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Read Ebook: Les soirées de l'orchestre by Berlioz Hector

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Ebook has 934 lines and 137267 words, and 19 pages

Ses confr?res, au contraire, ne font gu?re tr?ve ? leurs lectures, r?cits, discussions et causeries, qu'en faveur des grands chefs-d'oeuvre, ou quand, dans les op?ras ordinaires, le compositeur leur a confi? une partie principale et dominante auquel cas leur distraction volontaire serait trop ais?ment remarqu?e et les compromettrait. Mais alors encore, l'orchestre ne se trouvant jamais mis en ?vidence tout entier, il s'ensuit que si la conversation et les ?tudes litt?raires languissent d'une part, elles se raniment de l'autre, et que les beaux parleurs du c?t? gauche reprennent la parole quand ceux du c?t? droit reprennent leur instrument.

Mon assiduit? ? fr?quenter en amateur ce club d'instrumentistes, pendant le s?jour que je fais annuellement dans la ville o? il est institu?, m'a permis d'y entendre narrer un assez bon nombre d'anecdotes et de petits romans; j'y ai m?me souvent, je l'avoue, rendu leur politesse aux conteurs, en faisant quelque r?cit ou lecture ? mon tour. Or, le musicien d'orchestre est naturellement rab?cheur, et quand il a int?ress? ou fait rire une fois son auditoire par un bon mot ou une historiette quelconque, f?t-ce le 25 d?cembre, on peut ?tre bien s?r que, pour rechercher un nouveau succ?s par le m?me moyen, il n'attendra pas la fin de l'ann?e. De sorte, qu'? force d'?couter ces jolies choses, elles ont fini par m'obs?der presque autant que les plates partitions auxquelles on les faisait servir d'accompagnement; et je me d?cide ? les ?crire, ? les publier m?me, orn?es des dialogues ?pisodiques des auditeurs et des narrateurs, afin d'en donner un exemplaire ? chacun d'eux et qu'on n'en parle plus.

Il est entendu que le joueur de grosse caisse seul n'aura point part ? mes largesses bibliographiques. Un homme aussi laborieux et aussi fort d?daigne les exercices d'esprit.

PERSONNAGES DU DIALOGUE

LE CHEF D'ORCHESTRE.

CORSINO, premier violon, compositeur.

SIEDLER, chef des seconds violons.

DIMSKI, premi?re contre-basse.

TURUTH, seconde fl?te.

KLEINER a?n?, timbalier.

KLEINER jeune, premier violoncelle.

DERVINCK, premier hautbois.

WINTER, second basson.

BACON, alto.

MORAN, premier cor.

SCHMIDT, troisi?me cor.

CARLO, gar?on d'orchestre.

UN MONSIEUR, habitu? des stalles du parquet.

L'AUTEUR.

PREMI?RE SOIR?E

LE PREMIER OP?RA, nouvelle du pass?.--VINCENZA, nouvelle sentimentale.--VEXATIONS DE KLEINER l'a?n?.

On joue un op?ra fran?ais moderne tr?s-plat.

--Les musiciens entrent ? l'orchestre avec un air ?vident de mauvaise humeur et de d?go?t. Ils d?daignent de prendre l'accord; ce ? quoi leur chef para?t ne point faire attention. A la premi?re ?mission du la d'un hautbois, les violons s'aper?oivent pourtant qu'ils sont d'un grand quart de ton au-dessus du diapason des instruments ? vent. <> En effet, les musiciens ex?cutent bravement leur partie, sans faire gr?ce au public d'une note. Sans lui faire tort, voulais-je dire; car l'auditoire, ravi de ce plat charivari rhythm?, a cri? bis, et le chef d'orchestre se voit contraint de recommencer. Seulement, par politique, il exige que les instruments ? cordes veuillent bien prendre le ton des instruments ? vent. C'est un intrigant! On est d'accord. On r?p?te l'ouverture qui, cette fois, ne produit aucun effet. L'op?ra commence, et peu ? peu les musiciens cessent de jouer. <> Dimski s'empresse de quitter son instrument. Tout le centre de l'orchestre se dispose alors autour du lecteur qui d?roule sa brochure, et, le coude appuy? sur une caisse de cor, commence ainsi ? demi-voix.

LE PREMIER OP?RA

NOUVELLE DU PASS?

Florence, 17 juillet 1555.

ALFONSO DELLA VIOLA A BENVENUTO CELLINI

Je suis triste, Benvenuto; je suis fatigu?, d?go?t? ou plut?t, ? dire vrai, je suis malade, je me sens maigrir, comme tu maigrissais avant d'avoir veng? la mort de Francesco. Mais tu fus bient?t gu?ri, toi, et le jour de ma gu?rison arrivera-t-il jamais!... Dieu le sait. Pourtant quelle souffrance fut plus que la mienne digne de piti?? A quel malheureux le Christ et sa sainte M?re feraient-ils plus de justice en lui accordant ce rem?de souverain, ce baume pr?cieux, le plus puissant de tous pour calmer les douleurs am?res de l'artiste outrag? dans son art et dans sa personne, la vengeance. Oh! non, Benvenuto, non, sans vouloir te contester le droit de poignarder le mis?rable officier qui avait tu? ton fr?re, je ne puis m'emp?cher de mettre entre ton offense et la mienne une distance infinie. Qu'avait fait, apr?s tout, ce pauvre diable? vers? le sang du fils de ta m?re, il est vrai. Mais l'officier commandait une ronde de nuit; Francesco ?tait ivre; apr?s avoir insult? sans raison, assailli ? coups de pierres le d?tachement, il en ?tait venu, dans son extravagance, ? vouloir enlever leurs armes ? ces soldats; ils en firent usage, et ton fr?re p?rit. Rien n'?tait plus facile ? pr?voir, et, conviens-en, rien n'?tait plus juste.

Je n'en suis pas l?, moi. Bien qu'on ait fait pis que de me tuer, je n'ai en rien m?rit? mon sort; et c'est quand j'avais droit ? des r?compenses, que j'ai re?u l'outrage et l'avanie.

Tu sais avec quelle pers?v?rance je travaille depuis longues ann?es ? accro?tre les forces, ? multiplier les ressources de la musique. Ni le mauvais vouloir des anciens ma?tres, ni les stupides railleries de leurs ?l?ves, ni la m?fiance des dilettanti qui me regardent comme un homme bizarre, plus pr?s de la folie que du g?nie, ni les obstacles mat?riels de toute esp?ce qu'engendre la pauvret?, n'ont pu m'arr?ter, tu le sais. Je puis le dire, puisqu'? mes yeux le m?rite d'une telle conduite est parfaitement nul.

Ce jeune Montecco, nomm? Rom?o, dont les aventures et la mort tragique firent tant de bruit ? V?rone, il y a quelques ann?es, n'?tait certainement pas le ma?tre de r?sister au charme qui l'entra?nait sur les pas de la belle Giulietta, fille de son mortel ennemi. La passion ?tait plus forte que les insultes des valets Capuletti, plus forte que le fer et le poison dont il ?tait sans cesse menac?; Giulietta l'aimait, et pour une heure pass?e aupr?s d'elle, il e?t mille fois brav? la mort. Eh bien! ma Giulietta ? moi, c'est la musique, et, par le ciel! j'en suis aim?.

Il y a deux ans, je formai le plan d'un ouvrage de th??tre sans pareil jusqu'? ce jour, o? le chant, accompagn? de divers instruments, devait remplacer le langage parl? et faire na?tre, de son union avec le drame, des impressions telles que la plus haute po?sie n'en produisit jamais. Par malheur, ce projet ?tait fort dispendieux; un souverain ou un juif pouvait seul entreprendre de le r?aliser.

Pour les juifs, je n'y pensai pas un instant; tout ce que je pouvais raisonnablement esp?rer d'eux, c'?tait, au simple ?nonc? de ma proposition, d'?tre ?conduit sans injures et sans hu?es de la valetaille; encore n'en connaissais-je pas un assez intelligent, pour qu'il ne f?t permis de compter avec quelque certitude sur une telle g?n?rosit?. J'y renon?ai donc, non sans chagrin, tu peux m'en croire; et ce fut le coeur serr? que je repris le cours des travaux obscurs qui me font vivre, mais qui ne s'accomplissent qu'aux d?pens de ceux dont la gloire et la fortune seraient peut-?tre le prix.

Une autre id?e nouvelle, bient?t apr?s, vint me troubler encore. Ne ris pas de mes d?couvertes, Cellini, et garde-toi surtout de comparer mon art naissant ? ton art depuis longtemps form?. Tu sais assez de musique pour me comprendre. De bonne foi, crois-tu que nos tra?nants madrigaux ? quatre parties soient le dernier degr? de perfection o? la composition et l'ex?cution puissent atteindre? Le bon sens n'indique-t-il pas que, sous le rapport de l'expression, comme sous celui de la forme musicale, ces oeuvres tant vant?es ne sont qu'enfantillages et niaiseries.

Les paroles expriment l'amour, la col?re, la jalousie, la vaillance; et le chant, toujours le m?me, ressemble ? la triste psalmodie des moines mendiants. Est-ce l? tout ce que peuvent faire la m?lodie, l'harmonie, le rhythme? N'y a-t-il pas de ces diverses parties de l'art mille applications qui nous sont inconnues? Un examen attentif de ce qui est ne fait-il pas pressentir avec certitude ce qui sera et ce qui devrait ?tre? Et les instruments, en a-t-on tir? parti? Qu'est-ce que notre mis?rable accompagnement qui n'ose quitter la voix et la suit continuellement ? l'unisson ou ? l'octave? La musique instrumentale, prise individuellement, existe-t-elle? Et dans la mani?re d'employer la vocale, que de pr?jug?s, que de routine! Pourquoi toujours chanter ? quatre parties, lors m?me qu'il s'agit d'un personnage qui se plaint de son isolement?

Sois-en s?r, Benvenuto, ce que nos ma?tres, enivr?s de leurs oeuvres, appellent aujourd'hui le comble de l'art, est aussi loin de ce qu'on nommera musique dans deux ou trois si?cles, que les petits monstres bip?des, p?tris avec de la boue par les enfants, sont loin de ton sublime Pers?e ou du Mo?se de Buonarotti.

Il y a donc d'innombrables modifications ? apporter dans un art aussi peu avanc?... des progr?s immenses lui restent donc ? faire. Et pourquoi ne contribuerais-je pas ? donner l'impulsion qui les am?nera?...

Mais, sans te dire en quoi consiste ma derni?re invention, qu'il te suffise de savoir qu'elle ?tait de nature ? pouvoir ?tre mise en lumi?re ? l'aide des moyens ordinaires et sans avoir recours au patronage des riches et des grands. C'?tait du temps seulement qu'il me fallait; et l'oeuvre, une fois termin?e, l'occasion de la produire au grand jour e?t ?t? facile ? trouver, pendant les f?tes qui allaient attirer ? Florence l'?lite des seigneurs et des amis des arts de toutes les nations.

Or, voil? le sujet de l'?cre et noire col?re qui me ronge le coeur:

Un matin que je travaillais ? cette composition singuli?re dont le succ?s m'e?t rendu c?l?bre dans toute l'Europe, monseigneur Galeazzo, l'homme de confiance du grand-duc, qui, l'an pass?, avait fort go?t? ma sc?ne d'Ugolino, vient me trouver et me dit: <

<>

Je ne sais ce qui se passa en moi ? ce discours inattendu; mais je demeurai muet et immobile. L'?tonnement, la joie me coup?rent la parole, et je pris l'attitude d'un idiot. Galeazzo ne se m?prit pas sur la cause de mon trouble, et me serrant la main: <> Et comme je r?pondais toujours affirmativement par un signe de t?te, sans pouvoir parler: <>

Demeur? seul, il me sembla que toutes les cascades de Terni et Tivoli bouillonnaient dans ma t?te.

Ce fut bien pis quand j'eus compris mon bonheur, quand je me fus repr?sent? de nouveau la grandeur et la beaut? de ma t?che. Je m'?lance sur mon libretto, qui jaunissait abandonn? dans un coin depuis si longtemps; je revois Paulo, Francesca, Dante, Virgile, et les ombres et les damn?s; j'entends cet amour ravissant soupirer et se plaindre; de tendres et gracieuses m?lodies pleines d'abandon, de m?lancolie, de chaste passion, se d?roulent au dedans de moi; l'horrible cri de haine de l'?poux outrag? retentit; je vois deux cadavres enlac?s rouler ? ses pieds; puis je retrouve les ?mes toujours unies des deux amants, errantes et battues des vents aux profondeurs de l'ab?me; leurs voix plaintives se m?lent au bruit sourd et lointain des fleuves infernaux, aux sifflements de la flamme, aux cris forcen?s des malheureux qu'elle poursuit, ? tout l'affreux concert des douleurs ?ternelles...

Pendant trois jours, Cellini, j'ai march? sans but, au hasard, dans un vertige continuel; pendant trois nuits j'ai ?t? priv? de sommeil. Ce n'est qu'apr?s ce long acc?s de fi?vre, que la pens?e lucide et le sentiment de la r?alit? me sont revenus. Il m'a fallu tout ce temps de lutte ardente et d?sesp?r?e pour dompter mon imagination et dominer mon sujet. Enfin je suis rest? le ma?tre.

Dans ce cadre immense, chaque partie du tableau, dispos?e dans un ordre simple et logique, s'est montr?e peu ? peu rev?tue de couleurs sombres ou brillantes, de demi-teintes ou de tons tranch?s; les formes humaines ont apparu, ici pleines de vie, l? sous le p?le et froid aspect de la mort. L'id?e po?tique, toujours soumise au sens musical, n'a jamais ?t? pour lui un obstacle; j'ai fortifi?, embelli et grandi l'une par l'autre. Enfin j'ai fait ce que je voulais, comme je le voulais, avec tant de facilit?, qu'? la fin du deuxi?me mois l'ouvrage entier ?tait d?j? termin?.

Le besoin de repos se faisait sentir, je l'avoue; mais en songeant ? toutes les minutieuses pr?cautions qui me restaient ? prendre pour assurer l'ex?cution de mon oeuvre, la vigueur et la vigilance me sont revenues. J'ai surveill? les chanteurs, les musiciens, les machinistes, les d?corateurs.

Tout s'est fait en ordre, avec la plus ?tonnante pr?cision; et cette gigantesque machine musicale allait se mouvoir majestueusement, quand un coup inattendu est venu en briser les ressorts et an?antir ? la fois, et la belle tentative, et les l?gitimes esp?rances de ton malheureux ami.

ALFONSO DELLA VIOLA

Paris, 20 ao?t 1555

BENVENUTO A ALFONSO

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