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Read Ebook: L'Illustration No. 3655 15 Mars 1913 by Various

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Ebook has 174 lines and 19228 words, and 4 pages

L'Illustration, No. 3655, 15 Mars 1913

LA REVUE COMIQUE, par Henriot.

Ce num?ro comprend VINGT-QUATRE PAGES.--Il est accompagn? de LA PETITE ILLUSTRATION, S?rie-Roman n? 2, contenant la deuxi?me partie du roman de M. Marcel Pr?vost: LES ANGES GARDIENS.

COURRIER DE PARIS

LES MAISONS EN CONSTRUCTION

De deux fen?tres ?loign?es l'une de l'autre, situ?es chacune ? une extr?mit? de mon appartement, celle-ci au nord, celle-l? au midi, de la fen?tre de ma chambre et de celle de mon cabinet, je vois construire deux maisons.

Je les regarde s'?lever ? la place m?me o? l'an dernier se tenaient, si droites encore, celles que j'ai vu jeter ? bas, dont il ne reste plus trace que dans mon souvenir, et peut-?tre dans celui des hommes qu'elles ont abrit?s. Et ces deux maisons, je ne sais pourquoi, occupent ma vie. Si ce n'est que toutes les deux elles sont <> et qu'elles auront le m?me nombre d'?tages, elles pr?sentent d?j? un caract?re tr?s distinctif. L'une, sur laquelle donne ma chambre, est en b?ton arm? ou du moins jusqu'? pr?sent, et rien ne permet de croire qu'il en sera diff?remment dans la suite. L'autre, qui forme le principal paysage de mon cabinet, est en pierre.

Ces deux maisons, qui sont s?par?es par tout un p?t? d'immeubles, et qui, par cons?quent, ne peuvent pas <>, et qui ne sont pas dans les mains des m?mes entrepreneurs, ont cependant et gardent jusqu'ici une hauteur pareille, montant chaque jour, en se suivant, comme si elles le faisaient expr?s, quoique la maison de pierre ait tendance ? gagner sur sa voisine. Chaque matin, d?s que je me l?ve, il faut--c'est plus fort que moi--que j'aille jeter mon premier coup d'oeil sur le chantier qui m'attire au saut du lit, celui de la maison en b?ton. Je ne peux pas dire que ce spectacle m'enchante et me procure un r?veil c?lin. Rien n'est moins gracieux d?j? que l'aspect des fondations b?antes, des caves entr'ouvertes et ? ciel libre car une cave n'est belle et n'a sa relative magnificence que vo?t?e, et basse, et bien noire, bien salp?tr?e, bien feutr?e de poussi?re et de silence et ramon?e de ces courants d'air d'outre-tombe qui soufflent le frisson. Il faut qu'elle ait son sol ?lastique et mou, ses caresses de vent frais, ses toiles d'araign?es, ses suies de bouteilles, ses rats furtifs, son odeur de bougie, de li?ge et de chat. Alors elle est explicable et parle. Mais en cours de travaux, n'ayant pas encore m?rit? ni obtenu son myst?re, elle offre une laideur sinistre. Les caves en b?ton que je regarde triturer m'affectent d'une fa?on sp?ciale. Qu'elles sont peu engageantes! Je ne puis penser que l'on y mettra du vin. Elles me paraissent propres plut?t ? receler de l'argent, des caisses pleines de <> ou de la ferraille. On dirait des petits sous-sols de Cr?dit lyonnais. Oui, osons -l'avouer, le b?ton, m?me arm?, n'a pas de charme et de po?sie. D'un gris de boue, d'une glaise inf?conde et dont ne consentira jamais ? sortir la moindre statue, il sent le faux, il donne l'impression d'?tre la singerie du solide et de vouloir pasticher le durable. J'ai beau voir la p?te ?paisse, le maussade limon se durcir dans l'armature et le treillage des tiges de fer, je ne me d?cide pas ? m'imaginer que cette cr?me saisie et coagul?e soit de la pierre et la remplace. C'est un compos?, ce n'est rien. Mais le travail est curieux, et les ouvriers m'int?ressent.

D?s sept heures ils commencent ? arriver. Ils sont m?thodiques, pr?cis et lents. Chacun sa besogne. Il y a ceux qui g?chent, ceux qui coupent le fer, ceux qui le tordent et l'assemblent, ceux qui manient la truelle avec cette souplesse et cette virtuosit? de poignet dont nous demeurons confondus, ceux qui piochent ? toute vol?e, ? bout de bras, comme s'il s'agissait de d?foncer un couvercle de coffre-fort, ceux qui, inclin?s en oblique, poussent l? grosse brouette, ou qui, pliant sur leurs jambes nerveuses et nues dans les culottes flottantes de vieux velours aux inconcevables reflets, raclent et ramassent ? larges pellet?es les gravats pour les lancer en paquets dans le tombereau, ? la petite place o? ils veulent. Ils poursuivent tous leur t?che avec ordre et sans vaine fi?vre.--<> Et quand est arriv? le moment capital du repas, ? la minute, ? la seconde, ils quittent tout! C'est sacr?. On mange. Les uns vont chez le marchand de vins d'? c?t?. Les autres, les plus nombreux et les plus sens?s, restent dans le chantier pour d?jeuner <>. Il n'est pas rare de voir appara?tre la m?nag?re qui apportera ? son homme sa portion, dans un panier noir ? deux anses dont l'une est raccommod?e avec une ficelle, ou bien dans une serviette. C'est g?n?ralement une pauvre et humble femme, v?tue triste, et nu-t?te, bien calme, bien r?sign?e; la brave femme de l'ouvrier, aux mains crois?es sur un ventre bomb? comme un sac de pl?tre, et humble, courageuse, docile, sereine. Elle en a tant vu, et tant endur?, qu'elle est toujours contente, pourvu que ?a n'aille qu'? moiti? bien. Elle est exemplaire et magnifique ? contempler quand elle se montre aux environs de onze heures parmi les tas de pierre et les remparts inachev?s de la maison neuve, de la maison en construction, humide, et qui glace ? quarante pas. Avec la patience du peuple, elle attend que son homme soit libre et lui fasse signe pour approcher. Et quand il s'avance elle le rejoint. Lui, s'assied sur des planches, le dos au mur sec de la maison voisine, au bon endroit qu'il a choisi et qu'?claire le soleil, quand il y en a. Elle, reste debout, le couvant du regard, pendant qu'il s'installe et organise ses commodit?s. Et tour ? tour sont sortis par elle du panier le morceau de pain gros comme un pav?, la viande froide, le fromage ?pais, la haute bouteille de vin noir, pleine jusqu'? toucher le bouchon. Ces choses pr?cieuses sont ?tal?es et pos?es par terre, en cercle, devant le travailleur aux jambes ?cart?es qui a d?j? ouvert son couteau fid?le, et renvers?, pour y poser le veau, son large pouce. Enfin, sous la moustache aux poils gris, pareille ? la brosse en balai du colleur d'affiches, la bouche s'ouvre, et l'homme mange, avec paix et gravit?. Alors seulement, la femme, quelquefois, si elle est bien en confiance, ose s'asseoir pr?s de lui et semble heureuse. Elle remportera dans un instant la bouteille vide dans le panier plus l?ger.

D'autres camarades, qui, sans doute, n'ont point de femmes ou qui, d'humeur ind?pendante, n'aiment pas que le sexe s'occupe d'eux, se rassemblent par petits groupes pour faire la collation. Malins comme des soldats, ils improvisent des cuisines en plein vent, coupent du menu bois, allument des feux entre les pierres, accroupis tout autour ? la zouave. Et cette copieuse s?ance dure une bonne demi-heure, si ce n'est plus. Apr?s quoi, le travail reprend. Et voil? de nouveau mes hommes repartis entre les piliers de boue, d'o? pointent les tiges de fer...

D?cid?ment, s'il me fallait choisir, pour y demeurer, entre les deux maisons que l'on b?tit sous mes yeux, ce n'est pas dans celle du b?ton que j'?lirais domicile. Plut?t dans l'autre, dans celle en pierre, qui me sourit. Sa couleur d'abord, app?tissante, blanche, nacr?e et jaune ? la fois, sa couleur de chair et de rose-th? ne chagrine pas, semble faite pour r?jouir la lumi?re. Et puis, cette maison-l? est logique, traditionnelle. Elle est ?lev?e selon les vieilles r?gles. Comme autrefois, comme toujours, depuis que la pierre est pierre, les blocs sont apport?s tout taill?s, d?grossis et num?rot?s. On les passe dans leurs quatre attelles et ils sont hiss?s un peu de travers, en tournant, ? l'aide de la m?canique imperturbable et s?re que manoeuvrent longtemps, sans s'impatienter, les deux hommes au torse d'Ixion, comme s'ils avaient ? tirer de l'eau d'un puits tr?s profond!... Seulement, au lieu de faire monter un seau d'eau fra?che, il s'agit d'envoyer doucement et d'aller poser, ? la hauteur d'un troisi?me ?tage, un f?tu de 400 kilos. Quel plaisir on ?prouve ? voir tous les morceaux de ce jeu d'architecture se placer et s'ajuster pour ainsi dire d'eux-m?mes, l? o? il le faut, les uns au-dessus des autres! La maison a l'air de se b?tir toute seule comme si les ouvriers n'?taient l? que pour surveiller les pierres, les mat?riaux, anim?s d'une vie intelligente. Et cette impression est si vive qu'il m'arrive chaque matin de m'?tonner que la maison soit au m?me point que la veille au soir. Je ne serais pas le moins du monde surpris qu'elle e?t continu? la nuit, qu'elle e?t avanc? par ses propres moyens, m?me quand les hommes sont partis se coucher.

Mes maisons me procurent d'autres pens?es, d'une ind?finissable m?lancolie dans leur banalit?.

Elles me font songer que j'ai pu voir, que j'ai vu le sol, invisible ? pr?sent et pour combien d'ann?es, o? elles ont pris racine, qu'elles couvrent d?sormais ainsi qu'un monument fun?raire. Elles me font songer ? ceux qui ont v?cu sur cet ?troit espace, qui sont aujourd'hui Dieu sait o?, dispers?s ou morts, ? ceux qui viendront demain au m?me endroit croire qu'ils s'y fixent dans le repos, et qu'ils y sont ? l'abri... Et ce sont eux qui, tr?s probablement, d'en face, verront ? leur tour, ? un moment que je ne sais pas, d?molir la maison o? je suis, o? je me crois garanti de durer. O? serai-je, moi, ce jour-l??... D?m?nag?? Ou bien...?

HENRI LAVEDAN.

SARAH BERNHARDT

CHEZ LES PRISONNIERS CALIFORNIENS

San-Francisco, 22 f?vrier 1913.

Les Californiens sont enclins ? l'indulgence. La beaut? des sites de leur pays, la douceur du climat, les jardins fleuris qui po?tisent leurs demeures, tout aide ? d?velopper chez eux <>, comme disait Montaigne. Ils ont construit pour enfermer ceux qui d?sob?issent aux lois une prison o? r?gne le plus grand lib?ralisme. On cherche en cet asile confortable ? faire oublier aux condamn?s leurs rancunes contre la soci?t? et on les entra?ne ? marcher correctement dans le droit chemin en attendant la lib?ration ou le pardon. En un mot, ils sont trait?s comme des hommes atteints d'une maladie mentale passag?re qu'il importe de gu?rir, plut?t que comme des individus ? tout jamais incorrigibles. La prison de Saint-Quentin n'est point une ge?le, mais un ?tablissement de rel?vement social. Mieux que toute autre institution, elle montre cet optimisme magnifique des gens du Far-West qui ne doutent jamais du progr?s ou de la renaissance morale, m?me dans les cas en apparence d?sesp?r?s.

Pour la f?te de Washington, ce 22 f?vrier, les autorit?s californiennes avaient demand? ? Sarah Bernhardt, en tourn?e ? San-Francisco juste ? ce moment-l?, de vouloir bien jouer devant les pensionnaires de Saint-Quentin. Toujours g?n?reuse, notre grande trag?dienne avait accept?, et elle avait eu l'amabilit? de m'inviter ? cette excursion pittoresque. J'avais accept?, comme on pense, avec empressement, car le spectacle promettait d'?tre infiniment curieux. Sarah Bernhardt jouant exclusivement pour deux mille d?tenus et une douzaine de condamn?s ? mort, voil? une manifestation qui valait la peine d'?tre vue!

Apr?s de nombreux d?tours dans la vall?e, nous apercevons la maison d'arr?t. On dirait un vaste ch?teau fort gard? par une s?rie de kiosques sur?lev?s, dans lesquels sont plac?s des gardiens pr?ts ? fusiller les fugitifs. D?s que l'on p?n?tre sur les terrains du p?nitencier, cette impression s?v?re s'adoucit, car le ch?teau fort est entour? de paisibles jardins potagers, de tennis-courts, de parterres multicolores et de vertes pelouses. Les premiers prisonniers que nous rencontrons, ras?s de frais, d?cemment habill?s dans leur uniforme de laine blanche ? larges raies noires, ont un air de prosp?rit? qui emp?che qu'on ne s'apitoie par trop sur leur sort.

Quand soudain le rideau se l?ve, une formidable acclamation retentit. Sarah, en Marion la vivandi?re, incarne si bien la g?n?rosit? et la vaillance fran?aises! Un groupe de d?tenus fran?ais crie ? pleins poumons: <> Un de mes voisins, un Belge qui a tu? sa femme et l'amant de sa femme, pleure ? chaudes larmes, et, tout ? coup, il se met ? rire nerveusement et il recommence ? pleurer. L'autre est un Grec qui assassina deux policemen, et il demeure h?b?t?...

Madame,

Dans cette vie la plupart de nous sont, ? l'ext?rieur aussi bien qu'? l'int?rieur des murs d'une prison, prisonniers, prisonniers au moins de notre entourage. A de rares intervalles seulement nous est-il donn? d'?tre absolument libres. Pour ceux qui sont enferm?s entre des murs mena?ants, derri?re des grilles de fer formidables, ces intervalles sont, actuellement et ? jamais dans l'avenir , vraisemblablement bien ?loign?s. Mais, aujourd'hui, pour une petite heure, ces murs de pierre se sont ?vanouis. Pour une heure, gr?ce ? votre merveilleuse personnalit? et votre art enchanteur, nous avons ?t?, en ?me et en esprit, dans une libert? parfaite, captifs seulement de ce g?nie remarquable et de cette ardeur incomparable qui, ? juste titre, vous ont gagn? le nom de <>. Pour une petite heure nous avons ?t? libres, et sans contrainte en communion universelle avec l'esprit d'une grandeur humaine, qui, apr?s tout, est la vraie base de nos croyances ? l'immortalit?. Cette grandeur n'a pas ?t? ?tablie pour compl?tement et ? jamais dispara?tre. Ce moment de libert? n'est pas, non plus, une illusion temporaire; le souvenir sera vivant, la m?moire le rappellera souvent, et son inspiration servira ? nous lib?rer des fardeaux et des angoisses du jour. Soyez-en persuad?e, Madame, cette repr?sentation particuli?re sera longtemps rappel?e par tous ceux qui ont eu le privil?ge d'y assister,--par l'humble aussi bien que par le plus ?lev?. La femme, l'actrice, la pi?ce, toutes, ont fait vibrer les cordes de nos cours. A la plupart de nous n'a jamais ?t? accord?e la distinction de vous voir ni de go?ter les d?lices de votre art incomparable. Eloign?s, nous vous avons regard?e comme la radieuse ?toile de l'art dramatique, couronn?e des lauriers d'un succ?s imp?rial, ? la gr?ce et au g?nie de laquelle les continents se sont volontiers rendus sujets. Les id?als que nous avions con?us ont ?t? en cette heure plus que confirm?s. Nous vous pr?sentons nos remerciements reconnaissants pour les gloires et les splendeurs de l'art dont votre gracieuse faveur nous a fait jouir, ainsi que pour la bienveillance et la g?n?rosit? qui vous ont induite ? donner un plaisir si vif aux infortun?s proscrits et victimes des sorts changeants de la vie.

Nous appr?cions aussi profond?ment votre choix de la pi?ce, non seulement ? cause de sa beaut? intrins?que et de l'art qu'elle renferme, mais aussi parce qu'elle exalte, par ses ?lans puissants, une humanit?, et la solidarit? des ?mes, qui ne connaissent aucunes bornes, ni de parti, de factions, ou de politique. De plus, nous vous remercions particuli?rement que vous ayez jug? ? propos de nous pr?senter une oeuvre du g?nie de votre fils. En ce choix, nous voyons non seulement votre t?moignage de l'amour et des pens?es d'une m?re, mais aussi en toute probabilit? la r?flexion dans votre coeur que nous aussi avons des m?res qui nous ch?rissent, ? qui notre amour se porte, et dans les coeurs desquelles nous avons ?t? une esp?rance et un orgueil. Nous souhaitons, et pour vous et pour lui, beaucoup d'ann?es de joie et contentement mutuels.

Nous prions aussi, Madame, par votre interm?diaire, d'exprimer ? vos artistes et ? votre g?rance, notre chaleureuse appr?ciation de leur bont? et de leur talent. Et quand, dans l'avenir, vos pens?es se porteront vers ce pays du soleil couchant, pour nous aujourd'hui si brillant par votre bonne volont?, nous esp?rons que ces quelques paroles d'admiration sinc?re et de reconnaissance serviront ? vous rappeler cette heure, peut-?tre de toutes en votre vaste exp?rience, la plus ?trange et la plus frappante,--une heure dans un entourage s?v?re et m?me repoussant, oubli? par nous pour le moment gr?ce ? votre personnalit?,--une heure dans laquelle vous avez rendu cette multitude de malheureux, plus heureux, adouci les lignes de leurs vies et rendu leurs cours plus l?gers, par votre pr?sence dans notre milieu aujourd'hui.

De la part de

TOUS LES PRISONNIERS.

San Quentin, Californie, ce 22 f?vrier 1913.

L'orateur qui avait lu le compliment de circonstance, apr?s lui en avoir remis le texte, soigneusement calligraphi? par lui-m?me, demanda ? Sarah Bernhardt de lui baiser la main. Elle acquies?a gentiment, et une indescriptible ovation la remercia de ce geste. Sur cet incident se termina cette peu banale manifestation.

Ayant regagn? son auto, la grande trag?dienne, heureuse d'avoir apport? de la joie ? ce monde bizarre de prisonniers, me confia que c'?tait l? une des aventures les plus ?tonnantes de sa vie de com?dienne:

--J'ai ?prouv? une sensation inou?e, me dit-elle, en voyant fix?s sur moi avec un ?clat ?trange ces milliers d'yeux dont beaucoup ne verront plus la lumi?re de la libert? et dont certains seront avant peu obscurcis par la mort. Si vous saviez comme c'est bon d'avoir pu donner un peu d'illusion ? ces gens pendant quelques instants! Il faudra que je note cela dans mes M?moires...

La relation que Sarah Bernhardt ?crira elle-m?me de son voyage ? Saint-Quentin sera sans aucun doute l'un des chapitres les plus ?mouvants de son autobiographie. Elle la compl?te ? ses moments perdus, et il faut souhaiter qu'elle la livre bient?t au public pour qu'on y lise le r?cit de cette journ?e si originale du 22 f?vrier pass?e parmi les prisonniers californiens de Saint-Quentin.

FRAN?OIS DE TESSAN.

Dans l'apr?s-midi de dimanche dernier, la manifestation traditionnelle de la jeunesse des ?coles ? la statue de Strasbourg a eu lieu au milieu d'une affluence exceptionnelle et avec un calme, une pi?t? silencieuse, qui lui ont donn? un aspect impressionnant. Les ?tudiants avaient on effet r?solu de conserver ? cette manifestation, d'o? devait ?tre exclu tout geste politique, un caract?re exclusivement patriotique et national. Lorsque, ? deux heures, le cort?ge se forma sur la place de la Sorbonne, les ?tudiants ?taient au nombre de trois ? quatre mille. L'un d'eux, en t?te, portait un grand drapeau tricolore cravat? de cr?pe. Puis venaient les d?l?gu?s des diverses organisations, r?publicaine, jeune-r?publicaine, pl?biscitaire, nationaliste, et des universit?s de province, notamment de Bordeaux. Huit ?tudiants suivaient, porteurs de deux grandes couronnes endeuill?es de cr?pe et coup?es par un large ruban tricolore. Derri?re, marchait la foule des ?l?ves ou des aspirants aux ?coles militaires, le bonnet de police sur l'oreille, et des ?tudiants des diverses facult?s avec leurs b?rets aux couleurs distinctives. La longue colonne gagna, par la rue de Rivoli, en saluant la statue de Jeanne d'Arc, la place de la Concorde. Les couronnes et le drapeau furent d?pos?s sur le socle de la statue de Strasbourg, devant laquelle les jeunes gens d?fil?rent ensuite, pieusement recueillis.

LE TRICENTENAIRE DES ROMANOF

Il y a encore, en Russie, du loyalisme pour le tr?ne, un loyalisme ardent et mystique, un loyalisme populaire des faubourgs des villes et des immensit?s rurales, qui a donn?, ces derniers jours, ? l'occasion du tricentenaire des Romanof, ? c?t? du loyalisme officiel, militaire, aristocratique ou bourgeois, sa mesure ?loquente et profonde.

Les f?tes de ce Jubil? exceptionnel ont commenc? le 6 mars, au milieu de l'enthousiasme national et dans une sorte d'extase religieuse, car, seul maintenant en Europe o? le sultan ne compte plus gu?re, le monarque russe, chef d'?glise, ? la fois empereur et pape, conserve un caract?re sacr?.

Le 6 mars donc, il y a eu exactement trois cents ans que le Zemski-Sobor, ou assembl?e nationale russe, offrit, apr?s une longue p?riode d'anarchie, la couronne ? Michel Feodorovitch Romanof, fondateur de la dynastie qui s'est perp?tu?e sur le tr?ne et dont certains membres, illustres parmi les illustres, ont assur? la grandeur de l'empire et la magnifique expansion de la puissance russe.

En l'honneur de ces comm?morations historiques, le tsar Nicolas a d'abord publi? un ukase d'amnistie, impatiemment attendu, car le pr?c?dent d?cret de pardon datait de la naissance du prince h?ritier, c'est-?-dire de 1904. Un grand nombre de d?lits, et particuli?rement de d?lits politiques commis depuis cette ?poque, se sont donc trouv?s effac?s, et quelques nobles exil?s pourront d?s maintenant rentrer impun?ment dans leur patrie. Les condamn?s ? mort ont vu commuer leur peine en vingt ans de travaux forc?s et les prisons de Saint-P?tersbourg ont, d'un coup, lib?r? trois cents d?tenus. Dix millions ont ?t? accord?s ? la Finlande pour l'am?lioration de ses ?tablissements d'assistance et 50 millions de roubles ont ?t? donn?s ? la population rurale sur le produit de la vente des terres de l'empereur.

Toutes ces mesures, tr?s heureuses, tr?s opportunes, ont produit, sur les masses si profond?ment attach?es d'ailleurs ? la dynastie, la plus heureuse impression, et la communion entre le souverain et le peuple, au cours de ces grandioses journ?es, n'en a ?t? que plus ?troite.

A Saint-P?tersbourg, le tsar et le grand-duc h?ritier, qu'on ?tait ?mu et joyeux de voir repara?tre en public dans une voiture d?couverte, la tsarine, l'imp?ratrice douairi?re et toute la famille imp?riale se rendirent ? la cath?drale, en grand gala, pour assister au service d'actions de gr?ces. Et ce fut sur le passage du cort?ge imp?rial, dans les rues o? stationnait une foule ?norme, un v?ritable d?lire populaire. La circulation des voitures ?tait partout compl?tement interrompue. Les monuments ?taient richement d?cor?s et les ponts tellement transform?s par leur parure qu'ils semblaient reconstruits. Aux fen?tres, aux balcons, c'?taient des milliers d'oriflammes aux couleurs nationales et imp?riales, avec partout les blasons des Romanof. Des maisons disparaissaient enti?rement sous les draperies. La perspective Newsky ?tait tout enti?re d?cor?e dans le style empire. Le soir, Saint-P?tersbourg s'illumina de millions de lampes ?lectriques; des sc?nes d'histoire s'?voqu?rent sur des transparents lumineux et des cort?ges de patriotes parcoururent les avenues en chantant des hymnes nationaux et en portant des portraits de l'empereur.

Le lendemain, ? 4 heures, il y eut au Palais d'hiver, autour duquel continuait de se presser la foule, une grande r?ception imp?riale dans la salle de Malachite. L? se trouvaient r?unis tous les grands corps de l'?tat, avec de hauts dignitaires religieux d'Orient unis au tsar par le lien orthodoxe, le patriarche d'Antioche, le m?tropolite de Serbie. L? encore, on put voir, avec leur suite asiatique, des princes vassaux de la Russie, l'?mir de Boukhara, le khan de Khiva, et aussi des d?l?gu?s mongols.

La famille imp?riale au grand complet vint recevoir tous ces hommages, le tsar et le tsar?vitch portant l'uniforme des chasseurs de la garde avec le grand cordon de Saint-Andr?. Et le pr?sident de la Douma, M. Rodsianko, lorsque ce fut son tour de haranguer le souverain, employa le tutoiement des heures historiques. Son discours d?butait ainsi: <>

Le 10 mars, les d?l?gations des paysans ont ?t? re?ues au palais et le tsar leur fit un accueil ?mouvant, embrassant les chefs de ces d?l?gations qui furent retenues ? d?ner.

LA C?L?BRATION DU TRICENTENAIRE DE LA DYNASTIE DES ROMANOF, A SAINT-P?TERSBOURG.

UN MOIS A P?KIN

Je vous ai d?j? dit que les chaises ? porteurs avaient presque compl?tement disparu de P?kin. J'en ai pourtant rencontr? ces jours-ci une, bien amusante, et tr?s ancien r?gime. Port?e par deux mules, elle longeait paisiblement la muraille de la ville imp?riale par-dessus laquelle un pavillon en ruines dressait, au milieu de la verdure, son toit aux tuiles d'or m?lang?es d'herbes folles. Un serviteur ? pied menait par la bride la mule de t?te tandis qu'un autre, ? cheval, fermait la marche. Le propri?taire, qui devait ?tre quelque rural ais? des environs, accroupi dans l'?troite caisse, fumait sa pipe, tr?s dignement.

Rien d'europ?en dans ce coin d?sert, pas un poteau t?l?graphique en vue; on aurait pu se croire dans le P?kin du temps de Kang Hi.

Comme je m'extasiais, un cycliste en robe lilas, tr?s jeune Chine, coiff? d'un ?l?gant canotier et chauss? de bottines jaunes, d?passa soudain ? toute p?dale l'antique ?quipage. Ce fut pour moi, durant une seconde, une saisissante vision r?sumant l'?tat actuel du vieil empire. Et, vraiment, la bicyclette et son cycliste ?taient en ce lieu quelque chose de choquant et de d?plac?; je ressentis une impression analogue ? celle que j'?prouve devant une belle chaumi?re ou un joli coin de paysage de chez nous souill? par quelque r?voltant panneau-r?clame.

Comme pendant ? ce croquis en voici un qui vous donnera l'aspect d'un autre P?kin, celui que les r?volutionnaires sont en train de nous fabriquer.

Dans ce tableau tout se tient: la vilaine gare, la rang?e des boutiques r?cemment d?pos?es le long du mur de Tien Men, les poteaux pour l'?clairage, le t?l?graphe et le t?l?phone, constituent un cadre bien digne de ce cort?ge et du Progr?s qu'il repr?sente.

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