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Read Ebook: Récits d'une tante (Vol. 2 de 4) Mémoires de la Comtesse de Boigne née d'Osmond by Boigne Louise El Onore Charlotte Ad Laide D Osmond Comtesse De

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Ebook has 1193 lines and 92391 words, and 24 pages

--Oui, sire, pas un sol de moins, et je suis en mesure de le prouver ? Votre Majest?, voici les papiers.

--Non, non, c'est inutile, je vous crois; et je vous en fais bien mon compliment.>>

Le marquis de Barolle fut oblig? de se tenir pour satisfait.

Le charme que les dames pi?montaises trouvent au th??tre les y rend tr?s assidues, mais cela n'est plus d'obligation comme avant la R?volution. Quand une femme manquait deux jours ? aller ? l'Op?ra, le Roi envoyait s'enqu?rir du motif de son absence et elle ?tait r?primand?e, s'il ne le jugeait pas suffisant.

En tout, rien n'?tait si despotique que ce gouvernement soi-disant paternel, surtout pour la noblesse. ? la v?rit?, il la dispensait souvent de payer les dettes qu'elle avait contract?es envers les roturiers ; mais, en revanche, il d?cidait de la fa?on dont on devait manger son revenu. Il disait aux uns de b?tir un ch?teau, aux autres d'?tablir une chapelle, ? celui-ci de donner des concerts, ? cet autre de faire danser, etc. Il fixait la r?sidence de chacun dans la terre ou dans la ville qui lui convenait. Pour aller ? l'?tranger, il fallait demander la permission particuli?re du Roi; il la donnait difficilement, la faisait toujours attendre et ne l'accordait que pour un temps tr?s limit?. Un s?jour plus ou moins long dans la forteresse de F?nestrelle aurait ?t? le r?sultat de la moindre d?sob?issance ? l'int?rieur. Si on avait prolong? l'absence ? l'?tranger au del? du temps fix?, la s?questration des biens ?tait de droit sans autre formalit?.

La marquise del Borgo, soeur du comte de Saint-Marsan, ?tait spirituelle, piquante, moqueuse, amusante, assez aimable. Mais elle nous ?tait d'une faible ressource; elle se trouvait pr?cis?ment en position de craindre des rapports un peu familiers avec nous.

La conduite des dames pi?montaises est g?n?ralement assez peu r?guli?re. Peut-?tre, au surplus, les ?trangers s'exag?rent-ils leurs torts, car elles affichent leurs liaisons avec cette effronterie na?ve des moeurs italiennes qui nous choque tant. Quant aux maris, ils n'y apportent point d'obstacle et n'en prennent aucun souci. Cette philosophie conjugale est commune ? toutes les classes au del? des Alpes. Je me rappelle ? ce propos avoir entendu raconter ? M?nageot , que, dans le temps o? il ?tait directeur des costumes ? l'Op?ra de Paris, il ?tait arriv? un jour chez le vieux Vestris et l'avait trouv? occup? ? consoler un jeune danseur, son compatriote, dont la femme, vive et jolie figurante, lui donnait de noires inqui?tudes. Apr?s toutes les phrases banales appropri?es ? calmer les fureurs de l'Othello de coulisse, Vestris ajouta dans son baragouin semi italien:

M?nageot pr?tendait que le conseil avait prosp?r? assez promptement.

CHAPITRE II

Les visites ? Turin. -- Le comte et la comtesse de Balbe. -- Monsieur Dauz?re. -- Le prince de Carignan. -- Le corps diplomatique. -- Le g?n?ral Bubna. -- Ennui de Turin. -- Aspect de la ville. -- Appartements qu'on y trouve. -- R?union de G?nes au Pi?mont. -- D?ner donn? par le comte de Valese. -- Jules de Polignac.

Tant que dure la saison de l'Op?ra, on ne fait ni ne re?oit de visites: c'est un d'autant plus grand b?n?fice qu'? Turin l'usage n'admet que celles du soir. Les palais sont sans portier et les escaliers sans lumi?re. Le domestique qui vous suit est muni d'une lanterne avec laquelle il vous escorte jusqu'au premier, second, troisi?me ?tage d'une immense maison dont le propri?taire titr? habite un petit coin, le reste ?tant lou?, souvent ? des gens de finance. On doit arriver en personne ? la porte de l'appartement, rester dans sa voiture et envoyer savoir si on y est pass? pour une impertinence. Cependant les dames re?oivent rarement. Le costume dans lequel on les trouve, l'arrangement de leur chambre, aussi bien que de leur personne, prouve qu'elles ne sont pas pr?par?es pour le monde. Il faut excepter quelques maisons ouvertes, les del Borgo, les Barolle, les Bins, les Mazin, etc.

Comme nous ne suivions pas fort r?guli?rement le th??tre, nous restions assez souvent le soir chez nous en tr?s petit comit?. Monsieur et madame de Balbe faisaient notre plus grande ressource. Le comte de Balbe ?tait un de ces hommes distingu?s que j'ai signal?s plus haut: des connaissances acquises et profondes en tout genre ne l'emp?chaient pas d'?tre aimable, spirituel, gai et bon homme dans l'habitude de la vie. L'Empereur l'avait plac? ? la t?te de l'Universit?. La confiance du pays l'avait nomm? chef du gouvernement provisoire qui s'?tait form? entre le d?part des fran?ais et l'arriv?e du Roi. Il s'y ?tait tellement concili? tous les suffrages qu'on n'avait pas os? l'expulser tout ? fait et il ?tait rest? directeur de l'instruction publique, avec entr?e au conseil o?, cependant, il n'?tait appel? que pour les objets sp?ciaux, tels que les cabinets d'ornithologie. Il ?tait fort au-dessus de la crainte pu?rile de montrer de la bienveillance pour nous, et nous le voyions journellement. Sa femme ?tait fran?aise, tr?s vive, tr?s bonne, tr?s amusante; elle ?tait cousine de monsieur de Maurepas, avait connu mes parents ? Versailles et s'?tablit tout de suite dans notre intimit?.

La famille des Cavour y ?tait aussi entr?e. Ceux-l? se trouvaient trop compromis pour avoir rien ? m?nager; la m?re avait ?t? dame d'honneur de la princesse Borgh?se et le fils mar?chal du palais et l'ami du prince. La soeur de sa femme avait ?pous? un fran?ais qui a certainement r?solu un grand probl?me. Monsieur Dauz?re, directeur de la police g?n?rale pendant toute l'administration fran?aise, en satisfaisant pleinement ses chefs, ?tait parvenu ? se faire tellement aimer dans le pays qu'il n'y eut qu'un cri lorsque le Roi voulut l'expulser comme les autres fran?ais employ?s en Pi?mont. Il est rest? ? Turin, bien avec tout le monde; il a fini par avoir une grande influence dans le gouvernement et, depuis mon d?part, j'ai entendu dire qu'il y jouait un principal r?le.

Nous voyions aussi, mais avec moins d'intimit?, la comtesse Mazin, personne d'un esprit fort distingu?; elle avait ?t? ?lev?e par son oncle, l'abb? Caluzzo, dont le nom est familier ? tous les savants de l'Europe. Voil?, avec le corps diplomatique, ce qui formait le fond de notre soci?t?.

Le prince de Carignan ?tait bien content lorsque son gouverneur l'amenait chez nous. ? peine ?chapp? d'une pension ? Gen?ve, o? il jouissait de toute la libert? d'un ?colier, on l'avait mis au r?gime d'un prince pi?montais, et cependant on h?sitait ? le proclamer h?ritier de la Couronne. Il ?tait dans les instructions de mon p?re d'obtenir cette reconnaissance; il y travaillait avec z?le, et le jeune prince, le regardant comme son protecteur, venait lui raconter ses dol?ances.

Une des choses qui l'affligeait le plus ?tait les pr?cautions exag?r?es qu'on prenait de sa sant?, aussi bien que de son salut, et les suj?tions qu'elles lui imposaient. Par exemple, il ne pouvait monter ? cheval que dans son jardin, entre deux ?cuyers, et sous l'inspection de son m?decin et de son confesseur.

Ce confesseur suivait toutes les actions de sa vie; il assistait ? son lever, ? son coucher, ? tous ses repas, lui faisait faire ses pri?res et dire son b?n?dicit?; enfin il cherchait constamment ? exorciser le d?mon qui devait ?tre entr? dans l'?me du prince pendant son s?jour dans ces deux pays maudits, Paris et Gen?ve. Au lieu d'obtenir sa confiance pourtant, il ?tait seulement parvenu ? lui persuader qu'il ?tait son espion et qu'il rendait compte de toutes ses actions et de toutes ses pens?es au confesseur du Roi, qui l'avait plac? pr?s de lui. Mon p?re l'encourageait ? la patience et ? la prudence, tout en compatissant ? ses peines. Il comprenait combien un jeune homme de quinze ans, ?lev? jusque-l? dans une libert? presque exag?r?e devait souffrir d'un changement si complet.

Le prince ?tait fort aim? de son gouverneur, monsieur de Saluces; il avait confiance en lui et en monsieur de Balbe, un de ses tuteurs. Quand il se trouvait chez mon p?re, et qu'il n'y avait qu'eux et nous, il ?tait dans un bonheur inexprimable. Il ?tait d?j? tr?s grand pour son ?ge et avait une belle figure. Il habitait tout seul l'?norme palais de Carignan qu'on lui avait rendu. Il n'?tait pas encore en possession de ses biens, de sorte qu'il vivait dans le malaise et les privations; encore avait-on peine ? solder les frais de sa tr?s petite d?pense.

Au reste, le Roi n'avait gu?re plus de luxe. Le palais ?tait rest? meubl?, mais le mat?riel de l'?tablissement, appartenant au prince Borgh?se, avait ?t? emport? par lui; de sorte que le Roi n'avait rien trouv? en arrivant; et, pendant fort longtemps, il s'est servi de vaisselle, de linge, de porcelaine, de chevaux, de voitures emprunt?s aux seigneurs pi?montais. J'ignore comment les frais s'en seront sold?s entre eux.

La n?gociation pour la reconnaissance du prince de Carignan ?tait termin?e; mais l'influence de l'Autriche et les intrigues du duc de Mod?ne, gendre du Roi, emp?chaient toujours de la publier. Par un hasard pr?m?dit?, un jour de Cour, la voiture de mon p?re se trouva en conflit avec celle du prince de Carignan; mon p?re tira le cordon, et donna le pas au prince. L'ambassadeur de France l'avait de droit sur le prince de Carignan. Cette concession qui l'annon?ait h?ritier de la Couronne, fit brusquer la d?claration que le Roi d?sirait personnellement et le prince en eut une extr?me reconnaissance.

Apr?s la trouvaille de ce document r?clam? ? grands cris par la famille La Vauguyon, il fallut se taire, au moins pour quelque temps. Cependant mon p?re avait derechef entam? cette n?gociation pendant les Cent-Jours et, si monsieur de Carignan s'?tait rendu ? Turin, au lieu de prendre parti pour l'empereur Napol?on, ? cette ?poque ses pr?tentions auraient ?t? tr?s probablement admises. Le roi de Sardaigne, personnellement, craignait autant que nous l'extinction de la maison de Savoie.

Le corps diplomatique se composait de monsieur Hill, pour l'Angleterre, homme de bonne compagnie, mais morose et val?tudinaire, sortant peu d'un int?rieur occulte qui rendait sa position assez fausse; du prince Koslovski, pour la Russie, plein de connaissances et d'esprit, mais tellement l?ger et si mauvais sujet qu'il n'y avait nulle ressource de soci?t? de ce c?t?. Les autres l?gations ?taient encore inoccup?es, mais l'Autriche ?tait repr?sent?e par le comte Bubna, g?n?ral de l'arm?e d'occupation laiss?e en Pi?mont. Sa position ?tait ? la fois diplomatique et militaire. Il est difficile d'avoir plus d'esprit, de conter d'une fa?on plus spirituelle et plus int?ressante. Il avait r?cemment ?pous? une jeune allemande, d'origine juive, qui n'?tait pas re?ue ? Vienne. Cette circonstance lui faisait d?sirer de rester ? l'?tranger. Madame Bubna, jolie et ne manquant pas d'esprit, ?tait la meilleure enfant du monde. Elle passait sa vie chez nous. Elle ne s'amusait gu?re ? Turin; cependant elle ?tait pour lors tr?s ?prise de son mari qui la traitait comme un enfant et la faisait danser une fois par semaine aux frais de la ville de Turin; car, en sa qualit? de militaire, le diplomate ?tait d?fray? de tout, et ne se faisait faute de rien.

Il avait ?t? envoy? plusieurs fois aupr?s de l'empereur Napol?on, dans les circonstances les plus critiques de la monarchie autrichienne, et racontait les d?tails de ces n?gociations d'une mani?re fort piquante. Je suis bien f?ch?e de ne pas me les rappeler d'une fa?on assez exacte pour oser les rapporter ici. Il parlait de l'Empereur avec une extr?me admiration et disait que les rapports avec lui ?taient faciles d'homme ? homme, quoiqu'ils fussent durs d'empire ? empire. ? la v?rit?, Napol?on appr?ciait Bubna, le vantait et lui avait donn? plusieurs t?moignages d'estime. Une approbation si pris?e ?tait un grand moyen de s?duction. Tant il y a que je suis rest?e bien souvent jusqu'? une heure du matin ? entendre Bubna raconter son Bonaparte.

Mon ami Bubna avait la r?putation d'?tre un peu pillard. La mani?re dont il exploitait la ville de Turin, en pleine paix, n'?loigne pas cette id?e; aussi d?sirait-il maintenir l'occupation militaire le plus longtemps possible. Mon p?re, au contraire, pr?tait assistance aux autorit?s sardes qui cherchaient ? s'en d?livrer. Mais cette opposition dans les affaires, qu'il avait trop de bon sens pour ne pas admettre de situation, n'a jamais alt?r? nos relations sociales. Elles sont rest?es toujours intimes et amicales. Les troupes autrichiennes furent enfin retir?es et le comte Bubna demeura comme ministre, en attendant l'arriv?e du prince de Stahrenberg qui devait le remplacer.

Je suis peut-?tre injuste pour les pi?montais en d?clarant la ville de Turin le s?jour le plus triste et le plus ennuyeux qui existe dans tout l'univers. J'ai montr? les circonstances diverses qui militaient ? le rendre d?sagr?able pour tout le monde et particuli?rement pour nous ? l'?poque o? je m'y suis trouv?e. Si on ajoute ? cela que c'?tait apr?s les deux ann?es si excitantes, si anim?es, si dramatiques de 1813 et 1814, pass?es au centre m?me du th??tre o? les ?v?nements avaient le plus de retentissement, que je suis venue tomber dans cette r?sidence si monotone et si triste pour y entendre quotidiennement discuter sur l'affaire du lustre, on comprendra que je puisse ressentir quelques pr?ventions injustes contre elle.

La ville de Turin est tr?s r?guli?re; ses rues sont tir?es au cordeau, mais les arcades, qui ornent les principales, leur donnent l'air d'?tre d?sertes, les ?quipages n'?tant pas assez nombreux pour remplacer l'absence des pi?tons. Les maisons sont belles ? l'ext?rieur. Un v?nitien disait que, chez lui, les personnes portaient des masques et qu'ici c'?tait la ville. Cela est fort exact, car ces fa?ades ?l?gantes voilent en g?n?ral des masures hideuses o? se trouvent des d?dales de logements, aussi incommod?ment distribu?s que pauvrement habit?s. On est tout ?tonn? de trouver la mis?re install?e sous le manteau de ces lignes architecturales. Au reste, il est difficile d'appr?cier leur m?rite dans l'?tat o? on les laisse. Sous le pr?texte qu'elles peuvent un jour avoir besoin de r?parations et que l'?tablissement de nouveaux ?chafaudages nuirait ? la solidit?, on conserve tous les trous qu'ils ont originairement occup?s dans la premi?re construction, de sorte que tous les murs, le palais du Roi compris, sont cribl?s de trous carr?s. Chacun de ces trous sert d'habitation ? une famille de petites corneilles qui forment un nuage noir dans chaque rue et font un bruit affreux dans toute la ville. Pour qui n'y est pas accoutum?, rien n'est plus triste que l'aspect et les cris de cette volatile.

Rentr? chez soi, les appartements qu'on peut se procurer ne compensent pas les ennuis du dehors. Si peu d'?trangers s'arr?tent ? Turin qu'on trouve difficilement ? s'y loger. Les beaux palais sont occup?s par les propri?taires ou lou?s ? long bail, et le corps diplomatique a beaucoup de peine ? se procurer des r?sidences convenables. Quant au confortable, il n'y faut pas songer.

Lorsque les d?put?s de G?nes vinrent faire hommage de leur ?tat au roi de Sardaigne, il leur fit donner un d?ner par le comte de Valese, ministre des affaires ?trang?res. Le corps diplomatique y fut invit?. Ce d?ner fut pendant quinze jours un objet de sollicitude pour toute la ville. On savait d'o? viendrait le poisson, le gibier, les cuisiniers. Le mat?riel fut r?uni avec des soins et des peines infinis, en ayant recours ? l'obligeance des seigneurs de la Cour, et surtout des ambassadeurs. L'accord qui se trouvait entre les girandoles de celui-ci et le plateau de celui-l? fournit un int?r?t tr?s vif ? la discussion de plusieurs soir?es. Enfin arriva le jour du festin; nous ?tions une vingtaine. Le d?ner ?tait bon, magnifique et bien servi. Malgr? l'?talage qu'on avait fait et qui me faisait pr?voir un r?sultat ridicule, il n'y eut rien de pareil. Monsieur de Valese en fit les honneurs avec aisance et en grand seigneur. L'ennui et la monotonie sous laquelle succombent les habitants de Turin leur fait saisir avec avidit? tout ce qui ressemble ? un ?v?nement. C'est l'unique occasion o? j'aie vu aucuns des membres du corps diplomatique pri?s ? d?ner dans une maison pi?montaise.

Les ?trangers, comme je l'ai d?j? dit, s'arr?tent peu ? Turin; il n'y a rien ? y voir, la soci?t? n'y retient pas et les auberges sont mauvaises.

Quelque accoutum?s que nous fussions ? ses absurdit?s, il trouvait encore le secret de nous ?tonner. Les jeunes gens de l'ambassade restaient ?bahis des th?ses qu'il soutenait, il faut le dire, avec une assez grande facilit? d'?locution; il n'y manquait que le sens commun.

Un jour, il nous racontait qu'il d?sirait fort que le Roi le nomme ministre, non pas, ajoutait-il, qu'il se cr?t plus habile qu'un autre, mais parce que rien n'?tait plus facile que de gouverner la France. Il ne ferait au Roi qu'une seule condition: il demanderait qu'il lui assur?t pendant dix ans les portefeuilles des affaires ?trang?res, de la guerre, de l'int?rieur, des finances et surtout de la police. Ces cinq minist?res remis exclusivement entre ses mains, il r?pondait de tout, et cela sans se donner la moindre peine. Une autre fois, il disait que, puisque la France ?tait en app?tit de constitution, il fallait lui en faire une bien large, bien satisfaisante pour les opinions les plus lib?rales, la lire en pleine Chambre, et puis, la posant sur la tribune, ajouter:

On parlait un soir du mauvais esprit qui r?gnait en Dauphin? et on l'attribuait au grand nombre d'acqu?reurs de biens d'?migr?s:

<

--Quel est donc ce moyen? lui demandai-je.

--J'ai offert de prendre une colonne mobile de dix mille hommes, d'aller m'?tablir successivement dans chaque province, d'expulser les nouveaux propri?taires et de replacer partout les anciens avec une force assez respectable pour qu'on ne p?t rien esp?rer de la r?sistance. Cela se serait fait tr?s facilement, sans le moindre bruit, et tout le monde aurait ?t? content.

--Mais, mon cher Jules, pas les acqu?reurs que vous expropriez, au moins?

--Mon Dieu! si, parce qu'ils seront toujours inquiets!>>

Ces niaiseries ne vaudraient pas la peine d'?tre racont?es sans la d?plorable c?l?brit? qu'a si ch?rement acquise le pauvre prince de Polignac. Je pourrais en faire une bien longue collection, mais cela suffit pour montrer la tendance de cet esprit si ?troit.

R?v?lation des projets bonapartistes. -- Voyage ? G?nes. -- Exp?rience des fus?es ? la congr?ve. -- La princesse Grassalcowics. -- L'empereur Napol?on quitte l'?le d'Elbe. -- Il d?barque en France. -- Officier envoy? par le g?n?ral Marchand. -- D?claration du 13 mars. -- Mon fr?re la porte ? monsieur le duc d'Angoul?me. -- Le Pape. -- La duchesse de Lucques.

Mon p?re avait ?t? charg? de veiller sur les actions des bonapartistes, r?pandus en Italie, et sur leurs communications avec l'?le d'Elbe. Il avait employ? ? ce service un m?decin anglais, nomm? Marshall, que le prince r?gent d'Angleterre faisait voyager en Italie pour recueillir des renseignements sur la conduite, plus que l?g?re, de la princesse sa femme.

Ce Marshall avait, en 1799, port? la vaccine en Italie; il s'?tait trouv? ? Naples lors des cruelles vengeances exerc?es par la Cour ramen?e de Palerme sur les vaisseaux de l'amiral Nelson. Il ?tait jeune alors et, justement indign? du spectacle hideux de tant d'horreurs, il avait profit? de son caract?re d'anglais et de l'acc?s que lui procurait sa position de m?decin pour rendre beaucoup de services aux victimes de cette r?action royaliste. Il ?tait rest? depuis lors dans des rapports intimes avec le parti r?volutionnaire et fort ? m?me de conna?tre ses projets sans participer ? ses trames.

Une nuit du mois de janvier 1815, il arriva chez mon p?re tr?s secr?tement et lui communiqua des documents qui prouvaient, de la mani?re la moins douteuse, qu'il se pr?parait un mouvement en France et que l'empereur Napol?on comptait prochainement quitter l'?le d'Elbe et l'appuyer de sa pr?sence. Mon p?re, persuad? de la gravit? des circonstances, pressa Marshall de faire ses communications au gouvernement fran?ais. Il se refusa ? les donner ? aucun ministre. Les cabinets de tous, selon lui, ?taient envahis par des bonapartistes, et il craignait pour sa propre s?ret?.

Je viens de dire que mon p?re n'avait pas re?u de d?p?ches du ministre des affaires ?trang?res; j'ai tort. Il en re?ut une seule, pour lui demander des truffes de Pi?mont pour le Roi; elle ?tait de quatre pages et entrait dans les d?tails les plus minutieux sur la mani?re de les exp?dier et les faire promptement et s?rement arriver. ? la v?rit?, le prince de Talleyrand le faisait tenir suffisamment au courant de ce qui se passait au Congr?s; mais sa r?sidence ? Vienne emp?chait qu'il p?t donner, ni peut-?tre savoir, des nouvelles de France.

Vers la fin de f?vrier, la Cour se rendit ? G?nes pour y recevoir la Reine qu'on attendait de Sardaigne. Le corps diplomatique l'y suivit. Nous laiss?mes la vall?e de Turin et celle d'Alexandrie sous la neige qui les recouvrait depuis le mois de novembre, et nous arriv?mes au haut de la Bocchetta. On ne passe plus par cette route. La montagne de la Bocchetta a cela de remarquable qu'elle ne pr?sente aucun plateau et la voiture n'a pas encore achev? son ascension que les chevaux qui la tra?nent ont d?j? commenc? ? descendre. Au moment de l'ann?e o? nous nous trouvions, cette localit? est d'autant plus frappante qu'on passe imm?diatement du plein hiver ? un printemps tr?s avanc?. D'un c?t?, la montagne est couverte de neige, les ruisseaux sont gel?s, les cascades pr?sentent des stalactites de glace; de l'autre, les arbres sont en fleur, beaucoup ont des feuilles, l'herbe est verte, les ruisseaux murmurent, les oiseaux gazouillent, la nature enti?re semble en liesse et dispos?e ? vous faire oublier les tristesses dont le coeur ?tait froiss? un quart de minute avant. Je n'ai gu?re ?prouv? d'impression plus agr?able.

Apr?s quelques heures d'une course rapide ? travers un pays enchant?, nous arriv?mes ? G?nes le 26 f?vrier. Les rues ?taient tapiss?es de fleurs; nulle part je n'en ai vu cette abondance; il faisait un temps d?licieux: j'oubliai la fatigue d'un voyage dont le commencement avait ?t? p?nible.

Pendant le s?jour que j'ai fait ? G?nes, la hauteur des appartements et l'importunit?, sans exemple partout ailleurs, des mendiants sont les seules choses qui m'aient d?plu. Je ne r?p?terai pas ce que tout le monde sait de la magnificence et de l'?l?gance des palais. Je ne parlerai pas davantage des moeurs du pays que je n'ai pas eu occasion d'observer, car, peu de jours apr?s notre arriv?e, les ?v?nements politiques nous condamn?rent ? la retraite, et j'ai ? peine entrevu la soci?t?.

Les g?nois ne prenaient gu?re le soin de dissimuler leur affliction de la r?union au Pi?mont et la r?pugnance qu'ils avaient pour le Roi. Peu d'entre eux allaient ? la Cour, et ceux-l? ?taient mal vus par leurs compatriotes. Leur chagrin ?tait d'autant plus sensible qu'ils avaient cru un moment ? l'?mancipation.

L'arm?e anglaise, avant de remettre la ville aux autorit?s sardes, avait d?pouill? les ?tablissements publics et tout enlev? du port, jusqu'aux cha?nes des gal?riens. Cette avanie avait fort exasp?r? le sentiment de nationalit? des g?nois.

Le lendemain de notre arriv?e, nous f?mes convi?s ? aller assister ? une repr?sentation qu'un commodore anglais donnait au Roi. Il s'agissait de lui montrer l'effet des fus?es ? la congr?ve, invention nouvelle ? cette ?poque. Nous nous rend?mes tous ? pied, par un temps admirable, ? un petit plateau situ? sur un rocher ? quelques toises de la ville et d'o? l'on jouissait d'une vue magnifique. Une mauvaise barque, amarr?e si loin qu'? peine on pouvait l'apercevoir ? l'oeil nu, servait de but. La brise venait de mer et nuisait ? l'effet des fus?es, mais elle rafra?chissait l'air et le rendait d?licieux. Le spectacle ?tait anim? sur la c?te et brillant dans le port qu'on apercevait sur la droite, rempli de vaisseaux pavois?s.

Le tir fut interrompu par la crainte que deux petits bricks, affal?s par le vent, pussent ?tre atteints. ?videmment ils ne voulaient pas aborder; ils manoeuvraient pour s'?lever en mer, y r?ussirent, et on recommen?a ? tirer. D'apr?s toutes les circonstances qui sont venues depuis ? notre connaissance, il est indubitable que ces deux bricks transportaient Bonaparte et sa fortune aux rivages de Cannes. Combien le hasard d'une de ces fus?es, en d?semparant ces b?timents, aurait pu changer le destin du monde!

Le commodore donna un ?l?gant d?jeuner sous une tente, et on se s?para tr?s satisfaits de la matin?e.

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