Read Ebook: Contes Fantastiques et Contes Littéraires by Janin Jules Gabriel
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Ebook has 849 lines and 82212 words, and 17 pages
--Le po?te fantastique, Roland, est un sage; il parle ? voix basse, et ne veut d?ranger personne! <
--Ajoute ? ta d?finition, dit Roland: Le po?te fantastique est n?cessairement un ivrogne.
--Et moi je dis: Le po?te fantastique est un grand artiste; et voil? sa force et voil? son inspiration! Il est le mage, il est la f?e; il n'a pas besoin d'endormir le sultan tous les soirs, pour que Ch?r?sade se r?veille et lui dise: Encore une histoire, ma soeur! Il est na?f, il est croyant, il est chaste. Autrefois la reine de Navarre exposait son imagination toute nue aux regards des passants... Hoffmann habille et drape son r?cit avec cette innocence d'un p?re de famille qui veut bien marier son enfant, mais non le prostituer. L'art a fait ce grand changement dans le conte, il a op?r? cette importante r?volution, mettant le conte aux mains de la m?re de famille, aux mains de ses enfants, sans que les enfants ou la m?re aient ? rougir. Ce sont l? des bienfaits positifs, une sup?riorit? incontestable. ?coutez Hoffmann: au milieu de son r?cit il s'arr?te, il pr?lude, il chante, il agit comme Kreyssler, s'abandonnant ? toute harmonie. Il va d'un fant?me ? l'autre, croyant celui-ci, adorant celui-l?. Pourtant voil? l'homme auquel tu reprocherais quelques instants de repos dans une amicale h?tellerie? Et tu soutiendrais que ce soit ? l'aide d'un vice innocent qu'Hoffmann est devenu un si grand conteur? Aurais-tu plus de confiance dans un pot ? bi?re, que dans l'archet d'Hoffmann?
--Roland, lui dis-je, il y a longtemps que tu ne m'as rien racont?; Roland, raconte-moi l'histoire de la na?ade de Versailles, le veux-tu?
--Je le veux bien, dit Roland, mais ? une condition... je te la dirai quand j'aurai fini mon conte; cependant, jure-moi que tu ex?cuteras fid?lement notre trait?.
--Quelle que soit ta condition, Roland, je l'accepte, et dis-moi ton histoire.
Alors Roland commen?a:
< --Qui de vous me pr?te un sabre? s'?cria-t-il. On lui tendit un sabre, la m?me lame qui avait d?j? coup? bien des t?tes: il prit le sabre, et, se tournant vers le beau marbre: --Adieu, dit-il, pardonne-moi, retourne au ciel d'o? tu es sortie; adieu, mon ange, tu ne seras pas livr?e ? ces insens?s, ? ces barbares, ? ces aveugles, adieu! adieu! adieu! Il brisa la t?te de cette femme qu'il avait tant aim?e et qui l'aimait tant: ce cou si fr?le se d?tacha de ses blanches ?paules...; sur ce corps inanim? il s'agenouilla et se prit ? pleurer. Et le lendemain la foule et l'amant se mirent en route; ils avaient l'un et l'autre ce qu'ils ?taient venus chercher, elle, la reine, et lui, sa ma?tresse; la reine, il est vrai, vivait encore; il emportait la t?te de sa ma?tresse, arrach?e aux profanateurs.>> Ici, Roland termina son histoire en pleurant. --Ton histoire m'a fait bien du mal, Roland! dis-moi cependant par quel fil elle tient ? notre dissertation litt?raire? A cette question, Roland se leva brusquement: --Comment cette histoire m'est venue et comment elle tient ? notre dissertation? Ne voyez-vous pas, monsieur, que cette histoire est la plus cruelle satire qui se puisse faire de votre d?finition du fantastique? Un artiste amoureux d'un marbre aurait honte de profiter de sa passion pour faire une statue? Il adore un marbre, il le brise, et tout est dit. L'homme est content, le marbre est bris?! Quand j'ai commenc? mon histoire, c'est ? une condition, que je ne t'ai pas dite, cette condition, la voici:--Tu me laisseras sortir sur-le-champ, sans plus me fatiguer de tes disputes litt?raires, et bonsoir! Prenez donc en aide et protection ces essais d'une fabrication incertaine et remplie d'h?sitations de toutes sortes; lisez-les comme ils ont ?t? faits, en toute libert? d'opinion et d'?cole. Venez ? l'auteur, comme l'auteur vient ? vous, vous tendant la main, ? vous qui l'avez aim? des premiers, ? vous qu'il aime. Trop heureux si, dans ces contes ?pars, vous reconnaissez quelques-unes des impressions fugitives de votre jeunesse, quelques traces r?centes encore de vos voeux, de vos esp?rances, de vos ?tudes, de vos amours, de vos douleurs! JULES JANIN. CONTES FANTASTIQUES KREYSSLER. Grand Dieu! voil? le matin, et je ne suis pas ivre encore! Th?odore a perdu sa nuit. La folle po?sie a d?gag? sa t?te des douces vapeurs du vin. A chaque verre, j'ai senti sur mon front comme une main froide qui m'entourait du lierre, ennemi de l'ivresse. Me voil? donc, sobre et de sang-froid, comme une m?nag?re hollandaise. Allons, enfants, recommen?ons: quittez vos manteaux, suspendez vos chapeaux aux clous rouill?s de la muraille! Allumons le punch ? la flamme de nos pipes, ?voquons la salamandre active sur les bords de ce vase d'?tain, appelons les esprits du feu ? notre secours, chassons les images m?lancoliques. Le feu est l'ennemi des t?n?bres, le feu r?jouit le chaos, il rend ? la nature ses couleurs perdues, ses formes ?vanouies. Voil? qui va bien: le punch s'enflamme et bient?t mille joyeux esprits rempliront nos coupes. C'est vrai!... L'invocation a r?ussi! Du milieu de cet oc?an enflamm?, la d?esse au sourire bachique nous verse ? boire; la liqueur d?goutte de ses cheveux et ruisselle sur son beau sein. Je vais placer mon verre sous sa mamelle gauche, des deux la plus f?conde, et mon verre, un fils de Boh?me, topaze au fond, rubis sur les angles, sera bient?t plein. Rends-moi, mon vieux Will! rends-moi ton monstre heureux, ou bien laisse-moi faire l'?ducation de Falstaff; je veux apprendre ? ce gaillard-l? ? manier les boyaux d'un violon, ? souffler dans une fl?te, le joufflu qu'il est. Quel dommage de le laisser inculte, ce bon chevalier Falstaff! Quel bon r?veur fantastique il e?t fait! O grand Will, non-seulement tu m'as vol?, mais encore tu m'as g?t? Falstaff! Je me disais tout ceci dans un de ces combats de ma conscience que je me livre assez souvent quand je viens ? me souvenir des bons conseils de S. A. R. la princesse Am?lie:--Vous buvez trop, Th?odore, et vous ne dormez pas assez, Th?odore! Promettez-moi de rester chez vous ce soir!--Au fait , il est bien s?r que la princesse ne saura pas que je lui d?sob?is ce soir. J'en ?tais ? mon dernier regard sur les silhouettes de la muraille; au milieu de tant de grotesques figures, j'en d?couvris une d'un aimable aspect: c'?tait une t?te pench?e, un air pensif, des cheveux en d?sordre, une figure aimable! Ah! que je fus ravi quand je vins ? d?couvrir que cette figure, heureuse entre toutes, c'?tait la mienne. Oui d?! cette aimable personne, c'?tait moi! En ce moment, le jour apparaissait tout bleu; divinit? en bonnet de nuit, et qui n'a pas encore secou? sa chevelure d'or. Je fus pris d'un acc?s de sobri?t?, et sortis du cabaret. Il me sembla que tout tournait autour de moi. Chaque maison passait ? son tour: le palais, la chaumi?re et le jardin du roi, avec ses treillages en fer dor?, ses statues de marbre et ses cygnes majestueux flottant sur les bassins remplis; je voyais aussi le jardin du pauvre ? son cinqui?me ?tage et le poisson rouge en ses ?volutions autour d'un oc?an contenu dans un verre, entre un pot de renoncules et un plant de violettes; tout passait, tournait, se parait, se dorait ou flamboyait. Devant moi passa l'h?pital, qui me leva son chapeau en me disant un affectueux bonjour; passa la prison, que la libert? a peupl?e plus que ne le fit l'esclavage; passa la cath?drale hautaine et tenant de ses mains d?biles son d?me ?branl? par les philosophes; passa la maison de la courtisane, ? la porte entr'ouverte, silencieuse com me un tombeau: je laissai passer toute la ville ainsi, trop heureux! Elle m'aper?ut immobile, et sans gronder, m?me du petit doigt: --Bonjour, dit-elle, mon fid?le Th?odore, oh! sage Th?odore, sobre Th?odore; lev? avec le jour, et qui viens saluer le soleil. Je vous sais gr?, Th?odore, d'avoir si bien tenu la parole que vous m'avez donn?e, vous ?tes un philosophe accompli: en revanche, je vous permets de m'accompagner. D'un pas de h?ros et d'amoureux, j'accompagnai ma princesse! Je ne suis pas bien s?r que ce soit une femme. Si c'est un corps, je n'ai jamais pu le toucher, pas seulement sa robe de mes l?vres; sa bouche n'a pas d'haleine, ? peine un parfum comme celui d'une fleur; je ne saurais dire la couleur de ses cheveux; il n'y a point de bleu dans le ciel comparable ? son regard; ses v?tements se groupent autour d'elle en fa?on de nuage, ils l'embrassent, ils flottent, ils retombent, ils se livrent, pour lui plaire, ? mille coquetteries incroyables; ils sont anim?s, elle ne l'est pas; c'est sa robe qui remue, c'est son voile qui sourit, son gant qui se dessine, son fichu qui bat, sa chaussure qui marche. On dit que les anges br?lent... je la suivis comme on suivrait une ?toile ? travers les espaces du ciel. Elle arriva, devinez o?? Chez mon ancien camarade, le musicien Kreyssler! Nous avons ?tudi? l'harmonie en m?me temps, Kreyssler et moi; c'est encore un jeune homme, et moi, je suis si vieux. On a ?lev? bien des disputes pour savoir qui de nous deux, est un plus sinc?re artiste. A vrai dire, j'ai l'inspiration plus prompte et plus vive que Kreyssler; j'ai plus de folie et d'?clat, j'ai plus d'enivrement et de hasard, j'appartiens ? la terre... et Kreyssler vient du ciel! Il est le chantre du monde id?al, c'est le musicien de la jeunesse et des femmes; il est au troisi?me ciel, ? c?t? de saint Paul; il jette son ?me aussi haut qu'elle peut aller, sans s'inqui?ter de son ?me; sa musique est une extase; pour lui le monde ext?rieur n'est rien, il n'est pas de ce monde; h?las! moi, j'en suis. Kreyssler est beau, plus beau que moi; son visage est inspir?, son chant est lent et m?thodique; ah! je ne suis qu'un bouffon ? c?t? de Kreyssler; j'imagine cependant que Kreyssler est heureux: c'est un r?veur. La princesse ?couta longtemps ce doux ma?tre avec transport et les larmes dans les yeux. Elle resta une heure ? le contempler, ? l'admirer, ? l'entendre. A la fin elle se retira p?n?tr?e, comme si elle f?t sortie du sanctuaire: pour la premi?re fois j'ai compris que j'?tais jaloux. Il s'agissait de plus haut prix que de l'amour d'H?l?ne, il s'agissait de son estime. La s?rieuse H?l?ne, ayant quitt? ma?tre Kreyssler, reprit avec moi le ton jovial, elle m'estime si peu! --Voil? pourtant, me dit-elle, comment tu aurais ?t? si tu avais voulu, ? mon pauvre ami! >>Tu aurais ?t? un r?veur sublime, un po?te ?l?gant, un chantre inspir? par le ciel, par les fleurs, par l'amour; tu n'as pas voulu, Th?odore. Th?odore a barbouill? sa face, il a corrompu sa raison, il n'a plus ?t? qu'un po?te de hasard, un mauvais bouffon de carrefour.>> A quoi je r?pondis : --Ah! madame, que vous me faites de mal. N'accusons pas le cr?ateur, madame! Il m'a fait... le bouffon que vous aimez! Je suis Diog?ne pour vous servir. Trop de g?nie a fait ma ruine. Ce trop de g?nie, il a fallu l'?puiser en improvisant. Ne me parlez pas des g?nies corrects, madame, ni des beaut?s correctes! Prenez-moi tel que je suis, un pauvre homme, un innocent, un conteur, un bateleur. Comme la foule ?tait d?j? dans la rue, notre jeune princesse rentra dans son palais, ou plut?t elle s'?vanouit dans le ciel. Elle est au ciel ? pr?sent, dominant notre observatoire. Et moi, je restai seul en proie ? mon chagrin! Chose ?trange! quand la nuit fut venue, je me retrouvai ? mon cabaret favori, ? c?t? du po?le, enfonc? dans le grand fauteuil de mon h?tesse... Ai-je donc r?v? tout cela? HONESTUS. Vers la fin du dernier si?cle, au moment o? toute la morale se refaisait en France, il y avait tant de choses ? refaire, il advint que Paris remit en question le bien et le mal, la vertu et le vice. Il se demanda si le luxe ?tait une n?cessit?? Bref, des questions ? n'en pas finir. En m?me temps, dans les ?coles, dans les salons, dans les champs, ? la ville, ? la cour, en province, accouraient des rh?teurs pr?par?s ? tout soutenir; c'?tait une rage de perfection qui a perdu le peuple fran?ais. On perfectionnait la charrue et la soupe ?conomique; on perfectionnait la mati?re et l'?me; on enseignait aux petits gar?ons l'art de penser, et aux petites filles l'art de faire des enfants d'esprit. On bouleversait cette pauvre nature, on l'agitait de fond en comble, on la per?ait jusqu'? la craie; on s'?levait dans l'air, on vivait dans l'eau, on ajoutait un sixi?me sens aux cinq sens que nous avions d?j?. Il y avait des faiseurs de paix perp?tuelle, des faiseurs d'anguilles vivantes avec de la farine, des faiseurs de canards mangeant et dig?rant, des faiseurs de bonheur universel. Dans ce temps-l? on vendait au coin des rues des bouteilles d'encre in?puisables, et des projets de coffres-forts toujours pleins; c'?tait le r?gne le plus absolu des ergoteurs, des enthousiastes, des dupes, des imb?ciles, des gens d'esprit, des fanatiques et des charlatans. Il avait une ?trange et charmante manie, il en voulait aux vices, comme l'abb? de Saint-Pierre en voulait ? la guerre; son syst?me ? lui, c'?tait la vertu perp?tuelle et sempiternelle, la vertu pure et sans m?lange, aust?re, brutale et brusque; la vertu sto?que. Or, par vertu, il recherchait le vice, il se plaisait ? le voir, ? le sentir, ? le toucher, ? vivre, ? boire, ? dormir avec les vicieux. Il donnait, par vertu, dans tous les d?sordres. Au milieu d'une orgie, il d?clamait contre les emportements de l'orgie, il faisait rougir ses jeunes compagnons de leur raison perdue au fond d'une coupe. A cette boutade ?loquente, les convives effray?s ?taient de leur t?te la couronne des buveurs, et chacun se retirait chez soi, vaincu par l'?loquence du jeune comte su?dois. Un autre jour, il ?tait attendu dans une petite maison du faubourg: la maison ?tait sombre et noire au dehors; elle ?tait ?clair?e et joyeuse au dedans. Au dedans, le myst?re attentif, le luxe ?l?gant, la table en beau linge et bien dress?e, le vin clair et vieux, le boudoir, et dans ce boudoir une jeune femme attendait Gustave; car c'?tait un philosophe au frais sourire, ? la voix douce, au noble coeur; c'?tait un philosophe riant et peu s?v?re en apparence. Il entra; aux pieds de cette jeune femme il se posa, la voyant lui sourire; il la regarda comme un jeune homme de dix-huit ans regarde une femme de vingt-deux; il lui prit la main, et cette main fut abandonn?e; il lui parla tout bas, et plus bas il parlait, plus sa parole ?tait comprise. Tout ? coup, quand sa bouche allait toucher cette joue en fleur, quand son bras allait enlacer cette taille ?l?gante, et la derni?re bougie ?tant pr?te ? s'?teindre, il se souvient, l'idiot! qu'il ?tait philosophe! Un sermon! Il fit un sermon ? C?lim?ne, et, la voyant souriante, ?tonn?e, interdite, il s'enfuit, se croyant un h?ros de vertu... Elle leva les ?paules et, rass?r?n?e, elle oublia de retenir par son manteau cet autre Joseph. On con?oit que cette guerre absurde faite aux passions humaines, ? tout propos, en tout lieu, dut fatiguer ?trangement notre jeune homme. Il ?tait haletant dans cette lutte impuissante o? ses d?sirs n'?taient r?fr?n?s que pour l'amusement des autres. Malgr? ses efforts, le vice allait son train librement, s'inqui?tant peu de ses clameurs. Un soir que, fatigu? de morale, il s'?tait ?tabli ? la porte de l'Op?ra, par une grande affluence de monde qui attendait l'ouverture des bureaux, une aventure lui arriva, qui le corrigea de sa manie, et lui fit estimer les plaisirs d'ici-bas ? leur juste valeur. D?j?, pour payer sa place ? l'orchestre, il avait tir? de sa poche un louis d'or; ce louis d'or ?chappa de sa main par un mouvement de la foule, et vainement il l'e?t cherch?, quand un mendiant qui se tenait sur une borne, tendant son chapeau aux passants, ayant vu rouler cette pi?ce d'or, la ramassa et la rendit au sage, apr?s l'avoir essuy?e avec soin sur les manches de son habit. La figure de cet homme ?tait douce, humble ?tait son attitude; il y avait tant de r?signation dans sa personne, que Gustave en fut touch?. < Il allait dans la ville, ? grands pas, heureux de sa bonne action, regrettant peu l'Op?ra et sa musique bruyante, jetant un regard de profonde piti? sur les demoiselles errantes, plus ennemi du vice, et plus pr?s du vice que jamais. Arriv? ? sa maison, dans un quartier fort ?loign?,--une de ces vieilles rues en pierre de taille qui sont tout muraille,--il frappe; le portier dormait; ? plusieurs reprises il frappe, il appelle: rien n'y fit; la porte ?tait muette, inexorable. Il s'assit sur un banc de pierre, et, les jambes crois?es, il attendit. Il ?tait l? depuis dix minutes, obs?d? de mille pens?es, quand, ? l'extr?mit? de la rue, il vit arriver au grand galop une voiture ? deux chevaux. La voiture s'arr?ta net ? ses pieds. Un grand laquais poudr?, l'?p?e au c?t?, l'air insolent, s'?lan?ait ? la porti?re du carrosse; il ouvrit la porti?re, et Gustave ne fut pas peu ?tonn? en voyant descendre le m?me mendiant auquel il avait donn? son louis d'or. Cet homme ?tait en guenilles, ses reins ?taient ceints d'une corde, il portait sur son dos une besace, il avait des sabots pour chaussure, un vieux feutre de forme espagnole couvrait ? grand'peine sa t?te charg?e de vigoureux et ?pais cheveux gris. Il s'appuya en descendant sur l'?paule de son laquais, avec la morgue d'un grand seigneur; il fit signe ? sa voiture de s'?loigner de quelques pas, puis s'asseyant sans fa?on ? c?t? du jeune homme: < --Je ne regrette qu'une chose, dit le jeune homme, c'est d'avoir fait l'aum?ne ? plus riche que moi, et d'?tre venu ? pied, moi gentilhomme, pendant que mon effront? mendiant m'?clabousse avec son carrosse. Il faut que vous soyez un habile homme, ? ce que je vois. --Mais, mon gentilhomme, dit le mendiant, il est vrai que je mendie en habile. C'est une science aussi difficile que celle du gouvernement; jugez de la difficult? de recevoir, par la difficult? de donner! Il faut tout un cours d'?tudes pour savoir tenir son chapeau de fa?on ? n'avoir pas l'air de demander la bourse ou la vie; il faut une ?me forte ? qui tend la main ? des mis?rables sans piti?, ? l'argent d'un d?bauch? ou d'un joueur, ? l'aum?ne de la fille v?nale qui jette dans votre escarcelle le prix d'un regard ou d'une moiti? de baiser. La t?che est rude! Flatter l'orgueil et la bassesse, saluer l'adult?re, aller t?te nue, et plisser son front chaque soir, en mettant son bonnet de nuit, pour donner m?me ? ses rides une gr?ce; et puis, m?cher des herbes v?n?neuses pour s'en faire un cancer factice, ?tre vil par sp?culation, tout recevoir, tout prendre et tout manger, caresser jusqu'au chien qui vous mord! Trouves-tu donc ? pr?sent mon carrosse ? trop haut prix, jeune homme, et le gentilhomme ? pied ose-t-il ?tre jaloux du mendiant qui a des chevaux? Gustave dit au mendiant: --Tu parles bien, vieillard, tu es sage; je te pardonne ta voiture, et je ne regrette plus mon bienfait. Reprenez donc votre carrosse, monsieur; l'Op?ra va bient?t finir, mendiant; vous ne serez pas arriv? ? temps, messire, et tu perdras peut-?tre vingt-quatre sous ? cela, gueux que tu es! Le vieillard se levant, dit ? Gustave:
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