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Read Ebook: Mémoires de Vidocq chef de la police de Sureté jusqu'en 1827 tome I by Vidocq Eug Ne Fran Ois

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Ebook has 328 lines and 86311 words, and 7 pages

Je d?clar? que les exemplaires non rev?tus de ma signature seront r?put?s contrefaits.

Les exemplaires voulus par la loi ont ?t? d?pos?s, je poursuivrai comme contrefaits ceux non sign?s de moi.

M?MOIRES

VIDOCQ,

CHEF DE LA POLICE DE SURET?,

JUSQU'EN 1827,

AUJOURD'HUI PROPRI?TAIRE ET FABRICANT DE PAPIER, A SAINT-MAND?.

Le plus grand fl?au, est l'homme qui provoque. Quand il n'y a pas de provocateurs, ce sont les forts qui commettent les crimes, parce que ce ne sont que les forts qui les con?oivent. En police, il vaut mieux ne pas faire d'affaire que d'en cr?er.

TOME PREMIER.

PARIS,

TENON, LIBRAIRE-?DITEUR,

RUE HAUTEFEUILLE, N? 30.

Vidocq

AU LECTEUR.

Certes, il y avait beaucoup ? reprendre dans mon style: j'ignorais les convenances et les formes litt?raires, mais j'?tais habitu? ? un ordre logique, je savais l'inconv?nient des r?p?titions de mots, et si je n'?tais pas grammairien comme Vaugelas, soit routine, soit bonheur, j'avais presque toujours l'avantage d'?viter les fautes de fran?ais. Vidocq ?crivant avec cette correction ?tait peut-?tre une invraisemblance aux yeux de mon censeur, c'est ce que je ne sais pas: mais voici le fait:

Au mois de juillet dernier, j'allai ? Douai pour faire ent?riner des lettres de gr?ces qui m'avaient ?t? accord?es en 1818. A mon retour, je demandai en communication les feuilles imprim?es de mes M?moires, et comme ma r?int?gration dans les droits de citoyen ne me laissait plus redouter aucune rigueur arbitraire de la part de l'autorit?, je me proposai de refondre dans mon manuscrit tout ce qui est relatif ? la police, afin de le compl?ter par des r?v?lations dont je m'?tais jusqu'alors abstenu.

D?s ce moment, je pris la r?solution d'an?antir les pages dans lesquelles ma vie et les diverses aventures dont elle se compose ?taient offertes sans excuse. Une lac?ration compl?te ?tait le plus s?r moyen de d?jouer une intrigue dont il ?tait facile d'apercevoir le but; mais un premier volume ?tait pr?t, et d?j? le second ?tait en bon train; une suppression totale e?t ?t? un sacrifice trop consid?rable pour le libraire: d'un autre c?t?, par un des plus coupables abus de confiance, le forban qui nous avait fait contribuer, trafiquant d'un exemplaire soustrait frauduleusement, vendait mes M?moires ? Londres, et ins?r?s par extraits dans les journaux ils revenaient bient?t ? Paris, o? ils ?taient donn?s comme des traductions. Le vol ?tait audacieux; je ne balan?ai pas ? en nommer l'auteur. J'aurais pu le poursuivre; son action ne restera pas impunie. En attendant, j'ai pens? qu'il ?tait bon d'aller au plus press?, c'est-?-dire de sauver la sp?culation du libraire, en ne souffrant pas qu'il soit devanc?, et qu'un larcin inou? dans les fastes de la librairie parvienne ? ses derni?res cons?quences; il fallait une consid?ration de ce genre, pour que je me d?cidasse ? immoler mon amour-propre: c'est parce qu'elle a ?t? tout puissante sur moi, que, dans un int?r?t contraire au mien, et pour satisfaire ? l'impatience du public, j'accepte aujourd'hui, comme mienne, une r?daction que j'avais d'abord le dessein de r?pudier. Dans ce texte, tout est conforme ? la v?rit?; seulement le vrai, en ce qui me concerne, y est dit avec trop peu de m?nagements et sans aucune des pr?cautions qu'exigeait une confession g?n?rale, d'apr?s laquelle chacun est appel? ? me juger. Le principal d?faut est dans une disposition malveillante, dont je puis seul avoir ? me plaindre. Quelques rectifications m'ont paru indispensables, je les ai faites. Ceci explique la diff?rence de ton dont on pourra ?tre frapp? en comparant entre elles quelques portions de ces M?moires; mais, ? partir de mon admission parmi les corsaires de Boulogne, on se convaincra facilement que je n'ai plus d'interpr?te; personne ne s'est immisc? ni ne s'immiscera d?sormais dans la t?che que je me suis impos?e, de d?voiler au public tout ce qui peut l'int?resser; je parle et je parlerai sans r?serve, sans restriction, et avec toute la franchise d'un homme qui n'a plus de craintes, et qui, enfin rentr? dans la pl?nitude des droits dont il fut injustement priv?, aspire ? les exercer dans toute leur ?tendue. Que si l'on concevait quelques doutes sur la r?alit? de cette intention, il me suffirait de renvoyer le lecteur au dernier chapitre de mon second volume, o? il acquerrait d?j? la preuve que j'ai la volont? et la force de tenir parole.

M?MOIRES

VIDOCQ.

CHAPITRE PREMIER.

Je suis n? ? Arras: mes travestissements continuels, la mobilit? de mes traits, une aptitude singuli?re ? me grimer, ayant laiss? quelques incertitudes sur mon ?ge, il ne sera pas superflu de d?clarer ici que je vins au monde le 23 juillet 1775, dans une maison voisine de celle o?, seize ans auparavant, ?tait n? Robespierre. C'?tait la nuit: la pluie tombait par torrents; le tonnerre grondait; une parente, qui cumulait les fonctions de sage-femme et de sybille, en conclut que ma carri?re serait fort orageuse. Il y avait encore dans ce temps de bonnes gens qui croyaient aux pr?sages: aujourd'hui qu'on est plus ?clair?, combien d'hommes qui ne sont pas des comm?res, parieraient pour l'infaillibilit? de Mademoiselle Lenormand!

Quoi qu'il en soit, il est ? pr?sumer que l'atmosph?re ne se bouleversa pas tout expr?s pour moi, et bien que le merveilleux soit parfois chose fort s?duisante, je suis loin de penser que l? haut on ait pris garde ? ma naissance. J'?tais pourvu d'une constitution des plus robustes, l'?toffe n'y avait pas ?t? ?pargn?e; aussi, d?s que je parus, on m'e?t pris pour un enfant de deux ans, et j'annon?ais d?j? ces formes athl?tiques, cette structure colossale, qui depuis ont glac? d'effroi les coquins les plus intr?pides et les plus vigoureux. La maison de mon p?re ?tant situ?e sur la place d'armes, rendez-vous habituel de tous les polissons du quartier, j'exer?ai de bonne heure mes facult?s musculaires, en rossant r?guli?rement mes camarades, dont les parents ne manquaient pas de venir se plaindre aux miens. Chez nous, on n'entendait parler que d'oreilles arrach?es, d'yeux poch?s, de v?tements d?chir?s: ? huit ans, j'?tais la terreur des chiens, des chats et des enfants du voisinage; ? treize, je maniais assez bien un fleuret pour n'?tre pas d?plac? dans un assaut. Mon p?re s'apercevant que je hantais les militaires de la garnison, s'alarma de mes progr?s, et m'intima l'ordre de me disposer ? faire ma premi?re communion: deux d?votes se charg?rent de me pr?parer ? cet acte solennel. Dieu sait quel fruit j'ai tir? de leurs le?ons! Je commen?ais, en m?me temps, ? apprendre l'?tat de boulanger: c'?tait la profession de mon p?re, qui me destinait ? lui succ?der, bien que j'eusse un fr?re plus ?g? que moi.

Il ne me restait plus que la ressource de pr?lever en nature la d?me sur les fourn?es. De temps ? autre, j'escamotais quelques pains; mais comme, pour m'en d?faire, j'?tais oblig? de les donner ? vil prix, ? peine, dans le produit de la vente, trouvais-je de quoi me r?galer de tartes et d'hydromel. La n?cessit? rend actif: j'avais l'oeil sur tout; tout m'?tait bon, le vin, le sucre, le caf?, les liqueurs. Ma m?re n'avait pas encore vu ses provisions s'?puiser si v?te; peut-?tre n'e?t-elle pas d?couvert de sit?t o? elles passaient, lorsque deux poulets que j'avais r?solu de confisquer ? mon profit ?lev?rent la voix pour m'accuser. Enfonc?s dans ma culotte, o? mon tablier de mitron les dissimulait, ils chant?rent en montrant la cr?te, et ma m?re, avertie ainsi de leur enl?vement, se pr?senta ? point nomm? pour l'emp?cher. Il me revint alors quelques soufflets, et j'allai me coucher sans souper. Je ne dormis pas, et ce fut, je crois, le malin esprit qui me tint ?veill?. Tout ce que je sais, c'est que je me levai avec le projet bien arr?t? de faire main basse sur l'argenterie. Une seule chose m'inqui?tait: sur chaque pi?ce le nom de Vidocq ?tait grav? en toutes lettres. Poyant, ? qui je m'ouvris ? ce sujet, leva toutes les difficult?s, et le jour m?me, ? l'heure du d?ner, je fis une rafle de dix couverts et d'autant de cuillers ? caf?. Vingt minutes apr?s, le tout ?tait engag?, et d?s le surlendemain, je n'avais plus une obole des cent cinquante francs que l'on m'avait pr?t?s.

Je revins promptement ? mes anciennes habitudes, sauf la prodigalit?, attendu que j'avais d'excellentes raisons pour ne plus faire le magnifique; mon p?re, que j'avais vu jusqu'alors assez insouciant, ?tait d'une vigilance qui e?t fait honneur au commandant d'une grand'garde. ?tait-il oblig? de quitter le poste du comptoir, ma m?re le relevait aussit?t: impossible ? moi d'en approcher, quoique je fusse sans cesse aux aguets. Cette permanence me d?sesp?rait. Enfin, un de mes compagnons de taverne prit piti? de moi: c'?tait encore Poyant, fieff? vaurien, dont les habitants d'Arras peuvent se rappeler les hauts faits. Je lui confiai mes peines. <> Cette consid?ration de l'amour de ma m?re, joint au souvenir de son indulgence apr?s mes derni?res fredaines, fut toute-puissante sur mon esprit; j'adoptai aveugl?ment un projet qui souriait mon audace; il ne restait plus qu'? le mettre ? ex?cution; l'occasion ne se fit pas attendre.

Un soir que ma m?re ?tait seule au logis, un affid? de Poyant vint l'avertir, jouant le bon ap?tre, qu'engag? dans une orgie avec des filles, je battais tout le monde, que je voulais tout casser et briser dans la maison, et que si l'on me laissait faire, il y aurait au moins pour 100 fr. de d?g?t, qu'il faudrait ensuite payer.

En ce moment ma m?re, assise dans son fauteuil, ?tait ? tricoter; son bas lui ?chappe des mains; elle se l?ve pr?cipitamment et court tout effar?e au lieu de la pr?tendue sc?ne, qu'on avait eu le soin de lui indiquer ? l'une des extr?mit?s de la ville. Son absence ne devait pas durer long-temps: nous nous h?t?mes de la mettre ? profit. Une cl? que j'avais escamot?e la veille nous servit ? p?n?trer dans la boutique. Le comptoir ?tait ferm?; je fus presque satisfait de rencontrer cet obstacle. Cette fois, je me rappelai l'amour que me portait ma m?re, non plus pour me promettre l'impunit?, mais pour ?prouver un commencement de remords. J'allais me retirer, Poyant me retint, son ?loquence infernale me fit rougir de ce qu'il appelait ma faiblesse, et lorsqu'il me pr?senta une pince dont il avait eu la pr?caution de se munir, je la saisis presque avec enthousiasme: la caisse fut forc?e; elle contenait ? peu pr?s deux mille francs, que nous partage?mes, et une demi-heure apr?s j'?tais seul sur la route de Lille. Dans le trouble o? m'avait jet? cette exp?dition, je marchai d'abord fort vite, de sorte qu'en arrivant ? Lens, j'?tais d?j? exc?d? de fatigue; je m'arr?tai. Une voiture de retour vint ? passer, j'y pris place, et en moins de trois heures j'arrivai dans la capitale de la Flandre fran?aise, d'o? je partis imm?diatement pour Dunkerque, press? que j'?tais de m'?loigner le plus possible, pour me d?rober ? la poursuite.

Me voil? introduit, je vais partager le grabat de l'obligeant paillasse. Au point du jour, nous sommes ?veill?s par la voix majestueuse du patron, qui me conduit dans un esp?ce de bouge: <> J'allais faire un m?tier qui ne me plaisait gu?re: le suif me d?go?tait, et je n'?tais pas trop ? mon aise avec les singes, qui, effarouch?s par un visage qu'ils ne connaissaient pas, faisaient des efforts incroyables pour m'arracher les yeux. Quoi qu'il en soit, je me conformai ? la n?cessit?. Ma t?che remplie, je parus devant le directeur, qui me d?clara que j'?tais son affaire, en ajoutant que si je continuais ? montrer du z?le, il ferait quelque chose de moi. Je m'?tais lev? matin, j'avais une faim d?vorante, il ?tait dix heures, je ne voyais pas qu'il f?t question de d?je?ner, et pourtant il ?tait convenu qu'on me donnerait le logement et la table; je tombais de besoin, quand on m'apporta enfin un morceau de pain bis, si dur, que, ne pouvant l'achever, bien que j'eusse des dents excellentes et un rude app?tit, j'en jetai la plus grande partie aux animaux. Le soir, il me fallut illuminer; et comme, faute d'habitude, je ne d?ployais pas dans ces fonctions toute la c?l?rit? convenable, le directeur, qui ?tait brutal, m'administra une petite correction qui se renouvela le lendemain et jours suivants. Un mois ne s'?tait pas ?coul?, que j'?tais dans un ?tat d?plorable; mes habits tach?s de graisse et d?chir?s par les singes, ?taient en lambeaux; la vermine me d?vorait; la di?te forc?e m'avait maigri au point qu'on ne m'aurait pas reconnu; c'est alors que se ranim?rent encore avec plus d'amertume les regrets de la maison paternelle, o? l'on ?tait bien nourri, bien couch?, bien v?tu, et o? l'on n'avait pas ? faire des m?nages de singe.

M. Comus m'avait abandonn?, ce devait bient?t ?tre au tour de Garnier de s'occuper de me donner un ?tat; un jour qu'il m'avait ross? plus que de coutume , Garnier, me toisant de la t?te aux pieds, et contemplant avec une satisfaction trop marqu?e le d?labrement, de mon pourpoint, qui montrait les chairs: <> J'ignorais o? Garnier allait en venir, lorsqu'il appela mon ami Paillasse, ? qui il commanda de lui apporter la peau de tigre et la massue: Paillasse revint avec les objets demand?s. <> Pendant cette instruction, une jatte pleine de petits cailloux parfaitement arrondis ?tait ? mes pieds, et tout pr?s de l? un coq qui s'ennuyait d'avoir les pattes li?es; Garnier le prit et me le pr?senta en me disant: <> Je ne voulus pas mordre; il insista avec des menaces; je m'insurgeai et fis aussit?t la demande de mon cong?; pour toute r?ponse, on m'administra une douzaine de soufflets; Garnier n'y allait pas de main morte. Irrit? de ce traitement, je saisis un pieu, et j'aurais infailliblement assomm? monsieur le naturaliste, si toute la troupe, ?tant venue fondre sur moi, ne m'e?t jet? ? la porte au milieu d'une gr?le de coups de pieds et de coups de poings.

Joseph Lebon.--L'orchestre de la guillotine et la lecture du bulletin.--Le perroquet aristocrate.--La citoyenne Lebon.--Allocution aux sans-culottes.--La marchande de pommes.--Nouvelles amours.--Je suis incarc?r?.--Le concierge Beaupr?.--La v?rification du potage.--M. de B?thune.--J'obtiens ma libert?.--La soeur de mon lib?rateur.--Je suis fait officier.--Le Lutin de Saint-Sylvestre Capelle.--L'arm?e r?volutionnaire.--La reprise d'une barque.--Ma fianc?e.--Un travestissement.--La fausse grossesse.--Je me marie.--Je suis content sans ?tre battu.--Encore un s?jour aux Baudets.--Ma d?livrance.

Cet ?v?nement, que Beaupr? nous annon?a avec une joie f?roce, me donna des inqui?tudes assez s?rieuses. Tous les jours on envoyait ? la mort des hommes qui ne connaissaient pas plus que moi le motif de leur arrestation, et dont la fortune ou la position sociale ne les d?signaient pas davantage aux passions politiques; d'un autre c?t?, je savais que Beaupr?, tr?s scrupuleux sur le nombre, se souciait peu de la qualit?, et que souvent, n'apercevant pas de suite les individus qui lui ?taient d?sign?s, pour que le service ne souffr?t aucun retard, il envoyait les premiers venus. D'un instant ? l'autre je pouvais donc me trouver sous la main de Beaupr?, et l'on con?oit que cette expectative n'avait rien de bien rassurant.

Sorti de prison, je fus conduit en grande pompe ? la soci?t? patriotique, o? l'on me fit jurer fid?lit? ? la r?publique, haine aux tyrans. Je jurai tout ce qu'on voulut: de quels sacrifices n'est-on pas capable pour conserver sa libert?!

Ces formalit?s remplies, je fus replac? au d?p?t, o? mes camarades t?moign?rent une grande joie de me revoir. D'apr?s ce qui s'?tait pass?, c'e?t ?t? manquer ? la reconnaissance, de ne pas regarder Chevalier comme mon lib?rateur; j'allai le remercier, et j'exprimai ? sa soeur combien j'?tais touch? de l'int?r?t qu'elle avait bien voulu prendre ? un pauvre prisonnier. Cette femme, qui ?tait la plus passionn?e des brunes, mais dont les grands yeux noirs ne compensaient pas la laideur, crut que j'?tais amoureux parce que j'?tais poli; elle prit au pied de la lettre quelques compliments que je lui fis, et d?s la premi?re entrevue elle se m?prit sur mes sentiments, au point de jeter sur moi son d?volu. Il fut question de nous unir; on sonda ? cet ?gard mes parents, qui r?pondirent qu'? dix-huit ans on ?tait bien jeune pour le mariage, et l'affaire tra?na en longueur. Sur ces entrefaites, on organisa ? Arras les bataillons de la r?quisition: connu pour un excellent instructeur, je fus appel? ? concourir avec sept autres sous-officiers ? instruire le 2e bataillon du Pas-de-Calais; de ce nombre ?tait un caporal de grenadiers du r?giment de Languedoc, nomm? C?sar, aujourd'hui garde champ?tre ? Colombe ou ? Puteaux, pr?s Paris; il fut nomm? adjudant-major. Pour moi, je fus promu au grade de sous-lieutenant en arrivant ? Saint-Silvestre-Capelle, pr?s Bailleul, o? l'on nous cantonna. C?sar avait ?t? ma?tre-d'armes dans son r?giment; on se rappelle mes prouesses avec les pr?v?ts des cuirassiers de Kinski. Nous d?cid?mes qu'outre la th?orie, nous enseignerions l'escrime aux officiers du bataillon, qui furent enchant?s de l'arrangement. Nos le?ons nous produisaient quelque argent, mais cet argent ?tait loin de suffire aux besoins, ou, si l'on aime mieux, aux fantaisies de praticiens de notre force. C'?tait surtout la partie des vivres qui nous faisait faute. Ce qui doublait nos regrets et notre app?tit, c'est que le maire, chez qui nous ?tions log?s, mon coll?gue de salle et moi, tenait une table excellente. Nous avions beau chercher les moyens de nous faufiler dans la maison, une vieille servante-ma?tresse Sixca se jetait toujours ? travers nos pr?venances, et d?jouait nos plans gastronomiques: nous ?tions d?sesp?r?s et affam?s.

Nous ?tions cantonn?s depuis trois mois, lorsque la division re?ut l'ordre de se porter sur Stinward. Les Autrichiens avaient fait une d?monstration pour se porter sur Poperingue, et le deuxi?me bataillon du Pas-de-Calais fut plac? en premi?re ligne. La nuit qui suivit notre arriv?e, l'ennemi surprit nos avant-postes, et p?n?tra dans le village de la Belle, que nous occupions; nous nous form?mes pr?cipitamment en bataille. Dans cette manoeuvre de nuit, nos jeunes r?quisitionnaires d?ploy?rent cette intelligence et cette activit? qu'on chercherait vainement ailleurs que chez les Fran?ais. Vers six heures du matin, un escadron des hussards de Wurmser d?boucha par la gauche, et nous chargea en tirailleurs, sans pouvoir nous entamer. Une colonne d'infanterie, qui les suivait, nous aborda en m?me temps ? la ba?onette; et mais ce ne fut qu'apr?s un engagement des plus vifs, que l'inf?riorit? du nombre nous for?a de nous replier sur Stinward, o? se trouvait le quartier-g?n?ral.

Le bataillon ?tait cantonn? ? Fresnes. Dans une ferme o? j'?tais log?, arriva un jour la famille enti?re d'un patron de barque, compos?e du mari, de la femme et de deux enfants, dont une fille de dix-huit ans, qu'on e?t remarqu?e partout. Les Autrichiens leur avaient enlev? un bateau charg? d'avoine, qui composait toute leur fortune, et ces pauvres gens, r?duits aux v?tements qui les couvraient, n'avaient eu d'autre ressource que de venir se r?fugier chez mon h?te, leur parent. Cette circonstance, leur f?cheuse position, et peut-?tre aussi la beaut? de la jeune fille, qu'on nommait Delphine, me touch?rent.

D?barrass? de ma perfide, je continuai ? rester ? Lille, bien que le temps de ma permission f?t expir?; mais on se cache presque aussi facilement dans cette ville qu'? Paris, et mon s?jour n'e?t pas ?t? troubl? sans une aventure galante dont j'?pargnerai les d?tails au lecteur; il lui suffira de savoir, qu'arr?t? sous des habits de femme, au moment o? je fuyais la col?re d'un mari jaloux, je fus conduit ? la place, o? je refusai d'abord obstin?ment de m'expliquer; en parlant, je devais, en effet, ou perdre la personne qui avait des bont?s pour moi, ou me faire conna?tre comme d?serteur. Quelques heures de prison me firent cependant changer de r?solution: un officier sup?rieur que j'avais fait appeler pour recevoir ma d?claration, et auquel j'expliquai franchement ma position, parut y prendre quelque int?r?t: le g?n?ral commandant la division voulut entendre de ma propre bouche ce r?cit, qui faillit vingt fois le faire pouffer de rire; il donna ensuite l'ordre de me mettre en libert?, et me fit d?livrer une feuille de route pour rejoindre le 28e bataillon dans le Brabant; mais, au lieu de suivre cette destination, je tirai vers Arras, bien d?cid? que j'?tais ? ne rentrer au service qu'? la derni?re extr?mit?.

A Tournai, un ancien officier du r?giment de Bourbon, alors adjudant-g?n?ral, m'attacha ? ses bureaux comme charg? de d?tails d'administration, et particuli?rement en ce qui concernait l'habillement. Bient?t les affaires de la division n?cessitent l'envoi d'un homme de confiance ? Arras; je pars en poste, et j'arrive dans cette ville ? onze heures du soir. Comme charg? d'ordres, je me fais ouvrir les portes, et par un mouvement que je ne saurais trop expliquer, je cours chez ma femme; je frappe long-temps sans que personne vienne r?pondre; un voisin m'ouvre enfin la porte de l'all?e, et je monte rapidement ? la chambre de ma femme; en approchant, j'entends le bruit d'un sabre qui tombe, puis on ouvre la fen?tre, et un homme saute dans la rue. Il est inutile de dire qu'on avait reconnu ma voix: je redescends aussit?t les escaliers en toute h?te, et je rejoins bient?t mon Lovelace, dans lequel je reconnais un adjudant-major du 17e chasseurs ? cheval, en semestre ? Arras. Il ?tait ? demi nu; je le ram?ne au domicile conjugal; il ach?ve sa toilette, et nous ne nous quittons qu'avec l'engagement de nous battre le lendemain.

S?jour ? Bruxelles.--Les caf?s.--Les gendarmes gastronomes.--Un faussaire.--L'arm?e roulante.--La baronne et le gar?on boulanger.--Contre-temps.--Arriv?e ? Paris.--Une femme galante.--Mystifications.

Je ne fus pas plus heureux ? Bruxelles qu'? Tournai; l'adjudant-g?n?ral, qui semblait se d?rober devant moi, venait de se rendre ? Li?ge; je pars pour cette ville, comptant bien cette fois ne pas faire une course inutile: j'arrive, mon homme s'?tait mis en route la veille pour Paris, o? il devait compara?tre ? la barre de la Convention. Son absence ne devait pas ?tre de plus de quinze jours; j'attends, personne ne para?t; un mois s'?coule, personne encore. Les esp?ces baissaient singuli?rement chez moi; je prends le parti de regagner Bruxelles, o? j'esp?rais trouver plus facilement les moyens de sortir d'embarras. Pour parler avec la franchise que je me pique d'apporter dans cette histoire de ma vie, je dois d?clarer que je commen?ais ? n'?tre pas excessivement difficile sur le choix de ces moyens; mon ?ducation ne devait pas m'avoir rendu homme ? grands scrupules, et la d?testable soci?t? de garnison que je fr?quentais depuis mon enfance, e?t corrompu le plus heureux naturel.

Ces petits dividendes, joints ? une centaine d'?cus que me fit passer ma m?re, me mirent en ?tat de faire quelque figure, et de t?moigner ma reconnaissance ? cette ?milie, dont le d?vo?ment ne me trouvait pas tout-?-fait insensible. Nos affaires ?taient donc en assez bon train, lorsqu'un soir je fus arr?t? au th??tre du Parc, par plusieurs agents de police, qui me somm?rent d'exhiber mes papiers. C'e?t ?t? pour moi chose assez dangereuse: je r?pondis que je n'en avais pas. On me conduisit aux Madelonettes, et le lendemain, ? l'interrogatoire, je m'aper?us qu'on ne me connaissait pas, ou qu'on me prenait pour un autre. Je d?clarai alors me nommer Rousseau, n? ? Lille, et j'ajoutai que, venu ? Bruxelles pour mon plaisir, je n'avais pas cru devoir me munir de papiers. Je demandai enfin ? ?tre conduit ? Lille ? mes frais, par deux gendarmes; on m'accorda ce que je r?clamais, et, moyennant quelques couronnes, mon escorte consentit ? ce que la pauvre Emilie m'accompagn?t.

?tre sorti de Bruxelles, c'?tait fort bien, mais il ?tait encore plus important de ne pas arriver ? Lille, o? je devais ?tre in?vitablement reconnu d?serteur. Il fallait s'?vader ? tout prix, et ce fut l'avis d'Emilie, ? laquelle je communiquai mon projet, que nous ex?cut?mes en arrivant ? Tournai. Je dis aux gendarmes que devant nous quitter le lendemain en arrivant ? Lille, o? je devais ?tre mis sur-le-champ en libert?, je voulais leur faire mes adieux par un bon souper. D?j? charm?s de mes mani?res lib?rales et de ma ga?t?, ils accept?rent de grand coeur, et le soir, pendant que, couch?s sur la table, ivres de bierre et de rhum, ils me croyaient dans le m?me ?tat, je descendais avec mes draps par la fen?tre d'un second ?tage; Emilie me suivait, et nous nous enfoncions dans des chemins de traverse, o? l'on ne devait pas m?me songer ? venir nous chercher. Nous gagn?mes ainsi le faubourg Notre-Dame, ? Lille, o? je me rev?tis d'une capote d'uniforme de chasseurs ? cheval, en prenant la pr?caution de me mettre sur l'oeil gauche un empl?tre de taffetas noir, qui me rendait m?connaissable. Cependant, je ne jugeai pas prudent de rester long-temps dans une ville aussi voisine du lieu de ma naissance, et nous part?mes pour Gand. L?, par un incident passablement romanesque, ?milie retrouva son p?re, qui la d?cida ? revenir dans sa famille. Il est vrai qu'elle ne consentit ? me quitter, qu'? la condition expresse que j'irais la rejoindre aussit?t que les affaires que je disais avoir ? Bruxelles seraient termin?es.

Je crus d'abord que la t?te avait tourn? ? mon pauvre camarade. Une des femmes titr?es les plus riches des Provinces-Unies, ?pouser un aventurier dont elle ne connaissait ni la famille, ni la fortune, ni les ant?c?dents, il y avait l? de quoi rendre les plus confiants incr?dules. Devais-je, d'ailleurs, m'engager dans une fourberie qui devait t?t ou tard se d?couvrir et me perdre? N'?tais-je pas, enfin, bien et d?ment mari? ? Arras. Ces objections et plusieurs autres, que me sugg?rait une sorte de remords de tromper l'excellente femme qui me comblait d'amiti?s, n'arr?t?rent pas un instant mon interlocuteur. Voici comment il y r?pondit:

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Il me si?rait mal de jouer la sensiblerie, et ce serait compromettre la r?putation de finesse et de tact qu'on m'accorde assez g?n?ralement, que d'?taler les beaux sentiments. On doit donc me croire lorsque je d?clare que tant de d?voument me toucha. La voix des remords, ? laquelle on n'est jamais enti?rement sourd ? dix-neuf ans, se fit entendre; je vis l'ab?me o? j'allais entra?ner l'excellente femme qui s'?tait montr?e si g?n?reuse ? mon ?gard; je la vis repoussant bient?t avec horreur le d?serteur, le vagabond, le bigame, le faussaire; et cette id?e me d?termina ? lui tout avouer. ?loign? de ceux qui m'avaient engag? dans cette intrigue, et qui venaient d'?tre arr?t?s ? Namur, je m'affermis dans ma r?solution; un soir, au moment o? le souper se terminait, je me d?cidai ? rompre la glace. Sans entrer dans le d?tail de mes aventures, je dis ? la baronne que des circonstances qu'il m'?tait impossible de lui expliquer m'avaient contraint ? para?tre ? Bruxelles sous les deux noms qu'elle me connaissait, et qui n'?taient pas les miens. J'ajoutai que des ?v?nements me for?aient de quitter les Pays-Bas sans pouvoir contracter une union qui e?t fait mon bonheur, mais que je conserverais ?ternellement le souvenir des bont?s qu'on y avait eues pour moi.

Je parlai long-temps et, l'?motion me gagnant je parlai avec une chaleur, une facilit? ? laquelle je n'ai pu songer depuis sans en ?tre ?tonn? moi-m?me: il me semblait que je craignais d'entendre la r?ponse de la baronne. Immobile, les joues p?les, l'oeil fixe comme une somnambule, elle m'?couta sans m'interrompre; puis, me jetant un regard d'effroi, elle se leva brusquement, et courut s'enfermer dans sa chambre; je ne la revis plus. ?clair?e par mon aveu, par quelques mots qui m'?taient sans doute ?chapp?s dans le trouble du moment, elle avait reconnu les p?rils qui la mena?aient, et, dans sa juste m?fiance, peut-?tre me soup?onnait-elle plus coupable que je ne l'?tais en effet; peut-?tre croyait elle s'?tre livr?e ? quelque grand criminel; peut-?tre y avait-il l? du sang!... D'un autre c?t?, si cette complication de d?guisements devait rendre ses appr?hensions bien vives, l'aveu spontan? que je venais de lui faire ?tait aussi bien propre ? calmer ses inqui?tudes; cette derni?re id?e domina probablement chez elle, puisque le lendemain, ? mon r?veil, l'h?te me donna une cassette contenant quinze mille francs en or, que la baronne lui avait remise pour moi avant son d?part, ? une heure du matin; je l'appris avec plaisir; sa pr?sence me pesait. Rien ne me retenant ? Breda, je fis faire mes malles, et quelques heures apr?s j'?tais sur la route d'Amsterdam.

A la suite d'une discussion fort insignifiante, elle me dit du ton le plus impertinent <> C'?tait parler, et j'eus la faiblesse de ne pas vouloir entendre. De nouveaux cadeaux me rendirent pour quelques jours une tendresse sur laquelle je ne devais cependant plus m'abuser. Alors, connaissant tout le parti qu'on pouvait tirer de mon aveugle engouement, Rosine revint bient?t ? la charge pour le montant d'une lettre de change de deux mille francs, qu'elle devait acquitter sous peine d'?tre condamn?e par corps. Rosine en prison! cette id?e m'?tait insupportable, et j'allais encore m'ex?cuter, lorsque le hasard me fit tomber entre les mains une lettre qui me dessilla les yeux.

Comme tout en pestant contre ma sottise, je m'?tonnais de ne pas voir rentrer l'honn?te personne qui m'avait si bien ?trill?, Divine me dit qu'il ?tait probable que la porti?re l'avait fait avertir que j'avais saisi sa lettre, et qu'elle ne repara?trait pas de sit?t. Cette conjecture se trouva vraie. En apprenant la catastrophe qui l'emp?chait de me tirer jusqu'? la derni?re plume de l'aile, Rosine ?tait partie en fiacre pour Versailles: on sait qui elle y allait rejoindre. Les chiffons qu'elle laissait dans son appartement garni ne valaient pas les deux mois de loyer qu'elle devait au propri?taire, qui, lorsque je voulus sortir, me for?a de payer les porcelaines et la psych? sur laquelle j'avais pass? ma premi?re fureur.

De si rudes atteintes avaient furieusement ?corn? mes finances d?j? trop d?labr?es. Quatorze cents francs!!! voil? tout ce qui me restait des ducats de la baronne. Je pris en horreur la capitale, qui m'avait ?t? si funeste, et je r?solus de regagner Lille, o?, connaissant les localit?s, je pourrais du moins trouver des ressources que j'eusse cherch?es vainement ? Paris.

Les Boh?miens.--Une foire Flamande.--Retour ? Lille.--Encore une connaissance.--L'OEil de boeuf.--Jugement correctionnel.--La tour Saint-Pierre.--Les d?tenus.--Un faux.

Voyager, c'?tait fort bien; mais en quelle qualit?? Je n'?tais plus d'?ge ? m'engager comme paillasse ou comme valet-de-chambre des singes et des ours, et personne ne se f?t, sans doute, avis? de me le proposer: toutefois il ?tait bon de savoir ? quoi s'en tenir. Je questionnai modestement mon nouveau protecteur sur les fonctions que j'aurais ? remplir pr?s de lui. <>, me dit cet homme, dont les favoris ?pais et le teint basan? lui donnaient une physionomie singuli?re: <> Allons! me dis-je, encore un empirique.... Mais il n'y a pas ? reculer. Nous convenons de partir le lendemain, et de nous trouver ? cinq heures du matin ? l'ouverture de la porte de Paris.

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