Read Ebook: Vie de Molière by Voltaire
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Edition: 10
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Jean-Baptiste Poquelin , alias Moli?re, "Oeuvres de Moli?re, avec des notes de tous les commentateurs", Tome Premier, Paris, Librarie de Firmin-Didot et Cie, Imprimeurs de l'Institut, rue Jacob, 56, 1890.
VIE DE MOLIERE
PAR VOLTAIRE
Le go?t de bien des lecteurs pour les choses frivoles, et l'envie de faire un volume de ce qui ne devrait remplir que peu de pages, sont cause que l'histoire des hommes c?l?bres est presque toujours g?t?e par des d?tails inutiles et des contes populaires aussi faux qu'insipides. On y ajoute souvent des critiques injustes de leurs ouvrages. C'est ce qui est arriv? dans l'?dition de Racine faite ? Paris en 1728. On t?chera d'?viter cet ?cueil dans cette courte histoire de la vie de Moli?re ; on ne dira de sa propre personne que ce qu'on a cru vrai et digne d'?tre rapport?, et on ne hasardera sur ses ouvrages rien qui soit contraire aux sentiments du public ?clair?.
Jean-Baptiste Poquelin naquit ? Paris en 1620, dans une maison qui subsiste encore sous les piliers des halles. Son p?re, Jean-Baptiste Poquelin, valet de chambre tapissier chez le roi, marchand fripier, et Anne Boutet, sa m?re, lui donn?rent une ?ducation trop conforme ? leur ?tat, auquel ils le destinaient : il resta jusqu'? quatorze ans dans leur boutique, n'ayant rien appris, outre son m?tier, qu'un peu ? lire et ? ?crire. Ses parents obtinrent pour lui la survivance de leur charge chez le roi ; mais son g?nie l'appelait ailleurs. On a remarqu? que presque tous ceux qui se sont fait un nom dans les beaux-arts les ont cultiv?s malgr? leurs parents, et que la nature a toujours ?t? en eux plus forte que l'?ducation.
Poquelin avait un grand-p?re qui aimait la com?die, et qui le menait quelquefois ? l'h?tel de Bourgogne. Le jeune homme sentit bient?t une aversion invincible pour sa profession. Son go?t pour l'?tude se d?veloppa ; il pressa son grand-p?re d'obtenir qu'on le m?t au coll?ge, et il arracha enfin le consentement de son p?re, qui le mit dans une pension, et l'envoya externe aux j?suites, avec la r?pugnance d'un bourgeois qui croyait la fortune de son fils perdue s'il ?tudiait.
Le jeune Poquelin fit au coll?ge les progr?s qu'on devait attendre de son empressement ? y entrer. Il y ?tudia cinq ann?es ; il y suivit le cours des classes d'Armand de Bourbon, premier prince de Conti, qui depuis fut le protecteur des lettres et de Moli?re.
Il y avait alors dans ce coll?ge deux enfants qui eurent depuis beaucoup de r?putation dans le monde. C'?taient Chapelle et Bernier ; celui-ci connu par ses voyages aux Indes, et l'autre c?l?bre par quelques vers naturels et ais?s, qui lui ont fait d'autant plus de r?putation qu'il ne rechercha pas celle d'auteur.
L'Huillier, homme de fortune, prenait un soin singulier de l'?ducation du jeune Chapelle, son fils naturel ; et, pour lui donner de l'?mulation, il faisait ?tudier avec lui le jeune Bernier, dont les parents ?taient mal ? leur aise. Au lieu m?me de donner ? son fils naturel un pr?cepteur ordinaire et pris au hasard, comme tant de p?res en usent avec un fils l?gitime qui doit porter leur nom, il engagea le c?l?bre Gassendi ? se charger de l'instruire.
Gassendi ayant d?m?l? de bonne heure le g?nie de Poquelin, l'associa aux ?tudes de Chapelle et de Bernier. Jamais plus illustre ma?tre n'eut de plus dignes disciples. Il leur enseigna sa philosophie d'Epicure, qui, quoique aussi fausse que les autres, avait au moins plus de m?thode et plus de vraisemblance que celle de l'?cole, et n'en avait pas la barbarie.
Poquelin continua de s'instruire sous Gassendi. Au sortir du coll?ge, il re?ut de ce philosophe les principes d'une morale plus utile que sa physique, et il s'?carta rarement de ces principes dans le cours de sa vie.
Le th??tre commen?ait ? fleurir alors : cette partie des belles-lettres, si m?pris?e quand elle est m?diocre, contribue ? la gloire d'un Etat quand elle est perfectionn?e.
Avant l'ann?e 1625, il n'y avait point de com?diens fixes ? Paris. Quelques farceurs allaient, comme en Italie, de ville en ville : ils jouaient des pi?ces de Hardy, de Monchr?tien, ou de Balthazar Baro.
Ces auteurs leur vendaient leurs ouvrages dix ?cus pi?ce.
Pierre Corneille tira le th??tre de la barbarie et de l'avilissement, vers l'ann?e 1630. Ses premi?res com?dies, qui ?taient aussi bonnes pour son si?cle qu'elles sont mauvaises pour le n?tre, furent cause qu'une troupe de com?diens s'?tablit ? Paris. Bient?t apr?s, la passion du cardinal de Richelieu pour les spectacles mit le go?t de la com?die ? la mode, et il y avait plus de soci?t?s particuli?res qui repr?sentaient alors que nous n'en voyons aujourd'hui.
Poquelin s'associa avec quelques jeunes gens qui avaient du talent pour la d?clamation ; ils jouaient au faubourg Saint-Germain et au quartier Saint-Paul. Cette soci?t? ?clipsa bient?t toutes les autres ; on l'appela l'"Illustre Th??tre". On voit par une trag?die de ce temps-l?, intitul?e Artaxerce, d'un nomm? Magnon, et imprim?e en 1645, qu'elle fut repr?sent?e sur l'illustre th??tre.
Ce fut alors que Poquelin, sentant son g?nie, se r?solut de s'y livrer tout entier, d'?tre ? la fois com?dien et auteur, et de tirer de ses talents de l'utilit? et de la gloire.
On sait que chez les Ath?niens les auteurs jouaient souvent dans leurs pi?ces, et qu'ils n'?taient point d?shonor?s pour parler avec gr?ce en public devant leurs concitoyens. Il fut plus encourag? par cette id?e que retenu par les pr?jug?s de son si?cle. Il prit le nom de Moli?re, et il ne fit, en changeant de nom, que suivre l'exemple des com?diens d'Italie et de ceux de l'h?tel de Bourgogne. L'un, dont le nom de famille ?tait le Grand, s'appelait Belleville dans la trag?die, et Turlupin dans la farce ; d'o? vient le mot de "turlupinade". Hugues Gu?ret ?tait connu, dans les pi?ces s?rieuses, sous le nom de Fl?chelles ; dans la farce, il jouait toujours un certain r?le qu'on appelait Gautier-Garguille ; de m?me, Arlequin et Scaramouche n'?taient connus que sous ce nom de th??tre. Il y avait d?j? eu un com?dien appel? Moli?re, auteur de la trag?die de "Polyx?ne" .
Le nouveau Moli?re fut ignor? pendant tout le temps que dur?rent les guerres civiles en France ; il employa ces ann?es ? cultiver son talent et ? pr?parer quelques pi?ces. Il avait fait un recueil de sc?nes italiennes, dont il faisait de petites com?dies pour les provinces. Ces premiers essais, tr?s informes, tenaient plus du mauvais th??tre italien, o? il les avait pris, que de son g?nie, qui n'avait pas eu encore l'occasion de se d?velopper tout entier. Le g?nie s'?tend et se resserre par tout ce qui nous environne. Il fit donc pour la province "le Docteur amoureux", "les trois Docteurs rivaux", "le Ma?tre d'?cole" ; ouvrages dont il ne reste que le titre. Quelques curieux ont conserv? deux pi?ces de Moli?re dans ce genre : l'une est "le M?decin volant", et l'autre "la Jalousie de Barbouille". Elles sont en prose et ?crites en entier. Il y a quelques phrases et quelques incidents de la premi?re qui nous sont conserv?s dans "le M?decin malgr? lui" ; et on trouve dans "la Jalousie de Barbouille" un canevas, quoique informe, du troisi?me acte de "George Dandin".
La premi?re pi?ce r?guli?re en cinq actes qu'il composa fut "l'Etourdi". Il repr?senta cette com?die ? Lyon en 1653. Il y avait dans cette ville une troupe de com?diens de campagne, qui fut abandonn?e d?s que celle de Moli?re parut.
Quelques acteurs de cette ancienne troupe se joignirent ? Moli?re, et il partit de Lyon pour les ?tats de Languedoc avec une troupe assez compl?te, compos?e principalement de deux fr?res nomm?s Gros-Ren?, de du Parc, d'un p?tissier de la rue Saint-Honor?, de la du Parc, de la B?jart, et de la de Brie.
Le prince de Conti, qui tenait les ?tats de Languedoc ? B?ziers, se souvint de Moli?re, qu'il avait vu au coll?ge ; il lui donna une protection distingu?e. Moli?re joua devant lui "l'Etourdi", "le D?pit amoureux", et "les Pr?cieuses ridicules".
Cette petite pi?ce des "Pr?cieuses", faite en province, prouve assez que son auteur n'avait eu en vue que les ridicules des provinciales ; mais il se trouva depuis que l'ouvrage pouvait corriger et la cour et la ville.
Moli?re avait alors trente-quatre ans ; c'est l'?ge o? Corneille fit "le Cid". Il est bien difficile de r?ussir avant cet ?ge dans le genre dramatique, qui exige la connaissance du monde et du coeur humain.
On pr?tend que le prince de Conti voulut alors faire Moli?re son secr?taire, et que, heureusement pour la gloire du th??tre fran?ais, Moli?re eut le courage de pr?f?rer son talent ? un poste honorable. Si ce fait est vrai, il fait ?galement honneur au prince et au com?dien.
Il y avait depuis quelques temps des com?diens ?tablis ? l'h?tel de Bourgogne. Ces com?diens assist?rent au d?but de la nouvelle troupe. Moli?re, apr?s la repr?sentation de "Nicom?de", s'avan?a sur le bord du th??tre, et prit la libert? de faire au roi un discours par lequel il remerciait sa majest? de son indulgence, et louait adroitement les com?diens de l'h?tel de Bourgogne, dont il devait craindre la jalousie : il finit en demandant la permission de donner une pi?ce d'un acte qu'il avait jou?e en province.
La mode de repr?senter ces petites farces apr?s de grandes pi?ces ?tait perdue ? l'h?tel de Bourgogne. Le roi agr?a l'offre de Moli?re, et l'on joua dans l'instant "le Docteur amoureux". Depuis ce temps, l'usage a toujours continu? de donner de ces pi?ces d'un acte ou de trois apr?s les pi?ces de cinq.
On permit ? la troupe de Moli?re de s'?tablir ? Paris ; ils s'y fix?rent, et partag?rent le th??tre du Petit-Bourbon avec les com?diens italiens, qui en ?taient en possession depuis quelques ann?es.
La troupe de Moli?re jouait sur ce th??tre les mardis, les jeudis et les samedis ; et les Italiens, les autres jours.
La troupe de l'h?tel de Bourgogne ne jouait aussi que trois fois la semaine, except? lorsqu'il y avait des pi?ces nouvelles.
D?s lors, la troupe de Moli?re prit le titre de "la Troupe de Monsieur", qui ?tait son protecteur. Deux ans apr?s, en 1660, il leur accorda la salle du Palais-Royal. Le cardinal de Richelieu l'avait fait b?tir pour la repr?sentation de "Mirame", trag?die dans laquelle ce ministre avait compos? plus de cinq cents vers. Cette salle est aussi mal construite que la pi?ce pour laquelle elle fut b?tie ; et je suis oblig? de remarquer ? cette occasion, que nous n'avons aujourd'hui aucun th??tre supportable : c'est une barbarie gothique que les Italiens nous reprochent avec raison. Les bonnes pi?ces sont en France, et les belles salles en Italie.
La troupe de Moli?re eut la jouissance de cette salle jusqu'? la mort de son chef. Elle fut alors accord?e ? ceux qui eurent le privil?ge de l'Op?ra, quoique ce vaisseau soit moins propre encore pour le chant que pour la d?clamation.
Depuis l'an 1658 jusqu'? 1673, c'est ? dire en quinze ann?es de temps, il donna toutes ses pi?ces, qui sont au nombre de trente. Il voulut jouer dans la trag?die, mais il n'y r?ussit pas ; il avait une volubilit? dans la voix, et une esp?ce de hoquet qui ne pouvait convenir au genre s?rieux, mais qui rendait son jeu comique plus plaisant. La femme d'un des meilleurs com?diens que nous ayons eus a donn? ce portrait-ci de Moli?re :
<< Il n'?tait ni trop gras ni trop maigre ; il avait la taille plus grande que petite, le port noble, la jambe belle ; il marchait gravement, avait l'air tr?s s?rieux, le nez gros, la bouche grande, les l?vres ?paisses, le teint brun, les sourcils noirs et forts ; et les divers mouvements qu'il leur donnait lui rendaient la physionomie extr?mement comique. A l'?gard de son caract?re, il ?tait doux, complaisant, g?n?reux. Il aimait fort ? haranguer ; et quand il lisait ses pi?ces aux com?diens, il voulait qu'ils y amenassent leurs enfants, pour tirer des conjectures de leur mouvement naturel. >>
Moli?re se fit dans Paris un tr?s grand nombre de partisans, et presque autant d'ennemis. Il accoutuma le public, en lui faisant conna?tre la bonne com?die, ? le juger lui-m?me tr?s s?v?rement. Les m?mes spectateurs qui applaudissaient aux pi?ces m?diocres des autres auteurs, relevaient les moindres d?fauts de Moli?re avec aigreur. Les hommes jugent de nous par l'attente qu'ils en ont con?ue ; et le moindre d?faut d'un auteur c?l?bre, joint avec les malignit?s du public, suffit pour faire tomber un bon ouvrage. Voil? pourquoi "Britannicus" et "les Plaideurs" de M. Racine furent si mal re?us ; voil? pourquoi "l'Avare", "le Misanthrope", "les Femmes savantes", "l'Ecole des Femmes" n'eurent d'abord aucun succ?s.
Il n'eut ? la v?rit? qu'une pension de mille livres, et sa troupe n'en eut qu'une de sept. La fortune qu'il fit par le succ?s de ses ouvrages le mit en ?tat de n'avoir rien de plus ? souhaiter ; ce qu'il retirait du th??tre, avec ce qu'il avait plac?, allait ? trente mille livres de rente ; somme qui, en ce temps-l?, faisait presque le double de la valeur r?elle de pareille somme d'aujourd'hui.
Le cr?dit qu'il avait aupr?s du roi para?t assez par le canonicat qu'il obtint pour le fils de son m?decin. Ce m?decin s'appelait Mauvilain. Tout le monde sait qu'?tant un jour au d?ner du roi : << Vous avez un m?decin >>, dit le roi ? Moli?re ; << que vous fait-il ? >> << Sire >>, r?pondit Moli?re, << Nous causons ensemble ; il m'ordonne des rem?des, je ne les fais point, et je gu?ris. >>
Il faisait de son bien un usage noble et sage ; il recevait chez lui des hommes de la meilleure compagnie, les Chapelle, les Jonsac, les Desbarreaux, etc., qui joignaient la volupt? et la philosophie. Il avait une maison de campagne ? Auteuil o? il se d?lassait souvent avec eux des fatigues de sa profession, qui sont bien plus grandes qu'on ne pense. Le mar?chal de Vivonne, connu par son esprit et par son amiti? pour Despr?aux, allait souvent chez Moli?re, et vivait avec lui comme L?lius avec T?rence. Le grand Cond? exigeait de lui qu'il le v?nt voir souvent, et disait qu'il trouvait toujours ? apprendre dans sa conversation.
Moli?re employait une partie de son revenu en lib?ralit?s, qui allaient beaucoup plus loin que ce qu'on appelle dans d'autres hommes "des charit?s". Il encourageait souvent par des pr?sents consid?rables de jeunes auteurs qui marquaient du talent : c'est peut-?tre ? Moli?re que la France doit Racine. Il engagea le jeune Racine, qui sortait de Port-Royal, ? travailler pour le th??tre d?s l'?ge de dix-neuf ans. Il lui fit composer la trag?die de "Th?ag?ne et de Charicl?e" ; et quoique cette pi?ce f?t trop faible pour ?tre jou?e, il fit pr?sent au jeune auteur de cent louis, et lui donna le plan des "Fr?res ennemis".
Il est triste pour l'honneur des lettres, que Moli?re et Racine aient ?t? brouill?s depuis : de si grands g?nies, dont l'un avait ?t? le bienfaiteur de l'autre, devaient ?tre toujours amis.
Il ?leva et il forma un autre homme qui, par la sup?riorit? de ses talents et par les dons singuliers qu'il avait re?us de la nature, m?rite d'?tre connu de la post?rit?. C'est le com?dien Baron, qui a ?t? unique dans la trag?die et dans la com?die. Moli?re en prit soin comme de son propre fils.
Un jour, Baron vint lui annoncer qu'un com?dien de campagne, que la pauvret? emp?chait de se pr?senter, lui demandait quelques l?gers secours pour aller joindre sa troupe. Moli?re ayant su que c'?tait un nomm? Mondorge, qui avait ?t? son camarade, demanda ? Baron combien il croyait qu'il fallait lui donner. Celui-ci r?pondit au hasard : << Quatre pistoles. -- Donnez lui quatre pistoles pour moi >>, lui dit Moli?re, << en voici vingt qu'il faut que vous lui donniez pour vous >> ; et il joignit ? ce pr?sent celui d'un habit magnifique. Ce sont de petits faits ; mais ils peignent le caract?re.
Un autre trait m?rite plus d'?tre rapport?. Il venait de donner l'aum?ne ? un pauvre : un instant apr?s, le pauvre court apr?s lui, et lui dit : << Monsieur, vous n'aviez peut-?tre pas dessein de me donner un louis d'or : je viens vous le rendre. -- Tiens, mon ami >>, dit Moli?re, << en voil? un autre. >> ; et il s'?cria : << O? la vertu va-t-elle se nicher ! >> Exclamation qui peut faire voir qu'il r?fl?chissait sur tout ce qui se pr?sentait ? lui, et qu'il ?tudiait partout la nature en homme qui la voulait peindre.
Moli?re, heureux par ses succ?s et par ses protecteurs, par ses amis et par sa fortune, ne le fut pas dans sa maison. Il avait ?pous? en 1661 une jeune fille n?e de la B?jart et d'un gentilhomme nomm? Mod?ne. On disait que Moli?re en ?tait le p?re : le soin avec lequel on avait r?pandu cette calomnie, fit que plusieurs personnes prirent celui de la r?futer. On prouva que Moli?re n'avait connu la m?re qu'apr?s la naissance de cette fille. La disproportion d'?ge et les dangers auxquels une com?dienne jeune et belle est expos?e rendirent ce mariage malheureux ; et Moli?re, tout philosophe qu'il ?tait d'ailleurs, essuya dans son domestique les d?go?ts, les amertumes, et quelquefois les ridicules qu'il avait si souvent jou? sur le th??tre : tant il est vrai que les hommes qui sont au-dessus des autres par les talents, s'en rapprochent presque toujours par les faiblesses ; car pourquoi les talents nous mettraient-ils au-dessus de l'humanit? ?
La derni?re pi?ce qu'il composa fut "le Malade imaginaire". Il y avait quelque temps que sa poitrine ?tait attaqu?e, et qu'il crachait quelquefois du sang. Le jour de la troisi?me repr?sentation, il se sentit plus incommod? qu'auparavant : on lui conseilla de ne point jouer ; mais il voulut faire un effort sur lui-m?me, et cet effort lui co?ta la vie.
Il lui prit une convulsion en pronon?ant "juro", dans le divertissement de la r?ception du malade imaginaire. On le rapporta mourant chez lui, rue de Richelieu. Il fut assist? quelques moments par deux de ces religieuses qui viennent qu?ter ? Paris pendant le car?me, et qu'il logeait chez lui. Il mourut entre leurs bras, ?touff? par le sang qui lui sortait par la bouche, le 17 f?vrier 1673, ?g? de cinquante-trois ans. Il ne laissa qu'une fille, qui avait beaucoup d'esprit. Sa veuve ?pousa un com?dien nomm? Gu?rin.
Le malheur qu'il avait eu de ne pouvoir mourir avec les secours de la religion et la pr?vention contre la com?die d?termin?rent Harlay de Chanvalon, archev?que de Paris, si connu par ses intrigues galantes, ? refuser la s?pulture ? Moli?re. Le roi le regrettait ; et ce monarque, dont il avait ?t? le domestique et le pensionnaire, eut la bont? de prier l'archev?que de Paris de le faire inhumer dans une ?glise. Le cur? de Saint-Eustache, sa paroisse, ne voulut pas s'en charger. La populace, qui ne connaissait dans Moli?re que le com?dien, et qui ignorait qu'il avait ?t? un excellent auteur, un philosophe, un grand homme en son genre, s'attroupa en foule ? la porte de sa maison le jour du convoi : sa veuve fut oblig?e de jeter de l'argent par les fen?tres ; et ces mis?rables, qui auraient, sans savoir pourquoi, troubl? l'enterrement, accompagn?rent le corps avec respect.
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