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Read Ebook: Monsieur de Camors — Complet by Feuillet Octave

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Ebook has 1677 lines and 88477 words, and 34 pages

--Tu me reconnais! s'?cria Lescande.

--Parbleu! pourquoi donc pas?

--Je croyais... je craignais... ? cause de mes favoris...

--Tes favoris ne te changent pas... ils conviennent ? ton genre de beaut?... Qu'est-ce que tu fais l??

--L?? Mais je suis chez moi, mon ami... Entre donc deux minutes, je t'en prie.

--Pourquoi pas? dit Camors avec le m?me accent d'indiff?rence supr?me.

Il donna son cheval au domestique qui le suivait et franchit la grille du jardin, soutenu, pouss?, caress? par la main tremblante de Lescande.

Le jardin ?tait de dimension m?diocre, mais fort soign? et plein d'arbustes rares ? larges feuilles. Dans le fond, une petite villa dont le go?t italien pr?sentait sa gracieuse fa?ade.

--Tiens, c'est gentil, ?a! dit Camors.

--Tu reconnais mon plan num?ro trois, n'est-ce pas?

--Num?ro trois... parfaitement... Et ta cousine est-elle dedans?

--Elle est l?, mon ami, dit Lescande ? demi-voix en indiquant de la main une grande fen?tre ? balcon qui surmontait le perron de la villa, et dont les persiennes ?taient closes. Elle est l?, et voici notre fils.

Camors laissa flotter sa main sur les cheveux de l'enfant.

--Diable! tu n'as pas perdu de temps... Ainsi tu es heureux, mon brave?

--Tellement heureux, mon ami, que j'en suis inquiet... Le bon Dieu est trop bon pour moi, ma parole... Je me suis donn? de la peine, c'est vrai... Figure-toi que je suis all? passer deux ans en Espagne, dans les montagnes, dans un pays infernal... J'ai b?ti l? un palais de f?e pour le marquis de Buena-Vista, un tr?s grand seigneur... Il avait vu mon plan ? l'Exposition, et s'?tait mont? la t?te l?-dessus... C'est ce qui a commenc? ma fortune... Du reste, ce n'est pas mon m?tier tout seul qui a pu m'enrichir aussi vite, tu comprends;... mais j'ai eu une s?rie de chances incroyables... J'ai fait des affaires magnifiques sur des terrains, et tr?s honn?tement, je te prie de croire... Je ne suis pourtant pas millionnaire... Tu sais que je n'avais rien, et ma femme pas davantage... Enfin, ma maison construite, il me reste une dizaine de mille francs de rente... Ce n'est gu?re pour nous entretenir sur ce pied-l?; mais je travaille... et j'ai si bon courage, mon cher! ma pauvre Juliette est si aise dans ce paradis!...

--Elle n'a plus de manchettes sales? dit Camors.

Une teinte ros?e passa sur les joues de Camors.

--Vous ?tes vraiment trop bons, dit-il.

Ils firent quelques pas en silence sur l'all?e finement sabl?e qui tournait autour la pelouse.

--Et toi, cher ami, reprit Lescande j'esp?re que tu es heureux de ton c?t??

--Moi, mon ami? dit Camors. ?tonnamment!... Mon bonheur est simple, mais sans nuages. Je me l?ve g?n?ralement le matin, je vais au Bois, puis au cercle, et puis au Bois, et je retourne au cercle... S'il y a le soir une premi?re repr?sentation quelque part, j'y vole... Ainsi, hier soir, on donnait une pi?ce nouvelle qui est vraiment ravissante... Il y a dedans une chanson qui commence par

Il ?tait un pivert, Un p'tit pivert, Un jeune pivert...

Au refrain, on imite le cri du pivert... Eh bien, c'est charmant... Tout Paris va chanter ?a pendant un an avec d?lices... Je ferai comme tout Paris, et je serai heureux...

--Mon Dieu! mon ami, dit gaiement Lescande, si ?a suffit ? ton bonheur...

--?a et les principes de 89, dit Camors en allumant un nouveau cigare aux cendres du premier.

Leur dialogue fut interrompu par une fra?che voix de femme qui se fit entendre derri?re la persienne du balcon, et qui dit:

--Tu es l?, Th?odore?

Camors leva les yeux et vit une main fort blanche qui se repliait au dehors sur une des lames de la persienne ferm?e, et qui baignait dans un rayon de soleil.

--C'est ma femme, dit vivement Lescande. Cache-toi l?.

Il le rejeta derri?re un massif de catalpas, prit un air de joyeuse malice en se tournant vers le balcon, et r?pondit:

--Oui, ma ch?re: quoi?

--Maxime est avec toi?

--Oui, le voil?.

--Bonjour, m?re, cria l'enfant.

--Fait-il beau ce matin? reprit la voix.

--Tr?s beau... tu vas bien?

--Je ne sais pas... J'ai trop dormi, je crois.

Elle ouvrit la persienne, en poussa les volets, et, voilant d'une main ses yeux ?blouis par le jour, elle parut sur le balcon. C'?tait une femme dans la fleur de la jeunesse, ?lanc?e, souple, gracieuse, et qui paraissait plus grande qu'elle n'?tait dans l'ampleur flottante de sa robe de chambre bleue. Des bandelettes de la m?me nuance s'entrela?aient ? la grecque dans ses cheveux ch?tains, que la nature, l'art et la nuit avaient chiffonn?s, cr?p?s et boucl?s ? l'envi sur sa t?te mignonne. Elle s'accouda sur le balcon, b?illa en montrant toutes ses dents, et, regardant son mari:

--Pourquoi as-tu l'air b?te? lui dit-elle.

Tout ? coup elle aper?ut Camors, que l'int?r?t du moment avait ? demi tir? de son abri: elle eut un petit cri farouche, rassembla ses jupes ? la diable et se sauva dans la chambre.

Louis de Camors, depuis le coll?ge jusqu'? cette heure, ne s'?tait pas fait une grande id?e de la Juliette qui avait le vieux Lescande pour Rom?o. Il ?prouva donc une surprise agr?able en reconnaissant que son ami ?tait plus heureux ? cet ?gard qu'il ne l'avait pr?sum?.

--Je vais ?tre grond?, mon ami, dit Lescande en riant de tout son coeur, et toi aussi... car tu restes ? d?jeuner avec nous, n'est-ce pas?

Camors parut h?siter, puis brusquement:

--Non... non... impossible, mon ami... J'oubliais... je suis attendu.

Il voulut partir, mais Lescande le retint jusqu'? ce qu'il en e?t eu obtenu la promesse de venir d?ner le mardi suivant en famille, c'est-?-dire avec lui, sa femme et sa belle-m?re, madame Mursois.

L'accueil de madame Lescande et de sa m?re lui remit un peu le coeur. Elles lui parurent ?tre ce qu'elles ?taient en effet, deux honn?tes personnes pleines d'aisance et de distinction. La m?re avait ?t? belle, elle avait ?t? veuve de bonne heure; il n'y avait pas une tache dans sa vie. Une sorte de d?licatesse exquise lui tenait lieu des principes solides que le si?cle ne comporte gu?re. De m?me que beaucoup de femmes du monde, elle avait le go?t de la vertu, comme l'hermine a le go?t de la blancheur. Le vice lui r?pugnait moins comme un mal que comme une souillure. Sa fille avait re?u d'elle ces instincts de chastet? ?l?gante qui se cachent plus souvent qu'on ne le croit sous les vives apparences des mondaines.

Ces deux aimables femmes avaient cependant un travers f?cheux qui leur ?tait commun avec beaucoup de Parisiennes de leur temps et de leur condition. Malgr? beaucoup d'esprit, elles se p?maient d'une admiration bourgeoise devant cette aristocratie plus ou moins pure qu'on voit ?taler tour ? tour dans l'avenue des Champs-?lys?es, dans les th??tres, sur les champs de course, sur les plages c?l?bres, sa frivolit? affair?e et ses vanit?s rivales; malgr? beaucoup d'honn?tet?, elles se montraient friandes jusqu'au scandale des aventures les plus ?quivoques qui pouvaient ?clater dans cette r?gion d'?lite. C'?tait leur bonheur et leur gloire de conna?tre par le menu les moindres d?tails de la haute vie parisienne, d'en suivre les f?tes, d'en parler l'argot, d'en copier les toilettes, d'en distinguer les livr?es. De la sorte, si elles n'?taient pas la rose, elles vivaient pr?s d'elle, elles s'impr?gnaient de ses parfums et de ses couleurs, et une telle familiarit? les rehaussait singuli?rement dans leur propre estime et dans l'estime de leurs amies.

Camors, sans occuper encore dans l'olympe de la mode le rang qu'il devait tenir un jour, y pouvait d?j? passer pour un demi-dieu, et, ? ce titre, il inspirait ? madame Lescande et ? sa m?re un sentiment de curiosit? ardente. Son ancienne liaison avec Lescande avait, d'ailleurs, attach? sur lui leur int?r?t particulier. Elles savaient le nom de ses chevaux; peut-?tre savaient-elles le nom de ses ma?tresses. Il fallut tout leur bon go?t naturel pour dissimuler ? leur h?te la secr?te agitation de leurs nerfs en sa sainte pr?sence. Elles y r?ussirent pourtant si bien, que Camors en fut piqu?. Sans ?tre fat, il ?tait jeune. Il ?tait habitu? ? plaire. Il savait que la princesse de Clam-Goritz lui avait r?cemment appliqu? sa profonde d?finition de l'homme aimable. <> Il lui parut cons?quemment un peu anormal que la simple belle-m?re et la simple femme du simple Lescande supportassent son rayonnement avec autant de calme. Cela le fit sortir de sa r?serve pr?m?dit?e. Il se mit en frais de coquetterie, non pour madame Lescande, qu'il s'?tait jur? de respecter, mais pour madame Mursois, et il d?ploya tout le soir autour de la m?re des gr?ces qui charm?rent la fille. Lescande cependant, la bouche ouverte jusqu'au gosier, triomphait du succ?s de son camarade.

Le lendemain dans l'apr?s-midi, Camors revint de sa promenade au Bois par l'avenue Maillot. Madame Lescande travaillait par hasard sur son balcon, et lui rendit son salut par-dessus sa tapisserie. Il remarqua qu'elle saluait bien, par un l?ger plongeon suivi d'un petit coup d'?paules distingu?.

Quand il vint lui faire visite, deux ou trois jours apr?s, comme c'?tait son devoir, il avait r?fl?chi; il fut r?solument glacial, et ne parla ? madame Lescande que des vertus de son mari. Cela fut d'un effet malheureux, car la jeune femme, qui avait r?fl?chi de son c?t?, dont l'honn?tet? ?tait ?veill?e, et qu'une poursuite insolente n'e?t pas manqu? d'effaroucher, se rassura; elle s'abandonna sans d?fiance au plaisir et ? la fiert? de voir et de faire voir dans son salon une des principales ?toiles du ciel de ses r?ves.

On ?tait alors en mai, et il y avait des courses ? la Marche le dimanche suivant. Camors y devait courir de sa personne. Madame Mursois et sa fille y entra?n?rent Lescande. Camors combla leurs voeux en les faisant p?n?trer dans l'enceinte du pesage. Il les promena en outre devant les tribunes. Madame Mursois, ? laquelle il donnait le bras et qui n'avait jamais eu l'avantage d'?tre men?e en public par un cavalier rev?tu d'une casaque orange et chauss? de bottes ? revers, madame Mursois nageait dans l'azur. Lescande et sa femme la suivaient en partageant son d?lire.

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