Read Ebook: Cours familier de Littérature - Volume 20 by Lamartine Alphonse De
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Ebook has 715 lines and 71316 words, and 15 pages
COURS FAMILIER DE LITT?RATURE
UN ENTRETIEN PAR MOIS
PAR M. A. DE LAMARTINE
TOME VINGTI?ME.
PARIS ON S'ABONNE CHEZ L'AUTEUR, RUE DE LA VILLE L'?V?QUE, 43. 1865
L'auteur se r?serve le droit de traduction et de reproduction ? l'?tranger.
COURS FAMILIER DE LITT?RATURE
REVUE MENSUELLE.
Paris.--Typographie: Firmin Didot fr?res, imprimeurs de l'Institut et de la Marine, rue Jacob, 56.
LE L?PREUX DE LA CIT? D'AOSTE,
PAR M. XAVIER DE MAISTRE.
Louis de Vignet ?tait par sa m?re neveu des quatre de Maistre, gentilshommes savoyards, d'un vrai m?rite, mais de m?rite tr?s-diff?rent. L'un, l'a?n?, ?tait le comte Joseph de Maistre, esprit original, paradoxal, superbe, d?clamateur, fanatique, qui a laiss? une immense r?putation ? r?viser par son parti, homme de phrases magnifiques, mais de livres tant?t ?quivoques, tant?t scandaleusement faux, grand ?crivain, pauvre philosophe. Il ?tait alors ambassadeur de Sardaigne en Russie, esp?ce d'oracle versatile cach? dans les neiges du Nord, tant?t ennemi de Bonaparte, tant?t le d?clarant l'homme providentiel, et nouant une intrigue avec son ami le duc de Rovigo pour se faire inviter ? une entrevue confidentielle avec le chef de la France.
Le second ?tait l'abb? de Maistre, eccl?siastique exemplaire et v?n?rable, quoique fac?tieux et spirituel, ami de Mme de Sta?l, et destin? depuis ? ?tre ?v?que d'une petite ville de Pi?mont, quand le roi parut ? Turin apr?s la restauration.
Le troisi?me, officier distingu? au service du roi de Sardaigne, devait devenir plus tard colonel de la brigade de Savoie, c'est-?-dire g?n?ral. Il ?tait impossible de joindre plus de loyaut? et de bravoure ? plus de jovialit? et ? plus de candeur et d'agr?ment dans l'esprit.
C'est le livre dont nous allons vous entretenir aujourd'hui. Quand un homme de talent est malheureux, ruin? ou exil? par l'infortune, loin des montagnes ou des ravins qui l'ont vu na?tre; quand les lieux, le temps, les personnes se repr?sentent ? lui comme des angoisses ou des remords, et qu'il ne les apaise qu'en les exprimant, sa douleur devient du g?nie, et il sort alors de son ?me des cris qui sont l'apog?e des tristesses humaines. On dit: Qu'est-ce qui a pouss? ce g?missement? On ne sait pas son nom. Ce n'est pas un homme, c'est quelque chose d'humain.
Xavier de Maistre l'?crivit.
Cette page n'existait pas encore pour le public au moment o? je connus Louis de Vignet, neveu de Xavier.
Il avait environ vingt ans; ses cheveux, secou?s sur son front comme par un coup de vent perp?tuel, formaient d'un c?t? de la t?te une masse ondoyante et ruisselante le long de sa joue; la ligne de ce front ?tait longue, droite, renfl?e seulement par les deux lobes de la pens?e. L'arcade sourcili?re pro?minente encadrait bien le regard; mais ce regard encaiss? ?tait ? demi ferm? par deux longues paupi?res charg?es de soucis pr?coces. Son nez ?tait aquilin, la finesse naturelle du demi-Italien s'y r?v?lait sur la bonhomie ind?cise du montagnard de Savoie; ses l?vres ?taient un peu pinc?es, mais un pli d'amertume triste en caract?risait fortement les coins; son menton, trait principal de l'intelligence, ?tait ferme, long, carr?, et dessinait avec ses joues maigres et creuses un angle fermement accentu? comme chez un vieillard. Il penchait habituellement le visage comme sous le poids de pens?es trop lourdes; sa taille mince et ?lev?e en paraissait amoindrie. En tout, c'?tait la figure de Werther, amoureux, pensif, d?sesp?r?, tel que le capricieux g?nie de Goethe venait de le jeter dans l'imagination de l'Europe pour y vivre longtemps de ses larmes et de son sang. Jamais la m?lancolie maladive n'incarna son image plus compl?te sur des traits humains que dans cette figure. On ne pouvait rester ni l?ger ni indiff?rent en le voyant; il semblait porter un secret de tristesse.
Les relations de ses camarades avec lui ?taient g?n?es et souvent ?pineuses, ? cause de ce caract?re sombre qui n'y laissait ni s?curit? ni ?galit?. Il fallait le prendre et le laisser selon son heure. Ses ma?tres s'en d?fiaient; ils le regardaient comme un redoutable g?nie qui tournerait en bien ou en mal suivant la passion qui le saisirait au passage. Virieu et moi, nous ?tions souvent en froid avec lui; il nous ?tait trop sup?rieur en intelligence et en connaissance du monde pour ?tre notre ?gal. Nous le consid?rions trop pour ne pas le craindre. Mais, quand il daignait s'abaisser vers nous pour nous rechercher, nous revenions facilement ? lui et nous formions un trio d'intimit? redoutable aux ma?tres et aux ?l?ves.
Nos entretiens roulaient en g?n?ral alors sur nos familles. Vignet surtout nous int?ressait vivement en nous parlant de la sienne. Nous l'?coutions avec d?f?rence. Il ne se lassait pas de nous parler avec un ton d'oracle des quatre oncles qui composaient ce c?nacle de grands esprits: avant tout de son oncle l'a?n?, l'ambassadeur, puis de son oncle le futur ?v?que, puis de son oncle le colonel, puis enfin de son oncle Xavier, qui avait dans sa famille la r?putation du plus l?ger des ?crivains et du plus modeste des hommes.
Ceux des P?res de la foi qui nous accompagnaient avaient divis? la course en deux journ?es de marche pour qu'elle ne d?pass?t pas nos forces. Le premier jour, nous all?mes d?ner et coucher chez le p?re d'un de nos camarades, M. Jenin, ancien colonel de gendarmerie, retir? ? Virieu-le-Grand, dans une solitude champ?tre, o? il ?levait de beaux ?talons, dans ses pr?s et hautes herbes, pour se rappeler son ?tat, et les vendre aux inspecteurs des haras de l'empire. Un ruisseau d'eau de neige, tant?t troubl? par la chute des avalanches, tant?t limpide, pendant l'?t?, roulait sans bords sur un large lit de cailloux devant la maison, avec un l?ger bruit d'eau courante sur les pierres rondes. Le village ?tait plus haut, grimpant de pente en pente sur les collines d?nud?es. La clart? du jour, le murmure des eaux, la course folle des poulains dans les pr?s, les villageois aux fen?tres ou sur le seuil de leur porte, la gaiet? tranquille de cette ?lite de jeunes gens retrouvant dans cette maison rustique, chez un de leurs camarades, l'image de leur demeure de famille, donnaient au paysage et ? la demeure de M. Jenin un air de f?te et de s?r?nit?.
M. Jenin le p?re nous attendait avec des guides pour le lendemain, et des granges pleines de paille et de foin odorant pour la nuit. Les longues tables, simplement mais abondamment servies, s'?tendaient dans toute la maison: f?te de la famille dont la nature faisait tous les frais. Apr?s le repas, nous pass?mes en revue devant les dames, puis nous all?mes faire la pri?re du soir dans le verger. On nous distribua ensuite dans les fenils et dans les granges, et nous nous couch?mes, sans quitter nos habits, sur les bottes de paille d?li?es pour nous. La conversation ne fut pas longue, nous devions nous mettre en route au cr?puscule pour atteindre et gravir le mont Colombier, y passer la journ?e et revenir le soir souper et coucher ? Virieu-le-Grand.
La montagne, qui s'?l?ve presque inopin?ment d'un groupe montueux du haut Bugey, nous offrit peu de spectacles et d'incidents jusqu'au sommet. L'?l?vation nous opposa quelques petits glaciers, et un grand nombre d'entre nous y fut saisi d'acc?s de fi?vre: les extr?mes ne sont pas bons ? l'homme. Nous redescend?mes vite pour nous restaurer et nous r?pandre sur la pente parmi les sapins. Vignet nous fit signe, ? Virieu et ? moi, de nous s?parer de la foule et de choisir un site ?cart? pour notre lecture. Nous rencontr?mes facilement une retraite inaccessible ? l'oeil et ? l'oreille de nos compagnons. C'?tait un rocher ? pic, dominant comme un promontoire les abords ombrag?s de la montagne et ombrag? lui-m?me par derri?re de sept ? huit gigantesques sapins qui formaient rideau contre les regards curieux.
Le cours ? sec d'une avalanche de neige y creusait devant nous un lit large et profond de pierres roul?es, de rochers croulants, d'arbres d?racin?s, d'arbustes couch?s ? terre, esp?ce de vall?e du Dante qui allait s'engouffrer dans la nuit de la for?t inf?rieure. ? notre gauche un pan de mur ? moiti? d?moli d'une ancienne chapelle du monast?re, ou de la cellule d'un ermite, enfoui sous des branches d'arbres verts, s'?levait de quelques pieds seulement au-dessus du sol, et r?verb?rait sur nous les derniers reflets du soleil du soir.
Cette ruine isol?e nous faisait penser ? l'asile de ce l?preux dont nous allions lire les tristes aventures. Aucun site ne paraissait mieux choisi pour une pareille lecture.
Louis de Vignet d?roula son manuscrit et nous dit avant de lire:
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< < < Ce pr?ambule, facile ? comprendre, nous avait dispos?s ? l'attention et ? l'int?r?t. Vignet commen?a sa lecture. Quand nous e?mes entendu vingt pages, nous ne f?mes plus tent?s d'interrompre. Les ma?tres et les enfants, fatigu?s de la longue course du matin, s'?taient assoupis, loin de nous, sur le gazon tondu par les moutons de la montagne; les murmures de la brise du milieu du jour, tamis?s par les feuilles de sapin, ?taient le seul accompagnement de la voix du lecteur. Quand nous f?mes ? la moiti? ? peu pr?s du manuscrit, Vignet me passa les pages et me pria de continuer; il n'y eut pas une interruption, on ne connut le changement de lecteur qu'au changement de voix. Seulement, quelques larmes tomb?es sur le papier et quelques sanglots mal ?touff?s dans nos poitrines disaient ? la solitude l'?motion de nos silences. ? silences! nous n'avons jamais oubli? ce que vous disiez ? nos jeunes coeurs!... Il faut conna?tre la bonhomie de la soci?t? des petites villes de Savoie pour se rendre compte de l'?tat de l'?me de Xavier de Maistre ? la cit? d'Aoste. Je trouve, dans un passage de J.-J. Rousseau, une peinture v?ridique et na?ve de cette soci?t? ? cette ?poque; la voici: < < < < < < <
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