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Read Ebook: Cours de philosophie positive. (3/6) by Comte Auguste

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Ebook has 362 lines and 130510 words, and 8 pages

On a souvent remarqu?, et avec beaucoup de raison, que par sa nature, l'?tude de la combustion constitue, pour ainsi dire, le point central du syst?me des consid?rations chimiques. Cette remarque n'est pas seulement applicable aux ?poques les plus recul?es de la chimie, envisag?e dans un ?tat encore th?ologique: elle convient surtout ? la constitution la plus r?cente et la plus parfaite de son ?tat m?taphysique, principalement caract?ris?e par la transformation de la combustibilit?, sous le nom de phlogistique, en une entit? mat?rialis?e, quoique insaisissable. Quand, apr?s une longue pr?paration, la science chimique a commenc? enfin ? passer ? l'?tat vraiment positif, sous l'influence pr?pond?rante de l'admirable g?nie du grand Lavoisier, cette glorieuse r?volution a essentiellement consist? dans l'?tablissement d'une nouvelle th?orie fondamentale de la combustion. Aujourd'hui, enfin, c'est la n?cessit? reconnue de modifier profond?ment cette th?orie, qui a surtout conduit ? la conception ?lectrique des ph?nom?nes chimiques. Une telle conception ne saurait donc ?tre nettement jug?e, sans avoir pr?alablement appr?ci? cette destination principale.

La th?orie pneumatique de Lavoisier sur la combustion avait en vue deux objets essentiels, fort h?t?rog?nes, qui n'ont pas ?t? jusque ici nettement distingu?s: 1? l'analyse fondamentale du ph?nom?ne g?n?ral de la combustion; 2? l'explication des effets de chaleur et de lumi?re qui en constituent, pour le vulgaire, le plus important caract?re. L'une et l'autre condition furent remplies de la mani?re la plus admirable, d'apr?s l'?tat des connaissances acquises: jamais, depuis cette grande ?poque, aucune th?orie chimique n'a ?t? aussi nettement et aussi profond?ment empreinte de ce double esprit de rationnalit? et de positivit?, dont l'irr?sistible influence devait entra?ner irr?vocablement les intelligences vers un mode radicalement nouveau de philosopher sur les faits chimiques. Toute combustion, brusque ou graduelle, fut regard?e comme consistant n?cessairement dans la combinaison du corps combustible avec l'oxig?ne, d'o?, quand le corps ?tait simple, r?sulterait un oxide, le plus souvent susceptible de devenir la base d'un sel, et, si l'oxig?ne ?tait pr?pond?rant, un v?ritable acide, principe d'un certain genre de sels. Quant au d?gagement de chaleur et de lumi?re, il fut attribu?, en g?n?ral, ? la condensation de l'oxig?ne, et accessoirement ? celle du combustible, dans cette combinaison. Il importe de juger s?par?ment ces deux parties essentielles de la th?orie anti-phlogistique.

Sous le premier point de vue, en effet, cette th?orie pr?sente naturellement un caract?re beaucoup plus philosophique que sous le second. Il ?tait ?minemment rationnel d'analyser avec exactitude, d'une mani?re g?n?rale, le ph?nom?ne de la combustion, afin de saisir ce qu'un tel ph?nom?ne, dont la nature chimique ne pouvait ?tre contest?e, offrait r?ellement de commun ? tous les cas divers. Comme cet examen ne pouvait ?tre d'abord rigoureusement complet, les conclusions fournies par une telle ?tude pouvaient p?cher, sans doute, par une trop grande g?n?ralit?, ainsi qu'on la constat? depuis: mais, restreintes dans leurs limites naturelles, elles constituaient n?cessairement un pr?cieux ensemble de v?rit?s ineffa?ables, qui, en effet, formera toujours une partie essentielle de la science chimique, quelles que puissent jamais ?tre ses r?volutions futures.

Il en ?tait tout autrement pour l'explication de la chaleur et de la lumi?re d?gag?es. D'abord, cette seconde question g?n?rale n'appartient point r?ellement, par sa nature, ? la chimie, mais ? la physique; en sorte que, quelle que doive ?tre sa solution finale, on ne saurait comprendre comment elle entra?nerait rationnellement un changement radical dans la mani?re de concevoir les ph?nom?nes vraiment chimiques. Toutefois, ce qu'il faut surtout remarquer, ? cet ?gard, c'est qu'une semblable explication, pour ne pas d?g?n?rer en une tentative de p?n?trer la nature intime du feu et son mode essentiel de production, devait n?cessairement consister en une simple assimilation d'une telle source de chaleur avec une autre plus ?tendue, d?j? reconnue. Car, chaque cas de manifestation du feu ne saurait ?tre expliqu?, d'une mani?re vraiment positive, qu'en ?tablissant son analogie r?elle avec un autre plus g?n?ral, sans que nous puissions d'ailleurs, en aucun cas, d?couvrir jamais quelle est la v?ritable cause du ph?nom?ne. Or, en consid?rant la recherche propos?e sous ce point de vue, le seul strictement scientifique, on ne pouvait nullement garantir d'avance que la similitude sur laquelle devait reposer l'explication d?sir?e, ne serait point n?cessairement gratuite et pr?caire, et, par suite, susceptible d'?tre renvers?e, comme en effet il arriva bient?t, par une ?tude ult?rieure de la question. Aucun philosophe n'aurait voulu, ? cette ?poque, et nul ne voudrait, sans doute, m?me aujourd'hui, ne reconna?tre, en principe, qu'une seule source fondamentale de chaleur, ? laquelle il faudrait in?vitablement ramener toutes les autres: une telle obligation ne pourrait ?tre remplie que par des rapprochemens tr?s vagues et purement hypoth?tiques, qui ne sauraient avoir un vrai caract?re scientifique. D?s lors, si l'on s'accorde ? reconna?tre, en g?n?ral, plusieurs sources principales, parfaitement distinctes et ind?pendantes les unes des autres, pourquoi la combustion, ou, sous un point de vue plus ?tendu, toute action chimique tr?s prononc?e, ne constituerait-elle pas un de ces cas primordiaux, n?cessairement irr?ductibles ? aucun autre? Pourquoi une source de chaleur aussi puissante et aussi universelle serait-elle regard?e comme secondaire, tandis que le frottement, par exemple, continuerait ? ?tre unanimement envisag? comme une source principale? Sans doute, on ne saurait se refuser ? admettre, sous ce rapport, les analogies que l'observation aurait r?ellement constat?es: mais il faut, n?anmoins, reconna?tre qu'il n'existait vraiment, ? cet ?gard, aucun grand besoin scientifique d'anticiper hypoth?tiquement sur les r?sultats de l'?tude exp?rimentale, ni m?me aucun espoir rationnel de le tenter avec succ?s. Nous aurons lieu, dans la seconde partie de ce volume, d'appliquer de nouveau les m?mes remarques philosophiques ? une autre question capitale, d'un genre analogue, celle de la chaleur vitale, et sp?cialement animale, dont l'?tude positive est jusqu'ici radicalement entrav?e par de vains efforts hypoth?tiques pour r?duire cette grande source de chaleur aux sources purement physiques et surtout chimiques, sans qu'on veuille s'accorder ? reconna?tre enfin que l'action nerveuse peut constituer, en effet, une source distincte et primordiale, ind?pendante de toutes les autres, et susceptible d'alt?rer, plus ou moins profond?ment, les r?sultats naturels de leur influence directe. La philosophie m?taphysique, pour laquelle les rapprochemens ?taient n?cessairement tr?s faciles, parce qu'ils n'avaient aucune r?alit?, nous a laiss? encore, ? beaucoup d'?gards, une tendance exag?r?e ? la g?n?ralisation; et, quoique le principe de cette tendance soit aujourd'hui ?minemment respectable, en vertu de son indispensable participation aux plus grandes d?couvertes scientifiques, sa pr?pond?rance immod?r?e n'en est pas moins tr?s pr?judiciable au progr?s naturel de nos connaissances positives.

Cette suite de consid?rations nous am?ne ? conclure que, tout en pronon?ant, comme il a d? le faire, sur l'analyse fondamentale du grand ph?nom?ne de la combustion, Lavoisier e?t plus sagement proc?d? s'il se f?t abstenu de tenter aucune explication g?n?rale pour les effets de chaleur et de lumi?re qui l'accompagnent ordinairement, ce qui l'e?t dispens? de supposer, en principe, une condensation in?vitable, qui n'est point la cons?quence n?cessaire d'un tel ph?nom?ne, et qui, en effet, a ?t?, plus tard, trouv?e fr?quemment en d?faut. Sans doute, la science serait plus parfaite si ce remarquable effet thermologique pouvait ?tre constamment rattach? ? la loi plus ?tendue, d?couverte ant?rieurement par Black, sur le d?gagement de chaleur propre ? tout passage d'un corps quelconque d'un ?tat ? un autre plus dense; et c'est certainement une telle esp?rance qui a surtout excit? Lavoisier. Mais, cette perfection, qui n'est nullement indispensable, deviendrait totalement illusoire, si elle ne pouvait ?tre obtenue qu'en alt?rant la r?alit? des ph?nom?nes, ou m?me si la condensation suppos?e, sans ?tre express?ment contraire ? l'observation, n'?tait pas effectivement indiqu?e par elle, dans la plupart des cas. Toutefois, il serait ?videmment tr?s d?raisonnable d'exiger une r?serve scientifique aussi difficile chez ceux qui, les premiers, tentent de ramener ? des th?ories positives une science jusque alors essentiellement domin?e par les conceptions m?taphysiques; ces restrictions s?v?res, ces distinctions d?licates, eussent probablement, impos?es d?s l'origine, arr?t? le premier essor du g?nie positif. Mais, une semblable justification ne saurait ?tre appliqu?e, dans le d?veloppement ult?rieur de la science, ? ceux qui, apr?s avoir reconnu formellement l'insuffisance r?elle des explications primitives, s'efforcent d'en construire d'analogues sur le m?me sujet, sans avoir pr?alablement examin? avec attention, d'apr?s les r?gles essentielles de la saine philosophie, si ce sujet est effectivement susceptible d'une explication quelconque. Or, telle me para?t ?tre aujourd'hui la grande erreur philosophique des chimistes qui ont voulu substituer la th?orie ?lectro-chimique ? la th?orie anti-phlogistique proprement dite. Afin de motiver convenablement ce jugement g?n?ral, il faut maintenant poursuivre l'examen direct des principales consid?rations chimiques qui ont mis graduellement en ?vidence l'imperfection essentielle de la th?orie de Lavoisier, que nous devons continuer ? envisager sous les deux aspects ci-dessus distingu?s.

Le plus illustre ?mule de Lavoisier reconnut bient?t la n?cessit? de modifier, sous un rapport tr?s important, quoique indirect, la mani?re g?n?rale dont ce grand philosophe avait analys? le ph?nom?ne fondamental de la combustion. Une des principales cons?quences de cette analyse consistait en ce que tout acide et toute base salifiable devaient in?vitablement r?sulter d'une v?ritable combustion, c'est-?-dire de la combinaison d'un ?l?ment quelconque avec l'oxig?ne. Or Berthollet d?couvrit d'abord que l'un des alcalis les mieux caract?ris?s, l'ammoniaque, est uniquement form? d'hydrog?ne et d'azote, sans aucune participation de l'oxig?ne; et, peu de temps apr?s, il ?tablit aussi que le gaz hydrog?ne sulfur?, o? l'oxig?ne n'existe pas davantage, pr?sente n?anmoins toutes les propri?t?s essentielles d'un acide r?el. Ces deux points remarquables de doctrine ont ?t? confirm?s depuis par toutes les voies dont la science chimique peut jusqu'ici disposer, et sp?cialement par la m?thode ?lectrique. Une fois que les chimistes ont ?t? ainsi avertis, par un double exemple aussi d?cisif, que, la th?orie de Lavoisier exag?rait beaucoup la pr?pond?rance chimique de l'oxig?ne, ils ont successivement multipli? et diversifi?, ? un haut degr?, soit ? l'?gard des alcalis, soit surtout envers les acides, ces exceptions capitales, dont la comparaison approfondie a graduellement investi les notions fondamentales de l'acidit? et de l'alcalinit? de cette haute g?n?ralit? qui les distingue aujourd'hui. En outre, la th?orie primitive de la combustion a ?t? peu ? peu modifi?e, sous un point de vue plus direct, quoique moins important, en ce qu'on a positivement constat? qu'un rapide d?gagement de chaleur et de lumi?re n'est pas toujours l'indice certain d'une combinaison quelconque avec l'oxig?ne. Le chlore, le soufre, et plusieurs autres corps, m?me non-?l?mentaires, ont ?t? successivement reconnus susceptibles d'op?rer de vraies combustions, si, comme il convient, on donne ? l'usage scientifique de cette expression le sens g?n?ral indiqu? par son acception vulgaire. Enfin, le ph?nom?ne du feu n'est plus d?sormais exclusivement attribu? ? aucune combinaison sp?ciale, mais, en g?n?ral, ? toute action chimique ? la fois tr?s intense et tr?s vive.

Il importe, n?anmoins, de remarquer ici, comme je l'ai pr?c?demment indiqu?, que, sous chacun de ces divers rapports essentiels, les ?minentes v?rit?s chimiques d?couvertes par le g?nie de Lavoisier ont n?cessairement conserv? toute leur valeur directe, et que ces ?tudes ult?rieures ont seulement alt?r? leur g?n?ralit? rigoureuse. Cette in?vitable alt?ration a m?me bien moins port? sur les ph?nom?nes vraiment naturels que sur les cas principalement artificiels, ? la consid?ration desquels, il est vrai, la chimie g?n?rale, du point de vue abstrait qui la caract?rise, doit rationnellement attacher une aussi grande importance. Ainsi, quoiqu'il existe des acides et des alcalis sans oxig?ne, il n'en reste pas moins incontestable que la plupart d'entre eux, et surtout les plus puissans, sont ordinairement oxig?n?s: de m?me, quoique l'oxig?ne ne soit pas r?ellement indispensable ? la combustion, il en demeure n?anmoins le principal agent, surtout ? l'?gard des combustions naturelles. Aussi, pour l'histoire naturelle proprement dite, la th?orie de Lavoisier pourrait-elle, sans aucun inconv?nient majeur, ?tre encore appliqu?e dans son int?grit? primitive, quoique le progr?s fondamental de la science chimique exige imp?rieusement que son imperfection g?n?rale soit prise en haute consid?ration abstraite. En un mot, si la souverainet? universelle de l'oxig?ne a ?t? d?sormais irr?vocablement abolie, il sera toujours cependant le principal ?l?ment de tout le syst?me chimique.

Sous le second aspect g?n?ral, c'est-?-dire quant ? l'explication du feu, la th?orie primitive de la combustion a ?prouv?, au contraire, un sort tr?s diff?rent; car, elle a ?t? tout d'un coup radicalement d?truite, pour ainsi dire aussit?t qu'on a tent? de la soumettre ? un examen direct. Quoique des pr?occupations plus importantes n'aient permis que tr?s tard aux chimistes d'entreprendre cet examen, la th?orie anti-phlogistique, ?tait ? cet ?gard, si peu positive et si peu rationnelle au fond, surtout comparativement ? l'analyse de la combustion, que son renversement n'a pas exig?, comme sous ce premier rapport, la consid?ration ult?rieure de ph?nom?nes nouveaux et difficiles ? d?couvrir, mais seulement une appr?ciation plus scientifique des ph?nom?nes universellement envisag?s. Loin de pouvoir, ainsi que sous l'autre point de vue, ?tre encore essentiellement maintenue par les naturalistes, comme suffisant ? peu pr?s aux besoins principaux des ?tudes concr?tes, on peut dire qu'elle n'a jamais r?ellement expliqu? les effets m?me les plus vulgaires, incessamment reproduits par la plupart des combustions naturelles.

L'explication propos?e obligeait n?cessairement ? constater, dans toute combustion, simple ou compos?e, une condensation quelconque, assez intense pour correspondre, d'une mani?re approch?e, au d?gagement effectif de chaleur, et qui ne fut point simultan?ment compens?e par une dilatation presque ?quivalente. Or, d?s l'origine, cette indispensable condition g?n?rale n'a ?t? remplie qu'envers un petit nombre de cas, qui, sous ce rapport, n'?taient pas, ? beaucoup pr?s, les plus importans; et, surtout, elle a ?t? manifestement en d?faut ? l'?gard de plusieurs autres ph?nom?nes, dont la consid?ration ?tait, au contraire, pr?pond?rante. Aussi, sans la confusion vicieuse, mais radicale, d'une telle explication avec l'analyse de la combustion, qui devait ?tre si justement admir?e, on ne saurait comprendre comment elle a pu se maintenir jusqu'? une ?poque tr?s r?cente, malgr? que l'attention des chimistes d?t ?tre alors principalement absorb?e par d'autres sp?culations th?oriques.

Dans la combustion du phosphore, du fer, et de la plupart des m?taux, en g?n?ral quand la combinaison produit un compos? solide, la condition pr?c?dente peut ?tre regard?e comme suffisamment remplie; quoique d'ailleurs on n'ait jamais examin? si le d?gagement effectif de chaleur est r?ellement en harmonie avec celui qui correspondrait ? une semblable condensation directe de l'oxig?ne, ce qui doit n?anmoins sembler n?cessaire pour justifier compl?tement l'explication; cette v?rification suppl?mentaire serait, m?me aujourd'hui, presque impossible ? instituer positivement. Mais, ? l'?gard des combustions nombreuses dont les produits sont, au contraire, essentiellement gazeux, et qui, cependant, pr?sentent d'ordinaire, au degr? le plus prononc?, le ph?nom?ne du feu, toute explication de ce genre est ?videmment chim?rique. Car, non-seulement on n'y remarque point le plus souvent une condensation suffisante; mais, en sens inverse, on observe clairement, dans les cas les plus ?nergiques, une dilatation totale tr?s consid?rable, qui, suivant une telle th?orie, devrait donner lieu ? un immense refroidissement. Quelques exemples, choisis parmi les plus essentiels, feront ais?ment sentir l'irr?sistible puissance de cette critique g?n?rale, qui est d?sormais ? l'abri de toute r?clamation, et dont il importe n?anmoins ? notre sujet actuel de pr?ciser exactement la nature, afin de mieux appr?cier le caract?re fondamental de la th?orie ?lectro-chimique, sur la formation primitive de laquelle un tel ordre de consid?rations a exerc? une influence principale et directe.

L'ensemble des consid?rations pr?c?dentes peut ?tre suffisamment r?sum?, d'une mani?re aussi frappante que philosophique, par cette r?flexion naturelle que, si le feu ordinaire de nos foyers n'?tait point pour nous le sujet d'une exp?rience intime et continue, son existence serait rendue tr?s douteuse, et m?me formellement rejet?e, par les pr?tendues explications scientifiques qu'on a jusqu'ici tent? si vainement d'?tablir pour ce grand ph?nom?ne. Rien n'est plus propre, ce me semble, qu'une telle pens?e ? faire sentir que la production chimique du feu ne saurait comporter, en g?n?ral, aucune explication rationnelle. Car, s'il en ?tait autrement, il devrait para?tre incompr?hensible, que, ? une ?poque aussi rapproch?e de nous, des hommes de g?nie, dont l'instruction essentielle, ? cet ?gard, ?tait presque ?quivalente ? la n?tre, se fussent, sous ce rapport, aussi grossi?rement tromp?s. Le feu ?lectrique, tant recommand? maintenant pour une telle explication, ?tait, sans doute, assez connu de Lavoisier, de Cavendish, de Berthollet, etc., pour que ces illustres philosophes eussent pu en faire la base principale de leur th?orie, si une semblable hypoth?se avait r?ellement, sur celle qu'ils ont adopt?e, une pr?pond?rance aussi parfaite qu'on le pense commun?ment aujourd'hui. Mais, cette consid?ration pr?judicielle, quelle que soit son importance effective, ne saurait nullement nous dispenser d'un examen direct de la conception ?lectro-chimique, qui se trouve ainsi convenablement pr?par?, et qui, par suite, peut ?tre entrepris ici d'une mani?re satisfaisante, quoique tr?s rapide, sous le point de vue philosophique.

Suivant cette nouvelle th?orie, le feu produit dans la plupart des fortes r?actions chimiques devrait ?tre attribu? ? une v?ritable d?charge ?lectrique qui s'op?rerait au moment de la combinaison, par la neutralisation mutuelle, plus ou moins compl?te, des deux ?tats ?lectriques oppos?s propres aux deux substances consid?r?es, dont l'une serait toujours ?lectro-positive et l'autre ?lectro-n?gative. Mais, il y a tout lieu de craindre que, lorsque cette nouvelle explication aura pu ?tre soumise ? une discussion aussi approfondie que l'ancienne, elle ne soit pas trouv?e, au fond, plus rationnelle. Quoique la plupart des chimistes et des physiciens paraissent s'accorder aujourd'hui ? reconna?tre des effets ?lectriques dans tous les ph?nom?nes chimiques, cette ?lectricit? n'est pourtant jusqu'ici admise le plus souvent que d'apr?s une simple induction analogique, en sorte que, si r?ellement elle existe toujours, elle doit ?tre ordinairement assez peu intense pour avoir directement ?chapp? ? l'exploration tr?s d?licate de l'?lectrologie actuelle. Il est particuli?rement digne de remarque que les ph?nom?nes chimiques sur lesquels on a le plus justement insist? pour renverser l'ancienne explication, et dont je viens d'indiquer les principaux, fassent pr?cis?ment partie de ceux o? l'on n'a pu parvenir encore, par aucune voie, ? constater r?ellement aucun sympt?me ?lectrique. Dans les cas o? l'?lectrisation n'est point douteuse, son influence chimique est jusqu'ici tellement ?quivoque que les uns la regardent comme la cause, et les autres, au contraire, comme l'effet de la combinaison: cette derni?re opinion est m?me devenue tr?s vraisemblable, depuis que l'explication chimique des effets g?n?raux de la pile de Volta a ?t? d?finitivement ?tablie par Wollaston. Quand M. Berz?lius, pour mieux caract?riser sa th?orie ?lectrique du feu chimique, a rapproch? ce ph?nom?ne de la production de l'?clair et du tonnerre, il a involontairement donn? lieu ? une comparaison tr?s d?favorable pour sa conception, par le contraste si prononc? de l'admirable encha?nement de preuves positives d'apr?s lequel l'immortel Franklin a si compl?tement d?montr? la nature ?lectrique de ce grand ph?nom?ne atmosph?rique, avec l'ensemble des consid?rations hasard?es et insuffisantes sur lesquelles on veut fonder une opinion analogue ? l'?gard d'une multitude de ph?nom?nes beaucoup plus vari?s et plus complexes. L'explication anti-phlogistique proprement dite, quoique radicalement vicieuse, avait n?anmoins le m?rite d'?tre, sinon rigoureusement d?montr?e, du moins extr?mement plausible, dans quelques cas particuliers, par exemple quant ? la combustion du fer ou du zinc dans l'oxig?ne pur, o? elle ne laisse rien ? d?sirer qu'une exacte confrontation num?rique des effets thermologiques. Au contraire, l'explication ?lectrique n'est r?ellement ?tablie jusqu'ici, d'une mani?re positive, pour aucun ph?nom?ne convenablement analys?. Toutefois, on peut craindre que sa nature vague ne permette point de la d?truire aussi radicalement, et surtout aussi promptement, que l'ancienne. Car, celle-ci, en se rattachant ? une condensation nettement sp?cifi?e et exactement appr?ciable, comportait ais?ment une critique directe et irr?cusable, qui a pu ne laisser aucune issue: tandis que la nouvelle conception r?serve presque toujours la ressource sp?cieuse de regarder l'?tat ?lectrique comme trop peu prononc? o? trop fugitif pour ?tre perceptible ? nos moyens actuels d'exploration positive. Mais une semblable propri?t? devrait ?tre loin, sans doute, de constituer aucun motif de recommandation, en faveur d'une th?orie quelconque, aupr?s d'aucun esprit philosophique, surtout en consid?rant qu'il s'agit alors d'attribuer myst?rieusement ? des causes aussi faibles ou aussi ?quivoques des effets tr?s intenses et fortement caract?ris?s. Ce n'est pas, n?anmoins, que je veuille regarder le d?gagement de chaleur et de lumi?re dans les grandes r?actions chimiques comme ne pouvant jamais avoir une origine vraiment ?lectrique, pas plus que je ne voudrais universellement exclure l'explication fond?e sur la condensation. Mais, en consid?rant l'ensemble des ph?nom?nes sans aucune pr?occupation sp?culative, je pense que, dans la plupart des combustions, artificielles ou naturelles, il n'y a ni condensation, ni ?lectrisation. Enfin, du point de vue philosophique, ces vaines tentatives pour expliquer, de diverses mani?res, la production chimique du feu, me paraissent principalement r?sulter encore d'un reste de disposition m?taphysique ? p?n?trer la nature intime des ph?nom?nes et leur mode essentiel de g?n?ration. En un mot, l'action chimique constitue, ? mes yeux, une des diverses sources primordiales de la chaleur et de la lumi?re, et ne saurait, par cons?quent, comporter, le plus souvent, en cette qualit?, aucune explication positive, c'est-?-dire ?tre effectivement rattach?e, sous ce rapport, ? aucune autre influence fondamentale.

Mais y a-t-il r?ellement aucune comparaison scientifique ? ?tablir entre la tendance de deux corps ? rester m?caniquement adh?rens l'un ? l'autre apr?s un certain mode d'?lectrisation, et la disposition ? unir intimement toutes leurs mol?cules, int?rieures ou ext?rieures, par suite d'une v?ritable action chimique? M. Berz?lius a franchement d?clar? que la coh?sion proprement dite, c'est-?-dire la force qui r?unit si ?nergiquement entre elles les particules d'un m?me corps, ne comporte r?ellement aucune explication ?lectrique. Il serait difficile, en effet, que la faible adh?rence de deux corps ?lectris?s, m?me par le mode magn?tique, si ais?ment surmont?e, envers des masses consid?rables, par de m?diocres efforts m?caniques, p?t v?ritablement faire comprendre cette puissante liaison mol?culaire, qui, sur le moindre fragment, r?siste ? toutes les forces m?caniques. On a beau envisager les particules d'un corps quelconque comme autant d'?l?mens volta?ques, ayant chacun son p?le positif et son p?le n?gatif, et attach?s les uns aux autres par l'antagonisme ?lectrique des p?les oppos?s; cette fiction inintelligible, et qui ne saurait admettre aucune v?rification, ne peut pas donner la moindre id?e de la v?ritable coh?sion mol?culaire. Mais l'affinit? elle-m?me, c'est-?-dire la tendance ? la combinaison, n'est pas, au fond, mieux expliqu?e par la th?orie ?lectro-chimique. Les ph?nom?nes ?lectriques, en tant que physiques, sont, de leur nature, ?minemment g?n?raux; ils ne pr?sentent, d'un corps ? un autre, que de simples diff?rences d'intensit?: tandis que les ph?nom?nes chimiques sont, au contraire, essentiellement sp?ciaux ou ?lectifs. On doit donc regarder comme anti-scientifique toute tentative de faire rentrer, dans une branche quelconque de la physique, l'ensemble de la chimie, qui constitue n?cessairement une science fondamentale, d'un caract?re propre et ind?pendant. Je sais que M. Berz?lius croit avoir suffisamment ?gard aux diff?rences sp?cifiques des diverses substances chimiques, en concevant, pour les corps ?l?mentaires, un certain ordre ?lectrique, primordial et invariable, que j'ai d?j? eu occasion d'indiquer dans l'avant-derni?re le?on, et suivant lequel ces ?l?mens seraient toujours, les uns envers les autres, ou ?lectro-positifs ou ?lectro-n?gatifs. Mais l'existence d'un tel ordre, et surtout sa permanence rigoureuse, semblent d'abord radicalement contraires aux notions les plus certaines de l'?lectrologie, o? l'on voit le plus l?ger changement, soit dans le mode, soit dans les circonstances de l'?lectrisation, d?terminer souvent, entre les m?mes corps, le renversement de l'antagonisme ?lectrique. Quoi qu'il en soit, en admettant m?me cette disposition fondamentale, on est loin de pouvoir aucunement en d?duire les nouvelles propri?t?s ?lectriques que la th?orie ?lectro-chimique oblige ? supposer ensuite dans les compos?s des diff?rens ordres. En se bornant ? ceux du premier ordre, suivant quelles lois leurs caract?res n?gatifs ou positifs d?rivent-t-il de l'?tat ?lectrique de chacun des deux ?l?mens? Faut-il seulement avoir ?gard, dans une telle appr?ciation, ? la simple composition num?rique, ou bien doit-on consid?rer aussi l'?nergie ?lectrique propre ? chaque ?l?ment, et qui ne semble gu?re susceptible d'estimation exacte? C'est ce que la th?orie ?lectro-chimique laisse jusqu'ici profond?ment ind?termin?. D?s lors, m?me en la supposant r?elle, comment pourrait-elle efficacement contribuer ? nous rapprocher du v?ritable but g?n?ral de la science chimique, tel que je l'ai caract?ris? au commencement de ce volume, c'est-?-dire nous aider ? pr?voir les affections des compos?s par celles des composans? Mais il y a plus, quelque solution qu'on imagine ? la question fondamentale qui vient d'?tre pos?e, l'ensemble des ph?nom?nes chimiques lui opposera des difficult?s inextricables. Ainsi, par exemple, dans la th?orie ?lectro-chimique, on doit regarder, avec M. Berz?lius, l'oxig?ne comme l'?l?ment le plus n?gatif, puisqu'il para?t l'?tre envers tous les autres: et, n?anmoins, certains oxides, o? la quantit? pond?rale d'oxig?ne est tr?s consid?rable, doivent ?tre ensuite envisag?s comme positifs envers certains acides, o? il est beaucoup moins abondant, quoique les radicaux des premiers soient souvent tout aussi n?gatifs que ceux des derniers. En un mot, loin de tendre ? perfectionner le syst?me de la science chimique, une telle th?orie y introduit mal ? propos de nouvelles difficult?s fondamentales, en faisant na?tre une longue suite de questions vagues, obscures, insolubles m?me, et qui, en aucun cas, ne sauraient faciliter la d?couverte rationnelle des lois chimiques.

Les compos?s organiques, suivant la franche d?claration de M. Berz?lius lui-m?me, opposent, en g?n?ral, ? cette th?orie des obstacles insurmontables, par la profonde et irr?guli?re perturbation que ces nombreuses substances, toujours form?es de trois ou quatre ?l?mens identiques, doivent naturellement jeter dans l'ordre primordial des relations ?lectriques, qui se trouve alors continuellement interverti. ? la v?rit?, M. Berz?lius croit pouvoir suffisamment expliquer cette immense anomalie, en all?guant le d?faut de permanence d'une telle classe de combinaisons. Mais, en principe, tout compos? r?el me semble devoir ?tre regard? comme n?cessairement stable par lui-m?me, c'est-?-dire comme n'?tant susceptible d'aucune alt?ration spontan?e, s'il est exactement soustrait ? toute cause ext?rieure de d?composition; et, en sens inverse, aucun compos? ne saurait persister, d'une mani?re absolue, contre des influences convenables. Les substances dites organiques ne constituent point, par leur nature, la moindre exception r?elle ? cette r?gle fondamentale, sans laquelle la science chimique me para?trait radicalement impossible: soigneusement pr?serv?es du contact de l'air et de l'eau, ainsi que de toute autre action perturbatrice, elles pers?v?rent ind?finiment, tout aussi bien que les substances sp?cialement qualifi?es d'inorganiques. Si leur conservation est habituellement plus difficile, c'est uniquement parce que, essentiellement form?es, des ?l?mens les plus r?pandus autour de nous, elles sont naturellement plus accessibles aux causes d'alt?ration les plus fr?quentes. Une semblable justification serait donc enti?rement illusoire. On ne saurait non plus recourir ici au dualisme, dont la consid?ration a ?t? si importante, dans la le?on pr?c?dente, pour faire concevoir le moyen d'expliquer un jour, d'une mani?re pleinement satisfaisante, les principales anomalies actuelles de la doctrine des proportions d?finies. Quant ? la th?orie qui nous occupe maintenant, le dualisme en diminuerait, sans doute, la difficult? essentielle; il y serait m?me strictement indispensable, comme je l'indiquerai ci-dessous. Mais il ne pourrait, ?videmment, suffire ? lever les objections principales; car l'ordre invariable des relations ?lectriques n'est pas, en r?alit?, beaucoup mieux observ? jusqu'ici envers les compos?s notoirement assujettis au dualisme, qu'? l'?gard de ceux qui ne sont pas encore ainsi consid?r?s. D'ailleurs l'obstacle fondamental consistant ici dans l'identit? des ?l?mens oppos?e ? la vari?t? ?lectrique, le dualisme ne saurait, ?videmment, permettre de le surmonter.

Ainsi, en r?sum?, la grande influence chimique de l'?lectricit?, comme celle de la pesanteur, et surtout comme celle de la chaleur, ne saurait aujourd'hui ?tre m?connue: et je me suis efforc?, dans cette le?on, de faire d'abord convenablement ressortir la haute importance de l'?lectro-chimie pour le perfectionnement g?n?ral de la science chimique, dont elle constitue d?sormais un des ?l?mens essentiels. Mais, je crois devoir, n?anmoins, rejetter sans retour, comme profond?ment irrationnelle et radicalement nuisible, la conception g?n?rale par laquelle on a tent? de transformer tous les ph?nom?nes chimiques en de simples ph?nom?nes ?lectriques. Du point de vue philosophique, la th?orie de Lavoisier, surtout en la r?duisant ? l'analyse fondamentale du ph?nom?ne de la combustion, me para?t, malgr? ses imperfections capitales, tr?s sup?rieure, comme composition scientifique, ? celle qu'on s'est efforc? de lui substituer, et qui est loin d'avoir ?t? aussi fortement ni aussi heureusement con?ue. La premi?re se rapportait directement au but essentiel de la science chimique, l'?tablissement des lois g?n?rales de la composition et de la d?composition, dont la nouvelle th?orie tend, au contraire, ? ?carter la consid?ration imm?diate, pour d?tourner l'attention sur une vaine enqu?te de la nature intime des ph?nom?nes chimiques. Aussi, la conception anti-phlogistique a-t-elle r?ellement sugg?r? de nombreuses et importantes d?couvertes chimiques, tandis qu'il est fort douteux que cette propri?t? d?cisive puisse jamais appartenir ? la conception ?lectrique, qui, depuis quinze ans, n'en a pr?sent? aucun exemple effectif.

Cette conception pourra, n?anmoins, sous un point de vue indirect, exercer aujourd'hui une heureuse influence accessoire, en ce que, par sa nature, elle tend ? pousser les esprits ? l'?tablissement g?n?ral du dualisme chimique, dont j'ai fait ressortir, dans les le?ons pr?c?dentes, la haute n?cessit? pour le progr?s philosophique de la science. On voit ais?ment, en effet, que, l'antagonisme ?lectrique ?tant n?cessairement toujours binaire, les efforts pour ?tendre la th?orie ?lectro-chimique doivent conduire ? dualiser tous les compos?s qui sont encore suppos?s plus que binaires. M. Berz?lius para?t avoir senti cette liaison g?n?rale, et l'on pourrait s'?tonner que sa pr?dilection pour la th?orie ?lectro-chimique ne l'ait point amen? ? ?riger le dualisme en un principe fondamental, si une telle incons?quence apparente ne s'expliquait chez lui par sa r?pugnance naturelle ? s'affranchir de la division primitive de la chimie en organique et inorganique. Mais, un tel obstacle ne saurait arr?ter les chimistes d?j? dispos?s d'ailleurs ? d?truire cette vicieuse distribution; et la th?orie ?lectro-chimique contribuera, sans doute, ? les pr?parer au dualisme g?n?ral, quoique, en principe, on ne doive pas compter sur la puissance des mauvais moyens pour amener indirectement de bons r?sultats.

Sous un dernier point de vue collat?ral, la th?orie ?lectro-chimique, et surtout l'ensemble des ph?nom?nes qui y ont donn? lieu, tend ? fixer l'attention des chimistes sur un nouvel aspect tr?s important de leur science, jusqu'ici beaucoup trop n?glig?. Il s'agit de l'influence propre exerc?e par le temps dans la production g?n?rale des effets chimiques, influence que plusieurs ph?nom?nes ont d?j? hautement manifest?e, et qui, n?anmoins, n'a pas encore ?t? directement analys?e. Non-seulement, en effet, le temps augmente naturellement la masse des produits de la r?action chimique, par la combinaison successive des diverses parties des deux principes, qui, le plus souvent, ne peuvent toutes agir ? la fois. Mais, en outre, il est incontestable que la dur?e suffisamment prolong?e des m?mes influences chimiques d?termine des formations qui n'auraient pas eu lieu sans cela. C'est sous ce rapport que la th?orie chimique du temps constitue encore, dans la science, une lacune essentielle. Or, les ph?nom?nes ?lectro-chimiques, et surtout ceux que M. Becquerel a si bien examin?s, me paraissent ?minemment propres ? ?claircir nos id?es ? cet ?gard, comme rendant une telle influence plus sp?cialement sensible. Je n'ai pas besoin d'insister davantage ici sur cette importante indication, dont le sujet se rattache directement aux plus hautes questions de la g?ologie chimique, tout en constituant un ?l?ment indispensable des conceptions g?n?rales de la chimie abstraite.

Telles sont les principales consid?rations philosophiques que je devais pr?senter, dans cette le?on, sur l'?lectro-chimie actuelle; et tel est, enfin, le jugement, suffisamment motiv?, auquel j'ai d? soumettre la th?orie ?lectro-chimique, qui en a ?t? abusivement d?duite. En cr?ant un nouvel ordre essentiel d'?tudes chimiques, cette grande s?rie de travaux doit, n?anmoins, maintenir inalt?rable le caract?re original et ind?pendant, si ?videmment propre ? la science chimique, et qui est strictement indispensable ? ses progr?s g?n?raux. Si l'on voulait s'abandonner ? suivre de vaines fictions scientifiques sur la forme des mol?cules ?l?mentaires, et sur la petitesse de leurs dimensions comparativement ? leurs intervalles, ainsi que Laplace l'avait propos? comme un simple jeu philosophique, on aboutirait ? faire vaguement rentrer les effets de l'action chimique dans ceux de la gravitation g?n?rale, sans aucune utilit? r?elle pour le syst?me des connaissances chimiques. Il en est essentiellement ainsi quant ? la fusion, non moins hypoth?tique, et peut-?tre encore plus irrationnelle, de la chimie dans l'?lectrologie, malgr? l'indication sp?cieuse de ph?nom?nes mal-interpr?t?s. La science chimique doit rester aujourd'hui, par son immense d?veloppement, aussi distinctement caract?ris?e, sans doute, qu'? l'?poque o? l'illustre Bo?rhaave avait si vainement entrepris, par une autre voie, de la confondre avec la physique, sous l'influence pr?pond?rante de l'hypoth?se des tourbillons.

Je dois, en dernier lieu, consacrer maintenant la le?on suivante ? l'examen direct des consid?rations philosophiques, d?j? accessoirement signal?es par les le?ons pr?c?dentes, qui appartiennent sp?cialement ? ce qu'on appelle la chimie organique, afin d'avoir envisag? le syst?me actuel de la science chimique sous ses divers aspects fondamentaux, conform?ment ? l'esprit g?n?ral de cet ouvrage.

TRENTE-NEUVI?ME LE?ON.

J'ai d?j? suffisamment ?tabli, dans les le?ons pr?c?dentes, et surtout dans la trente-sixi?me, la haute n?cessit?, pour le perfectionnement g?n?ral de la science chimique, de la concevoir d?sormais comme un tout homog?ne, en faisant dispara?tre la division scolastique, radicalement vicieuse, de la chimie en inorganique et organique. L'objet propre et essentiel de la le?on actuelle doit donc ?tre de faire maintenant appr?cier l'importance directe d'une telle r?forme dans l'int?r?t sp?cial des diff?rentes ?tudes dont l'irrationnel assemblage constitue le syst?me h?t?rog?ne d?sign? sous le nom de chimie organique; et de caract?riser nettement le principe philosophique d'apr?s lequel il faudrait proc?der ? la d?composition totale de cet ensemble factice, afin de r?partir convenablement ses divers ?l?mens scientifiques entre la chimie proprement dite et la science physiologique.

Aucun esprit judicieux ne saurait m?conna?tre aujourd'hui que la chimie organique actuelle ne comprenne ? la fois deux sortes de recherches, d'une nature parfaitement distincte, les unes ?videmment chimiques, les autres, au contraire, ?videmment physiologiques. Ainsi, par exemple, l'?tude des acides organiques, et surtout v?g?taux, celle de l'alcool, des ?thers, etc, ont aussi bien le caract?re purement chimique qu'aucune des ?tudes inorganiques proprement dites. D'un autre c?t?, le caract?re biologique n'est nullement douteux dans l'examen de la composition de la s?ve ou du sang, dans l'analyse des divers produits de la respiration, v?g?tale ou animale, et dans une foule d'autres sujets qu'embrasse maintenant la chimie organique. Or, une telle confusion g?n?rale est extr?mement pr?judiciable aux deux ordres de questions, et surtout ? celles de l'ordre physiologique.

Quant aux ?tudes vraiment chimiques, il est ?vident que, si la vaine s?paration ?tablie entre les compos?s organiques et les compos?s inorganiques tend ? rompre et m?me ? d?guiser envers ceux-ci la plupart des analogies essentielles, elle ne doit pas moins produire, ? l'?gard des premiers, un effet identique. Rien ne ressemble plus, sans doute, en g?n?ral, aux acides, aux alcalis, et aux sels v?g?taux ou animaux, que les acides, les alcalis, et les sels inorganiques; et cependant, d'apr?s la marche habituelle, les lois des uns semblent diff?rer radicalement de celles des autres. Le dualisme, qui est aujourd'hui presque universellement ?tabli pour les compos?s inorganiques, para?t, au contraire, extr?mement rare dans les compos?s organiques. Or, j'ai d?montr?, par les consid?rations pr?c?demment expos?es, que cette diff?rence fondamentale n'est nullement r?elle, et qu'on ne doit y voir qu'un simple r?sultat de la m?thode vicieuse qui d?rive naturellement de cette division irrationnelle, le vrai dualisme chimique ?tant n?cessairement, en lui-m?me, toujours facultatif. Cette division constitue aussi le principal obstacle ? l'enti?re et irr?vocable g?n?ralisation de la doctrine des proportions d?finies, comme je l'ai ?tabli dans l'avant-derni?re le?on. Nous avons reconnu, en effet, que la dualisation de tous les compos?s organiques offre aujourd'hui le seul moyen g?n?ral de les assujettir enfin au principe de cette doctrine. Il en serait de m?me, ainsi que je l'ai indiqu?, pour la th?orie ?lectro-chimique, si celle-ci, d'apr?s la le?on pr?c?dente, n'?tait point n?cessairement priv?e de toute v?ritable consistance scientifique. Mais, il est, n?anmoins, tr?s vraisemblable que les compos?s organiques sont aussi susceptibles d'analyse et m?me de synth?se ?lectriques, dont une telle division, et le d?faut de dualisme, qui lui correspond, ont seuls emp?ch?, sans doute, de s'occuper jusqu'? pr?sent. Quoi qu'il en soit, on peut, ce me semble, affirmer que, lorsque une v?ritable th?orie chimique viendra enfin remplacer convenablement la th?orie anti-phlogistique proprement dite, elle devra comprendre, de toute n?cessit?, les compos?s organiques aussi bien que les compos?s inorganiques, sous peine d'?tre illusoire et ?ph?m?re. Il serait superflu d'insister davantage ici sur le tort g?n?ral qu'?prouve l'?tude chimique des compos?s organiques par suite de cette fausse division, dont les inconv?niens commencent ? ?tre, sous ce rapport, suffisamment sentis, puisque ceux de nos chimistes qui cultivent aujourd'hui cette ?tude de la mani?re la plus philosophique tendent de plus en plus ? l'identifier avec celle des compos?s inorganiques. On ne saurait douter maintenant que l'?tablissement d?finitif d'une telle identit? ne doive ?tre le premier r?sultat n?cessaire de toute tentative scientifique destin?e ? constituer, en un syst?me g?n?ral et rationnel, l'ensemble des connaissances chimiques, par une classification vraiment naturelle.

Sous le second point de vue, c'est-?-dire quant aux ?tudes biologiques ind?ment comprises dans la chimie organique actuelle, les inconv?niens de cette confusion fondamentale sont ? la fois beaucoup plus graves et jusqu'ici beaucoup moins sentis, surtout par les chimistes. C'est pourquoi il importe davantage de les signaler avec soin, quoique sommairement.

L'origine historique d'une telle confusion tient, en g?n?ral, ? ce que un grand nombre de questions physiologiques exigent, par leur nature, de v?ritables recherches chimiques, dont l'influence y est souvent pr?pond?rante, et qui, d'une autre part, sont, d'ordinaire, tr?s ?tendues et tr?s difficiles. D?s lors, les physiologistes, auxquels ces recherches devaient naturellement appartenir, ?tant habituellement trop ?trangers encore ? la science chimique pour les suivre avec succ?s, les chimistes ont ?t? ainsi conduits ? s'en emparer, et les ont ensuite r?unies mal-?-propos ? leur vrai domaine scientifique. Les uns et les autres concourent donc presque ?galement, quoique d'une mani?re diff?rente, ? cette mauvaise organisation du travail scientifique, ceux-ci en m?connaissant les limites rationnelles de leurs ?tudes, ceux-l? en n?gligeant de satisfaire aux vraies conditions pr?liminaires de leur ordre de recherches. Par cons?quent, chacune de ces deux classes de savans doit r?former, ? un certain degr?, ses habitudes actuelles, afin que la r?partition g?n?rale des travaux effectifs devienne enfin conforme aux analogies naturelles. Mais, sous ce rapport, la t?che des physiologistes est plus difficile et plus importante que celle des chimistes; car, ces derniers, ? cet ?gard, ont seulement ? s'abstenir, tandis que les premiers doivent d?sormais se rendre aptes ? ressaisir convenablement une attribution qu'ils ont laiss? ?chapper jusqu'ici.

Quoique les consid?rations pr?c?dentes suffisent, sans doute, pour ?tablir, en principe, le vice fondamental inh?rent ? la confusion g?n?rale institu?e par la chimie organique entre les ?tudes chimiques et un certain ordre d'?tudes biologiques, il est indispensable d'indiquer encore ? ce sujet quelques exemples effectifs, soit anatomiques, soit physiologiques, afin de faire ressortir, d'une mani?re plus explicite et plus incontestable, la haute importance directe d'une meilleure organisation des travaux.

Dans l'ordre anatomique, il est ais? de juger que la plupart des nombreuses recherches entreprises jusqu'ici ? ce sujet par les chimistes, ont besoin d'?tre soumises, par les physiologistes, ? une enti?re r?vision g?n?rale, avant qu'on puisse les appliquer d?finitivement ? l'?tude rationnelle des divers ?l?mens ou produits de l'organisme, soit solides, soit m?me fluides. On doit en excepter toutefois la belle s?rie des travaux de M. Chevreul sur les corps gras, o? cet illustre chimiste, appr?ciant mieux qu'aucun de ses pr?d?cesseurs la vraie relation g?n?rale entre le point de vue chimique et le point de vue biologique, a laiss? si peu ? faire aux physiologistes pour parvenir ? une connaissance vraiment satisfaisante de la graisse, envisag?e comme l'un des principaux ?l?mens de l'organisation animale. Mais, en ?cartant cette m?morable exception, on citerait difficilement aujourd'hui une seule ?tude importante de chimie organique, susceptible d'?tre imm?diatement appliqu?e ? la biologie, soit animale, soit m?me v?g?tale. Dans l'analyse chimique du sang ou de la s?ve, et de presque tous les autres ?l?mens anatomiques, solides ou fluides, un seul cas, pris au hasard, est ordinairement pr?sent? par les chimistes comme un type suffisant, sans qu'ils aient compris l'importance de soumettre leur op?ration ? un indispensable examen comparatif, non-seulement suivant chaque esp?ce d'organisme envisag?e ? l'?tat normal, mais aussi selon le degr? de d?veloppement de l'?tre vivant, son sexe, son temp?rament, son mode d'alimentation, le syst?me de ses conditions ext?rieures d'existences, etc., et beaucoup d'autres modifications que les physiologistes peuvent seuls judicieusement appr?cier. Aussi de semblables analyses ne correspondent-elles r?ellement ? rien en anatomie, si ce n'est au seul cas pr?cis qui a ?t? consid?r?, et que le chimiste a d'ailleurs n?glig? presque toujours de caract?riser suffisamment. En m?me temps, une telle mani?re de proc?der d?termine naturellement, entre les diff?rens chimistes, des divergences in?vitables, par la diversit? des types qu'ils ont choisis, sans que les discussions qui en r?sultent soient, le plus souvent, d'aucune utilit? scientifique, vu la tendance trop ordinaire des chimistes ? attribuer ces discordances apparentes aux divers moyens analytiques employ?s, au lieu d'y voir l'irr?cusable confirmation des variations g?n?rales que la physiologie e?t annonc?es d'avance. Il en est essentiellement de m?me ? l'?gard des produits, d'abord s?cr?t?s, ensuite excr?t?s, tels que l'urine, la bile, etc., o? les parties de l'organisme dans lesquelles le produit a ?t? recueilli, et les modifications qu'il a pu y ?prouver par un s?jour plus ou moins prolong? apr?s sa production, viennent encore compliquer toutes les consid?rations pr?c?dentes, sans que les chimistes s'enqui?rent ordinairement davantage des uns que des autres. Aussi toutes ces analyses, quoique fr?quemment renouvel?es, sont-elles, jusqu'ici, incoh?rentes entre elles, et radicalement insuffisantes.

En consid?rant sp?cialement les cas d'anatomie v?g?tale, M. Raspail, dans ces derniers temps, s'est ?lev?, ? ce sujet, avec une juste ?nergie, contre la facilit?, en quelque sorte scandaleuse, de la plupart de ceux qui cultivent aujourd'hui la chimie organique, ? multiplier presque ind?finiment les principes organiques, et surtout les alcalis v?g?taux, depuis la d?couverte remarquable de M. Sertuerner, d'apr?s les caract?res les plus frivoles, fond?s sur les ?tudes les moins rationnelles. M. Raspail a judicieusement d?montr? que cette pr?tention d'envisager comme radicalement distinctes un grand nombre de ces substances, tenait, le plus souvent, ? ce que les chimistes n'avaient point eu convenablement ?gard aux divers degr?s successifs d'?laboration d'un m?me principe imm?diat dans le d?veloppement g?n?ral de la v?g?tation, ou, plus grossi?rement encore, ? la confusion des mati?res propos?es avec leurs enveloppes anatomiques. Il ne m'appartient pas d'examiner maintenant jusqu'? quel point cet habile naturaliste a pu exag?rer sa mani?re de voir dans les diff?rens cas particuliers, surtout en ce qui concerne l'importance des analyses microscopiques, dont l'introduction constitue, d'ailleurs, une utile innovation g?n?rale. Mais, la trop faible attention ordinairement accord?e jusqu'ici ? ses vues syst?matiques, me fait un devoir de signaler l'heureuse influence qu'elles doivent exercer sur le perfectionnement fondamental de la chimie organique. Personne n'a encore aussi profond?ment senti que M. Raspail la n?cessit? d'y subordonner le point de vue chimique au point de vue physiologique, et personne n'a aussi bien satisfait, ce me semble, aux conditions g?n?rales qu'exige la stricte observance habituelle d'une telle relation. Toutefois, en consid?rant son ouvrage sous l'aspect le plus philosophique, je suis convaincu que lui-m?me a trop c?d?, ? son insu, ? l'influence ordinaire de notre ?ducation chimique, en concevant l'entreprise, radicalement vaine ? mes yeux, de syst?matiser la chimie organique, qui doit, au contraire, irr?vocablement dispara?tre comme corps de doctrine distinct; tandis que M. Raspail e?t ?t? si apte ? fondre convenablement, dans l'ensemble de la biologie, sa portion vraiment physiologique de la chimie organique, dont il a continu? ? maintenir essentiellement l'irrationnelle constitution.

Les recherches entreprises jusqu'ici pour analyser, sous le rapport chimique, les principaux ph?nom?nes de la vie organique, sont encore plus propres que les questions d'un ordre purement anatomique ? manifester clairement le vice fondamental d'une telle institution des travaux scientifiques, en faisant mieux ressortir l'inaptitude n?cessaire des chimistes ? des ?tudes naturellement r?serv?es aux seuls physiologistes. Aucune des nombreuses tentatives d?j? essay?es ? ce sujet n'a pu finalement aboutir ? fixer solidement, en biologie, aucun point de doctrine g?n?ral, et n'a r?ellement fourni que de simples mat?riaux, dont les physiologistes ne sauraient tirer une v?ritable utilit? sans les avoir pr?alablement soumis ? une nouvelle ?laboration, sous l'influence pr?pond?rante des consid?rations vitales. Je dois me borner ici ? en indiquer les exemples les plus remarquables.

Les belles exp?riences de Priestley, de Sennebier, de Saussure, etc., relativement ? l'action chimique mutuelle des v?g?taux et de l'air atmosph?rique, ont eu, sans doute, une importance capitale, par la lumi?re positive qu'elles ont commenc? ? r?pandre sur l'ensemble de l'?conomie v?g?tale, jusqu'alors presque inintelligible. Mais les ?tudes post?rieures n'en ont pas moins constat? clairement que cette grande recherche ne saurait ?tre r?ductible ? l'?tat de simplicit? naturellement suppos? par les chimistes, qui avaient isol?ment analys? une seule partie du ph?nom?ne g?n?ral de la v?g?tation. L'absorption de l'acide carbonique et l'exhalation de l'oxig?ne, quoique tr?s importantes ? consid?rer dans l'action des feuilles, ne constituent qu'un seul aspect du double mouvement vital, et ne peuvent ?tre convenablement appr?ci?es qu'apr?s avoir d'abord con?u l'ensemble de ce mouvement, du point de vue physiologique proprement dit. Cette action g?n?rale ?tant partiellement compens?e, ? d'autres ?gards, par l'action exactement inverse que produisent la germination des semences, la maturation des fruits, etc., et m?me le simple passage de la lumi?re ? l'obscurit? quant aux feuilles, elle ne peut nullement suffire, soit ? expliquer la composition ?l?mentaire des substances v?g?tales, soit surtout ? d?terminer le genre d'alt?ration que l'air atmosph?rique ?prouve r?ellement par l'influence de la v?g?tation. De tels travaux ne sauraient ?tre envisag?s que comme ayant mis en ?vidence la v?ritable nature du probl?me, en offrant quelques mat?riaux indispensables ? sa solution future, dans la recherche de laquelle les physiologistes peuvent seuls employer convenablement les notions et les moyens chimiques. Mais, quoiqu'il en soit, c'est surtout dans l'analyse des ph?nom?nes plus compliqu?s de la physiologie animale, que l'insuffisance radicale des ?tudes institu?es par les chimistes doit incontestablement ressortir.

On peut citer ?minemment, ? cet ?gard, l'examen g?n?ral des ph?nom?nes chimiques de la respiration, envisag?s surtout dans les animaux sup?rieurs, o?, malgr? de nombreuses observations, aucun point fixe n'est encore r?ellement ?tabli. D?s l'origine de la chimie moderne, il semblait que l'absorption pulmonaire de l'oxig?ne atmosph?rique et sa transformation en acide carbonique devaient suffire ? l'explication g?n?rale du grand ph?nom?ne de la conversion du sang veineux en sang art?riel. Mais, si une telle action constitue certainement une partie indispensable du ph?nom?ne, on a fini par reconna?tre que la fonction est beaucoup plus compliqu?e que les chimistes ne pouvaient le pr?sumer d'abord. L'ensemble de leurs travaux ? ce sujet pr?sente jusqu'ici les conclusions les plus contradictoires sur presque toutes les questions qui s'y rapportent. On ignore, par exemple, si la quantit? d'acide carbonique form?e correspond r?ellement ? la quantit? d'oxig?ne absorb?e, ou si elle est, au contraire, sup?rieure ou inf?rieure. La simple diff?rence g?n?rale entre l'air inspir? et l'air expir?, qui constitue ?videmment le premier point ? ?claircir, n'est point encore, ? beaucoup pr?s, positivement ?tablie. C'est ainsi, entre autres lacunes, que les diverses analyses laissent une incertitude totale sur la participation de l'azote atmosph?rique, dont la quantit? para?t ? ceux-ci augment?e, ? ceux-l? diminu?e, et ? d'autres identique, apr?s l'accomplissement du ph?nom?ne. On con?oit que les divergences doivent ?tre encore plus prononc?es relativement ? l'appr?ciation beaucoup plus difficile des changemens qu'?prouve la composition du sang, et qui ne sauraient se r?duire ? une simple d?carbonisation. Cette question fondamentale est extr?mement propre ? caract?riser la confiance na?ve avec laquelle les chimistes sont naturellement dispos?s ? aborder les sujets physiologiques, sans avoir aucunement mesur? ni m?me soup?onn? les difficult?s vari?es qui leur sont inh?rentes. Il est ici pleinement ?vident que les analyses chimiques les plus soign?es doivent ?tre essentiellement infructueuses, tant qu'elles ne sont point dirig?es d'abord d'apr?s un juste aper?u physiologique de l'ensemble du ph?nom?ne, et modifi?es ensuite par une exacte connaissance des limites g?n?rales de variations normales dont il est n?cessairement susceptible, ? divers titres d?termin?s, et sous chacun de ses aspects principaux. Or, les physiologistes sont ?videmment seuls comp?tens, en g?n?ral, pour proc?der ainsi.

L'?tude de la chaleur animale donne lieu ? des remarques aussi clairement d?cisives, si m?me l'inaptitude des chimistes et des physiciens n'y est encore mieux manifest?e. D'apr?s les premi?res d?couvertes de la chimie moderne, ce grand ph?nom?ne a d'abord paru devoir ?tre suffisamment expliqu? par le d?gagement de chaleur correspondant ? la d?carbonisation du sang dans l'appareil pulmonaire, que les chimistes envisageaient comme le foyer d'une v?ritable combustion. Mais une consid?ration plus compl?te et plus approfondie du sujet a bient?t prouv? aux physiologistes l'extr?me insuffisance d'un tel aper?u partiel, pour satisfaire aux conditions essentielles du probl?me, m?me en se bornant au cas normal, et, ? plus forte raison, dans les divers cas pathologiques. Quoiqu'il existe encore, ? cet ?gard, une grande incertitude sur la vraie coop?ration de l'influence pulmonaire, il est du moins bien constat? d?sormais que cette action ne doit pas seule ?tre envisag?e dans l'analyse fondamentale d'un ph?nom?ne auquel, par sa nature, toutes les fonctions vitales doivent n?cessairement concourir plus ou moins. Il y a m?me lieu de penser aujourd'hui, en opposition directe ? l'opinion des chimistes, que la respiration, loin de participer ? la production normale de la chaleur animale, constitue, en g?n?ral, au contraire, une source constante et n?cessaire de ce refroidissement. Sans doute les ph?nom?nes chimiques incessamment d?termin?s par le mouvement vital doivent ?tre pris en consid?ration dans l'?tude de la chaleur animale. Mais leur influence, qui se combine avec beaucoup d'autres, surtout dans les organismes sup?rieurs, ne peut ?tre bien appr?ci?e que par les physiologistes, seuls aptes ? saisir l'ensemble d'un tel sujet.

On peut faire des remarques essentiellement analogues sur la digestion, les s?cr?tions, et toutes les autres fonctions chimiques relatives ? la vie organique. Il sera toujours facile de v?rifier que les ?tudes entreprises jusqu'ici par les chimistes sur ces divers sujets ont ?t? constamment mal con?ues et mal dirig?es, et que cette vicieuse institution provient principalement de n'avoir pas subordonn? le point de vue chimique au point de vue physiologique. Quand cette relation, que les physiologistes peuvent seuls bien comprendre, aura ?t? enfin convenablement ?tablie, il deviendra indispensable de soumettre tous les travaux ant?rieurs ? une enti?re r?vision pr?alable, sans laquelle ils ne pourraient ?tre d?finitivement employ?s dans la formation d'aucune doctrine positive. ? l'?gard des sujets de ce genre qui n'ont pas ?t? abord?s jusqu'? pr?sent, la combinaison rationnelle du point de vue chimique avec le point de vue physiologique pourra y ?tre institu?e sans obstacles pr?liminaires, quoique elle n'y soit pas moins n?cessaire. Il me suffit d'indiquer ici, comme dernier exemple, un seul de ces nouveaux cas, relatif ? l'importante question, encore essentiellement intacte, de l'harmonie g?n?rale entre la composition chimique des corps vivans et celle de l'ensemble de leurs alimens, ce qui constitue un des principaux aspects de l'?tat vital.

Il est ?vident, en principe, que tout corps vivant, quelle qu'ait pu ?tre son origine, doit se trouver, ? la longue, n?cessairement compos? des divers ?l?mens chimiques propres aux diff?rentes substances, solides, liquides, ou gazeuses, dont il se nourrit habituellement, puisque, d'une part, le mouvement vital assujettit ses parties ? une r?novation continue, et que, d'une autre, on ne pourrait, sans absurdit?, le supposer, comme l'ont pens? certains physiologistes m?taphysiciens, capable de produire spontan?ment aucun v?ritable ?l?ment. Quand on se borne ? ?tablir cette comparaison d'une mani?re tr?s g?n?rale, elle ne pr?sente aucune difficult? essentielle. On doit m?me remarquer, avec quelque int?r?t, que cette consid?ration aurait pu conduire ? deviner, pour ainsi dire, la nature g?n?rale des ?l?mens principaux des corps vivans. Car, les animaux se nourrissent, en premier lieu, de v?g?taux, ou d'autres animaux, soumis eux-m?mes ? une alimentation v?g?tale; et, en second lieu, d'air et d'eau, qui constituent d'ailleurs la base essentielle de la nutrition des plantes: le monde organique ne pourrait donc ?videmment comporter, en g?n?ral, d'autres ?l?mens chimiques que ceux fournis par la d?composition de l'air et par celle de l'eau. Ainsi, aussit?t que ces deux fluides ont ?t? exactement analys?s, les physiologistes auraient pu pr?voir, en quelque sorte, que les substances animales et v?g?tales doivent ?tre essentiellement compos?es d'oxig?ne, d'hydrog?ne, d'azote et de carbone, comme la chimie l'enseigna bient?t. Une telle pr?vision e?t ?t?, il est vrai, extr?mement imparfaite, puisque cette vue g?n?rale ne pouvait nullement indiquer la diff?rence fondamentale entre la composition des mati?res animales et celle des mati?res v?g?tales, ni surtout pourquoi ces derni?res contiennent, le plus souvent, tant de carbone et si peu d'azote. Mais ce premier aper?u, quoiqu'il commence ? manifester la difficult? du probl?me, constate n?anmoins la possibilit? d'?tablir, avec plus ou moins de pr?cision, cette harmonie g?n?rale.

Il n'en est plus ainsi d?s qu'on veut poursuivre, d'une mani?re un peu d?taill?e, une telle comparaison, qui engendre aussit?t une multitude d'objections importantes, jusqu'? pr?sent insolubles. La plus capitale consiste en ce que l'azote para?t ?tre tout aussi abondant dans les tissus des animaux herbivores que dans ceux des carnassiers, quoique les alimens solides des premiers en soient presque enti?rement priv?s. M. Berz?lius a indiqu?, comme propre ? r?soudre cette grande difficult?, son opinion particuli?re sur la nature de l'azote, qui, ? ses yeux, ne constitue point un v?ritable ?l?ment, mais une sorte d'oxide m?tallique. Cette hypoth?se ne saurait ?videmment suffire ? l'explication du ph?nom?ne, ? moins d'admettre, ce qui r?pugnerait justement ? tous les chimistes et ? M. Berz?lius lui-m?me, que le pr?tendu radical de cet oxide se retrouve aussi dans l'hydrog?ne ou dans le carbone. L'opinion propos?e par M. Raspail, suivant laquelle l'azote serait, en quelque sorte, adventice dans toutes les mati?res animales, qui ne contiendraient jamais cet ?l?ment qu'? l'?tat ammoniacal, ne remplirait pas mieux cette condition essentielle, puisqu'elle n'?claircirait pas davantage l'origine de l'azote. Cette opinion semble d'ailleurs jusqu'ici tout-?-fait hasard?e, et reposer uniquement sur une vague hypoth?se g?n?rale, relative ? la pr?tendue unit? de composition chimique du monde organique. La difficult? subsiste donc encore, dans toute sa force primitive. Quoique l'ensemble du mouvement vital ait ?t? jusqu'? pr?sent tr?s peu consid?r? sous cet aspect, il offre n?anmoins une foule de cas analogues, plus ou moins prononc?s, o? l'on ne sait nullement expliquer la composition chimique des ?l?mens anatomiques par celle des substances ext?rieures qui en constituent cependant l'origine incontestable. Telle est, par exemple, la question essentielle relative ? la pr?sence constante du carbonate et surtout du phosphate de chaux dans le tissu osseux, quoique la nature de l'ensemble des alimens ne paraisse presque jamais pouvoir donner lieu ? la formation de ces deux sels.

Ce syst?me de recherches, envisag? dans toute son immensit?, constitue certainement une des questions g?n?rales les plus importantes que puisse faire na?tre l'?tude chimique de la vie. Or, ici, l'incomp?tence n?cessaire des chimistes devient tellement ?vidente, que l'impossibilit? de r?unir un tel sujet ? ce qu'on nomme la chimie organique ne saurait ?tre, un seul instant, contest?e, et aussi personne ne l'a-t-il jamais mise en doute. Quel succ?s r?el pourrait-on esp?rer, ? cet ?gard, de tout travail qui ne serait pas fond? sur une intime combinaison rationnelle du point de vue chimique avec le point de vue physiologique? Non-seulement les questions chimiques sont alors toujours pos?es n?cessairement, et sans cesse modifi?es, d'apr?s des consid?rations biologiques; mais l'usage pr?pond?rant de celles-ci est, en outre, ?videmment indispensable pour diriger ? chaque instant l'emploi judicieux des moyens chimiques et la saine interpr?tation des r?sultats qu'ils fournissent. Aussi doit-on penser que, si cette vaste ?tude est jusqu'ici ? peine ?bauch?e, cela ne tient point uniquement ? sa haute difficult? fondamentale, mais encore ? cette vicieuse organisation des travaux scientifiques, relativement ? toutes les questions de physiologie chimique, qui abandonne aux chimistes un ordre de recherches express?ment destin?, par sa nature, aux seuls biologistes, et que ceux-ci ne sauraient trop promptement s'approprier d?sormais, apr?s avoir convenablement rempli les conditions n?cessaires. Du reste, cette conclusion g?n?rale doit se reproduire spontan?ment, sous un nouvel aspect, dans la seconde partie de ce volume.

L'ensemble de la discussion pr?c?dente suffit pour d?montrer, d'une mani?re irr?cusable, soit d'apr?s des motifs g?n?raux, soit par des v?rifications sp?ciales, combien l'irrationnelle constitution de la chimie organique actuelle est profond?ment nuisible aux diverses ?tudes qui s'y trouvent rassembl?es, d'abord sous le point de vue chimique, et surtout sous le point de vue physiologique. On doit donc tendre d?sormais ? d?truire irr?vocablement cet assemblage h?t?rog?ne et purement factice, pour en r?unir les diff?rentes parties, suivant leur nature respective, les unes ? la chimie proprement dite, les autres ? la biologie.

Ceux qui ne verraient, dans une telle op?ration philosophique, qu'une simple transposition de sujets, en quelque sorte indiff?rente, t?moigneraient ainsi un sentiment tr?s imparfait de l'importance des m?thodes rationnelles, et de l'harmonie n?cessaire entre la nature des questions scientifiques et l'ensemble des conditions indispensables ? leur ?tude. C'est surtout pour pr?venir une semblable erreur, trop commune aujourd'hui, que j'ai cru devoir insister sur ce point essentiel, de mani?re ? caract?riser les graves inconv?niens qui r?sultent si clairement de l'organisation scientifique actuelle. Quand les sciences sont vaguement class?es, comme il arrive le plus souvent, d'apr?s des principes arbitraires, les transpositions de l'une ? l'autre peuvent ?tre con?ues sans entra?ner aucun d?rangement important dans l'?conomie r?elle de la philosophie naturelle. Mais, il n'en saurait ?tre ainsi lorsque la hi?rarchie des sciences a ?t? directement fond?e sur la comparaison rationnelle des diff?rens ordres de ph?nom?nes, de fa?on ? correspondre ? l'ensemble du d?veloppement positif de notre intelligence, comme je me suis toujours efforc? de le faire dans cet ouvrage. Alors, les questions d'attribution scientifique deviennent, au contraire, pour chaque ?tude, les plus capitales qu'on puisse concevoir, puisque leur solution d?termine aussit?t l'esprit g?n?ral des recherches et la nature des moyens employ?s, et exerce par l?, sur tous les progr?s effectifs, une influence principale et n?cessaire.

Il nous reste maintenant ? examiner directement le principe g?n?ral qui devra pr?sider ? la d?molition rationnelle de la chimie organique, c'est-?-dire, ? la r?partition judicieuse de ses diff?rentes portions entre la chimie et la physiologie. Les diverses consid?rations d?j? indiqu?s dans cette le?on permettent d'?tablir ais?ment cette distinction fondamentale.

Tout se r?duit, en effet, pour cela, comme je l'ai annonc? dans l'avant-derni?re le?on, ? la s?paration essentielle entre l'?tat de mort et l'?tat de vie, ou, ce qui revient ? peu pr?s au m?me sous le point de vue actuel, entre la stabilit? et l'instabilit? des combinaisons propos?es, soumises ? l'influence des agens ordinaires. Parmi les divers compos?s indistinctement r?unis aujourd'hui sous la vague d?nomination d'organiques, les uns ne doivent leur existence qu'au mouvement vital, ils sont assujettis ? des variations continuelles, et constituent presque toujours de simples m?langes: ceux-l? ne sauraient appartenir ? la chimie, et ils rentrent dans le domaine de la biologie, soit statique, soit dynamique, suivant qu'on ?tudie ou leur ?tat fixe, ou la succession vitale de leurs changemens r?guliers; tels sont, par exemple, le sang, la lymphe, la graisse, etc. Les autres, au contraire, qui forment les principes les plus imm?diats des premiers, sont des substances essentiellement mortes, susceptibles d'une permanence remarquable, et pr?sentant tous les caract?res de v?ritables combinaisons, ind?pendantes de la vie: ceux-ci ont ?videmment leur place naturelle dans le syst?me g?n?ral de la science chimique, entre les substances d'origine inorganique, dont ils ne diff?rent r?ellement sous aucun rapport important; les acides organiques, l'alcool, l'albumine, l'ur?e, etc., en offrent des exemples incontestables.

Le principe que je viens de poser ne peut laisser aucune difficult? essentielle pour distinguer exactement ce qui, dans cet ensemble artificiel, doit ?tre incorpor? ? la chimie proprement dite, en r?servant l'examen ult?rieur du mode d'incorporation; et ce qui, au contraire, doit ?tre enfin ressaisi par les physiologistes comme vraiment relatif ? l'?tude de la vie. Au reste, ce principe n'?tant nullement arbitraire, les cons?quences naturelles de son application ? chaque cas particulier dissiperaient n?cessairement toute incertitude, s'il pouvait en exister encore. Car, il suffirait de se demander si l'examen scientifique de la question propos?e peut ?tre effectu?, d'une mani?re satisfaisante, par le seul emploi des connaissances chimiques, ou bien s'il exige aussi le concours indispensable des consid?rations biologiques. D'apr?s une telle alternative, aucun bon esprit ne pourrait plus h?siter sur le vrai classement de chaque sujet de recherches. On a droit de s'?tonner, par exemple, que la n?cessit?, bien reconnue aujourd'hui par tous les chimistes, d'introduire, dans leurs trait?s de chimie organique, diverses notions de physiologie v?g?tale et animale , ne les ait point ?clair?s sur la confusion fondamentale de deux ordres d'id?es h?t?rog?nes, qui caract?rise cette partie du syst?me actuel de leurs ?tudes.

Il serait contraire ? la nature de cet ouvrage d'examiner ici aucun usage sp?cial de ce principe d'attribution scientifique, que j'ai d? me borner ? formuler nettement apr?s l'avoir sommairement motiv?. Toutefois, en consid?rant l'ensemble de ses applications, il convient de remarquer que, dans ce d?p?cement total de la chimie organique actuelle au profit de la chimie proprement dite et de la biologie, ses deux parties essentielles, relatives, l'une ? l'?tude des substances v?g?tales, l'autre ? celle des substances animales, devront, par leur nature, se r?partir tr?s in?galement entre ces deux sciences fondamentales. La premi?re, en effet, fournira n?cessairement davantage ? la chimie, et la seconde ? la biologie.

Un premier aper?u pourrait faire penser que la diff?rence doit plut?t exister en sens inverse, car l'importance proportionnelle des consid?rations chimiques est r?ellement plus grande ? l'?gard des v?g?taux vivans qu'envers les animaux, pour lesquels, apr?s qu'on a d?pass? les rangs tr?s inf?rieurs de la hi?rarchie zoologique, les fonctions chimiques, quoique constituant toujours la base indispensable de leur vie, deviennent subordonn?es ? un ordre sup?rieur de nouvelles actions vitales. Mais, n?anmoins, en vertu du degr? plus ?lev? d'?laboration vitale que re?oit la mati?re dans l'organisme animal, compar? ? l'organisme v?g?tal, il demeure incontestable que la partie chimique de la physiologie animale pr?sente beaucoup plus d'?tendue et de complication que celle qui correspond ? la physiologie v?g?tale, o? manque, par exemple, toute l'importante s?rie des ph?nom?nes de la digestion, o? aussi l'assimilation et les s?cr?tions sont, comparativement, tr?s simplifi?es. La seule inspection g?n?rale d'un trait? quelconque de chimie organique, permet de v?rifier ais?ment que les questions de nature ?videmment physiologique, se trouvent, en effet, bien plus multipli?es dans la chimie animale que dans la chimie v?g?tale. C'est l'inverse, au contraire, quant aux questions dont la nature est vraiment chimique. ? raison m?me de cette ?laboration vitale plus profonde, et du nombre sup?rieur de leurs ?l?mens, les substances animales proprement dites doivent ?tre, en g?n?ral, beaucoup moins stables que la plupart des substances v?g?tales; rarement peuvent-elles persister en dehors de l'organisme; et, en m?me temps, les nouveaux principes imm?diats qui leur appartiennent exclusivement sont si peu nombreux que leur existence a pu ?tre mise directement en question. La v?g?tation constitue ?videmment la principale source des vrais compos?s organiques, que l'organisme animal ne fait le plus souvent qu'emprunter ? l'organisme v?g?tal, en les modifiant, plus ou moins, soit par leurs combinaisons mutuelles, soit par de nouvelles influences ext?rieures. Ainsi, le domaine rationnel de la science chimique doit ?tre n?cessairement bien plus augment? par l'?tude des substances v?g?tales que par celle des substances animales. Telles sont les principales remarques philosophiques auxquelles puisse donner lieu ici l'application g?n?rale de la r?gle fondamentale de r?partition que j'ai propos?e, et dont une semblable comparaison m'a paru propre ? rendre plus sensible le caract?re essentiel.

La n?cessit? d'assujettir ? la loi du dualisme les compos?s organiques dont l'?tude doit ?tre d?finitivement incorpor?e au syst?me g?n?ral de la science chimique, a ?t? assez hautement constat?e, sous les rapports les plus importans, dans la suite des le?ons pr?c?dentes, pour que je sois enti?rement dispens? de revenir ici, d'une mani?re sp?ciale, sur cette grande question de philosophie chimique. Je crois, n?anmoins, convenable d'indiquer, en dernier lieu, un nouvel aspect, plus particulier, sous lequel une telle conception peut contribuer au perfectionnement des th?ories chimiques, en ?tablissant une harmonie plus satisfaisante entre la composition des diverses substances organiques et l'ensemble de leurs propri?t?s caract?ristiques.

En consid?rant ces substances comme ternaires ou quaternaires, l'identit? de leurs trois ou quatre ?l?mens essentiels ne permet d'expliquer leur multiplicit? tr?s vari?e que par la seule diversit? des proportions de leurs principes constituans. J'ai examin? ailleurs la difficult? fondamentale qui en r?sulte pour l'enti?re g?n?ralisation de la doctrine des proportions d?finies, et j'ai fait conna?tre le moyen principal d'y rem?dier. Mais, ici, en poursuivant, sous un autre point de vue, les cons?quences d'une telle conception, je dois faire remarquer que, dans un grand nombre de cas, elle conduit ? expliquer des diff?rences tr?s prononc?es entre deux substances organiques par une tr?s faible in?galit? de leurs compositions num?riques, de mani?re ? choquer souvent l'ensemble des analogies chimiques. Il y a plus m?me. Outre cette insuffisante harmonie, la chimie organique offre d?j? quelques exemples irr?cusables, qui paraissent tendre aujourd'hui ? se multiplier beaucoup, o? l'on ne peut saisir aucune diff?rence r?elle de composition entre deux substances, qu'une exacte comparaison de leurs principales propri?t?s ne permet d'ailleurs nullement de regarder comme identiques: tels sont, entre autres, le sucre et la gomme. La mani?re actuelle de philosopher entra?ne n?cessairement les chimistes ? supposer une tr?s l?g?re in?galit? de composition num?rique, dont leurs moyens analytiques ne sauraient ?tre assez pr?cis pour constater l'existence r?elle. Un tel exp?dient, quoique tr?s naturel, ne fait, tout au plus, que reculer la difficult? sans la r?soudre; et il est, en lui-m?me, directement contraire ? l'esprit g?n?ral de la vraie philosophie chimique, qui prescrit ?videmment de proportionner toujours la diff?rence de composition au degr? de diversit? des principaux ph?nom?nes. Or, on peut ais?ment concevoir que la dualisation des compos?s organiques tend ? dissiper enti?rement cet ordre important d'anomalies. Car, en distinguant convenablement l'analyse imm?diate de l'analyse ?l?mentaire, le dualisme chimique permet de r?soudre directement, de la mani?re la plus naturelle, le paradoxe g?n?ral de la diversit? r?elle de deux substances compos?es des m?mes ?l?mens, unis suivant les m?mes proportions. En effet, ces substances isom?res diff?reraient alors par leurs analyses imm?diates, quoique, dans l'analyse ?l?mentaire, elles eussent fourni des r?sultats parfaitement identiques, ce qu'il est tr?s facile de concilier, en proc?dant ? peu pr?s comme je l'ai fait dans l'avant-derni?re le?on pour la loi des proportions d?finies. Les chimistes ont d?j? remarqu?, par exemple, dans une tout autre intention, la possibilit? de repr?senter exactement la composition num?rique de l'alcool, ou de l'?ther, etc., d'apr?s plusieurs formules binaires, radicalement distinctes les unes des autres, et n?anmoins finalement ?quivalentes quant ? l'analyse ?l?mentaire, en combinant, tant?t le gaz ol?fiant avec l'eau, tant?t l'hydrog?ne carbon? avec l'acide carbonique ou avec le deutoxide d'hydrog?ne, etc. Or, si ces combinaisons fictives devenaient jamais susceptibles de r?alisation, elles donneraient ?videmment lieu ? des substances tr?s distinctes, qui pourraient m?me diff?rer beaucoup par l'ensemble de leurs propri?t?s chimiques, et qui cependant co?ncideraient par leur composition ?l?mentaire. Parmi les compos?s purement inorganiques, et bien dualis?s aujourd'hui, on con?oit, par exemple, que le sulfite form? par un m?tal au plus haut degr? d'oxidation, pourrait produire, ? l'analyse finale, des r?sultats absolument identiques ? ceux que fournirait le sulfate du m?me m?tal moins oxid?, sans que personne e?t n?anmoins la pens?e de confondre ces deux compos?s. Il suffirait donc de transporter le m?me esprit dans l'?tude des combinaisons organiques, par l'?tablissement d'un dualisme universel, pour dissiper aussit?t toutes ces anomalies paradoxales. Les consid?rations indiqu?es dans la trente-septi?me le?on sont tr?s propres ? faire ressortir toute la f?condit? n?cessaire de cette nouvelle ressource g?n?rale, qui se trouve ainsi pouvoir ?tre heureusement pr?par?e avant que les cas d'isom?rie soient encore devenus tr?s fr?quens.

Tel est l'ensemble des consid?rations g?n?rales que je devais signaler, dans cette le?on, pour compl?ter l'appr?ciation philosophique du corps de doctrine radicalement h?t?rog?ne que forme aujourd'hui la chimie organique. On ne peut plus tarder ? reconna?tre ainsi que le maintien irr?fl?chi de cette conception vicieuse constitue directement un obstacle insurmontable ? toute syst?matisation vraiment rationnelle de la science chimique. Les physiologistes surtout seront, sans doute, bient?t dispos?s ? sentir convenablement combien l'abandon inexcusable d'une partie fondamentale de leurs attributions entre les mains des chimistes, n?cessairement plus ou moins incomp?tens, est profond?ment nuisible au progr?s g?n?ral de la science biologique. D'apr?s le principe que j'ai ?tabli, la r?partition judicieuse de la chimie organique entre la chimie et la biologie ne peut donner lieu ? aucune grande difficult? scientifique. Enfin, le dualisme syst?matique permet d'?tablir une uniformit? fondamentale dans l'?tude chimique de tous les compos?s, sans acception d'origine organique ou inorganique, en m?me temps qu'il fournit le moyen g?n?ral de les ramener tous aux m?mes lois essentielles de composition num?rique, et qu'il conduit aussi ? instituer partout une exacte harmonie naturelle entre la composition des substances et l'ensemble de leurs caract?res.

Par la suite des le?ons d?j? contenues dans ce volume, je me suis efforc? de caract?riser avec exactitude le v?ritable esprit g?n?ral de la science chimique, successivement envisag?e sous tous les points de vue philosophiques que comporte son ?tat actuel, en dirigeant cet examen de mani?re ? faire bien ressortir les principales conditions indispensables ? son perfectionnement essentiel, qui doit bien moins consister d?sormais en une vaine surabondance de nouveaux mat?riaux que dans la syst?matisation rationnelle des connaissances d?j? acquises, la chimie ?tant aujourd'hui aussi riche en d?tails qu'elle est imparfaitement constitu?e comme science fondamentale. Deux pens?es pr?pond?rantes, distinctes, mais intimement li?es, ont domin? l'ensemble de ce travail sur la philosophie chimique: la fusion de toutes les ?tudes chimiques, pr?alablement bien circonscrites d'apr?s la nature de la science, en un seul corps de doctrine homog?ne; la r?duction universelle de toutes les combinaisons quelconques ? la conception indispensable d'un dualisme toujours facultatif. Je me suis surtout attach? ? pr?senter ces deux conditions corr?latives comme strictement n?cessaires pour la constitution d?finitive de la science chimique, avec le caract?re qui lui est propre et le genre de consistance que comporte sa nature. L'application directe d'une telle conception philosophique ? la seule partie des ?tudes chimiques qui manifeste r?ellement aujourd'hui une rationnalit? positive, a d? mettre hors de doute son opportunit? g?n?rale, en montrant son aptitude spontan?e ? r?soudre compl?tement les anomalies fondamentales de la chimie num?rique. Ainsi, cet examen de la philosophie chimique, outre qu'il constitue un ?l?ment indispensable de mon syst?me g?n?ral de philosophie positive, pourra contribuer imm?diatement au progr?s futur de la science chimique, s'il parvient ? fixer convenablement l'attention des esprits sp?ciaux.

Cette nouvelle partie fondamentale de la grande op?ration philosophique que j'ai os? entreprendre compl?te l'appr?ciation de l'ensemble de la philosophie naturelle, en ce qui concerne les ph?nom?nes universels, ou inorganiques. Je dois maintenant proc?der ? l'examen d'un ordre de ph?nom?nes beaucoup plus compliqu?, dont l'?tude rationnelle, n?cessairement encore plus imparfaite, est jusqu'ici ? peine organis?e, et qui, n?anmoins, malgr? leur sp?cialit?, donnent lieu ? la partie la plus indispensable de la philosophie naturelle, celle dont l'homme, et ensuite la soci?t?, constituent directement l'objet principal, et sans laquelle, par cela m?me, aucune conception positive, d'une nature quelconque, ne saurait ?tre rigoureusement compl?te; ce qui la lie intimement au d?veloppement fondamental de notre intelligence dans toutes les directions possibles.

QUARANTI?ME LE?ON.

Consid?rations philosophiques sur l'ensemble de la science biologique.

Bien que ce ne soit point ici le lieu de traiter convenablement cette haute question philosophique, j'ai d? n?anmoins, d?s ce moment, indiquer, par anticipation, cette vue g?n?rale, comme ?minemment propre ? faire directement ressortir, d'un seul aspect, le v?ritable esprit fondamental de la philosophie positive, et ? signaler en m?me temps l'imperfection principale de sa constitution scientifique actuelle. ? l'?gard de toute autre science, une telle consid?ration concernerait seulement sa vraie position encyclop?dique, sans affecter directement son caract?re essentiel. Mais, pour la physiologie, cette subordination g?n?rale ? la science du monde ext?rieur constitue r?ellement, au contraire, le premier fondement n?cessaire de sa positivit? rationnelle. Vainement a-t-on accumul?, depuis long-temps, dans l'?tude de l'homme, une multitude de faits plus ou moins bien analys?s: la mani?re primitive de philosopher a d? s'y trouver essentiellement maintenue, par cela seul qu'une telle ?tude ?tait toujours con?ue comme directe et isol?e de celle de la nature inerte. La physiologie n'a commenc? ? prendre un vrai caract?re scientifique, en tendant ? se d?gager irr?vocablement de toute supr?matie th?ologique ou m?taphysique, que depuis l'?poque, presque contemporaine, o? les ph?nom?nes vitaux ont enfin ?t? regard?s comme assujettis aux lois g?n?rales, dont ils ne pr?sentent que de simples modifications. Cette r?volution d?cisive est maintenant irr?cusable, quoique jusqu'ici tr?s incompl?te, quelque r?centes et quelque imparfaites que soient encore les tentatives philosophiques pour rendre positive l'?tude des ph?nom?nes physiologiques les plus compliqu?s et les plus particuliers, surtout celle des fonctions nerveuses et c?r?brales. La pr?tendue ind?pendance des corps vivans envers les lois g?n?rales, si hautement proclam?e encore, au commencement de ce si?cle, par le grand Bichat lui-m?me, n'est plus d?sormais directement soutenue, en principe, que par les seuls m?taphysiciens. N?anmoins, le sentiment naissant du vrai point de vue sp?culatif sous lequel la vie doit ?tre ?tudi?e est jusqu'ici assez peu ?nergique pour n'avoir pu d?terminer r?ellement aucun changement radical dans l'ancien syst?me de culture de la science biologique, surtout en ce qui concerne sa pr?paration rationnelle, qui continue ? ?tre habituellement ind?pendante de la philosophie math?matique et de la philosophie inorganique, v?ritables sources de l'esprit scientifique, et seuls fondemens solides de l'enti?re positivit? des ?tudes vitales.

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