Read Ebook: Les soirées de l'orchestre by Berlioz Hector
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Ebook has 934 lines and 137267 words, and 19 pages
BENVENUTO A ALFONSO
J'admire, cher Alfonso, la candeur de ton indignation. La mienne est grande, sois-en bien convaincu; mais elle est plus calme. J'ai trop souvent rencontr? de semblables d?ceptions pour m'?tonner de celle que tu viens de subir. L'?preuve ?tait rude, j'en conviens, pour ton jeune courage, et les r?voltes de ton ?me contre une insulte si grave et si peu m?rit?e sont justes autant que naturelles. Mais, pauvre enfant, tu entres ? peine dans la carri?re. Ta vie retir?e, tes m?ditations, tes travaux solitaires, ne pouvaient rien t'apprendre des intrigues qui s'agitent dans les hautes r?gions de l'art, ni du caract?re r?el des hommes puissants, trop souvent arbitres du sort des artistes.
Quelques ?v?nements de mon histoire, que je t'ai laiss? ignorer jusqu'ici, suffiront ? t'?clairer sur notre position ? tous et sur la tienne propre.
Je ne redoute rien pour ta constance de l'effet de mon r?cit; ton caract?re me rassure; je le connais, je l'ai bien ?tudi?. Tu pers?v?reras, tu arriveras au but malgr? tout; tu es un homme de fer, et le caillou lanc? contre ta t?te par les basses passions embusqu?es sur ta route, loin de briser ton front, en fera jaillir le feu. Apprends donc tout ce que j'ai souffert, et que ces tristes exemples de l'injustice des grands te servent de le?on.
L'?v?que de Salamanque, ambassadeur de Rome, m'avait demand? une grande aigui?re, dont le travail, extr?mement minutieux et d?licat, me prit plus de deux mois, et qui, en raison de l'?norme quantit? de m?taux pr?cieux n?cessaires ? sa composition, m'avait presque ruin?. Son Excellence se r?pandit en ?loges sur le rare m?rite de mon ouvrage, le fit emporter, et me laissa deux grands mois sans plus parler de paiement que si elle n'e?t re?u de moi qu'une vieille casserole ou une m?daille de Fioretti. Le bonheur voulut que le vase rev?nt entre mes mains pour une petite r?paration; je refusai de le rendre.
Le maudit pr?lat, apr?s m'avoir accabl? d'injures dignes d'un pr?tre et d'un Espagnol, s'avisa de vouloir me soutirer un re?u de la somme qu'il me devait encore; mais comme je ne suis pas homme ? me laisser prendre ? un pi?ge aussi grossier, Son Excellence en vint ? faire assaillir ma boutique par ses valets. Je me doutai du tour; aussi, quand cette canaille s'avan?a pour enfoncer ma porte, Ascanio, Paulino et moi, arm?s jusqu'aux dents, nous lui f?mes un tel accueil que le lendemain, gr?ce ? mon escopette et ? mon long poignard, je fus enfin pay?.
Plus tard il m'arriva bien pis, quand j'eus fait le c?l?bre bouton de la chape du pape, travail merveilleux que je ne puis m'emp?cher de te d?crire. J'avais situ? le gros diamant pr?cis?ment au milieu de l'ouvrage, et j'avais plac? Dieu assis dessus, dans une attitude si d?gag?e, qu'il n'embarrassait pas du tout le joyau, et qu'il en r?sultait une tr?s-belle harmonie; il donnait la b?n?diction en ?levant la main droite. J'avais dispos?, au-dessous, trois petits anges qui le soutenaient en ?levant les bras en l'air. Un de ces anges, celui du milieu, ?tait en ronde bosse, les deux autres en bas-relief. Il y avait ? l'entour une quantit? d'autres petits anges dispos?s avec d'autres pierres fines. Dieu portait un manteau qui voltigeait, et d'o? sortaient un grand nombre de ch?rubins et mille ornements d'un admirable effet.
Paul me condamne ? mort, puis, comme s'il se repentait de terminer trop promptement mon supplice, il me fait plonger dans un cachot f?tide tout rempli de tarentules et d'insectes venimeux, et ce n'est qu'au bout de six mois de ces tortures que, tout gorg? de vin, dans une nuit d'orgie, il accorde ma gr?ce ? l'ambassadeur fran?ais.
Ce sont l?, cher Alfonso, des souffrances terribles et des pers?cutions bien difficiles ? supporter; ne t'imagine pas que la blessure faite r?cemment ? ton amour-propre puisse t'en donner une juste id?e. D'ailleurs, l'injure adress?e ? l'oeuvre et au g?nie de l'artiste te sembl?t-elle plus p?nible encore que l'outrage fait ? sa personne, celle-l? m'a-t-elle manqu?, dis, ? la cour de notre admirable grand-duc, quand j'ai fondu Pers?e? Tu n'as oubli?, je pense, ni les surnoms grotesques dont on m'appelait, ni les insolents sonnets qu'on placardait chaque nuit ? ma porte, ni les cabales au moyen desquelles on sut persuader ? C?me que mon nouveau proc?d? de fonte ne r?ussirait pas, et que c'?tait folie de me confier le m?tal. Ici m?me, ? cette brillante cour de France, o? j'ai fait fortune, o? je suis puissant et admir?, n'ai-je pas une lutte de tous les instants, sinon avec mes rivaux , au moins avec la favorite du roi, madame d'?tampes, qui m'a pris en haine, je ne sais pourquoi! Cette m?chante chienne dit tout le mal possible de mes ouvrages; cherche, par mille moyens, ? me nuire dans l'esprit de Sa Majest?; et, en v?rit?, je commence ? ?tre si las de l'entendre aboyer sur ma trace, que, sans un grand ouvrage r?cemment entrepris, dont j'esp?re plus d'honneur que de tous mes pr?c?dents travaux, je serais d?j? sur la route d'Italie.
Ton ami. BENVENUTO CELLINI
Paris, 10 juin 1557.
BENVENUTO CELLINI A ALFONSO DELLA VIOLA
Mis?rable! baladin! saltimbanque! cuistre! castrat! joueur de fl?te. C'?tait bien la peine de jeter tant de cris, de souffler tant de flammes, de tant parler d'offense et de vengeance, de rage et d'outrage, d'invoquer l'enfer et le ciel, pour arriver enfin ? une aussi vulgaire conclusion! Ame basse et sans ressort! fallait-il prof?rer de telles menaces puisque ton ressentiment ?tait de si fr?le nature, que deux ans ? peine apr?s avoir re?u l'insulte ? la face, tu devais t'agenouiller l?chement pour baiser la main qui te l'infligea.
Quoi! ni la parole que tu m'avais donn?e, ni les regards de l'Europe aujourd'hui fix?s sur toi, ni ta dignit? d'homme et d'artiste, n'ont pu te garantir des s?ductions de cette cour, o? r?gnent l'intrigue, l'avarice et la mauvaise foi; de cette cour o? tu fus honni, m?pris?, et qui te chassa comme un valet infid?le! Il est donc vrai! tu composes pour le grand-duc! Il s'agit m?me, dit-on, d'une oeuvre plus vaste et plus hardie encore que celles que tu as produites jusqu'ici. L'Italie musicale tout enti?re doit prendre part ? la f?te. On dispose les jardins du palais Pitti; cinq cents virtuoses habiles, r?unis sous ta direction dans un vaste et beau pavillon d?cor? par Michel-Ange, verseront ? flots la splendide harmonie sur un peuple haletant, ?perdu, enthousiasm?. C'est admirable! Et tout cela pour le grand-duc, pour Florence, pour cet homme et cette ville qui t'ont si indignement trait?! Oh! quelle ridicule bonhomie ?tait la mienne quand je cherchais ? calmer ta pu?rile col?re d'un jour! oh! la miraculeuse simplicit? qui me faisait pr?cher la continence ? l'eunuque, la lenteur au colima?on! Sot que j'?tais!
L'orgueil, peut-?tre, t'aura s?duit... quelque dignit? bouffie... quelque titre bien vain... Je m'y perds.
Quoi qu'il en soit, retiens bien ceci: tu as manqu? de noblesse, tu as manqu? de fiert?, tu as manqu? de foi. L'homme, l'artiste et l'ami sont ?galement d?chus ? mes yeux. Je ne saurais accorder mes affections qu'? des gens de coeur, incapables d'une action honteuse; tu n'es pas de ceux-l?, mon amiti? n'est plus ? toi. Je t'ai donn? de l'argent, tu as voulu me le rendre; nous sommes quittes. Je vais partir de Paris; dans un mois je passerai ? Florence; oublie que tu m'as connu et ne cherche pas ? me voir. Car, f?t-ce le jour m?me de ton succ?s, devant le peuple, devant les princes, et devant l'assembl?e bien autrement imposante pour moi de tes cinq cents artistes, si tu m'abordais, je te tournerais le dos.
BENVENUTO CELLINI
Florence, 23 juin 1557.
ALPHONSO A BENVENUTO
Je suis bien coupable, n'est-ce pas, bien m?prisable, bien vil? Eh bien! Cellini, si tu passes ? Florence le 28 juillet prochain, attends-moi de huit ? neuf heures du soir devant la porte du Baptistaire, j'irai t'y chercher. Et si, d?s les premiers mots, je ne me justifie pas compl?tement de tous les griefs que tu me reproches, si je ne te donne pas de ma conduite une explication dont tu puisses de tout point t'avouer satisfait, alors redouble de m?pris, traite-moi comme le dernier des hommes, foule-moi aux pieds, frappe-moi de ton fouet, crache-moi au visage, je reconnais d'avance que je l'aurai m?rit?. Jusque-l?, garde-moi ton amiti?: tu verras bient?t que je n'en fus jamais plus digne.
A toi, ALFONSO DELLA VIOLA.
Le 28 juillet au soir, un homme de haute taille, ? l'air sombre et m?content, se dirigeait ? travers les rues de Florence, vers la place du Grand-Duc. Arriv? devant la statue en bronze de Pers?e, il s'arr?ta et la consid?ra quelque temps dans le plus profond recueillement: c'?tait Benvenuto. Bien que la r?ponse et les protestations d'Alfonso eussent fait peu d'impression sur son esprit, il avait ?t? longtemps uni au jeune compositeur par une amiti? trop sinc?re et trop vive, pour qu'elle p?t ainsi en quelques jours s'effacer ? tout jamais. Aussi ne s'?tait-il pas senti le courage de refuser d'entendre ce que della Viola pouvait all?guer pour sa justification; et c'est en se rendant au Baptistaire, o? Alfonso devait venir le rejoindre, que Cellini avait voulu revoir, apr?s sa longue absence, le chef-d'oeuvre qui lui co?ta nagu?re tant de fatigues et de chagrins. La place et les rues adjacentes ?taient d?sertes, le silence le plus profond r?gnait dans ce quartier, d'ordinaire si bruyant et si populeux. L'artiste contemplait son immortel ouvrage, en se demandant si l'obscurit? et une intelligence commune n'eussent pas ?t? pr?f?rables pour lui ? la gloire et au g?nie.
--Que ne suis-je un bouvier de Nettuno ou de Porto d'Anzio! pensait-il; semblable aux animaux confi?s ? ma garde, je m?nerais une existence grossi?re, monotone, mais inaccessible au moins aux agitations qui, depuis mon enfance, ont tourment? ma vie. Des rivaux perfides et jaloux... des princes injustes ou ingrats... des critiques acharn?s... des flatteurs imb?ciles... des alternatives incessantes de succ?s et de revers, de splendeur et de mis?re... des travaux excessifs et toujours renaissants... jamais de repos, de bien-?tre, de loisirs... user son corps comme un mercenaire et sentir constamment son ?me transir ou br?ler... est-ce l? vivre?...
Les exclamations bruyantes de trois jeunes artisans, qui d?bouchaient rapidement sur la place, vinrent interrompre sa m?ditation.
--Six florins! disait l'un, c'est cher.
--En v?rit?, en e?t-il demand? dix, r?pliqua l'autre, il e?t bien fallu en passer par l?. Ces maudits Pisans ont pris toutes les places. D'ailleurs, pense donc, Antonio, que la maison du jardinier n'est qu'? vingt pas du pavillon; assis sur le toit, nous pourrons entendre et voir ? merveille: la porte du petit canal souterrain sera ouverte et nous arriverons sans difficult?.
--Bah! ajouta le troisi?me, pour entendre ?a, nous pouvons bien je?ner un peu pendant quelques semaines. Vous savez l'effet qu'a produit hier la r?p?tition. La cour seule y avait ?t? admise; le grand-duc et sa suite n'ont cess? d'applaudir; les ex?cutants ont port? della Viola en triomphe, et enfin, dans son extase, la comtesse de Vallombrosa l'a embrass?: ce sera miraculeux.
--Mais voyez donc comme les rues sont d?peupl?es; toute la ville est d?j? r?unie au palais Pitti. C'est le moment. Courons! courons!
Cellini apprit seulement alors qu'il s'agissait de la grande f?te musicale, dont le jour et l'heure ?taient arriv?s. Cette circonstance ne s'accordait gu?re avec le choix qu'avait fait Alfonso de cette soir?e pour son rendez-vous. Comment en un pareil moment, le maestro pourrait-il abandonner son orchestre et quitter le poste important o? l'attachait un si grand int?r?t? c'?tait difficile ? concevoir.
Le ciseleur, n?anmoins, se rendit au Baptistaire, o? il trouva ses deux ?l?ves Paolo et Ascanio, et des chevaux; il devait partir le soir m?me pour Livourne, et de l? s'embarquer pour Naples le lendemain.
Il attendait ? peine depuis quelques minutes, quand Alfonso, le visage p?le et les yeux ardents, se pr?senta devant lui avec une sorte de calme affect?, qui ne lui ?tait pas ordinaire.
--Cellini! tu es venu, merci.
--Eh bien?
--C'est ce soir!
--Je le sais; mais parle, j'attends l'explication que tu m'as promise.
--Le palais Pitti, les jardins, les cours, sont encombr?s. La foule se presse sur les murs, dans les bassins ? demi pleins d'eau, sur les toits, sur les arbres, partout.
--Je le sais.
--Les Pisans sont venus, les Siennois sont venus.
--Je le sais.
--Le grand-duc, la cour et la noblesse sont r?unis, l'immense orchestre est rassembl?.
--Je le sais.
--Mais la musique n'y est pas, cria Alfonso en bondissant, le maestro n'y est pas non plus, le sais-tu aussi?
--Comment! que veux-tu dire?
--Je l'aper?ois.
Cellini, les dents serr?es, les narines ouvertes, regardait, sans r?pondre, le terrible spectacle de cette fureur populaire; ses yeux o? brillait un feu sinistre, son front carr? que sillonnaient de larges gouttes de sueur, le tremblement presque imperceptible de ses membres, t?moignaient assez de la sauvage intensit? de sa joie. Saisissant enfin le bras d'Alfonso:
--Je pars ? l'instant pour Naples, veux-tu me suivre?
--Au bout du monde, ? pr?sent.
--Embrasse-moi donc, et ? cheval! tu es un h?ros.
WINTER.--Ce damn? op?ra ne finira pas! Qui sait quelque chose d'amusant pour nous faire oublier les clameurs de cette cr?ature?--Moi, dit Turuth, la seconde fl?te, je puis vous raconter un petit drame dont j'ai ?t? t?moin en Italie; mais l'histoire n'est pas gaie.--Oh! tu es sensible, on le sait; le plus sensible des laur?ats que l'Institut de France a envoy?s ? Rome depuis vingt ans, pour y d?sapprendre la musique, si toutefois ils l'ont jamais sue.--Eh bien! si c'est le genre fran?ais, dit Dervinck, laisse-le nous attendrir. Va pour dix minutes de sensibilit?. Mais tu nous assures que ton histoire est v?ritable?--Aussi vraie qu'il est vrai que j'existe!--Voyez-vous le puriste, qui ne veut pas dire comme tout le monde aussi vraie que j'existe!--Chut! au fait! au fait!--M'y voil?!
VINCENZA
NOUVELLE SENTIMENTALE
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