Read Ebook: Mémoires de Vidocq chef de la police de Sureté jusqu'en 1827 tome II by Vidocq Eug Ne Fran Ois
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Ebook has 433 lines and 92791 words, and 9 pages
Ainsi, pour tenir en haleine la vigilance de mes gardiens, on me repr?sentait comme un grand criminel. Je partis de Saint-Denis, en charrette, garrott? de mani?re ? ne pouvoir faire un mouvement, et jusqu'? Louvres l'escorte ne cessa d'avoir les yeux sur moi; ces dispositions annon?aient des rigueurs qu'il m'importait de pr?venir; je retrouvai toute cette ?nergie ? laquelle j'avais d?j? d? tant de fois la libert?.
On nous avait d?pos?s dans le clocher de Louvres, transform? en prison; je fis apporter deux matelas, une couverture et des draps, qui, coup?s et tress?s, devaient nous servir ? descendre dans le cimeti?re; un barreau fut sci? avec les couteaux de trois d?serteurs enferm?s avec nous; et ? deux heures du matin, je me risquai le premier. Parvenu ? l'extr?mit? de la corde, je m'aper?us qu'il s'en fallait de pr?s de quinze pieds qu'elle n'atteign?t le sol: il n'y avait pas ? h?siter; je me laissai tomber. Mais, comme dans ma chute sous les remparts de Lille, je me foulai le pied gauche, et il me devint presque impossible de marcher; j'essayais n?anmoins de franchir les murs du cimeti?re, lorsque j'entendis tourner doucement la clef dans la serrure. C'?tait le ge?lier et son chien, qui n'avaient pas meilleur nez l'un que l'autre: d'abord le ge?lier passa sous la corde sans la voir, et le m?tin pr?s d'une fosse o? je m'?tais tapis, sans me sentir. Leur ronde faite, ils se retir?rent; je pensais que mes compagnons suivraient mon exemple; mais personne ne venant, j'escaladai l'enceinte; me voil? dans la campagne. La douleur de mon pied devient de plus en plus aigu?.... Cependant je brave la souffrance; le courage me rend des forces, et je m'?loigne assez rapidement. J'avais ? peu pr?s parcouru un quart de lieue; tout ? coup j'entends sonner le tocsin; on ?tait alors ? la mi-mai. Aux premi?res lueurs du jour, je vois quelques paysans arm?s sortir de leurs habitations pour se r?pandre dans la plaine; probablement ils ignoraient de quoi il s'agissait; mais ma jambe ?clopp?e ?tait un indice qui devait me rendre suspect; j'?tais un visage inconnu; il ?tait ?vident que les premiers qui me rencontreraient voudraient, ? tout ?v?nement, s'assurer de ma personne.... Valide, j'eusse d?concert? toutes les poursuites; il n'y avait plus qu'? me laisser empoigner, et je n'avais pas fait deux cents pas, que, rejoint par les gendarmes, qui parcouraient la campagne, je fus appr?hend? au corps, et ramen? dans le maudit clocher.
La triste issue de cette tentative ne me d?couragea pas. A Bapaume, on nous avait mis ? la citadelle, dans une ancienne salle de police, plac?e sous la surveillance d'un poste de conscrits du 30e de ligne; une seule sentinelle nous gardait; elle ?tait au bas de la fen?tre, et assez rapproch?e des prisonniers pour qu'ils pussent entrer en conversation avec elle; c'est ce que je fis. Le soldat ? qui je m'adressai me parut d'assez bonne composition; j'imaginai qu'il me serait ais? de le corrompre.... Je lui offris cinquante francs pour nous laisser ?vader pendant sa faction. Il refusa d'abord, mais, au ton de sa voix et ? certain clignotement de ses yeux, je crus m'apercevoir qu'il ?tait impatient de tenir la somme; seulement il n'osait pas. Afin de l'enhardir, j'augmentai la dose, je lui montrai trois louis, et il me r?pondit qu'il ?tait pr?t ? nous seconder; en m?me temps, il m'apprit que son tour reviendrait de minuit ? deux heures. Nos conventions faites, je mis la main ? l'oeuvre; la muraille fut perc?e de mani?re ? nous livrer passage; nous n'attendions plus que le moment opportun pour sortir. Enfin, minuit sonne, le soldat vient m'annoncer qu'il est l?; je lui donne les trois louis, et j'active les dispositions n?cessaires. Quand tout est pr?t, j'appelle: Est-il temps? dis-je ? la sentinelle. <<--Oui, d?p?chez-vous, me r?pond-t-elle,>> apr?s avoir un instant h?sit?. Je trouve singulier qu'elle ne m'ait pas r?pondu de suite; je crois entrevoir quelque chose de louche dans cette conduite; je pr?te l'oreille, il me semble entendre marcher; ? la clart? de la lune, j'aper?ois aussi l'ombre de plusieurs hommes sur les glacis; plus de doute, nous sommes trahis. Cependant, il peut se faire que j'aie trop pr?cipit? mon jugement; pour m'en assurer, je prends de la paille, je fais ? la h?te un mannequin, que j'habille; je le pr?sente ? l'issue que nous avions pratiqu?e; au m?me instant, un coup de sabre ? pourfendre une enclume m'apprend que je l'ai ?chapp? belle, et me confirme de plus en plus dans cette opinion, qu'il ne faut pas toujours se fier aux conscrits. Soudain la prison est envahie par les gendarmes; on dresse un proc?s-verbal, on nous interroge, on veut tout savoir; je d?clare que j'ai donn? trois louis; le conscrit nie; je persiste dans ma d?claration; on le fouille, et l'argent se retrouve dans ses souliers; on le met au cachot.
Quant ? nous, on nous fit de terribles menaces, mais comme on ne pouvait pas nous punir, on se contenta de doubler nos gardes.... Il n'y avait plus moyen de s'?chapper, ? moins d'une de ces occasions que j'?piais sans cesse; elle se pr?senta plus t?t que je ne l'aurais esp?r?. Le lendemain ?tait le jour de notre d?part; nous ?tions descendus dans la cour de la caserne; il y r?gnait une grande confusion, caus?e par la pr?sence simultan?e d'un nouveau transport de condamn?s et d'un d?tachement de conscrits des Ardennes, qui se rendaient au camp de Boulogne. Les adjudants disputaient le terrain aux gendarmes pour former les pelotons et faire l'appel. Pendant que chacun comptait ses hommes, je me glisse furtivement dans la civi?re d'une voiture de bagage qui se disposait ? sortir de la cour.... Je traversai ainsi la ville, immobile, et me faisant petit autant que je le pouvais, afin de n'?tre pas d?couvert. Une fois hors des remparts, il ne me restait plus qu'? m'esquiver; je saisis le moment o? le charretier, toujours alt?r?, comme les gens de son esp?ce, ?tait entr? dans un bouchon pour se rafra?chir; et tandis que ses chevaux l'attendaient sur la route, j'all?geai sa voiture d'un poids dont il ne la supposait pas charg?e. J'allai aussit?t me cacher dans un champ de colza; et quand la nuit fut venue, je m'orientai.
Le camp de Boulogne.--La rencontre.--Les recruteurs sous l'ancien r?gime.--M. Belle-Rose.
Je me dirigeai ? travers la Picardie sur Boulogne. A cette ?poque, Napol?on avait renonc? ? son projet d'une descente en Angleterre; il ?tait all? faire la guerre ? l'Autriche avec sa grande arm?e; mais il avait encore laiss? sur les bords de la Manche de nombreux bataillons. Il y avait dans les deux camps, celui de gauche et celui de droite, des d?p?ts de presque tous les corps et des soldats de tous les pays de l'Europe, des Italiens, des Allemands, des Pi?montais, des Hollandais, des Suisses, et jusqu'? des Irlandais.
Les uniformes ?taient tr?s vari?s; leur diversit? pouvait ?tre favorable pour me cacher..... Cependant je crus que ce serait mal me d?guiser que d'emprunter l'habit militaire. Je songeai un instant ? me faire soldat en r?alit?. Mais, pour entrer dans un r?giment, il e?t fallu avoir des papiers; et je n'en avais pas. Je renon?ai donc ? mon projet. Cependant le s?jour ? Boulogne ?tait dangereux, tant que je n'aurais pas trouv? ? me fourrer quelque part.
Un jour que j'?tais plus embarrass? de ma personne et plus inquiet que de coutume, je rencontrai sur la place de la haute ville un sergent de l'artillerie de marine, que j'avais eu l'occasion de voir ? Paris; comme moi, il ?tait Art?sien; mais, embarqu? presque enfant sur un vaisseau de l'?tat, il avait pass? la plus grande partie de sa vie aux colonies; depuis, il n'?tait pas revenu au pays, et il ne savait rien de ma m?saventure. Seulement il me regardait comme un bon vivant; et quelques affaires de cabaret, dans lesquelles je l'avais soutenu avec ?nergie, lui avaient donn? une haute opinion de ma bravoure.
J'avoue que je ne voyais pas sans peine ce man?ge, qui ralentissait le service, lorsque mademoiselle Jeannette s'?tant brusquement ?chapp?e des bras de mon Amphitryon, revint avec une moiti? de dinde fortement assaisonn?e de moutarde, et deux bouteilles qu'elle pla?a devant nous.
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Je le f?licitai sur tant de bonheur; et nous commen??mes l'un et l'autre ? manger et ? boire largement. Il y avait long-temps que je ne m'?tais trouv? ? pareille f?te; je me lestai d'importance. Force bouteilles furent vid?es; nous allions, je crois, d?boucher la septi?me, lorsque le sergent sortit, probablement pour satisfaire un besoin, et rentra presque aussit?t, ramenant avec lui deux nouveaux convives; c'?taient un fourrier et un sergent-major. < >>Oh, c'est vrai, r?partit le fourrier, ? lui le coq, le papa Dufailli, pour inventer des embl?mes et emb?ter le conscrit: quand j'y pense, fallait-il que je fusse loff pour donner dans un godan pareil!--Ah! tu t'en souviens encore?--Oui, oui, notre ancien, je m'en souviens, et le major aussi, puisque vous avez eu le toupet de l'engager en qualit? de notaire du r?giment. >>Dans l'ancien r?gime, voyez-vous, nous avions des colonies, l'?le de France, Bourbon, la Martinique, la Guadeloupe, le S?n?gal, la Guyane, la Louisiane, Saint-Domingue, etc. A pr?sent, ?? fait brosse; nous n'avons plus que l'?le d'Ol?ron; c'est un peu plus que rien, ou, comme dit cet autre, c'est un pied ? terre, en attendant le reste. La descente aurait pu nous rendre tout ??. Mais bah! la descente, il n'y faut plus songer, c'est une affaire faite: la flottille pourrira dans le port et puis on fera du feu avec la d?froque. Mais je m'aper?ois que je cours une bord?e et que je vais ? la d?rive; en avant donc Belle-Rose! car je crois que c'est de Belle-Rose que je vous parlais. >>Comme je vous le disais c'?tait un gaillard qui avait le fil; et puis dans ce temps l?, les jeunes gens n'?taient pas si allur?s qu'aujourd'hui. >>J'avais quitt? Arras ? quatorze ans, et j'?tais depuis six mois ? Paris en apprentissage chez un armurier, quand un matin le patron me chargea de porter au colonel des carabiniers, qui demeurait ? la Place Royale, une paire de pistolets qu'il lui avait remis en ?tat. Je m'acquittai assez lestement de la commission; malheureusement ces maudits pistolets devaient faire rentrer dix-huit francs ? la boutique; le colonel me compta l'argent et me donna la pi?ce. Jusque l? c'?tait ? merveille; mais ne voil?-t-il pas, qu'en traversant la rue du P?lican, j'entends frapper ? un carreau. Je m'imagine que c'est quelqu'un de connaissance, je l?ve le nez, qu'est-ce que je vois? une madame de Pompadour qui, ses appas ? l'air, se carrait derri?re une vitre plus claire que les autres; et qui, par un signe de la t?te, accompagn? d'un aimable sourire, m'engageait ? monter. On e?t dit d'une miniature mouvante dans son cadre. Une gorge magnifique, une peau blanche comme de la neige, une poitrine large, et par-dessus le march? une figure ravissante, il n'en fallait pas tant pour me mettre en feu; j'enfile l'all?e, je monte l'escalier quatre ? quatre, on m'introduit pr?s de la princesse: c'?tait une divinit?!--Approche, mon miston, me dit-elle, en me frappant l?g?rement sur la joue, tu vas me faire ton petit cadeau, n'est-ce pas? >>Je fouille alors en tremblant dans ma poche, et j'en tire la pi?ce que le colonel m'avait donn?e.--Dis-donc petit, continua-t-elle, je crois, ma foi de Dieu, que t'es Picard. Eh bien! je suis ta payse: oh! tu paieras bien un verre de vin ? ta payse! >>La demande ?tait faite de si bonne gr?ce! je n'eus pas la force de refuser; les dix-huit francs du colonel furent entam?s. Un verre de vin en am?ne un autre, et puis deux, et puis trois et puis quatre, si bien que je m'enivrai de boisson et de volupt?. Enfin la nuit arriva, et, je ne sais comment cela se fit, mais je m'?veillai dans la rue, sur un banc de pierre, ? la porte de l'h?tel des Fermes... >>Ma surprise fut grande, en regardant autour de moi; elle fut plus grande encore quand je vis le fond de ma bourse:..... les oiseaux ?taient d?nich?s...... >>Quel moyen de rentrer chez mon bourgeois? O? aller coucher? Je pris le parti de me promener en attendant le jour; je n'avais point d'autre but que de tuer le temps, ou plut?t de m'?tourdir sur les suites d'une premi?re faute. Je tournai machinalement mes pas du c?t? du march? des Innocents. Fiez-vous donc aux payses! me disais-je en moi-m?me; me voil? dans de beaux draps! encore s'il me restait quelque argent... >>J'avoue que, dans ce moment, il me passa de dr?les d'id?es par la t?te..... J'avais vu souvent afficher sur les murs de Paris: Portefeuille perdu, avec mille, deux mille et trois mille francs de r?compense ? qui le rapporterait. Est-ce que je ne m'imaginai pas que j'allais trouver un de ces portefeuilles; et d?visageant les pav?s un ? un, marchant comme un homme qui cherche quelque chose; j'?tais tr?s s?rieusement pr?occup? de la possibilit? d'une si bonne aubaine, lorsque je fus tir? de ma r?verie par un coup de poing qui m'arriva dans le dos.--Eh bien! Cadet, que fais-tu donc par ici si matin?--Ah! c'est toi, Fanfan, et par quel hasard dans ce quartier ? cette heure? >>Fanfan ?tait un apprenti p?tissier, dont j'avais fait la connaissance aux Porcherons; en un instant, il m'eut appris que depuis six semaines il avait d?sert? le four, qu'il avait une ma?tresse qui fournissait aux appointements, et que, pour le quart d'heure, il se trouvait sans asile, parce qu'il avait pris fantaisie au monsieur de sa particuli?re de coucher avec elle. Au surplus, ajouta-t-il, je m'en bats l'oeil; si je passe la nuit ? la Sourici?re, le matin je reviens au g?te, et je me rattrappe dans la journ?e. Fanfan le p?tissier me paraissait un gar?on d?gourdi; je supposais qu'il pourrait m'indiquer quelque exp?dient pour me tirer d'affaire; je lui peignis mon embarras. -->>Ce n'est que ??, me dit-il; viens me rejoindre ? midi au cabaret de la barri?re des Sergents; je te donnerai peut-?tre un bon conseil: dans tous les cas, nous d?jeunerons ensemble.>> >>--Eh bien! me dit Fanfan, en me versant un verre de vin blanc, et m'alongeant une douzaine d'hu?tres, tu vois qu'il ne faut jamais d?sesp?rer de la Providence; les pieds de cochon sont sur le gril: aimes-tu les pieds de cochon? Je n'avais pas eu le temps de r?pondre ? sa question, que d?j? ils ?taient servis. L'app?tit avec lequel je d?vorais ?tait tellement affirmatif, que Fanfan n'eut plus besoin de m'interroger sur mon go?t. Bient?t le Chablis m'eut mis en gait?; j'oubliai les d?sagr?ments que pourrait me causer le m?contentement de mon bourgeois, et comme la compagne de ma payse m'avait donn? dans l'oeil, je me lan?ai ? lui faire ma d?claration. Foi de Dufailli! elle ?tait gentille ? croquer; elle me rendit la main. -->>Tu m'aimes donc bien, me dit Fanchette, c'?tait le nom de la perronnelle.--Si je vous aime!--Eh bien! si tu veux, nous nous marierons ensemble.--C'est ??, dit Fanfan, mariez-vous; pour commencer, nous allons faire la noce. Je te marie, Cadet, entends-tu? Allons, embrasses-vous; et en m?me-temps, il nous empoigna tous deux par la t?te pour rapprocher nos deux visages.--Pauvre ch?ri, s'?cria Fanchette, en me donnant un second baiser, sans l'aide de mon ami; sois tranquille, je te mettrai au pas. >>J'?tais aux anges; je passai une journ?e d?licieuse. Le soir, j'allai coucher avec Fanchette; et, sans vanit?, elle s'y prit si bien qu'elle e?t tout lieu d'?tre satisfaite de moi. >>Mon ?ducation fut bient?t faite. Fanchette ?tait toute fi?re d'avoir rencontr? un ?l?ve qui profitait si bien de ses le?ons; aussi me r?compensait-elle g?n?reusement. >>A cette ?poque, les notables venaient de s'assembler. Les notables ?taient de bons pigeons; Fanchette les plumait, et nous les mangions en commun. Chaque jour c'?taient des bombances ? n'en plus finir. Nous ont-ils fait faire des gueuletons, ces notables, nous en ont-ils fait faire! Sans compter que j'avais toujours le gousset garni! >>Fanchette et moi nous ne nous refusions rien: mais que les instants du bonheur sont courts!... Oh! oui, tr?s-courts! >>Un mois de cette bonne vie s'?tait ? peine ?coul?, que Fanchette et ma payse furent arr?t?es et conduites ? la Force. Qu'avaient-elles fait? je n'en sais rien; mais comme les mauvaises langues parlaient du saut d'une montre ? r?p?tition, moi, qui ne me souciais pas de faire connaissance avec M. le lieutenant g?n?ral de police, je jugeai prudent de ne pas m'en informer. >>Cette arrestation ?tait un coup que nous n'avions pas pr?vu; Fanfan et moi, nous en f?mes att?r?s. Fanchette ?tait si bonne enfant! Et puis, maintenant que devenir, plus de ressources, me disais-je; la marmite est renvers?e; adieu les hu?tres, adieu le Chablis, adieu les petits soins. N'aurait-il pas mieux valu rester ? mon ?tau? De son c?t?, Fanfan se reprochait d'avoir renonc? ? ses brioches. >>Souhaitez-vous de l'or, des perles, des diamants? les chemins en sont pav?s; il n'y a qu'? se baisser pour en prendre, et encore ne vous baissez vous pas, les Sauvages les ramassent pour vous. >>Aimez-vous les femmes? il y en a pour tous les go?ts: vous avez d'abord les n?gresses, qui appartiennent ? tout le monde; viennent ensuite les cr?oles, qui sont blanches comme vous et moi, et qui aiment les blancs ? la fureur, ce qui est bien naturel dans un pays o? il n'y a que des noirs; et remarquez bien qu'il n'est pas une d'elles qui ne soit riche comme un Cr?sus, ce qui, soit dit entre nous, est fort avantageux pour le mariage. >>Avez-vous la passion du vin? c'est comme les femmes, il y en a de toutes les couleurs, du Malaga, du Bordeaux, du Champagne, etc. Par exemple, vous ne devez pas vous attendre ? rencontrer souvent du Bourgogne; je ne veux pas vous tromper, il ne supporte pas la mer, mais demandez de tous les autres crus du globe, ? six blancs la bouteille, vu la concurrence, on sera trop heureux de vous en abreuver. Oui, messieurs, ? six blancs, et cela ne vous surprendrais quand vous saurez que, quelquefois cent, deux cents, trois cents navires tous charg?s de vins, sont arriv?s en m?me temps dans un seul port. Peignez-vous alors l'embarras des capitaines: press?s de s'en retourner, ils d?posent leur cargaison ? terre, en faisant annoncer que ce sera leur rendre service de venir puiser gratis ? m?me les tonneaux. >>Ce n'est pas tout: croyez-vous que ce ne soit pas une grande douceur que d'avoir sans cesse le sucre sous sa main? >>Je ne vous parle pas du caf?, des limons, des grenades, des oranges, des ananas, et de mille fruits d?licieux qui viennent l? sans culture comme dans le Paradis terrestre, je ne dis rien non plus de ces liqueurs des Iles, dont on fait tant de cas, et qui sont si agr?ables, que, sauf votre respect, il semble, en les buvant, que le bon Dieu et les anges vous pissent dans la bouche. >>Si je m'adressais ? des femmes ou ? des enfants, je pourrais leur vanter toutes ces friandises; mais je m'explique devant des hommes. >>Fils de famille, je n'ignore pas les efforts que font ordinairement les parents pour d?tourner les jeunes gens de la voie qui doit les conduire ? la fortune; mais soyez plus raisonnables que les papas et surtout que les mamans. >>Ne les ?coutez-pas, quand ils vous diront que les Sauvages mangent les Europ?ens ? la croque-au-sel: tout cela ?tait bon au temps de Christophe Colomb, ou de Robinson Cruso?. >>Ne les ?coutez-pas, quand ils vous feront un monstre de la fi?vre jaune; la fi?vre jaune? eh! messieurs, si elle ?tait aussi terrible qu'on le pr?tend, il n'y aurait que des h?pitaux dans le pays: et Dieu sait qu'il n'y en a pas un seul? >>Sans doute on vous fera encore peur du climat, je suis trop franc pour ne pas en convenir: le climat est tr?s chaud, mais la nature s'est montr?e si prodigue de rafra?chissements, qu'en v?rit? il faut y faire attention pour s'en apercevoir. >>On vous effraiera de la piq?re des maringouins, de la morsure des serpents ? sonnettes. Rassurez-vous; n'avez-vous pas vos esclaves toujours pr?ts ? chasser les uns? quant aux autres, ne font-ils pas du bruit tout expr?s pour vous avertir? >>J'allais oublier de vous parler des chevaux: des chevaux, messieurs, on ne fait pas un pas sans en rencontrer par milliers;.... on dirait des troupeaux de moutons; seulement ils sont plus gros: ?tes-vous amateurs? voulez-vous vous monter? vous prenez une corde dans votre poche; il est bon qu'elle soit un peu longue; vous avez la pr?caution d'y faire un noeud coulant; vous saisissez l'instant o? les animaux sont ? pa?tre, alors ils ne se doutent de rien; vous vous approchez doucement, vous faites votre choix, et quand votre choix est fait, vous lancez la corde; le cheval est ? vous, il ne vous reste plus qu'? l'enfourcher ou ? l'emmener ? la longe, si vous le jugez ? propos: car notez bien qu'ici chacun est libre de ses actions. >>Le roi veut vous v?tir, le roi veut vous nourrir, il veut vous combler de richesses; en retour, il n'exige presque rien de vous: point de travail, bonne paie, bonne nourriture, se lever et se coucher ? volont?, l'exercice une fois par mois, la parade ? la Saint-Louis; pour celle-l?, par exemple, je ne vous dissimule pas que vous ne pouvez pas vous en dispenser, ? moins que vous n'en ayez obtenu la permission, et on ne la refuse jamais. Ces obligations remplies, tout votre temps est ? vous. Que voulez-vous de plus? un bon engagement? vous l'aurez; mais d?p?chez-vous, je vous en pr?viens; demain peut-?tre il ne sera plus temps; les vaisseaux sont en partance, on n'attend plus que le vent pour mettre ? la voile... Accourez donc, Parisiens, accourez. Si, par hasard, vous vous ennuyez d'?tre bien, vous aurez des cong?s quand vous voudrez: une barque est toujours dans le port, pr?te ? ramener en Europe ceux qui ont la maladie du pays; elle ne fait que ?a. Que ceux qui d?sirent avoir d'autres d?tails viennent me trouver; je n'ai pas besoin de leur dire mon nom, je suis assez connu; ma demeure est ? quatre pas d'ici, au premier r?verb?re, maison du marchand de vin. Vous demanderez M. Belle-Rose. >>Ma situation me rendit si attentif ? ce discours, que je le retins mot pour mot, et quoiqu'il y ait bient?t vingt ans que je l'ai entendu, je ne pense pas en avoir omis une syllabe. >>Il ne fit pas moins d'impression sur Fanfan. Nous ?tions ? nous consulter, lorsqu'un grand escogriffe, dont nous ne nous occupions pas le moins du monde, appliqua une calotte ? Fanfan, et fit rouler son chapeau par terre.--Je t'apprendrai, lui dit-il, Malpot, ? me regarder de travers. Fanfan ?tait tout ?tourdi du coup; je voulus prendre sa d?fense; l'escogriffe leva ? son tour la main sur moi; bient?t nous f?mes entour?s; la rixe devenait s?rieuse; le public prenait ses places; c'?tait ? qui serait aux premi?res. Tout ? coup un individu perce la foule; c'?tait M. Belle-Rose: Eh bien! qu'est-ce qu'il y a? dit-il; et en d?signant Fanfan, qui pleurait, je crois que monsieur a re?u un soufflet: cela ne peut pas s'arranger; mais monsieur est brave, je lis ?a dans ses yeux; cela s'arrangera. Fanfan voulut d?montrer qu'il n'avait pas tort, et ensuite qu'il n'avait pas re?u de soufflet. C'est ?gal, mon ami, r?pliqua Belle-Rose; il faut absolument s'allonger.--Certainement, dit l'escogriffe, cela ne se passera pas comme ?a. Monsieur m'a insult?, il m'en rendra raison; il faut qu'il y en ait un des deux qui reste sur la place. -->>Eh bien! soit, l'on vous rendra raison, r?pondit Belle-Rose; je r?ponds de ces messieurs: votre heure?--La v?tre?--Cinq heures du matin, derri?re l'archev?ch?. J'apporterai des fleurets. >>La parole ?tait donn?e, l'escogriffe se retira, et Belle-Rose frappant sur le ventre de Fanfan, ? l'endroit du gilet o? l'on met l'argent, y fit r?sonner quelques pi?ces, derniers d?bris de notre splendeur ?clips?e: Vraiment, mon enfant, je m'int?resse ? vous, lui dit-il, vous allez venir avec moi; monsieur n'est pas de trop, ajouta-t-il en me frappant aussi sur le ventre, comme il avait fait ? Fanfan. >>M. Belle-Rose nous conduisit dans la rue de la Juiverie, jusqu'? la porte d'un marchand de vin, o? il nous fit entrer. Je n'entrerai pas avec vous, nous dit-il; un homme comme moi doit garder le d?corum; je vais me d?barrasser de mon uniforme, et je vous rejoins dans la minute. Demandez du cachet rouge et trois verres. M. Belle-Rose nous quitta. Du cachet rouge, r?p?ta-t-il en se retournant, du cachet rouge. >>Nous ex?cut?mes ponctuellement les ordres de M. Belle-Rose, qui ne tarda pas ? revenir, et que nous re??mes chapeau bas.--Ah ?a! mes enfants, nous dit-il, couvrez-vous; entre nous, pas de c?r?monies; je vais m'asseoir; o? est mon verre? le premier venu, je le saisis ? la premi?re capucine, . J'avais diablement soif; j'ai de la poussi?re plein la gorge. >>Tout en parlant, M. Belle-Rose lampa un second coup; puis, s'?tant essuy? le front avec son mouchoir, il se mit les deux coudes sur la table, et prit un air myst?rieux qui commen?a ? nous inqui?ter. <
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