Read Ebook: L'Illustration No. 0021 22 Juillet 1843 by Various
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Ebook has 213 lines and 36191 words, and 5 pages
Le lion d'Arabie est la race ? laquelle appartient le lionceau envoy? ? la M?nagerie par le premier m?decin du vice-roi d'?gypte, le docteur Clot, qui, par ses talents, a m?rit? de S. M. le titre de Bey. Non-seulement Clot-Bey honore la France, qui l'a vu na?tre, par les honneurs o? son m?rite l'a port?, mais encore par l'amour qu'il a conserv? pour sa patrie, et par les nombreux t?moignages qu'il ne cesse de lui en donner. C'est ? lui que le Mus?um d'histoire naturelle doit une foule d'animaux africains, tous du plus haut int?r?t pour la France.
Du reste, quand un jeune lion, ? l'?tat sauvage, a saisi une proie, il n'est pas facile de lui faire l?cher prise, et il montre en cela plus de courage et de f?rocit? qu'un vieil animal de son esp?ce. Poiret raconte, dans son voyage en Barbarie, un fait qui en est un exemple remarquable. Un lionceau s'?tait jet? sur une vache, dans un douar pr?s de la Calle. Un Maure, comptant sur sa force athl?tique, s'?lance sur l'animal f?roce, veut l'arracher de sa victime, et pour cela le serre dans ses bras vigoureux, comme s'il e?t voulu l'?touffer; mais il ne put lui faire l?cher prise. Le p?re de l'Arabe arrive arm? d'une hache, d'autres viennent ? son secours, et, malgr? tant d'efforts r?unis, on ne parvint ? arracher le lionceau de dessus sa proie que lorsqu'il eut rendu le dernier soupir.
Le lion, parvenu ? un certain ?ge, devient d'une prudence qui, tr?s-souvent, touche ? la poltronnerie. Jamais il n'attaque l'homme s'il n'en est lui-m?me attaqu?, et la preuve qu'il ne lutte avec lui qu'en d?sespoir de cause, c'est que, si la lutte cesse un instant, il en profite aussit?t pour se retirer. Le naturaliste Thumberg nous en fournira des exemples pleins d'int?r?t. Il dit: <
Nous ne pousserons pas plus loin, quant ? pr?sent, l'histoire g?n?rale du lion. Nous nous bornerons ? dire que presque tous les animaux reconnaissent la sup?riorit? de ses forces. <
Fadh est fort doux, priv? comme un chien, et tr?s-caressant. Il aime la soci?t? de ses gardiens; il re?oit leurs caresses avec un plaisir qu'il t?moigne en remuant, non pas la queue tout enti?re, comme font les chiens, mais seulement l'extr?mit?, ? la mani?re des chats. Il n'est nullement dangereux aussi lui a-t-on accord? une libert? beaucoup plus grande qu'aux animaux f?roces. Sa cage est plac?e dans le b?timent de la m?nagerie, mais pr?s d'une fen?tre par laquelle, lorsque le beau temps le permet, il peut sortir et aller se promener dans un petit parc o? le conduit un couloir garni de paillassons. Notre planche repr?sente ce couloir et le filet dont on a couvert le parc afin que l'animal ne puisse pas franchir les palissades et aller, s'il lui en prenait fantaisie, rendre une visite dangereuse aux gazelles et aux antilopes des parcs voisins.
Le pauvre Fadh n'?tait qu'? demi prisonnier dans son pays et le vieux collier qu'il porte au cou prouve assez que son premier ma?tre, celui qui l'a ?lev? et que sans doute l'animal regrette encore, le conduisait ? la laisse, s'il ne s'en faisait suivre librement. Aussi la bo?te dans laquelle il ?tait renferm? pendant le voyage d'Alexandrie ? Paris le chagrinait beaucoup et ce ne peut ?tre qu'? cela qu'il faut attribuer l'?tat de maigreur au il ?tait lors de son arriv?e. Ce qui me fait croire aussi qu'il n'?tait pas renferm? en ?gypte, c'est qu'il est le seul des carnassiers de l'envoi qui n'ait pas la queue tordue gr?ce aux soins que l'on a pris de lui, une bonne nourriture ? quelques caresse et ? une certaine libert?. Fadh a repris gaiet? et a d?j? beaucoup engraiss?. Aussit?t que l'heure d'ouvrir sa cage est arriv?e, d'un bond il s'?lance par la fen?tre dans son pare; il saute, gambade, se roule et joue comme ferait un jeune chien, surtout lorsque son gardien veut bien avoir l'air de partager sa joie, et lui faire quelques agaceries. Dans peu de temps ce sera probablement une tr?s belle b?te.
Les gu?pards sont de jolis animaux qui se trouvent en Afrique et en Asie. Il ont ordinairement trois pieds et demi de longueur, non compris la queue, et deux pieds de hauteur Fadh n'a pas encore atteint ces proportions, d'o? je conclus qu'il n'a gu?re que quinze ? dix-huit mois, peut-?tre moins; son pelage est, en dessus, d'un fauve clair qui deviendra plus brillant, et d'un blanc pur en dessous; des petites taches noires, rondes et pleines, assez ?galement parsem?es; garnissent toute la partie fauve; les poils du derri?re de sa t?te et de son cou deviendront plus longs, plus laineux, et lui formeront comme une sorte de petite crini?re.
Ces animaux ont environ deux pieds de longueur, non compris la queue; leur museau est un peu moins pointu que celui d'un renard; leurs oreilles sont courtes et arrondies; leur pelage est long, un peu grossier, gris, tachet? et couvert de bandes brunes et noir?tres, avec une crini?re le long de l'?chine; leur queue est brune, moins longue que le corps; la t?te est blanch?tre, except? le tour des yeux, les joues et le menton, qui sont bruns, ainsi que les quatre pattes.
Les deux civettes de la m?nagerie s'irritent facilement quand on les tourmente; alors elles h?rissent leur crini?re, se secouent en grondant, et r?pandent une odeur si violente, qu'? peine peut-on la supporter. Cette esp?ce n'a jamais produit en captivit?, mais on sait qu'elle ne fait ordinairement que deux ou trois petits.
On a toujours cru que cette esp?ce n'habitait que dans l'Inde continentale, ? Pondich?ri et ? Bombay; et cependant les deux individus nouvellement arriv?s viennent d'?gypte! Ont-ils ?t? trouv?s dans cette partie de l'Afrique, ou Clot-Bey les avait-il re?us pr?c?demment de l'Inde? Voil? une question que je ne suis pas en ?tat de r?soudre.
Acad?mie Fran?aise,
S?ANCE PUBLIQUE DU JEUDI 20 JUILLET 1843, PR?SID?E PAR M. FLOURENS, DIRECTEUR.
Le nom de madame Louise Colet, qui avait remport? le prix de po?sie et surtout celui de M. Villemain, qui devait, en sa qualit? de secr?taire perp?tuel, faire le rapport ordinaire sur le concours, avaient r?uni, jeudi dernier, ? l'Institut, une assembl?e brillante. Les bancs de MM. les acad?miciens ?taient au contraire fort d?garnis; on remarquait cependant MM. Ballanche, Royer-Collard, de Jouy, Mignet, Dupaty, qui repr?sentaient presque seuls, au milieu des diff?rentes sections de l'Institut, celle de l'Acad?mie Fran?aise.
Histoire du Monument ?lev? ? Moli?re.
Lorsqu'un grand peuple ?l?ve des statues ? ceux qui l'ont fait grand, il fait quelque chose de plus que d'honorer le g?nie; il consacre sa propre gloire.
Cette cons?cration par la sculpture, de la gloire nationale qui chez les anciens imprimait de nobles id?es ? la multitude, est presque nouvelle en France. Nous reproduisions les h?ros de l'antiquit? et nous n?gligions les n?tres. Aussi le peuple restait-il dans l'ignorance de ses propres vertus; except? les statues de quelques-uns de ses rois, la sculpture ne lui racontait rien de son histoire: les beaux-arts n'avaient point encore personnifi? la France dans ses grands hommes. Cette personnification est de date toute moderne.
Un ?crivain dont les ouvrages sont une source in?puisable d'id?es neuves et patriotiques, Bernardin de Saint-Pierre le premier s'aper?ut de cette ?trange anomalie. Il s'?tonnait, en parcourant nos jardins et nos places publiques, de n'y voir que les images des divinit?s du paganisme, les statues des Grecs et des Romains, et des inscriptions toutes modernes dans une langue morte depuis deux mille ans. <
Frapp? de cet oubli, Bernardin de Saint-Pierre songe ? la r?parer. C'?tait le caract?re de son g?nie; la vue du mal lui donnait l'id?e du bien. Il imagine donc un Elys?e o? s'?l?veraient des monuments consacr?s aux bienfaiteurs du genre humain. Cet Elys?e, il l'embellit de tous les arbres ?trangers apport?s en Europe depuis deux si?cles, et dont les fleurs et les fruits font aujourd'hui nos d?lices. A l'ombre de chaque arbre il place l'image de celui qui nous l'a donn?. L? se trouvent aussi les statues de F?nelon, de La Fontaine, de Racine: on y voit Catinat et Duquesne, Buffon et Linn?, Bernard Palissy, ce pauvre potier qui fut martyr de la science, et Descartes, dont la m?thode a sauv? une seconde fois le monde; enfin toutes les gloires utiles, toutes les infortunes glorieuses, car tel est le sort de l'humanit?, qu'il n'y a pas un monument ?lev? au g?nie et ? la vertu qui ne r?veille le souvenir de quelque grande douleur.
On voit combien cette id?e ?tait f?conde. D'abord elle rappelait les beaux-arts ? leur plus haute mission, celle d'instruire les peuples de leur histoire, et par leur histoire, de la vertu. La statuaire devenait ainsi une ?cole de patriotisme et de sagesse; elle d?veloppait le sentiment du beau, elle vulgarisait l'h?ro?sme et les g?n?reux d?vouements, elle pla?ait dans la m?moire de tout un peuple les images vivantes de ces g?nies aim?s de Dieu qui nous ont vers? l'amour et la lumi?re.
Noble et puissante institution ouverte ? tous les bienfaiteurs des hommes, quels que fussent leur langue et leur pays, et qui faisait de la France le centre moral de l'univers. Le but de Bernardin de Saint-Pierre, en cr?ant cet Elys?e, ?tait donc de personnifier dans tout ce qu'il y avait de grand, non plus un peuple, mais le genre humain. Que les hautes intelligences apparaissent ? l'orient ou ? l'occident, n'importe, les id?es n'ont point de patrie: T?l?maque et l'Esprit des Lois appartiennent ? la France par la langue; ils appartiennent au monde par le bien qu'ils ont fait au monde, et Dieu a voulu que les fruits de la vertu et du g?nie fussent le patrimoine de l'humanit?.
Certes, il y quelque chose de beau dans ce mouvement universel et populaire, car ce ne sont pas seulement les riches cit?s qui se montrent reconnaissantes envers leurs concitoyens: de simples bourgs, de ch?tifs hameaux prennent l'initiative et r?clament leur part de l'honneur national.
Ainsi vient de s'?lever, sur le pont du petit village de Maus?, le buste de Ren? Cailli?, ce jeune paysan qui sans autre lumi?re que son g?nie, sans autre appui que son h?ro?que volont?, apr?s des fatigues inou?es, r?solut la grande question g?ographique du si?cle, par la d?couverte de Tombouctou.
Ainsi s'?l?vera bient?t sur la petite place de Miramont, ombrag?e par les arbres qu'il aimait, la statue de M. Martignac, de ce g?n?reux et brillant orateur, de ce martyr de l'h?ro?sme ?vang?lique, du grand homme qui fit acte de chr?tien en donnant sa vie pour le salut de son ennemi.
Au milieu de cet entra?nement universel, qui le croirait? Paris seul gardait le silence. Ce n'est pas qu'il f?t ingrat, ce n'est pas que le ciel lui eut refus? sa part de beaux g?nies. Un peuple de statues sorties tout ? coup des murs de son H?tel-de-Ville vient aujourd'hui m?me t?moigner de la reconnaissance et de l'intelligence de cette reine des cit?s. C'est son panth?on qu'elle ?l?ve: elle a trouv? dans ses grands hommes la garde d'honneur qui doit veiller ?ternellement aux portes de son palais. Et cependant il y a peu d'ann?es encore, la noble ville se taisait. Occup?e d'?largir ses rues, de planter ses quais, d'?tablir ses trottoirs, de multiplier ses march?s et ses fontaines, absorb?e dans le d?sir bienfaisant de r?pandre partout la salubrit? et la gaiet?, toute par?e de son bien-?tre et de sa magnificence, elle sembla un moment oublier sa gloire. Ni Boileau, ni Voltaire, tous deux n?s dans la cour de la Sainte-Chapelle, o? priait saint Louis, ni Moli?re lui-m?me, le simple enfant de Paris, ?lev? sous les piliers des Halles, ne se pr?sent?rent ? sa m?moire. Alors elle put para?tre ingrate, et elle le fut en effet, mais pour Moli?re seulement; car il faut bien le dire, et comment le dire sans amertume? le monument qu'on lui consacre aujourd'hui est d? plut?t ? une rencontre fortuite, ? un de ces accidents impr?vus qu'on qualifie de hasard, qu'? un mouvement spontan? de reconnaissance nationale.
La reconnaissance ne pouvait manquer, elle se fit jour, mais plus lard; pour ?tre oubli?e d'un conseil municipal, la gloire de Moli?re n'en vivait pas moins dans toutes les ?mes.
Bien plus, des ?crivains du grand si?cle, Moli?re est peut-?tre le seul dont le peuple ait gard? la m?moire. Les autres appartiennent essentiellement au monde instruit et poli; lui, appartient ? tout le monde: il est du peuple, de la bourgeoisie et de la cour, mais il est surtout du peuple. Et comment le peuple l'aurait-il oubli?, lui, l'enfant du peuple le plus gracieux, le plus charmant des amuseurs; le plus profond, le plus joyeux des philosophes? Encore aujourd'hui, apr?s cent soixante-dix ans, n'est-ce pas le seul po?te qui le divertisse, le seul qui l'instruise, le seul qui parle son langage? N'est-il pas son ami, l'ami du peuple, son moraliste, son fou, son sage, son l?gislateur? un l?gislateur qui le fait rire, qui le corrige en l'amusant, le plus joyeux des l?gislateurs, ?lev? ? la toute-puissance par la gr?ce de son g?nie et de sa gaiet?? Voil? ce que les mortels n'ont ?t? appel?s ? voir deux fois ni sur le tr?ne de notre bon Henri IV, ni sur le tr?ne que, suivant la belle expression de Champfort, Moli?re a laiss? vacant.
Si le temps me le permettait, je voudrais dire ici quelle influence Moli?re a exerc?e sur la moralit? et sur les moeurs de la soci?t? enti?re. Il faudrait peindre d'abord les habitudes grossi?res du peuple ? cette ?poque, sa brutalit? sensuelle, son langage cynique, son ?go?sme impudent qui le ravalait au niveau de la b?te; puis, ? c?t? de ce poitrail vigoureux, il faudrait placer le portrait vivant de la classe bien ?lev?e, l? se concentrent les sentiments d?licats, la na?vet? charmante, l'innocence et la pudeur dans leur expression la plus gracieuse. Corneille avait peint l'amour h?ro?que, Moli?re peignit l'amour aimable dans ses caprices, dans ses jeux, dans sa gr?ce, et jusque dans ses emportements. Ses jeunes gens aiment pour le seul plaisir d'aimer, comme si la vie n'?tait rien sans l'amour, comme si l'amour ?tait toute la vie. Tableau charmant qu'il oppose au tableau de l'amour grossier du populaire, faisant rire de l'un, faisant admirer l'autre, corrigeant les premiers par les derniers, et triomphant de tous les vices que peut atteindre son ardente raillerie. On a dit que Moli?re avait ?t? oblig? de former son public. L'?loge est plus grand qu'on ne pense, car on n'a pas vu que former un public ? des chefs-d'oeuvre, c'?tait faire une nation.
Mais ce n'est l? qu'une tr?s-petite partie de Moli?re. Pour le comprendre tout entier, il ne suffit pas de conna?tre ses ouvrages, il faut conna?tre sa vie. Sans cette ?tude pr?liminaire, on ne saurait jamais comment le fils du tapissier, destin? par sa naissance ? meubler les appartements du roi, put devenir un profond philosophe, et un grand po?te comique. Je dis un profond philosophe, car la philosophie ne se concentre pas seulement dans l'?tude des notions abstraites de la pens?e, elle comprend encore la connaissance morale que l'homme a de lui-m?me et celle de ses relations avec ses semblables. La po?sie, au contraire, est le don de tout imiter, de tout sentir et de tout peindre. Elle donne des images ? la pens?e et des ?motions au sentiment; elle est la lumi?re divine qui tombe du ciel sur les oeuvres du g?nie, car je ne saurais d?finir autrement l'inspiration. Le po?te et le philosophe sont donc deux hommes bien caract?ris?s, bien distincts, et ce sont ces deux hommes que l'on retrouve dans Moli?re.
Tel fut le sort de Moli?re. L? s'arr?te sa vie, mais ne s'arr?tent pas les tribulations. L'histoire des monuments consacr?s ? sa m?moire est pleine de vicissitudes et de singularit?s. Ses malheurs continuent en quelque sorte apr?s sa mort, et lorsque les pers?cutions ne peuvent plus s'attacher ? l'homme, elles s'attachent ? sa statue.
Cette statue ne devait s'?lever que bien lard. Mais qu'importe le temps ? une gloire immortelle? Le temps, c'est notre juge, il grandit tout ce qu'il ne tue pas. D'abord il se fit un silence de pr?s de cent ann?es. Le peuple alors n'?tait pas assez instruit pour comprendre ses grands hommes: il riait aux pi?ces de Moli?re, mais sans reconnaissance pour son g?nie. L'id?e ne lui venait pas que le pays p?t devoir quelque chose ? ce farceur qui, rejet? avec ex?cration hors de l'?glise, n'?tait pour les sept huiti?mes de la France qu'un r?prouv?. L'anath?me de Bossuet pesait de tout son poids sur le com?dien, et instruisait le peuple ? le m?priser et ? le maudire. Ce n'?tait donc pas du peuple que devait sortir la voix qui demande justice; il fallait qu'une autorit? ?clatante et puissante se port?t en avant de la multitude. L'impulsion devait venir d'en haut comme la lumi?re, et c'est de l? qu'elle vint en effet. L'Acad?mie Fran?aise prit l'initiative. Les temps ?taient venus, et en 1769, dans un concours public, et solennel, elle appela l'?loge de celui qu'elle regrettait de n'avoir pu compter parmi ses membres. Ah! ce fut un jour glorieux pour le pays que celui o? le premier corps litt?raire de l'Europe, une assembl?e d'hommes ?galement illustres par la vertu et par le g?nie, apr?s une ?tude consciencieuse de la vie et des ouvrages de Moli?re, vint dire ? la France: Cet homme qu'on abreuva de m?pris, cet homme dont on outragea les cendres, nous appelons sur lui la reconnaissance du monde et nous proclamons son ?loge. Les cons?quences morales de ce noble ?lan furent immenses. L'intelligence du pays, repr?sent?e par l'Acad?mie, avait port? son jugement. Elle effa?ait l'ingratitude par l'admiration, et l'anath?me tombait devant l'apoth?me!
En 1778, l'ann?e m?me de la mort de Voltaire, l'Acad?mie, continuant son oeuvre, pla?ait le buste de Moli?re dans le lieu de ses s?ances. Plus tard elle inaugura sa statue et le hasard voulut que la statue de celui qui n'avait pas ?t? jug? digne m?me d'une pri?re, s'?lev?t chr?tiennement ? c?t? de la statue de Bossuet.
En 1778, une maison de la rue de la Tonnellerie fut orn?e du buste de Moli?re. Une inscription indiquait que Moli?re ?tait n? dans cette maison en 1620. C'?tait une double erreur. Moli?re est n? rue Saint-Honor?, pr?s la rue de l'Arbre-Sec, le 15 janvier 1622. Le buste et l'inscription existent encore.
Enfin, un autre buste de Moli?re d?core le foyer de la Com?die-Fran?aise.
Voil? les seuls monuments qui jusqu'? ce jour avaient ?t? consacr?s ? la m?moire de ce grand po?te.
A dater de 1818, plusieurs souscriptions furent, il est vrai, successivement propos?es, mais toutes se perdirent dans les embarras du temps.
Une seulement m?rite d'?tre cit?e, par l'opposition qu'elle ?prouva et qui caract?rise l'?poque. Des artistes et des gens de lettres avaient eu la pens?e d'?lever la statue de Moli?re sur la place de l'Od?on. L'un d'eux, habile sculpteur, M. Galleaux, proposait d'ex?cuter le mod?le gratuitement. Ce projet fut soumis au ministre de l'int?rieur, qui refusa son approbation, <
Enfin le jour de la justice approchait. Le conseil municipal de Paris venait de voter la construction d'une fontaine ? l'angle de la rue Traversi?re et de la rue Richelieu. Personne n'avait song? ? Moli?re, lorsqu'un artiste dramatique, amoureux de son art comme sont tous les artistes sup?rieurs M. R?gnier s'avisa de remarquer, dans une lettre adress?e ? M. de Rambuteau, pr?fet de Paris, que la fontaine dont on venait de d?cider l'?rection se trouvait plac?e ? la proximit? du Th??tre-Fran?ais, et pr?cis?ment en face de la maison ou Moli?re avait rendu le dernier soupir. M. R?gnier, fort de cette double circonstance, terminait en demandant que le monument projet? f?t consacr? ? la m?moire de celui qui fut le p?re de la com?die fran?aise.
Cette lettre, ?crite avec autant de modestie que de contenance trouva partout de la sympathie. M. de Rambuteau prit fait et cause, et devint l'avocat de la ville de Paris aupr?s du conseil municipal, un peu confus de son inadvertance, mais qui, on doit le dire ? sa louange, devint le promoteur le plus z?l? du projet qu'il n'avait pas con?u. Et voil? cependant comme les choses vont en France. Si la maison o? mourut Moli?re ne s'?tait trouv?e en face du carrefour o? la Ville voulait construire une fontaine, et si un acteur de la Com?die-Fran?aise n'avait fait cette remarque, Moli?re serait encore aujourd'hui sans monument.
Note 1:
< < < < < < < Le Pr?fet de la Seine ? M. R?gnier. Paris, 14 mars. < < <
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