>Si vous vous mariez, n'ayez point d'enfants. >>N'ayez point d'amis; C?sar, devenu vieux, eut un ami, qui fut Brutus... >>Le m?pris des hommes est le commencement de la sagesse. >>Modifiez votre escrime, votre jeu est trop large. >>Ne vous f?chez point.--Riez peu.--Ne pleurez jamais.--Adieu. >>CAMORS.>> ? qui s'adressait ce document? Sur quel terrain allait tomber cette semence? Louis de Camors avait ? cette ?poque vingt-sept ans. Sa m?re ?tait morte jeune. Il ne paraissait pas qu'elle e?t ?t? particuli?rement heureuse avec son mari. Son fils s'en souvenait ? peine, comme d'une jeune femme jolie et p?le qui chantait ? demi-voix pour l'endormir, et qui pleurait souvent. Il avait ?t? ?lev? principalement par une ma?tresse de son p?re. Elle se nommait la vicomtesse d'Oilly; c'?tait une veuve, assez bonne femme. Sa sensibilit? naturelle et la douce facilit? de moeurs qui r?gne ? Paris lui avaient permis de s'occuper ? la fois du bonheur du p?re et de l'?ducation du fils. Quand le p?re lui ?chappa, ce qui ne tarda gu?re, il lui laissa l'enfant pour la calmer un peu par ce signe de confiance et d'amiti?. On le lui menait trois fois la semaine. Elle l'habillait, le peignait, le choyait et le conduisait avec elle ? la messe. Elle le faisait jouer aussi avec un Espagnol de bonne mine, qui, depuis quelque temps, lui servait de secr?taire. Elle ne n?gligeait pas ? l'occasion de placer quelque pr?cepte de saine morale. Ainsi, l'enfant l'ayant vue un soir, non sans surprise, d?poser un baiser sur le front de son secr?taire, et lui ayant dit avec la rude franchise de son ?ge: --Pourquoi embrasses-tu monsieur, qui n'est pas ton mari? --Mon ami, r?pondit la vicomtesse, parce que le bon Dieu nous commande d'?tre charitables et affectueux pour les pauvres, les infirmes et les exil?s. Or, M. Perez est exil?. Louis de Camors e?t m?rit? de meilleurs soins; c'?tait un enfant g?n?reux. Ses camarades du coll?ge Louis-le-Grand se souviennent de sa chaleur d'?me et de sa gr?ce naturelle, qui lui faisaient pardonner ses aptitudes et ses succ?s pendant la semaine, ses bottes vernies et ses gants lilas le dimanche. Vers la fin de ses ?tudes, il s'?tait li? particuli?rement avec un pauvre bouclier nomm? Lescande, qui excellait aux math?matiques, mais qui ?tait d'ailleurs fort mal b?ti, gauche, d'une timidit? sauvage, et ridiculement tendre sous son ?paisse enveloppe. On l'appelait famili?rement T?te-de-Loup par allusion ? sa chevelure touffue et rebelle. L'?l?gant Camors fit taire les railleurs en couvrant ce brave gar?on de son amiti?. Lescande lui en sut un gr? infini, et l'adora. Il ouvrit pour son ami la triple serrure de son excellent coeur, et en laissa sortir un secret important. Il aimait. Il aimait une fillette blonde qui ?tait sa cousine et qui ?tait pauvre comme lui. C'?tait m?me une circonstance providentielle qu'elle f?t pauvre: autrement, il n'aurait jamais os? ?lever sa pens?e jusqu'? elle. Un triste ?v?nement les avait rapproch?s: elle avait perdu son p?re, chef de division dans un minist?re, et elle restait avec sa m?re dans une situation ?troite. Lescande, ? sa derni?re sortie, l'avait surprise avec des manchettes sales. Il avait, ? cette occasion, re?u d'elle le billet suivant: < >>JULIETTE.>> Lescande en avait pleur?. Heureusement, il avait son dessein: il serait architecte. Juliette lui avait promis de l'attendre; dans une dizaine d'ann?es, il serait mort ? la peine, ou il habiterait d?licieusement avec sa cousine une maisonnette dont il montra le plan et m?me plusieurs plans ? Camors. --Voil? la seule ambition que j'aie et que je puisse avoir, ajoutait Lescande. Toi, c'est diff?rent; tu es n? pour de grandes choses. --?coute, mon vieux Lescande, r?pondait Camors, qui achevait alors triomphalement sa rh?torique, je ne sais si ma destin?e sera vulgaire; mais je suis certain que mon ?me ne l'est pas. J'y sens des ardeurs, des ?lans qui me donnent tant?t des joies, tant?t des souffrances inexprimables. Je voudrais d?couvrir un monde, sauver une nation, aimer une reine! Je ne con?ois que des ambitions ou des amours illustres... Les amours, au surplus, je n'y songe gu?re. Il faut ? mon activit? un ressort plus noble. Je pr?tends me d?vouer ? une des grandes causes sociales, politiques ou religieuses qui agitent le monde ? cette heure du si?cle. Quelle sera cette cause? Je ne le sais pas encore. Je n'ai pas encore d'opinion bien arr?t?e; mais, d?s que je serai sorti du coll?ge, je chercherai la v?rit?, et je la d?couvrirai ais?ment. Je lirai tous les journaux. Paris est, d'ailleurs, un foyer intellectuel tellement lumineux, qu'il doit suffire d'ouvrir les yeux avec bonne foi et avec ind?pendance pour trouver le vrai chemin. Je suis dans d'excellentes conditions pour cela. Quoique bon gentilhomme, je n'ai point de pr?jug?s. Mon p?re me laisse libre; il est lui-m?me tr?s ?clair? et tr?s lib?ral. J'ai un oncle r?publicain, j'ai une tante l?gitimiste, qui de plus est une sainte; j'ai un oncle conservateur! Je ne m'en vante pas, de celui-l?; mais c'est pour te dire qu'ayant un pied dans tous les partis, je suis tout port? pour les comparer entre eux et pour bien choisir. Une fois ma?tre de la sainte v?rit?, mon vieux Lescande, tu peux compter que je la servirai de ma plume, de ma parole et de mon ?p?e jusqu'? la mort. De tels discours, prononc?s avec une ?motion sinc?re et accompagn?s de serrements de main chaleureux, tiraient des larmes au vieux Lescande dit T?te-de-Loup. Huit ou neuf ans plus tard, Louis de Camors sortait ? cheval un matin du petit h?tel qu'il occupait alors avec son p?re. Rien n'est gai comme Paris le matin. Le matin est partout l'?ge d'or de la journ?e. Le monde, ? cette heure charmante, semble peupl? de braves gens qui s'aiment entre eux. Paris, qui ne se pique pas de candeur, prend lui-m?me sous cette influence heureuse un air d'innocente all?gresse et d'aimable cordialit?. Les petits voiturins ? sonnettes se croisent rapidement dans les rues et font penser aux campagnes couvertes de ros?e. Les cris rythm?s du vieux Paris jettent leurs notes aigu?s ? travers le bourdonnement profond de la grande cit? qui s'?veille. On voit les concierges goguenards balayer les trottoirs blancs; les marchands ? demi v?tus enl?vent avec fracas les volets des boutiques; des groupes de palefreniers en toque ?cossaise fument et fraternisent sur le seuil des h?tels; on entend les questions de bon voisinage, les menus propos du r?veil, les pronostics du temps, s'?changer d'une porte ? l'autre avec sympathie. Les jeunes modistes attard?es descendent vers la ville d'un pied l?ger, font ?? et l? un brusque temps d'arr?t devant un magasin qui s'ouvre, et reprennent leur vol comme des mouches qui viennent de sentir une fleur. Les morts eux-m?mes, dans ce gai Paris matinal, paraissent s'en aller gaiement au cimeti?re avec leurs cochers gaillards qui se sourient l'un ? l'autre en passant. Souverainement ?tranger ? ces impressions agr?ables, Louis de Camors, un peu p?le, l'oeil ? demi clos, un cigare entre les dents, s'avan?ait dans la rue de Bourgogne au petit pas de son cheval. Il prit le galop de chasse dans les Champs-?lys?es, gagna le bois de Boulogne et le parcourut ? l'aventure; le hasard l'en fit sortir par l'avenue Maillot, qui n'?tait pas encore aussi peupl?e qu'on la voit aujourd'hui. D?j? cependant quelques jolies habitations, pr?c?d?es de pelouses verdoyantes, s'y ?levaient dans des buissons de lilas et de cl?matite. Devant la grille ouverte d'une de ces maisonnettes, un monsieur jouait au cerceau avec un tout jeune enfant ? t?te blonde. L'?ge de ce monsieur ?tait incertain; on pouvait lui donner de vingt-cinq ? quarante ans. Une cravate blanche l'ornait d?s l'aurore; des favoris ?pais et courts, taill?s comme les buis de Versailles, dessinaient sur ses joues deux triangles isoc?les. Camors, s'il aper?ut ce personnage, ne parut lui accorder aucune esp?ce d'int?r?t. C'?tait pourtant le vieux Lescande. Il est vrai qu'ils s'?taient perdus de vue depuis plusieurs ann?es, comme il arrive aux plus chauds amis de coll?ge. Lescande cependant, dont la m?moire ?tait apparemment plus fid?le, sentit son coeur bondir ? l'aspect de ce jeune cavalier majestueux qui s'approchait. Il fit un geste pour s'?lancer; un sourire ?panoui s'?baucha sur sa bonne figure et se termina par une grimace vague; il ?tait ?videmment oubli? ou m?connu. Camors n'?tait plus qu'? deux pas de lui, il allait passer, et son beau visage ne donnait pas le moindre signe d'?motion;--tout ? coup, sans qu'un seul pli de sa physionomie e?t remu?, il arr?ta son cheval, ?ta son cigare de sa bouche, et dit d'une voix tranquille: --Tiens! tu n'as plus ta t?te de loup? --Tu me reconnais! s'?cria Lescande.
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