Read Ebook: Cours familier de Littérature - Volume 17 by Lamartine Alphonse De
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Son p?re, qui, ind?pendant de son ?tat d'architecte, ?tait sculpteur en ivoire, et tr?s-habile musicien sur la fl?te, entra dans la compagnie des musiciens de la ville et fut aim? des premiers M?dicis, ces citoyens ?lev?s par les richesses ? la tyrannie volontaire de leur patrie.
Le p?re de Benvenuto, le destinant au m?tier d'orf?vre, qui tenait ? l'art de la sculpture par la ciselure, le pla?a bient?t apr?s chez un charbonnier, p?re du fameux statuaire Bandinello. M?content de cet h?te avare et commun, il l'en retire presque aussit?t, et le garde chez lui jusqu'? quinze ans, sans lui enseigner autre chose que la fl?te.
Il entre alors chez un fameux orf?vre du nom de Marioni, comme ouvrier sans gages. Son g?nie naturel ayant trouv? l? sa vraie voie, il d?borda spontan?ment de facilit?, de gr?ce et de force. <
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Son fr?re lui ayant d?rob? ses habits pendant qu'il ?tait absent, il s'indigna et partit sans dessein pour Pise. Il y arriva sans argent, mais d?j? riche par le progr?s qu'il avait fait ? Florence dans l'orf?vrerie et dans les lettres; il ne doutait de rien; la Providence servit le hasard.
Je r?fl?chissais sur cette proposition qui, ?tant accept?e, contrariait infiniment mon go?t pour mon m?tier. La nuit suivante, mon p?re m'apparut en songe; il me disait avec des larmes pleines de tendresse: Au nom de Dieu, mon fils, entre dans la musique du pape! et il me semblait que je lui r?pondais: Mon cher p?re, cela m'est impossible. Alors il prit une figure terrible, en ajoutant: Choisis donc entre ma mal?diction paternelle et ma b?n?diction.
M'?tant ?veill?, je fus si effray? que je courus me faire inscrire dans les musiciens de Sa Saintet?. Depuis, j'?crivis mon songe ? mon p?re, qui faillit en mourir de joie, et qui, quelque temps apr?s, me fit savoir qu'il avait fait un songe tout semblable. D'apr?s cette satisfaction que je lui avais donn?e, il me semblait que tout d?t me r?ussir; et je m'occupai du vase que j'avais commenc? pour l'?v?que de Salamanque.
Je fus tr?s-m?content de ces paroles, et je maudis toute l'Espagne et tous ceux qui lui voulaient du bien. Parmi les ornements de ce vase, il y avait un couvercle subtilement travaill?, qui, par le moyen d'un ressort, se tenait debout sur son ouverture. Monseigneur le faisant voir un jour, par vanit?, ? ses Espagnols, l'un d'eux, en son absence, le mania si grossi?rement qu'il cassa le ressort. Honteux de sa sottise, il pria le ma?tre d'h?tel de me l'apporter pour le raccommoder sur-le-champ, de mani?re que l'?v?que ne s'en aper??t pas; ce que je fis en quelques heures. Celui qui me l'avait apport? vint tout en sueur pour le reprendre, disant que son ma?tre l'avait demand? pour le montrer ? quelques personnes. Vite, vite, donnez-le-moi, me disait-il, en me laissant ? peine le temps de parler. Moi qui voulais ne pas le rendre, je lui r?pondis que je n'?tais point press?. Ces mots le mirent tellement en fureur qu'il mit la main ? son ?p?e; je pris une arme de mon c?t?, en disant hardiment ? cet homme que ce vase ne sortirait point de ma boutique qu'il ne f?t pay?, et qu'il all?t le dire ? son ma?tre. Ne pouvant rien obtenir par la force, il eut recours aux supplications, en me certifiant qu'il m'en apporterait le prix le plus t?t possible; mais je fus in?branlable. ? la fin, il me mena?a de venir avec tant d'Espagnols qu'il aurait raison de moi, et me quitta en courant.
Moi qui craignais quelque mauvais coup de la part de ces gens-l?, je r?solus de me d?fendre, et je mis mon arquebuse en ?tat; ils refusent, me disais-je, de me donner le prix de mon travail, et ils veulent encore ma vie!
Je vis bient?t venir plusieurs Espagnols avec cet homme ? leur t?te, fiers comme ils le sont tous, et qui leur criait d'entrer de force chez moi; mais je leur montrai la bouche de mon canon pr?t ? faire feu, en les traitant de voleurs et d'assassins, et en leur disant que le premier qui s'approcherait ?tait mort: ce qui fit tellement peur ? leur chef qu'il piqua de l'?peron un gen?t d'Espagne sur lequel il ?tait mont?, et qu'il prit la fuite ? toute bride.
Tous les voisins accoururent ? ce tapage, et quelques gentilshommes romains qui passaient criaient: Tuez, tuez ces sc?l?rats, et nous vous aiderons! Ces paroles effray?rent tellement le reste de la troupe, qu'elle suivit l'exemple du majordome.
Ils racont?rent ? Monseigneur tout ce qui s'?tait pass?; et celui-ci leur r?pondit avec son arrogance ordinaire, qu'ils avaient mal fait de se porter ? cet exc?s; mais que, puisqu'ils avaient commenc?, ils auraient d? finir. Il me fit dire ensuite de lui porter son vase, et qu'il me le payerait bien, sinon qu'il me ferait donner sur les oreilles. Ses menaces ne m'?pouvant?rent point, et ma r?ponse fut que j'allais en instruire le pape. Sa col?re et mes craintes ?tant pass?es, je lui portai son vase, sur la parole de quelques gentilshommes, et avec la certitude qu'il me serait pay?. Cependant je me munis d'un poignard et de ma cotte de mailles.
Chacune de ces pages de Cellini est attendrie par un de ces retours de coeur vers son vieux p?re, qui montrent en lui une tendresse ?gale ? sa fougue.
La peste se d?clare ? Rome; il emploie ces jours de deuil et de loisir forc?s ? des fouilles et ? des imitations de l'antique. Les grands artistes se r?unissent pour f?ter, dans une orgie peu d?cente, la fin de la maladie. Michel-Ange, que ses ann?es devaient rendre plus sage, les convie ? une v?ritable orgie, qui donne une id?e des moeurs licencieuses de l'?poque.
La nuit venue, et les ennemis entr?s dans Rome, moi, qui ai toujours aim? les choses nouvelles, je me plaisais ? consid?rer le d?sordre d'une ville prise d'assaut, ce que je voyais du point o? j'?tais, beaucoup mieux que ceux qui ?taient dans le ch?teau. Je fis jouer mes pi?ces de canon sans rel?che pendant un mois entier que nous f?mes assi?g?s, et il m'arriva des choses dignes d'?tre racont?es; mais j'en laisserai une partie pour n'?tre pas long, et ne pas trop m'?loigner de mon sujet principal.
Le pape, ?bloui de ses services, vint plusieurs fois le visiter ? son poste. Il lui d?montra une fois la port?e de ses pi?ces en coupant en deux un colonel espagnol qu'il prit pour but ? sa couleuvrine. Puis, se jetant ? ses pieds, il lui demanda de lui accorder le pardon des homicides commis par lui pour le service de l'?glise.
L'audience qu'il re?oit du pape le jeudi saint, pour ?tre relev? de l'excommunication, est une des circonstances les plus pittoresques de ses M?moires:
Le pape le fait surintendant de sa monnaie. Il fait des mod?les magnifiques; il perd son fr?re d'un coup de poignard dans une rencontre sur le pont Saint-Ange. Il jure de le venger et tue lui-m?me son meurtrier d'un autre coup de poignard; le pape lui pardonne et lui donne le conseil de prendre garde ? ses ennemis.
Dans son retour ? Rome, Benvenuto eut une aventure.
Il devint ?perdument ?pris de la fille d'une courtisane sicilienne. En apprenant le d?part de cette fille pour son pays, il s'?chappa comme un insens? de Rome pour la poursuivre. Arriv? ? quelque distance de Naples, il la retrouve dans une h?tellerie et la perd de nouveau. C'est tout ? fait une aventure d'Arioste, et qui, comme celle de ce po?te, n'a pas de suite dans la vie de ce h?ros. Mais cet amour de rencontre est agr?ablement racont?.
?tant entr? dans l'h?tellerie, je montai dans une chambre o? se trouvaient ? table plusieurs gentilshommes, et une dame de la plus rare beaut?. Derri?re moi ?tait un jeune domestique que j'avais, qui me suivait avec une pertuisane au bras. Cette arme, le sang que je versais, et notre accoutrement, leur firent une peur effroyable, d'autant plus que ce lieu ?tait un nid ? voleurs. Ils se lev?rent de table, et me pri?rent de leur pr?ter secours; mais je leur dis en riant qu'ils n'avaient rien ? craindre, et que j'?tais homme ? pouvoir les d?fendre; que je leur demandais seulement leurs bons offices pour bander ma blessure. Cette belle dame m'offrit aussit?t son mouchoir brod? d'or; et, comme je le refusais, elle le d?chira par le milieu, et voulut elle-m?me m'en envelopper la main. Nous din?mes ensuite fort tranquillement. Apr?s le d?ner, nous mont?mes ? cheval, et nous voyage?mes de compagnie. La peur n'?tait pas encore pass?e; et ces messieurs, qui restaient en arri?re, me pri?rent de marcher ? c?t? de leur dame. Je fis signe alors ? mon valet de s'?loigner un peu de nous, et nous e?mes le temps et la facilit? de nous dire de ces douceurs qu'on ne trouve point chez le marchand. C'est ainsi que je fis le voyage le plus agr?able de ma vie.>>
Le lieu o? j'?tais, et les paroles de cet homme, m'annon?aient assez ce qui devait m'arriver. Je r?fl?chis toute la nuit sur ce que je pouvais avoir fait qui m'attir?t un si rude ch?timent, et je n'en trouvai point le motif. Mon garde me consolait et cherchait ? me donner du courage; mais je le priai de me laisser tranquille, parce que je savais mieux que lui ce que je devais faire. Alors je me remis tout entier entre les mains de Dieu, et je le priai de venir ? mon secours. Je sais, disais-je, que j'ai commis des homicides; mais je ne l'ai fait que pour d?fendre cette vie que vous m'avez donn?e en garde; et d'ailleurs ils m'ont ?t? pardonn?s: dans ce moment-ci, je suis innocent, selon toutes les lois humaines, et je suis comme un homme qui, passant dans la rue, re?oit une grosse pierre qui lui tombe sur la t?te.
Je pensais ensuite ? la puissance des ?toiles, non qu'elles puissent nous faire du mal ni du bien par elles-m?mes, mais par le hasard de leurs conjonctions auxquelles nous sommes expos?s. D'apr?s ma foi et mon innocence, disais-je, les anges devraient me d?livrer de cette prison; mais je ne suis pas digne d'un tel bienfait, et ils me laisseront soumis ? toute la malignit? de mon ?toile.
Il parla ainsi, parce qu'il ?tait devant ces cardinaux qui avaient entendu les paroles hardies de cette dame g?n?reuse. En attendant, j'?tais dans des transes cruelles, qui ?taient redoubl?es par la pr?sence de ceux qui devaient m'ex?cuter; mais l'heure du d?ner ?tant venue, et voyant les provisions qu'on m'envoyait, je m'?criai, plein de surprise: La v?rit? a donc vaincu ma mauvaise ?toile! Je prie Dieu qu'il m'arrache bient?t de ce lieu-ci. Je commen?ai ? manger d'assez bon app?tit, car l'esp?rance fit cesser toutes mes craintes; et je restai dans cet ?tat jusqu'? une heure de la nuit, que le barrigel revint avec ses gens, et, avec des paroles plus douces, me fit reporter avec beaucoup de m?nagement, ? cause de ma jambe, au lieu o? ils m'avaient pris.
C'est dans cette situation que je passais ma vie, couch? sur une triste paillasse tout humide, sans pouvoir me remuer, ? cause de ma jambe rompue, et oblig? de ramper au milieu des ordures pour aller faire mes besoins au dehors, afin de ne pas augmenter l'air infect de ma chambre. Je ne pouvais lire qu'une heure et demie par jour, parce qu'il n'entrait qu'en ce seul moment dans cette caverne affreuse, et le reste du temps, je le donnais ? Dieu et ? mes r?flexions sur les fragilit?s de cette vie, que j'esp?rais bient?t quitter. Cependant quelquefois je reprenais mon courage, et je me consolais en me voyant moins expos? dans cette prison que dans le monde, ? me livrer ? mon caract?re emport? et au poignard de mes ennemis jaloux. Un sommeil plus doux s'emparait de moi, et peu ? peu je sentis ma sant? se r?tablir, l'ayant accoutum?e ? ce purgatoire.
Je fis ensuite r?flexion sur la cause qui m'avait emp?ch? de me donner la mort, et je la jugeai toute divine. Pendant la nuit, m'apparut en songe un jeune homme d'une beaut? merveilleuse, qui me dit, en ayant l'air de me gronder: Tu sais qui t'a donn? la vie, et tu veux la quitter avant le temps. Il me semble que je lui r?pondis que je reconnaissais tous les bienfaits de Dieu. Pourquoi donc, reprit-il, veux-tu les d?truire? Laisse-toi conduire, et ne perds pas l'esp?rance en sa divine bont?. Je vis alors que cet ange m'avait dit la v?rit?; et ayant jet? les yeux sur des morceaux de brique que j'aiguisai en les frottant l'un contre l'autre, et avec un peu de rouille que je tirai des ferrures de ma porte avec les dents, et dont je fis une esp?ce d'encre, j'?crivis sur le bord d'une des pages de ma Bible, au moment o? la lumi?re m'apparut, le dialogue suivant entre mon corps et mon ?me:
LE CORPS.
Pourquoi veux-tu te s?parer de moi? ? mon ?me! le ciel m'a-t-il joint avec toi Pour me quitter, s'il t'en prenait l'envie? Ne pars point, sa rigueur semble s'?tre adoucie!
L'?ME.
Puisque le ciel m'en impose la loi, Je serai ta compagne encore; Oui, des jours plus heureux vont se lever, je croi, Et d?j? j'en ai vu l'aurore.
Ayant donc repris courage par mes propres forces, et continuant de lire la Bible, je m'?tais tellement accoutum? ? l'obscurit? de ma prison, qu'au lieu d'une heure et demie, j'en pouvais employer trois ? mes lectures. Je consid?rais avec ?tonnement quelle est la force de la puissance divine dans les ?mes simples et croyantes avec ferveur, auxquelles Dieu accorde de faire tout ce qu'elles s'imaginent; et j'esp?rais la m?me gr?ce de Dieu, ? cause de mon innocence. C'est ce qui faisait que je le priais, et que je m'entretenais sans cesse avec lui. J'y trouvais un si grand plaisir, que j'oubliais enti?rement tout ce que j'avais souffert; et, tout le jour, je chantais des psaumes ou des cantiques ? sa gloire.
Le seul malaise que j'?prouvasse venait de mes ongles, qui ?taient devenus si longs que je ne pouvais ni me v?tir ni me toucher sans me blesser. Mes dents se g?taient, ou se s?paraient tellement de leurs alv?oles que je pouvais les en arracher sans douleur, comme si elles eussent ?t? dans une ga?ne. Cependant je m'?tais accoutum? ? ces nouvelles douleurs. Tant?t je chantais ou je priais, tant?t j'?crivais avec ma brique et l'encre dont j'ai parl?; et je commen?ai, sur ma captivit?, des vers que l'on verra plus bas.
Depuis quatre mois que j'?tais couch? sur le dos, ? cause de ma jambe, j'avais r?v? tant de fois que les anges venaient eux-m?mes me la panser, que je m'en servais; et j'?tais devenu aussi fort que si je n'y eusse jamais eu de mal. Ces hommes arm?s qui ?taient venus me prendre me redoutaient comme si j'eusse ?t? un vrai dragon. Le capitaine me dit: Nous venons ici beaucoup de gens arm?s, et avec grand bruit; et vous ne daignez pas nous regarder! Voyant bien, ? ces paroles, qu'ils venaient pour accro?tre mes maux, mais pr?par? ? tout souffrir, je lui r?pondis: J'ai tourn? vers ce Dieu, roi des cieux, toutes les pens?es de mon ?me, de sorte qu'il ne reste rien pour vous. Tout ce qu'il y a de bon en moi n'est point de votre ressort; ainsi, faites ce que vous voudrez. Le poltron de capitaine, ne sachant ce que je voulais dire, ordonna ? quatre de ses hommes les plus robustes de reculer leurs armes, de peur que je ne m'en emparasse, et leur cria ensuite: Vite! vite! sautez-lui sur le dos, et saisissez-le, serrez-le bien fort! J'aurais moins peur du diable que de lui! Prenez garde qu'il ne vous ?chappe! Moi, garrott? et maltrait? par eux, m'attendant ? de plus grands maux encore, je levais mes yeux vers le Christ, en disant: Dieu juste! vous avez pay? toutes nos dettes sur votre croix; pourquoi faut-il que mon innocence paye celles de gens qui me sont inconnus? Mais que votre volont? soit faite!
Cependant je priais toujours, et je composais mon chapitre sur ma prison. La nuit je faisais les songes les plus agr?ables; et il me semblait ?tre toujours avec cet esprit invisible qui me donnait de si salutaires avertissements.>>
Les pers?cutions du pape devinrent une vengeance priv?e.
Ce livre pr?cieux ?tait presque achev? lorsque l'empereur arriva ? Rome, au milieu des arcs de triomphe et des f?tes que d'autres sauront d?crire mieux que moi. ? leur premi?re entrevue, ce prince fit pr?sent au pape d'un beau diamant qui avait co?t? douze mille ?cus, et que je devais monter sur un anneau ? la mesure de son doigt; mais Sa Saintet? voulut auparavant que je lui portasse le livre, quoique imparfait encore. Me consultant sur les excuses que nous pourrions donner ? l'empereur, sur cette imperfection, je lui dis que l'excuse serait ma maladie, ? laquelle Sa Majest? croirait facilement en me voyant si maigre et si d?fait. C'est ? merveille, me dit le pape; mais il faut que tu le lui offres toi-m?me de ma part. Il m'ajouta ce que je devais faire et dire en cette circonstance; ce que je r?p?tai devant lui. C'est fort bien, me r?pondit le pape, si la pr?sence d'un empereur ne te trouble pas. Que Votre Saintet? ne craigne rien, lui dis-je, je ferai et je parlerai encore mieux! L'empereur est v?tu et fait comme un autre homme, et je ne me trouble point devant Votre Saintet?, malgr? son auguste dignit?, ses ornements pontificaux et sa vieillesse. Ce prince lui fit compter cinq cents ?cus.--Juv?nal, ministre et confident du pape Farn?se, le calomnia aupr?s de lui. On ne le re?ut plus comme autrefois.
LAMARTINE.
Ce ENTRETIEN.
J'allai sur-le-champ pr?senter mes respects au duc, afin de pouvoir partir le lendemain pour Lorette. Apr?s deux heures d'attente, j'eus l'honneur de le voir et de lui baiser les mains. Il voulut me faire mettre ? table avec lui, mais je le priai de m'excuser, attendu que, vivant de peu depuis ma maladie, je craignais d'abuser, pour ma sant?, de l'excellence de ses mets; que j'aurais plus de temps, en ne mangeant pas, pour r?pondre ? ses questions. Je restai quelques heures avec lui; et lui ayant demand? cong?, je trouvai ? mon auberge ma table couverte de quelques plats d?licats, qu'il avait eu la bont? de m'y envoyer, avec d'excellent vin. Comme l'heure de mon repas ?tait pass?e, j'en eus beaucoup plus d'app?tit, et ce fut, depuis quatre mois, le jour o? je pus manger avec plaisir.
Le lendemain je partis pour Lorette, o? je fis mes pri?res ? la sainte Vierge.
Sur-le-champ j'eus recours ? mes pri?res ordinaires, et je remerciai Dieu de mourir d'une mort si douce et bien diff?rente de celle dont j'avais ?t? tant de fois menac?. Mais, comme l'esp?rance ne nous quitte jamais, je pris un couteau, je broyai sur des morceaux de fer quelques grains de cette poudre, et je m'assurai enfin que ce n'?tait pas du diamant, mais de la pierre molle, qui ne pouvait me faire aucun mal. J'en b?nis Dieu; et, quelque temps apr?s, je b?nis aussi la pauvret? qui m'avait sauv? la vie, tandis qu'elle tue tant de malheureux.
Le nouveau ch?telain, oubliant que son fr?re en mourant m'avait fait pr?sent de toutes ses d?penses pour moi, voulut en agir comme un vrai barrigel et ses semblables, et me for?a de les lui rembourser; ce qui me co?ta beaucoup d'argent.
L'une ?tait Neptune, le trident ? la main, tra?n? par quatre chevaux marins; l'autre, la Terre, sous la figure d'une belle femme, appuy?e d'un bras sur un temple qui renfermait le poivre, et de l'autre portant une corne d'abondance. Sous la figure de la Terre, j'avais mis toutes sortes d'animaux qu'elle enfante; sous celle de la Mer, les poissons qu'elle nourrit.
Le cardinal, qui avait une maison consid?rable, la divisa en deux parties. La plus noble le suivit par la Romagne, ? Lorette et ? Ferrare, chef-lieu de sa maison; l'autre, o? se trouvait beaucoup plus de monde et une belle cavalerie, passa par Florence. Le cardinal voulait que je ne me s?parasse point de lui, ? cause des dangers que je pouvais courir; mais je le suppliai de me laisser aller par Florence, o? je voulais embrasser ma soeur, qui avait tant souffert de mes malheurs, et deux cousines, religieuses ? Viterbe, o? elles gouvernaient un riche monast?re, et qui avaient tant fait de pri?res et r?cit? d'oraisons pour obtenir la gr?ce de Dieu en ma faveur.
Une tragique aventure l'attendait ? Sienne.
L'h?te chez lequel je logeais me dit: Vous serez heureux, s'il ne vous arrive rien que de perdre votre selle. C'est l'homme le plus brutal qui soit ici, et il a deux fils soldats qui le sont encore plus que lui; c'est pourquoi je vous conseille d'en acheter une autre, et de ne rien dire.
Arriv?s devant la porte, je reconnus mon homme, parce qu'on m'avait dit qu'il ?tait borgne; m'?tant avanc? seul pour lui parler: Mon ma?tre, lui dis-je, je vous prie de me rendre ma selle et mes ?triers, parce que je n'ai fait aucun mal ? votre jument. Il me fit une r?ponse si brutale que je lui dis: Vous n'?tes donc point chr?tien, puisque vous voulez me faire tort, m?me le vendredi saint?--Que ce soit le vendredi saint, ou le vendredi du diable, peu m'importe! Si vous ne vous en allez, vous voyez cette pique et cette arquebuse, vous ?tes mort!
Ces paroles firent approcher un vieux gentilhomme qui venait de faire ses d?votions, et qui, approuvant mes raisons, lui fit des reproches sur sa conduite vis-?-vis d'un ?tranger et sur ses blasph?mes. Ses deux fils alors rentr?rent dans sa maison, sans dire mot; mais leur p?re, furieux des reproches du gentilhomme, baissa sa pique, en jurant qu'il voulait me tuer. Voyant sa r?solution, je me mis un peu ? l'?cart, en lui montrant le bout de mon arquebuse, pour le tenir en respect. Il se jeta alors sur moi, plus furieux encore; mais cette arme, que je tenais assez haut, partit d'elle-m?me, et la balle, ayant frapp? l'arc de la porte, rebondit sur sa t?te, et l'?tendit par terre.
C'est en riant encore que nous arriv?mes ? Florence, o? nous descend?mes chez ma soeur, que ma pr?sence remplit de bonheur et de joie.>>
Arriv? ? Fontainebleau, le cardinal de Ferrare le pr?senta une seconde fois ? Fran?ois Ier.
Voyons dans quel ?tat il trouvait la cour. L'amour pour la duchesse d'?tampes, r?gnait sur le roi.
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