Read Ebook: Cours familier de Littérature - Volume 16 by Lamartine Alphonse De
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Ebook has 827 lines and 76600 words, and 17 pages
Il arriva le surlendemain aux portes de Turin; son costume fl?tri par la route, son d?n?ment d'argent et de lettres pour le gouverneur, lui firent refuser l'entr?e par les gardes; il fut contraint ? traverser de nouveau le P? et ? aller, suivant son habitude, demander un asile pour la nuit au couvent des Capucins. Ce couvent, situ? au sommet d'une des collines escarp?es qui bordent le fleuve et dominent de tr?s-haut la ville, est un des sites les plus pittoresques qu'un po?te p?t imaginer pour son repos. Il rappelle les deux monast?res de Monte-Oliveto ? Naples et de Saint-Onufrio ? Rome, qui donn?rent plus tard au po?te, l'un l'asile de ses derniers beaux jours, l'autre l'?ternel asile de son tombeau.
Le Tasse, ? son r?veil, alla entendre la messe dans la chapelle des capucins. Par une de ces providences qui manquent rarement aux hommes en apparence abandonn?s du sort, et qui ressemblent ? un sourire dans les larmes, un homme de lettres, Ingegneri, qui habitait pendant la belle saison la colline de Turin, entra dans la chapelle au bruit de la clochette qui appelait les paysans ? la messe. Il reconnut le Tasse, qu'il avait vu et cultiv? ? Ferrare, dans l'?tranger agenouill? au pied d'une colonne. Il l'attendit ? la porte de l'?glise, l'accueillit comme la gloire errante et m?connue de l'Italie, r?pondit de lui aux gardiens de la ville et le conduisit chez le marquis Philippe d'Este.
Le marquis d'Este, oncle de L?onora, avait ?pous? une princesse de la maison de Savoie; il s'?tait ?tabli ? Turin, o? il commandait la cavalerie de l'arm?e. Il re?ut chez lui le Tasse comme un serviteur de la maison d'Este. Le duc de Savoie, Charles-Emmanuel, honora le po?te qui portait avec lui l'illustration et l'immortalit?; il le conjura de s'attacher ? lui et lui offrit un traitement et des distinctions analogues ? la situation qu'il occupait ? la cour d'Alphonse.
< < Quand on consid?re que ces aveux de sa propre inconstance, de sa propre folie et de sa propre injustice, sont ?crits par le Tasse ? son protecteur le plus intime et le plus bienveillant ? Rome; qu'ils sont ?crits de Turin, o? le Tasse ?tait ? l'abri de toute influence et de toute crainte du duc de Ferrare; qu'il y demande avec une telle passion la faveur de s'?loigner ? jamais du s?jour de ce prince, peut-on consid?rer sa d?mence comme une calomnie d'Alphonse, et sa passion pers?v?rante pour L?onora comme le mobile et la cause de ses infortunes? La r?ponse v?ritablement paternelle du cardinal Albano ? cette lettre est un mod?le de charit? samaritaine; elle ne confirme que trop les accusations que le Tasse portait contre lui-m?me; la voici. Si la premi?re mouille les yeux de piti?, la seconde les mouille d'admiration; il est impossible de n'?tre pas aussi convaincu qu'attendri en lisant ces touchantes paroles: < < < < Qu'opposer ? des t?moignages pareils, quand on consid?re que le cardinal Albano ?tait un ami des M?dicis peu favorable ? la maison d'Este? Qu'opposer aussi ? cette protection empress?e du marquis Philippe d'Este, prodigu?e ? un po?te qui aurait ?t? poursuivi par la haine de son neveu Alphonse, pour cause du d?shonneur de L?onora, sa ni?ce? Tout proteste, dans les faits et dans les paroles, contre toute pers?cution du Tasse ? cette ?poque. La maladie du Tasse avait des acc?s et des intermittences qui laissaient au malade l'exercice de son g?nie. Les conseils du cardinal Albano, les bont?s du marquis d'Este, les admirations de la princesse Marie de Savoie et des dames de la cour pour le po?te qui avait ?lev? dans son po?me les femmes jusqu'? l'h?ro?sme, rassur?rent l'imagination du Tasse. Quelques-uns des vers ?crits par lui ? cette ?poque, pour une des cinq dames qui suivaient la princesse de Savoie, attestent que l'image de L?onora avait fait place ? une autre image, qui n'?clairait pas seulement, mais qui consumait son coeur. < De tels amours retentissant dans de tels vers ? Turin, ? Ferrare, chant?s dans le palais m?me de l'oncle de L?onora, n'auront-ils pas ?t? le plus douloureux d?dain ou le plus cruel outrage ? cette infortun?e princesse, si L?onora a ?t? pour le Tasse plus qu'une bienfaitrice et une amie? Mais cet amour m?me et l'enthousiasme de la cour, ? Turin, ne purent pr?valoir sur l'inconstance du po?te. Il ?crivit, au printemps de 1579, ? son protecteur le cardinal Albano, pour lui retirer les paroles donn?es et pour r?clamer son intervention aupr?s du duc de Ferrare. Apr?s cette seconde ?vasion, il r?clamait l'autorisation d'un second retour; le duc Alphonse accorda tout au cardinal, retour, traitement, somme d'argent pour le voyage, amnistie, faveur. Le marquis d'Este s'effor?a en vain de mod?rer cette impatience de quitter Turin; il engagea amicalement le po?te ? attendre quelques semaines, apr?s lesquelles il le conduirait lui-m?me ? Ferrare et le r?concilierait avec son neveu Alphonse. Le Tasse n'?couta rien; il arriva inopin?ment et inopportun?ment ? Florence, la veille du jour o? Alphonse allait ?pouser, en troisi?mes noces, Marguerite de Gonzague, fille du duc de Mantoue. Dans la pr?occupation de cette noce et de ces f?tes, au milieu du concours de princes et de princesses accourus de toute l'Italie pour y assister, le retour du Tasse fut inaper?u, le bruit de sa d?mence ?loignait de lui les indiff?rents; la duchesse d'Urbin, L?onora elle-m?me, afflig?es des outrages que les ?vasions et les accusations du Tasse avaient faites ? la r?putation de leur fr?re et ? la gloire de leur maison, ?taient refroidies, au moins en apparence, pour le po?te. Le Tasse oublia qu'il avait ? se faire pardonner des torts plus qu'? exiger des faveurs. Sa col?re, contre l'oubli dans lequel on le laissait, s'emporta publiquement jusqu'aux plus violentes invectives contre la maison d'Este. Alphonse, ? qui ces outrages furent rapport?s, fit emprisonner le Tasse, soit comme malade, soit comme criminel d'?tat, dans l'h?pital Sainte-Anne de Ferrare, maison qui servait ? la fois d'hospice aux infirmes, de prison aux coupables, de refuge aux insens?s. C'est de ce jour que le prince, jusque-l? indulgent et m?me g?n?reux, m?rita et assuma sur son nom les mal?dictions de la post?rit?. Le Tasse ?tait trop sacr? pour ?tre trait? en fou, il ?tait trop fou pour ?tre trait? en criminel, il ?tait trop malheureux pour ?tre jet? sans piti? ? ces g?monies des vivants, parmi les balayures du monde. Un acc?s de d?lire, dont la nature seule ?tait coupable, n'?tait pas un crime; Alphonse, en le punissant comme d'un crime, devint plus criminel que sa victime. Tous les ?crivains du temps se sont efforc?s de d?couvrir les motifs d'une cruaut? si contraire aux sentiments qu'Alphonse avait manifest?s jusque-l? pour le Tasse: les uns ont aggrav? cette cruaut? en pr?tendant que la d?mence du Tasse ?tait une calomnie et un pr?texte; les autres l'ont attribu?e ? la d?couverte des amours du Tasse et de L?onora; le plus grand nombre, ? la crainte que le Tasse libre n'all?t porter ? quelque autre cour d'Italie la gloire de son g?nie et la d?dicace de son po?me. Aucun de ces motifs n'explique la dure captivit? du po?te; nous avons trop de preuves de la r?alit? de sa d?mence, nous avons trop d'indices de l'innocence de L?onora; les deux ?vasions du Tasse des ?tats de Ferrare, avant cette captivit?, sont le d?menti, de fait, le plus formel ? ces suppositions. Quelle gloire pouvait retirer la maison d'Este d'une d?dicace d'un po?me qui lui ?tait d?j? d?di?, arrach?e par sept ans de captivit? aux yeux de l'Italie enti?re? Cette gloire, arrach?e par la torture, n'aurait-elle pas ?t? au contraire la fl?trissure ?ternelle d'Alphonse, devenu le bourreau de son po?te? Les papes, les cardinaux ? Rome, les M?dicis ? Florence, les Gonzague ? Mantoue, les Sforza ? Milan, la maison de Savoie ? Turin, la r?publique de Venise, o? le Tasse comptait d?j? tant d'admirateurs et tant d'amis, n'allaient-ils pas protester unanimement contre l'ignominie de la maison d'Este? Cette supposition impliquerait d'ailleurs le myst?re le plus profond r?pandu par Alphonse sur l'?tat d'esprit et sur le supplice de sa victime. Or le Tasse avait promen? partout sa d?mence ou sa m?lancolie; il avait ?t? incarc?r? en pleine publicit?, au milieu des f?tes d'un mariage, en pr?sence de tous les princes et de tous les ministres d'Italie rassembl?s ? Ferrare pour ces f?tes. Les seuls motifs plausibles auxquels on puisse raisonnablement attribuer la cruaut? et la brutalit? de l'emprisonnement du Tasse sont donc une d?mence r?it?r?e et presque incurable, et l'odieuse impatience que les nouveaux acc?s de cette d?mence avaient suscit?e contre le Tasse dans l'esprit du duc de Ferrare. Le crime de ce prince fut de vouloir, ou punir un insens? qui n'avait pas conscience de son d?lire, ou gu?rir par la s?v?rit? et par la violence un d?lire sacr? qui ne pouvait ?tre gu?ri que par la douceur, la compassion et la charit?. Le prince, en agissant ainsi, fut plus insens? que le po?te, et plus f?roce que la nature: l'amiti? se lassa en lui, et l'ami se changea en pers?cuteur. C'est par l? qu'il encourut les justes mal?dictions de la post?rit?. Les grands hommes sont sacr?s par la nature et par la Providence. Dieu, qui a donn? le g?nie en garde aux princes ou aux nations, ne le donna pas comme un jouet que ces princes ou ces nations peuvent rejeter ou briser selon leur caprice, mais comme un d?p?t dont ils doivent compte ? la post?rit?. Malheur aux princes ou aux r?publiques qui m?connaissent, qui pers?cutent ou qui n?gligent ces ?lus de l'avenir: les infortunes des grands hommes sont l'?ternelle accusation des nations ou des souverains. Le Tasse dut ses premi?res consolations ? ce jeune homme, qui fit sans doute rougir son oncle de son inhumanit?. Il reprit assez de calme pour ?crire ? Scipion Gonzague une ?l?gie de sa propre mis?re.
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