Read Ebook: Récits d'une tante (Vol. 3 de 4) Mémoires de la Comtesse de Boigne née d'Osmond by Boigne Louise El Onore Charlotte Ad Laide D Osmond Comtesse De
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M?MOIRES
DE LA
COMTESSE DE BOIGNE
R?CITS D'UNE TANTE
M?MOIRES DE LA COMTESSE DE BOIGNE N?E D'OSMOND
PUBLI?S INT?GRALEMENT D'APR?S LE MANUSCRIT ORIGINAL
PARIS ?MILE-PAUL FR?RES, ?DITEURS 100, RUE DU FAUBOURG-SAINT-HONOR? 1922
SEPTI?ME PARTIE
De 1820 ? 1830.
CHAPITRE I
Mes habitudes et mes habitu?s. -- R?compense nationale au duc de Richelieu. -- La reine de Su?de le suit dans son voyage. -- Salon de la duchesse de Duras. -- Go?t de madame de La Rochejaquelein pour la guerre civile. -- Madame de Duras se fait auteur. -- Mariage de Clara de Duras. -- La duchesse de Rauzan.
J'aurai moins occasion dor?navant de parler de la politique des Cabinets; la retraite de mon p?re en ?loignait ma pens?e. Le d?sir de le tenir au courant m'avait, depuis quelques ann?es, encourag?e ? m'enqu?rir des affaires publiques avec soin. Priv?e de ce stimulant d'un c?t? et assez refroidie par les ?v?nements de l'autre, je cessai de m'en occuper avec le m?me z?le.
Il m'arrivait bien de temps ? autre quelque confidence, quelque r?v?lation de dessous de cartes; mais je ne prenais plus la peine de m'informer de leur exactitude, de remonter aux sources, de suivre les cons?quences et les r?sultats; et, hormis que j'en causais plus volontiers que les personnes qui n'y avaient jamais pris int?r?t, hormis que je n'adoptais pas sans examen les nouvelles qui flattaient mes d?sirs, je n'?tais gu?re mieux inform?e que tout le gros des gens du grand monde.
J'avais arrang? ma vie d'une fa?on qui me plaisait fort. Je sortais peu et, lorsque cela m'arrivait, ma m?re tenait le salon, de sorte qu'il ?tait ouvert tous les soirs. Quelques habitu?s s'y rendaient quotidiennement, et, lorsque l'heure des visites ?tait pass?e, celle de la conversation sonnait et se prolongeait souvent tr?s tard.
De temps en temps, je priais du monde ? des soir?es devenues assez ? la mode. Mes invitations ?taient verbales et cens?es adress?es aux personnes que le hasard me faisait rencontrer. Toutefois, j'avais grand soin qu'il pla??t sur mon chemin celles que je voulais r?unir et que je savais se convenir. J'?vitais par ce moyen une trop grande foule et la n?cessit? de recevoir cette masse d'ennuyeux que la biens?ance force ? inviter et qui ne manquent jamais d'accourir au premier signe. Je les passais en revue, dans le courant de l'hiver, par assez petite portion, pour ne pas en ?craser mon salon. L'incertitude d'y ?tre pri? donnait quelque prix ? ces soir?es et contribuait plus que tout autre chose ? les faire rechercher.
Je voyais les gens de toutes les opinions. Les ultras dominaient dans les r?unions priv?es, parce que mes relations de famille et de soci?t? ?taient toutes avec eux; mais les habitu?s des autres jours se composaient de personnes dans une autre nuance d'opinion.
Nous ?tions les royalistes du Roi et non pas les royalistes de Monsieur, les royalistes de la Restauration et non pas les royalistes de l'?migration, les royalistes enfin qui, je crois, auraient sauv? le tr?ne si on les avait ?cout?s.
Je le reconnais, toutefois, nous-m?mes trouvions alors le minist?re Decazes tomb? dans l'orni?re de gauche et pr?tant une oreille trop b?n?vole aux th?oriciens de la doctrine dont la plupart mettaient leurs arguments au service de leurs int?r?ts. Bien des gens auraient voulu se rallier autour du duc de Richelieu pour faire contrepoids ? cette tendance qui effrayait. Non seulement il ne le d?sirait pas, mais encore il s'y refusait et s'?tait ?loign?.
Monsieur Decazes, un peu repentant peut-?tre de sa conduite envers le duc, s'occupa avec empressement de lui faire d?cerner une r?compense nationale; mais les germes d'ingratitude, soigneusement sem?s depuis quelques mois, avaient fructifi?; et, lorsqu'on voulut faire valoir des services qu'on avait pris tant de peine ? d?pr?cier, on ne trouva nulle part assez d'?lan pour r?sister aux malveillances des oppositions de l'extr?me gauche et de l'extr?me droite. Au lieu d'?tre vot?e d'acclamation, la r?compense nationale fut discut?e, disput?e et ne passa qu'? une faible majorit?.
Monsieur de Richelieu, le plus d?sint?ress? des hommes, fut profond?ment bless? de la forme de cette transaction. Il employa la somme vot?e par les Chambres ? une fondation dans la ville de Bordeaux. Accoutum? ? la frugalit? et ? la simplicit?, ses revenus personnels suffisaient de reste ? ses besoins.
Il ?tait donc profond?ment d?go?t? des affaires et ne voulait y rentrer ni comme chef d'opposition, ni, encore moins, comme chef du gouvernement. C'?tait un for?at d?livr? de ses cha?nes et il formait le bien ferme propos de ne jamais les reprendre.
Le d?sir de jouir de la libert? qu'il avait reconquise l'engagea ? faire un voyage dans le Midi. Il ne s'attendait gu?re ? la nouvelle pers?cution qu'il allait y trouver.
La femme de Bernadotte avait pass? l'hiver de 1815 en Su?de. La rigueur du climat ayant excit? une maladie cutan?e qui se porta sur son visage, cette esp?ce de l?pre, jointe aux regrets qu'elle conservait de Paris, lui avait rendu l'habitation de Stockholm si intol?rable qu'elle n'avait pu consentir ? y prolonger son s?jour. Elle ?tait ?tablie ? Paris, dans son h?tel de la rue d'Anjou o? elle avait une esp?ce d'existence amphibie. Ses gens et l'ambassadeur du Roi son ?poux l'appelaient Votre Majest?, le reste de l'univers madame Bernadotte.
Vers la fin du minist?re de monsieur de Richelieu, elle eut quelque d?marche ? faire pour un de ses parents. Elle ?crivit au ministre et lui demanda une audience. Monsieur de Richelieu se rendit chez elle . Il fut tr?s poli. Ce que madame Bernadotte d?sirait r?ussit; il vint lui-m?me l'en informer. Elle l'invita ? d?ner; il accepta.
Il ne se doutait gu?re qu'il jetait les fondements d'une fr?n?sie qui l'a poursuivi jusqu'au tombeau. Madame Bernadotte s'?tait prise d'une telle passion pour le pauvre duc qu'elle le suivit ? la piste pendant son voyage. Cela commen?a par lui para?tre extraordinaire. Il ne comprenait pas comment elle se trouvait toujours arriver trois heures apr?s lui dans tous les lieux o? il s'arr?tait.
Bient?t il ne put se dissimuler que lui seul l'y attirait et l'y retenait. L'impatience le gagna. Il cacha sa marche et ses projets, fit des crochets, choisit les plus tristes r?sidences, les plus m?chantes auberges. Peines perdues, la maudite berline arrivait toujours trois heures apr?s sa chaise de poste. C'?tait un cauchemar!
Il sentait, de plus, combien cette poursuite finirait par pr?ter au ridicule. Il trouva le moyen de faire savoir ? la royale h?ro?ne de grande route qu'il ?tait d?cid? ? retourner sur-le-champ ? Paris si elle persistait ? le suivre. Elle, de son c?t?, s'informa d'un m?decin si les eaux que le duc devait prendre ?taient essentielles ? sa sant?. Sur la r?ponse affirmative, elle se d?cida ? faire tr?ve ? ses importunit?s et passa la saison des eaux ? Gen?ve; mais, ? peine fut-elle termin?e, qu'elle se remit en campagne; et cette pers?cution qu'il esp?rait pouvoir mieux conjurer ? Paris qu'ailleurs y ramena le duc, bien plus que l'ouverture de la session.
La maison de madame de Duras ?tait toujours la plus agr?able de Paris. La position de son mari ? la Cour la mettait en rapport avec les notabilit?s de tout genre, depuis le souverain ?tranger qui traversait la France jusqu'? l'artiste qui sollicitait la pr?sentation de son ouvrage au Roi. Elle avait tout le tact n?cessaire pour choisir dans cette foule les personnes qu'elle voulait grouper autour d'elle; et elle s'?tait fait un entourage charmant, au milieu duquel elle se mourait de chagrin et de tristesse.
Le mariage de sa fille a?n?e avec monsieur de La Rochejaquelein lui avait ?t? un v?ritable malheur. Elle y avait constamment refus? son approbation et ne consentit pas m?me ? assister ? la c?r?monie, lorsque madame de Talmont, ayant atteint vingt et un ans, se d?cida ? la faire c?l?brer. Le duc de Duras, quoique tr?s r?calcitrant, accompagna sa fille ? l'autel.
Il est assez remarquable qu'elle s'est mari?e deux fois le jour anniversaire de sa naissance, ? l'?poque juste o? la loi le permettait. Le jour o? elle a eu quinze ans, elle a ?pous? le prince de Talmont au milieu des acclamations de sa famille, et, le jour o? elle en a eu vingt et un, elle a ?pous? monsieur de La Rochejaquelein, malgr? sa r?probation.
Le grand m?rite de monsieur de La Rochejaquelein, aux yeux de sa nouvelle ?pouse, ?tait son nom vend?en et l'espoir qu'elle serait appel?e ? jouer un r?le dans les troubles civils de l'Ouest.
F?licie de Duras sortait ? peine de l'enfance lorsque le manuscrit de monsieur de Barante , circula dans nos salons. Ce r?cit s'empara de sa jeune imagination. Depuis ce temps, elle a constamment r?v? la guerre civile comme le compl?ment du bonheur, et, pour s'y pr?parer, d?s qu'elle a ?t? ma?tresse de ses actions, elle a ?t? ? la chasse au fusil, elle a fait des armes, elle a tir? du pistolet, elle a dress? des chevaux, elle les a mont?s ? poil, enfin elle s'est exerc?e ? tous les talents d'un sous-lieutenant de dragons, ? la grande d?solation de sa m?re et ? la destruction de sa beaut? qui, avant vingt ans, avait succomb? devant ce r?gime de vie.
Madame de La Rochejaquelein s'est donn? depuis 1830 la joie de courir le pays le pistolet au poing, d'y fomenter des troubles, d'y attirer beaucoup de malheurs et de ruines. Je ne sais si la r?alit? de toutes ces choses lui aura paru aussi charmante que son imagination, les lui avait repr?sent?es; mais elle est plus excusable qu'aucune autre personne de s'?tre jet?e dans la guerre civile, car c'?tait son r?ve depuis l'?ge de douze ans.
Sa belle-m?re, la princesse douairi?re de Talmont, ? qui le mariage avec monsieur de La Rochejaquelein plaisait, principalement, je crois, parce qu'il d?solait la duchesse de Duras, conserva le nouveau m?nage chez elle. Elle a laiss? toute sa fortune ? F?licie qu'elle semblait aimer passionn?ment et qui ?tait encens?e jusqu'? la fadeur dans le petit cercle de cet int?rieur. Je lui ai entendu adresser cette phrase par un des habitu?s de sa belle-m?re:
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Ses occupations litt?raires ne la calmaient pas sur ses chagrins de coeur que l'attachement naissant de monsieur de Chateaubriand pour madame R?camier rendait tr?s poignants, et ses chagrins de coeur ne suffisaient pas ? la distraire de son ambition de situation.
Elle n'avait pas de gar?on. Le second mariage de sa fille a?n?e l'avait trop irrit?e pour s'occuper de son sort. Elle reporta toutes ses esp?rances sur la seconde, Clara, ? qui elle voulut cr?er une existence qui montr?t ? F?licie tout ce qu'elle avait perdu par sa r?bellion.
Elle choisit Henri de Chastellux et obtint de lui qu'il consentirait ? changer son nom pour celui de Duras, avec la promesse qu'en ?pousant Clara il h?riterait du duch? et de tous les avantages que les Duras auraient pu faire ? leur fils. En cons?quence, nous assist?mes ? la messe de mariage du marquis et de la marquise de Duras, mais, lorsque nous rev?nmes le soir, la duchesse de Duras, ? la suite d'une visite de monsieur Decazes, nous pr?senta, en leur place, le duc et la duchesse de Rauzan. C'?tait un ancien titre de la maison de Duras que le Roi avait fait revivre en faveur des nouveaux ?poux. Il avait voulu que ce pr?sent de noces arriv?t par l'interm?diaire du favori que la duchesse de Duras avait, malgr? les r?pugnances de parti et les r?ticences de salon, employ? pour obtenir que l'h?r?dit? du titre et de la pairie du duc de Duras fussent assur?s ? Henri de Chastellux.
Il ne manqua pas de gens pour le bl?mer d'avoir quitt? un nom qui valait bien celui de Duras; mais, ? mon sens, il s'est born? ? mettre deux duch?s et une belle fortune dans la maison de Chastellux, car ses enfants seront Chastellux, malgr? les engagements contraires qu'il a pu prendre.
Madame de Duras se complut ? entourer Clara de tous les agr?ments, de toutes les distinctions, de tous les amusements qui peuvent charmer une jeune femme, afin surtout de faire sentir ? madame de La Rochejaquelein le poids de son m?contentement. Elle se vengeait comme un amant trahi, car toutes ses pr?f?rences avaient ?t? pour F?licie et, m?me en cherchant ? la tourmenter, elle l'adorait encore. Au surplus, elle ne parvint jamais ? diviser les deux soeurs qui rest?rent tendrement unies, ? leur mutuel honneur, quoique l'a?n?e f?t trait?e comme une ?trang?re dans la maison paternelle o? l'autre semblait pos?e sur un autel pour ?tre divinis?e.
Les contemporaines de madame de Rauzan ont ?tabli qu'elle ?tait fort born?e. Je ne puis ?tre de cet avis. Elle a beaucoup de bon sens, un grand esprit de conduite; elle est tr?s instruite, sait plusieurs langues dont elle conna?t la litt?rature. Peut-?tre n'a-t-elle pas beaucoup d'esprit naturel, mais elle en a ?t? tellement frott?e pendant ses premi?res ann?es qu'elle en est rest?e suffisamment satur?e pour me satisfaire pleinement.
Je ne sais si je m'aveugle par l'affection que je lui porte, mais elle me para?t ? cent pieds au-dessus de la plupart de celles qui la critiquent.
CHAPITRE II
La princesse de Poix. -- Son salon. -- Anecdote sur la princesse d'H?nin. -- La comtesse Charles de Damas. -- L'abb? de Montesquiou. -- Le comte de Lally-Tollendal. -- Salon de la marquise de Montcalm. -- Rapports de famille du duc de Richelieu. -- La duchesse de Richelieu. -- Mesdames de Montcalm et de Jumilhac.
Quoique je restasse habituellement chez moi, je fr?quentais pourtant deux salons, en outre de celui de madame de Duras, ceux de la princesse de Poix et de la marquise de Montcalm. J'?tais accueillie chez madame de Poix avec une bont? extr?me et je m'y plaisais.
Ce monde, absolument diff?rent de celui auquel on ?tait accoutum?, mais qui prenait encore vif int?r?t ? tous les ?v?nements du jour, repr?sentait le si?cle dernier, se mettant ? la fen?tre pour voir passer celui-ci. Une jeune personne qui causait y devenait sur-le-champ l'objet d'une g?terie g?n?rale et d'acclamations obligeantes que, tout en les trouvant intempestives, on recevait tr?s b?n?volement; du moins, tel est l'effet qu'elles faisaient sur moi.
La princesse de Poix ?tait la plus aimable vieille femme que j'aie rencontr?e. Elle joignait aux gr?ces de l'esprit, aux douceurs du commerce le plus facile, un caract?re digne et ferme qui la rendait ?galement propre ? ?tre chef de famille et centre de la soci?t?. La conduite exemplaire de sa jeunesse lui donnait le droit d'?tre indulgente dans sa vieillesse, et elle en usait avec assez de discernement pour que sa protection f?t honorable et secourable.
Elle est morte combl?e d'ans, de respect et de consid?ration, ayant surv?cu ? toutes ses intimit?s et m?me ? son fils, le duc de Mouchy dont la perte l'a cruellement ?prouv?e et a h?t? sa fin. Elle supportait, depuis plusieurs ann?es, un ?tat de c?cit? complet avec une patience admirable, usant de tous les moyens rationnels d'adoucir cette calamit? et se soumettant aux inconv?nients irr?m?diables avec la r?signation courageuse et enjou?e qui peut en att?nuer la souffrance.
Les enfants et les petits-enfants de la princesse, apr?s avoir d?n? et pass? quelque temps aupr?s d'elle, allaient chercher les plaisirs du grand monde vers neuf heures. Ils ?taient remplac?s par mesdames de Chalais, d'H?nin, de Simiane, de Damas, et messieurs de Chalais, de Montesquiou, de Damas, de Lally, etc. qui s'y r?unissaient chaque soir. D'autres habitu?s ?taient moins fid?lement exacts, et toute la bonne compagnie de Paris passait en visite dans ce salon.
Madame de Sta?l avait conserv? quelque chose de cette tradition; mais, plus jeune, elle l'arrangeait mieux aux habitudes du si?cle dont elle avait davantage essuy? le frottement.
Dans le salon de madame de Poix, une histoire quelque peu attendrissante faisait couler une profusion de larmes; c'?tait aussi un reste d'habitude de la jeunesse de ces dames o? les coeurs sensibles ?taient fort ? la mode.
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