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Read Ebook: Les derniers paysans - Tome 2 by Souvestre Mile

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Ebook has 594 lines and 39004 words, and 12 pages

eil.

--C'est ? savoir; pour payer un service, il faut d'abord qu'il ait ?t? rendu.

--On peut toujours convenir du prix, objecta effront?ment B?rard.

--Non pas ici, interrompis-je, en pr?tant l'oreille, car j'entends le sabre et les ?perons des gendarmes.

Et rouvrant la porte, elle sortit avec B?rard.

A mon aspect, le jeune Poitevin s'?tait involontairement arr?t?.

--Il sera re?u en grande r?v?rence, dit le paysan, qui se d?couvrit.

--Pardon, excuse, Monsieur, dit Guillaume, qui parut craindre de m'avoir bless?; mais voil? si longtemps que j'?tais entr? ici, que, malgr? moi, je regarde si tout est ? son ancienne place. Vous savez, on aime les endroits qu'on a connus tout petit; surtout quand on revient... et qu'il faut repartir, car on ne doit plus me voir par ici, maintenant qu'on va me croire au cimeti?re!

Je voulus lui faire entrevoir les s?rieuses cons?quences de cette ruse, qui, en le rangeant parmi les morts, lui enlevait son nom, ses droits et toute possibilit? de retour au pays; mais, ? ce dernier mot, il m'interrompit.

--N'ayez pas de regrets, pauvre fille, reprit-il avec beaucoup de douceur, le bon Dieu sait o? il nous m?ne; remercions-le plut?t d'avoir bien voulu nous donner ce dernier moment.

--Mettez-le donc ? profit, reprit la paysanne avec une r?signation na?ve; vous avez grand besoin, Guillaume, buvez ? votre soif et mangez ? votre faim.

Le jeune homme s'approcha de la table, qui ?tait rest?e servie, et voulut s'asseoir sur le banc; mais sa soeur lui montra, ? l'autre bout, un escabeau qui ?tait ?videmment sa place accoutum?e. Elle prit au vaisselier une assiette particuli?re, une cuiller de bois sur laquelle le nom de son fr?re ?tait grossi?rement grav?, et lui pr?senta un pain de m?teil encore entier. Avant de l'entamer, le paysan y tra?a une croix avec la pointe de son couteau.

--La premi?re! r?p?ta Guillaume, dont l'oeil brilla de cet orgueil du laboureur qui go?te aux pr?mices de la moisson; par mon bapt?me! il est gris comme lin et flaire la noisette. Dieu soit b?ni pour m'avoir fait manger encore une fois le bl? de nos champs!

--Monsieur a raison, dit le grand Guillaume, dont l'animation momentan?e tomba aussit?t; je m'oublie ici, quand je devrais d?j? ?tre en route; faut qu'avant le jour j'aie assez march? pour ne plus trouver devant moi aucune figure de connaissance.

Et ne pouvant retenir un soupir:

--C'est dur, pas moins, ajouta-t-il, que le fils de la maison soit oblig? de venir chez son p?re en se cachant comme un voleur; mais on doit se soumettre, personne n'a raison contre la volont? du bon Dieu.

--Faites excuse, Monsieur, dit-il d'un accent qui me parut alt?r?; il faut que je m'arr?te ici, mais je ne veux point vous retarder; que Dieu vous donne un heureux voyage et qu'il vous b?nisse pour votre bont?!

--Vous avez quelqu'un ? visiter? demandai-je.

--Ce n'est pas quelqu'un, balbutia le r?fractaire, c'est un endroit...

--Et vous serez longtemps?

--Assez seulement pour revoir... une maison!

--O? est-elle?

--L? bas, derri?re l'?glise.

Il me montrait une masure pr?c?d?e d'un petit jardin enclos d'aub?pines.

--C'est la demeure de la Lousa? demandai-je en le regardant.

Il tressaillit.

Je dis comment J?r?me m'avait tout racont? en soupant; mon compagnon fit un geste de d?pit.

--A condition de veiller sur vous, repris-je; tout le monde vous conna?t au bourg; vous pourriez faire quelque dangereuse rencontre; je ne veux point vous quitter.

Guillaume hasarda quelques objections; mais j'y coupai court en lui rappelant qu'il n'y avait pas de temps ? perdre. Nous arr?t?mes la carriole pr?s de l'?glise; il se dirigea vers la haie d'aub?pines, y trouva une br?che qui lui ?tait connue et entra dans le jardin. Je me h?tai d'attacher le cheval au mur du cimeti?re, afin de le suivre.

--Je suis pr?t, dit-il d'un accent entrecoup?; maintenant que j'ai vu l'endroit, je repartirai content. La derni?re fois que j'y suis venu, c'?tait en plein jour; les aub?pines fleurissaient, on n'entendait que chants d'oiseaux; aujourd'hui il fait nuit, les fleurs sont mortes, les oiseaux se taisent: tout est chang? ici comme dans ma vie; fasse le bon Dieu qu'il n'en soit pas de m?me pour elle!

Il essuya ses larmes, fit deux ou trois pas, et se tourna de nouveau vers la petite fen?tre.

--Ah! je m'en irais content, dit-il avec une sorte d'angoisse passionn?e, oui, content, si je pouvais seulement conna?tre ce qu'elle dira demain, quand on sonnera mon enterrement! Qui sait si elle n'aura pas quelque regret, si elle ne pensera pas qu'elle y est pour quelque chose? Peut-?tre bien que la nuit prochaine elle ne dormira pas aussi bien que celle-ci.

En ce moment, l'horloge du village sonna trois heures, je fis un geste pour inviter Guillaume ? se h?ter.

--Je vous suis, Monsieur, reprit-il pr?cipitamment; mais je veux qu'elle sache que je suis venu. J'aurais aim? lui rendre sa bague, s'il n'avait pas fallu la mettre au doigt du noy?. Heureusement il me reste ceci, ma marque y est; elle la reconna?tra.

Il avait d?nou? de son cou une cravate de coton noir, qu'il attacha au ch?ssis de la petite fen?tre. Comme il achevait, une voix de nouveau-n? se fit entendre dans la maisonnette; Guillaume tressaillit.

Je voulus l'emmener, mais il tremblait d'?motion et ne m'entendait plus. Il se dressa de nouveau jusqu'? la fen?tre en collant son visage contre les vitres que la lune ?clairait. Il y ?tait depuis un instant, lorsqu'un cri d'?pouvante retentit ? l'int?rieur. Guillaume se rejeta en arri?re.

--Elle m'a vu, dit-il; partons, partons!

Il s'?tait pr?cipit? vers la br?che; je le suivis, et quelques minutes apr?s notre char-?-bancs roulait sur la route de Marans.

--Je ne peux plus songer ? vivre comme les autres, me r?pondit-il: pour tenir une ferme, il faut se marier, et je n'y ai pas le coeur; il faut travailler d'un esprit tranquille, et moi je serais toujours dans l'angoisse; ? chaque bruit de pas, je croirais entendre venir les soldats. Merci de vos intentions, Monsieur, mais c'est trop tard. Il y a un an, j'?tais une pierre bonne ? b?tir; ? cette heure je ne suis plus qu'un caillou fait pour rouler dans les eaux coulantes.

--Mais qu'allez-vous devenir? demandai-je.

--Le bon Dieu en d?cidera, me r?pondit-il avec r?serve.

--Et o? allez-vous maintenant?

--Chez des gens que je connais devers Talmont.

Je lui tendis la main.

--Allez donc, lui dis-je, et bonne chance! Peut-?tre que nous nous reverrons un jour.

Il secoua la t?te.

--Ils disent dans le pays que celui sur qui on a chant? l'office des morts ne passe jamais l'ann?e, r?pliqua-t-il avec un accent de sombre ironie.

Et, sans attendre ma r?ponse, il salua et partit.

LE KACOUSS DE L'ARMOR.

A l'ouest de l'Armor finist?rien s'?tend une longue pointe granitique, dont l'extr?mit? se bifurque et forme les deux presqu'?les de Kelern et de Crozon. La derni?re de ces presqu'?les dessine un des c?t?s de la magnifique baie de Douarnenez, ce lac marin au fond duquel dort la myst?rieuse cit? du roi Gralon. On peut trouver des horizons moins monotones, des rocs aussi boulevers?s, des terrains encore plus ?corch?s par la rafale; mais on chercherait vainement un site dont le caract?re f?t plus complet. Ce qui distingue le paysage qu'on d?couvre du haut de cette dune, c'est une harmonie ind?finissable; ce sont les falaises pierreuses le long desquelles coulent des tra?n?es de bruy?res en fleurs, les vol?es de go?lands gris tournoyant au dessus des enceintes druidiques, les linceuls d'algues fauves qui enveloppent les r?cifs et dont les plis flottent dans les remous; c'est le m?lange de gr?ves, d'?cumes, de d?bris de naufrages, et, par-dessus tout, cette respiration rauque de l'Oc?an dont les intermittences r?guli?res semblent mesurer le temps. Ailleurs, l'aspect s?duit par la vari?t?, ici il impose par son unit?: la m?me impression vous arrive par tous les sens, et cette impression a je ne sais quoi de fortifiant et d'aust?re. La brise de mer est d'une nature purifiante; comme l'air des montagnes, elle produit une sorte d'excitation salutaire; apr?s l'avoir respir?e, on se sent plus d'activit?, plus d'initiative; la grandeur du spectacle r?agit au dedans et communique ? l'?tre int?rieur son ?nergique gravit?. J'?prouvais d'autant plus vivement cette impression, que je retrouvais les rudes paysages de la Bretagne apr?s un long s?jour dans l'?nervante atmosph?re des villes. Ce que je revoyais avait en quelque sorte pour moi le charme du souvenir et celui de la nouveaut?. Je reconnaissais mes sensations d'autrefois, mais raviv?es et plus enti?res.

Apr?s m'?tre arr?t? au cap La Ch?vre, je me dirigeais vers le nord en suivant le promontoire. J'avais pass? Rostudel. J'apercevais en avant quelques arbres rabougris, et, derri?re leur feuillage ?chevel? par la brise, le hameau de Kercolleorc'h, lorsque mon oeil s'arr?ta, ? gauche, sur une ?troite oasis dont la verdure rayait la brande. C'?tait une petite ravine de quelques pas s'inclinant vers la baie et que vivifiait une source appauvrie par les chaleurs de juillet. Au plus profond de ce pli de terrain, quatre pierres brutes avaient ?t? dispos?es de mani?re ? former une sorte de fontaine que prot?geaient quelques touffes de saules. Une jeune paysanne s'y trouvait assise, le bras appuy? sur sa cruche de terre de Cornouaille dont l'orifice ?tait recouvert d'une toile fine et blanche. L'arrangement de son costume fl?tri t?moignait d'un go?t remarquable. La coiffe de toile rousse encadrait avec soin l'ovale un peu large de son visage, un petit mouchoir de cotonnade brune ?vasait gracieusement ses plis sur la nuque et enveloppait les ?paules comme deux ailes; une jupe bord?e de rouge retombait jusqu'au dessus de la cheville, et laissait voir deux pieds nus d'une forme parfaite et de la couleur du bronze florentin.

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