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Read Ebook: Vers Ispahan by Loti Pierre

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Ebook has 740 lines and 73206 words, and 15 pages

VERS ISPAHAN

CALMANN-L?VY, ?DITEURS

E. GREVIN--IMPRIMERIE DE LAGNY

PIERRE LOTI

DE L'ACAD?MIE FRAN?AISE

VERS ISPAHAN

PARIS CALMANN-L?VY, ?DITEURS 3, RUE AUBER, 3

Droits de reproduction et de traduction r?serv?s pour tous les pays.

PREMI?RE PARTIE

PR?LUDE

Qui veut venir avec moi voir ? Ispahan la saison des roses, prenne son parti de cheminer lentement ? mes c?t?s, par ?tapes, ainsi qu'au moyen ?ge.

Qui veut venir avec moi voir ? Ispahan la saison des roses, consente au danger des chevauch?es par les sentiers mauvais o? les b?tes tombent, et ? la promiscuit? des caravans?rails o? l'on dort entass?s dans une niche de terre battue, parmi les mouches et la vermine.

Qui veut venir avec moi voir appara?tre, dans sa triste oasis, au milieu de ses champs de pavots blancs et de ses jardins de roses roses, la vieille ville de ruines et de myst?re, avec tous ses d?mes bleus, tous ses minarets bleus d'un inalt?rable ?mail; qui veut venir avec moi voir Ispahan sous le beau ciel de mai, se pr?pare ? de longues marches, au br?lant soleil, dans le vent ?pre et froid des altitudes extr?mes, ? travers ces plateaux d'Asie, les plus ?lev?s et les plus vastes du monde, qui furent le berceau des humanit?s, mais sont devenus aujourd'hui des d?serts.

Nous passerons devant des fant?mes de palais, tout en un silex couleur de souris, dont le grain est plus durable et plus fin que celui des marbres. L?, jadis, habitaient les ma?tres de la Terre, et, aux abords, veillent depuis plus de deux mille ans des colosses ? grandes ailes, qui ont la forme d'un taureau, le visage d'un homme et la tiare d'un roi. Nous passerons, mais, alentour, il n'y aura rien, que le silence infini des foins en fleur et des orges vertes.

Qui veut venir avec moi voir la saison des roses ? Ispahan, s'attende ? d'interminables plaines, aussi haut mont?es que les sommets des Alpes, tapiss?es d'herbes rases et d'?tranges fleurettes p?les, o? ? peine de loin en loin surgira quelque village en terre d'un gris tourterelle, avec sa petite mosqu?e croulante, au d?me plus adorablement bleu qu'une turquoise; qui veut me suivre, se r?signe ? beaucoup de jours pass?s dans les solitudes, dans la monotonie et les mirages...

EN ROUTE

Mardi, 17 avril.

En d?sordre par terre, notre d?ballage de nomades s'?tale, mouill? d'embruns et piteux ? voir, au cr?puscule. Beaucoup de vent sous des nuages en vo?te sombre; les lointains des plaines de sable, o? il faudra s'enfoncer tout ? l'heure ? la gr?ce de Dieu, se d?tachent en clair sur l'horizon; le d?sert est moins obscur que le ciel.

Une grande barque ? voile, que nous avions fr?t?e ? Bender-Bouchir, vient de nous jeter ici, au seuil des solitudes, sur la rive br?lante de ce Golfe Persique, o? l'air empli de fi?vre est ? peine respirable pour les hommes de nos climats. Et c'est le point o? se forment d'habitude les caravanes qui doivent remonter vers Chiraz et la Perse centrale.

Nous ?tions partis de l'Inde, il y a environ trois semaines, sur un navire qui nous a lentement amen?s, le long de la c?te, en se tra?nant sur les eaux lourdes et chaudes. Et depuis plusieurs jours nous avons commenc? de voir, ? l'horizon du Nord, une sorte de muraille mondiale, tant?t bleue, tant?t rose, qui semblait nous suivre, et qui est l?, ce soir encore, dress?e pr?s de nous: le rebord de cette Perse, but de notre voyage, qui g?t ? deux ou trois mille m?tres d'altitude, sur les immenses plateaux d'Asie.

Le premier accueil nous a ?t? rude sur la terre persane: comme nous arrivions de Bombay, o? s?vit la peste, il a fallu faire six jours de quarantaine, mon serviteur fran?ais et moi, seuls sur un ?lot de mar?cage, o? une barque nous apportait chaque soir de quoi ne pas mourir de faim. Dans une chaleur d'?tuve, au milieu de tourmentes de sable chaud que nous envoyait l'Arabie voisine, au milieu d'orages aux aspects apocalyptiques, nous avons l? souffert longuement, accabl?s dans le jour par le soleil, couverts de taons et de mauvaises mouches; la nuit, en proie ? d'innommables vermines dont l'herbe ?tait infest?e.

Admis enfin ? Bender-Bouchir, ville de tristesse et de mort s'il en fut, groupe de masures croulantes sous un ciel maudit, nous avons fait en h?te nos appr?ts, achet? des objets de campement, et lou? des chevaux, des mules, des muletiers, qui ont d? partir ce matin pour nous rejoindre en contournant une baie, tandis que nous coupions par mer en ligne droite, afin d'?viter une marche sous le soleil mortel.

Donc, nous voici d?pos?s ? l'entr?e de ce d?sert, en face d'un semblant de village en ruines, o? des gens v?tus de haillons s'asseyent sur des pans de murailles, pour fumer en nous observant.

Longs pourparlers avec nos bateliers demi-nus,--qui nous ont apport?s ? terre sur leurs ?paules ruisselantes, car la barque a d? rester ? cent m?tres de la rive, ? cause des bancs de sable. Longs pourparlers avec le chef du lieu, qui a re?u du gouverneur de Bouchir l'ordre de me donner des cavaliers d'escorte, et ensuite avec mon <> , dont les chevaux et les mules devraient ?tre l?, mais n'arrivent pas.

De tous c?t?s, c'est l'?tendue agit?e par le vent, l'?tendue du d?sert ou de la mer. Et nous sommes sans abri, nos bagages ?pars. Et le jour ach?ve de s'?teindre, sur notre d?sarroi.

Quelques gouttes de pluie. Mais, dans ce pays, on n'y prend pas garde; on sait qu'il ne pleuvra pas, qu'il ne peut pas pleuvoir. Les gens qui s'?taient assis ? fumer dans les ruines viennent de faire leur pri?re du Moghreb, et la nuit tombe, sinistre.

Nous attendons nos b?tes, qui continuent de ne pas venir. Dans l'obscurit?, de temps ? autre, des clochettes s'approchent en carillon, chaque fois nous donnant espoir. Mais non, c'est quelque caravane ?trang?re qui passe; par vingt ou trente, les mules d?filent pr?s de nous; pour les emp?cher de pi?tiner nos bagages et nous-m?mes, nos gens crient,--et tout de suite elles disparaissent, vers le t?n?breux lointain.

Enfin elles arrivent, les n?tres, avec force clochettes aussi.

Nuit de plus en plus ?paisse, sous un ciel bas et tourment?.

Tout est par terre, jet? p?le-m?le; les b?tes font des sauts, des ruades,--et l'heure s'avance, nous devrions ?tre en route. Dans les cauchemars du sommeil, on a pass? quelquefois par de tels embarras insolubles, on a connu de ces fouillis ind?brouillables, au milieu de t?n?bres croissantes. Vraiment cela semble impossible que tant de choses quelconques, armes, couvertures, vaisselle, achet?es en h?te ? Bouchir et non emball?es, gisant ? m?me le sable, puissent, avec la nuit qu'il fait, s'arranger bient?t sur ces mules ? sonnettes et s'enfoncer, ? la file derri?re nous, dans le noir d?sert.

Cependant on commence la besogne, en s'interrompant de temps ? autre pour dire des pri?res. Enfermer les objets dans de grands sacs de caravane en laine bariol?e; ficeler, corder, soupeser; ?quilibrer la charge de chaque b?te,... cela se fait ? la lueur de deux petites lanternes, lamentables au milieu de la tourmente obscure. Pas une ?toile; pas une trou?e l?-haut, par o? le moindre rayon tombe. Les rafales, avec un bruit g?missant, soul?vent le sable en tourbillons. Et tout le temps, ? la cantonade, des sonneries de grelots et de clochettes: caravanes inconnues qui passent.

Maintenant le chef du village vient me pr?senter les trois soldats qui, avec mes domestiques et mes muletiers, constitueront ma garde cette nuit. Toujours les deux m?mes petites lanternes, que l'on a pos?es par terre et qui attirent les sauterelles, me les ?clairent vaguement par en dessous, ces nouveaux venus: hauts bonnets noirs sur de fins visages; longs cheveux et longues moustaches, grandes robes serr?es ? la taille, et mancherons qui pendent comme des ailes...

Enfin la lune, amie des nomades, vient d?brouiller le chaos noir. Dans une d?chirure soudaine, au ras de l'horizon, elle surgit ?norme et rouge, du m?me coup r?v?lant des eaux encore proches, sur lesquelles son reflet s'allonge en nappe sanglante , et des montagnes, l?-bas, qu'elle d?coupe en silhouette . Sa lueur bienfaisante s'?pand sur le d?sert, mettant fin ? ces impossibilit?s de cauchemar, nous d?livrant de la confusion inextricable; nous indiquant les uns aux autres, personnages dessin?s en noir?tre sur des sables clairs; et surtout nous isolant, nous, groupes destin?s ? une m?me caravane, des autres groupes indiff?rents ou pillards qui stationnaient ?? et l?, et dont la pr?sence nous inqui?tait alentour...

Neuf heures et demie. Le vent s'apaise; les nuages partout se d?chirent, montrant les ?toiles. Tout est empaquet?, charg?. Mes trois soldats sont en selle, tenant leurs longs fusils droits. On am?ne nos chevaux, nous montons aussi. Avec un ensemble joyeux de sonneries, ma caravane s'?branle, en petite cohorte confuse, et pointe enfin dans une direction d?termin?e, ? travers la plaine sans bornes.

Plaine de vase grise, qui tout de suite commence apr?s les sables, plaine de vase s?ch?e au soleil et cribl?e d'empreintes; des tra?n?es d'un gris plus p?le, faites ? la longue par des pi?tinements innombrables, sont les sentes qui nous guident et vont se perdre en avant dans l'infini.

Elle est en marche, ma caravane! et c'est pour six heures de route, ce qui nous fera arriver ? l'?tape vers trois ou quatre heures du matin.

Malgr? cette partance d?courageante, qui semblait ne devoir aboutir jamais, elle est en marche, ma caravane, assez rapide, assez l?g?re et ais?e, ? travers l'espace impr?cis dont rien ne jalonne l'?tendue...

Jamais encore, je n'avais chemin? dans le d?sert en pleine nuit. Au Maroc, en Syrie, en Arabie on campait toujours avant l'heure du Moghreb. Mais ici, le soleil est tellement meurtrier qui ni les hommes ni les b?tes ne r?sisteraient ? un trajet de plein jour: ces routes ne connaissent que la vie nocturne.

La lune monte dans le ciel, o? de gros nuages, qui persistent encore, la font de temps ? autre myst?rieuse.

Escorte d'inconnus, silhouettes tr?s persanes; pour moi, visages nouveaux, costumes et harnais vus pour la premi?re fois.

Avec un carillon d'harmonie monotone, nous progressons dans le d?sert: grosses cloches aux notes graves, suspendues sous le ventre des mules; petites clochettes ou grelots, formant guirlande ? leur cou. Et j'entends aussi des gens de ma suite qui chantent en voix haute de muezzin, tout doucement, comme s'ils r?vaient.

C'est devenu d?j? une seule et m?me chose, ma caravane, un seul et m?me tout, qui parfois s'allonge ? la file, s'espace d?mesur?ment sous la lune, dans l'infini gris; mais qui d'instinct se resserre, se groupe ? nouveau en une m?l?e compacte, o? les jambes se fr?lent. Et on prend confiance dans cette coh?sion instinctive, on en vient peu ? peu ? laisser les b?tes cheminer comme elles l'entendent.

Le ciel de plus en plus se d?gage; avec la rapidit? propre ? de tels climats, ces nu?es, l?-haut, qui semblaient si lourdes ach?vent de s'?vaporer sans pluie. Et la pleine lune maintenant resplendit, superbe et seule dans le vide; toute la chaude atmosph?re est impr?gn?e de rayons, toute l'?tendue visible est inond?e de clart? blanche.

Il arrive bien de temps ? autre qu'une mule fantaisiste s'?loigne sournoisement, pointe, on ne sait pourquoi, dans une direction oblique; mais elle est tr?s facile ? distinguer, se d?tachant en noir, avec sa charge qui lui fait un gros dos bossu, au milieu de ces lointains lisses et clairs, o? ne tranche ni un rocher ni une touffe d'herbe; un de nos hommes court apr?s et la ram?ne, en poussant ce long beuglement ? bouche close, qui est ici le cri de rappel des muletiers.

Et la petite musique de nos cloches de route continue de nous bercer avec sa monotonie douce; le perp?tuel carillon dans le perp?tuel silence, nous endort. Des gens sommeillent tout ? fait, allong?s, couch?s inertes sur le cou de leur mule, qu'ils enlacent machinalement des deux bras, corps abandonn?s qu'un rien d?sar?onnerait, et longues jambes nues qui pendent. D'autres, rest?s droits, persistent ? chanter, dans le carillon des cloches suspendues, mais peut-?tre dorment aussi.

Il y a maintenant des zones de sable rose, trac?es avec une r?gularit? bizarre; sur le sol de vase s?ch?e, elles font comme des z?brures, l'?tendue du d?sert ressemble ? une nappe de moire. Et, ? l'horizon devant nous, mais si loin encore, toujours cette cha?ne de montagnes en muraille droite, qui limite l'?touffante r?gion d'en bas, qui est le rebord des grands plateaux d'Asie, le rebord de la vraie Perse, de la Perse de Chiraz et d'Ispahan: l?-haut, ? deux ou trois mille m?tres au-dessus de ces plaines mortelles, est le but de notre voyage, le pays d?sir?, mais difficilement accessible, o? finiront nos peines.

Minuit. Une quasi-fra?cheur tout ? coup, d?licieuse apr?s la fournaise du jour, nous rend plus l?gers; sur l'immensit?, moir?e de rose et de gris, nous allons comme hypnotis?s.

Une heure, deux heures du matin... De m?me qu'en mer, les nuits de quart par tr?s beau temps, alors que tout est facile et qu'il suffit de laisser le navire glisser, on perd ici la notion des dur?es; tant?t les minutes paraissent longues comme des heures, tant?t les heures br?ves comme des minutes. Du reste, pas plus que sur une mer calme, rien de saillant sur le d?sert pour indiquer le chemin parcouru...

Je dors sans doute, car ceci ne peut ?tre qu'un r?ve!... A mes c?t?s, une jeune fille, que la lune me montre adorablement jolie, avec un voile et des bandeaux ? la vierge, chemine tout pr?s sur un ?non, qui, pour se maintenir l?, remue ses petites jambes en un trottinement silencieux...

Mais non, elle est bien r?elle, la si jolie voyageuse, et je suis ?veill?!... Alors, dans une premi?re minute d'effarement, l'id?e me passe que mon cheval, profitant de mon demi-sommeil, a d? m'?garer, se joindre ? quelque caravane ?trang?re...

Cependant je reconnais, ? deux pas, les longues moustaches d'un de mes soldats d'escorte; et ce cavalier devant moi est bien mon tcharvadar, qui se retourne en selle pour me sourire, de son air le plus tranquille... D'autres femmes, sur d'autres petits ?nes, de droite et de gauche, sont l? qui font route parmi nous: tout simplement un groupe de Persans et de Persanes, revenant de Bender-Bouchir, a demand?, pour plus de s?curit?, la permission de voyager cette nuit en notre compagnie.

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