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Read Ebook: Abrégé de l'Histoire Générale des Voyages (Tome 5) by La Harpe Jean Fran Ois De

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Ebook has 351 lines and 71977 words, and 8 pages

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>>Lorsque ces mis?rables victimes furent entr?es dans l'enceinte des ?chafauds, six huissiers ? cheval publi?rent leur sentence. Elle portait, <> Alors tous les ex?cuteurs de la justice s'?tant m?l?s avec les gardes, on n'entendit plus qu'un effroyable bruit. Entre les cent quarante femmes, celles qui avaient la force de se soutenir embrassaient leurs compagnes et jetaient la vue sur Nha?-Canatou, qui ?tait assise ? terre, appuy?e sur les genoux d'une vieille femme, et d?j? presque morte; plusieurs lui firent leurs derniers complimens: mais elles furent bient?t saisies par les bourreaux, et pendues sept ? sept par les pieds, c'est-?-dire la t?te en bas. Cet ?trange supplice nous fit entendre pendant quelque temps leurs cris et leurs sanglots, qui furent ?touff?s ? la fin par la chute du sang.

>>Alors Nha?-Canatou fut avertie de s'avancer vers l'instrument de sa mort. Le raulin de Mouna?, qui avait ordre de l'assister particuli?rement, lui adressa quelques discours, qu'elle parut ?couter avec constance. Elle demanda un peu d'eau, qu'on lui apporta; et s'en ?tant rempli la bouche, elle en arrosa ses enfans, qu'elle tenait entre ses bras. Ensuite jetant les yeux sur le bourreau qui se saisissait d'eux, elle lui demanda au nom du ciel de lui ?pargner le spectacle de leur supplice en la faisant mourir la premi?re. Il parut que cette faveur lui fut accord?e, car on lui rendit ses enfans, qu'elle embrassa plusieurs fois pour leur dire le dernier adieu; mais tout d'un coup, penchant la t?te sur les genoux de la femme qui lui servait d'appui, elle y expira, sans aucune autre apparence de mouvement. Les bourreaux, qui s'en aper?urent aussit?t, se h?t?rent de l'attacher au gibet qui lui ?tait destin?. Ils y pendirent en m?me temps ses quatre enfans, deux ? chaque c?t?, et leur m?re au milieu.

>>La nuit suivante, Chamba?na fut jet? dans la mer, une pierre au cou, avec environ soixante des principaux seigneurs du royaume de Martaban, qui ?taient p?res, ou maris, ou fr?res des cent quarante femmes dont nous avions vu l'ex?cution.

>>En effet, je n'attendais que l'heure du supplice. Apr?s le bannissement de mes compagnons, je fus transf?r? dans une prison plus ?loign?e, o? je passai trente-six jours sous le poids de plusieurs cha?nes. Gonzalo renouvelait continuellement ses accusations; et mon chagrin ou ma fiert? ne me permettant pas toujours de r?pondre avec mod?ration, on me fit un nouveau crime du m?pris qu'on me reprocha pour la justice. Je fus condamn?, pour expier cette offense, ? recevoir le fouet par la main des ex?cuteurs publics, et mes ennemis firent d?goutter dans mes plaies une gomme br?lante qui me causa de mortelles douleurs. Cependant quelque ami de la justice ayant repr?sent? au gouverneur que, s'il me faisait ?ter la vie, cette nouvelle irait jusqu'? P?gou, o? tous les Portugais ne manqueraient pas d'en faire leurs plaintes au roi, il se r?duisit ? confisquer tout ce que je poss?dais, et ? me d?clarer esclave du roi. Aussit?t que je fus gu?ri de mes blessures, je fus conduit ? P?gou avec les cha?nes que je n'avais pas cess? de porter; et sur les informations de Bainha-Chaqu?, je fus livr? ? la garde du tr?sorier du roi, nomm? Diosora?, qui ?tait d?j? charg? de six autres Portugais pris les armes ? la main dans un navire de Cananor.

>>Pendant mon esclavage, qui dura l'espace de deux ans et demi, le roi de Brama, poussant ses conqu?tes, attaqua Prom, o? il exer?a les m?mes cruaut?s qu'? Martaban. Il ruina cette ville et d?truisit la famille royale. M?lita?, qui fit une plus longue r?sistance, ne fut pas moins emport? par la violence de cet imp?tueux torrent. De l? il se proposait de faire tomber le poids de ses armes sur le roi d'Ava, qu'il voulait punir d'avoir pens? ? venger le roi de Prom, son gendre; mais apprenant que ce monarque avait fait de puissans pr?paratifs, et s'?tait fortifi? par l'alliance de l'empereur de Pondaleu, prince redoutable, auquel on donnait le titre de siamon, il appr?henda que leurs forces r?unies ne fussent capables d'arr?ter sa fortune. Dans cette id?e, il prit la r?solution d'envoyer un ambassadeur au calaminham, autre puissant prince dont l'empire occupe le centre de cette contr?e, dans une vaste ?tendue, pour l'engager, par ses pr?sens et par l'offre de lui c?der quelques terres voisines de ses ?tats, ? d?clarer la guerre au siamon. Diosora?, entre les mains de qui j'?tais encore avec sept autres Portugais, fut nomm? pour cette ambassade. Il re?ut une infinit? de faveurs ? son d?part; et nous nous trouv?mes heureux nous-m?mes que le roi lui f?t pr?sent de nous pour le servir en qualit? d'esclaves. Il nous avait trait?s jusqu'alors avec affection. L'utilit? qu'il se promit de nos services parut augmenter ce sentiment. Il partit dans une barque suivie de douze b?timens qui portaient trois cents hommes de cort?ge. Les richesses dont il ?tait charg? pour le calaminham montaient ? plus d'un million d'or. Nous f?mes v?tus avec beaucoup de propret?; et la g?n?rosit? de notre nouveau ma?tre pourvut g?n?ralement ? tous nos besoins.

>>Notre voyage et nos observations jusqu'? Timplam, capitale de l'empire de Calaminham, furent une diversion assez agr?able ? mes peines. ? la pagode de Tinagogo, nous f?mes t?moins de plusieurs f?tes qui nous firent admirer tout ? la fois l'aveuglement et la pi?t? de ces peuples. Nous v?mes une infinit? de balances suspendues ? des verges de bronze, o? se faisaient peser les d?vots pour la r?mission de leurs p?ch?s, et le contre-poids que chacun mettait dans la balance ?tait conforme ? la qualit? de ses fautes. Ainsi ceux qui se reprochaient de la gourmandise, ou d'avoir pass? l'ann?e sans aucune abstinence, se pesaient avec du miel, du sucre, des oeufs et du beurre. Ceux qui s'?taient livr?s aux plaisirs sensuels se pesaient avec du coton, de la plume, du drap, des parfums et du vin. Ceux qui avaient eu peu de charit? pour les pauvres se pesaient avec des pi?ces de monnaie; les paresseux avec du bois, du riz, du charbon, des bestiaux et des fruits; les orgueilleux, avec du poisson sec, des balais et de la fiente de vache, etc. Ces aum?nes, qui tournaient au profit des pr?tres, ?taient en si grand nombre, qu'on les voyait rassembl?es en pile. Les pauvres, qui n'avaient rien ? donner, offraient leurs propres cheveux; et plus de cent pr?tres ?taient assis avec des ciseaux ? la main pour les couper. De ces cheveux, dont on voyait aussi de grands monceaux, plus de mille pr?tres rang?s en ordre faisaient des cordons, des tresses, des bagues, des bracelets, que les d?vots achetaient pour les emporter comme de pr?cieux gages de la faveur du ciel.

>>Dans l'?tonnement de ce spectacle, nous en demand?mes l'explication aux pr?tres. Ils nous dirent qu'un calaminham, nomm? Xixivarom M?lita?, qui avait r?gn? glorieusement sur cette monarchie plusieurs si?cles auparavant, s'?tant vu menac? par une ligue de vingt-sept rois, les avait vaincus dans une sanglante bataille, et leur avait enlev? tous leurs dieux: c'?tait cette multitude d'idoles que nous paraissions admirer. Depuis cette grande guerre, les vingt-sept nations ?taient demeur?es tributaires des Calaminhams, et leurs dieux portaient des cha?nes. Il s'?tait r?pandu beaucoup de sang dans un si long espace par les r?voltes continuelles de tant de peuples qui ne pouvaient supporter cette humiliation. Ils ne cessaient pas d'en g?mir; et chaque ann?e ils renouvelaient le voeu qu'ils avaient fait de ne c?l?brer aucune f?te et de n'allumer aucune lumi?re dans leurs temples jusqu'? la d?livrance des objets de leur culte. Cette querelle avait fait p?rir plus de trois millions d'hommes. Ce qui n'emp?chait pas que les Calaminhams ne fissent honorer les dieux qu'ils avaient vaincus, et ne permissent ? leurs anciens adorateurs de venir en p?lerinage dans ce lieu. Nous appr?mes aussi des m?mes pr?tres l'origine du culte que les pa?ens des Indes rendent ? Quia?-Nivandel, dieu des batailles. C'?tait dans un champ nomm? Vitau, que le calaminham, vainqueur des vingt-sept rois, avait d?truit toutes leurs forces. Apr?s le combat, ce dieu s'?tait pr?sent? ? lui, assis dans une chaise de bois, et lui avait ordonn? de le faire reconna?tre pour le dieu des batailles, plus grand que tous les autres dieux du pays. De l? vient que dans les Indes, lorsqu'on veut persuader quelque chose qui para?t au-dessus de la foi commune, on jure par le saint Quia?-Nivandel, dieu des batailles du champ de Vitau.

>>Apr?s qu'on eut laiss? ? l'ambassadeur le temps de se reposer pendant neuf jours, il fut conduit au palais avec des c?r?monies fort extraordinaires. On nous fit traverser quelques salles, et passer de l? par le milieu du jardin, o? les richesses de l'art et de la nature ?taient r?pandues avec une admirable profusion; les all?es ?taient bord?es de balustres d'argent. Tous les parfums de l'Orient paraissaient r?unis dans les arbres et les fleurs. Je n'entreprendrai point la description de l'ordre qui r?gnait dans ce beau lieu, ni celle d'une vari?t? d'objets dont je n'eus la vue qu'un moment; mais tout fut enchantement pour mes yeux. Plusieurs jeunes femmes, aussi ?clatantes par leur beaut? que par la richesse de leur parure, s'exer?aient au bord d'une fontaine, les unes ? danser, d'autres ? jouer des instrumens, quelques-unes ? faire des tresses d'or ou d'autres ouvrages. Nous pass?mes trop rapidement pour ma curiosit? dans une vaste antichambre, o? les premiers seigneurs de l'empire ?taient assis, les jambes crois?es, sur de superbes tapis; ils re?urent l'ambassadeur avec beaucoup de c?r?monie, quoique sans quitter leur place. Au fond de cette antichambre, six huissiers avec leurs masses d'argent nous ouvrirent une porte dor?e, par laquelle on nous introduisit dans une esp?ce de temple.

>>C'?tait enfin la chambre du calaminham: nos premiers regards tomb?rent sur lui. Il ?tait assis sur un tr?ne majestueux, environn? de trois balustres d'or. Douze femmes d'une rare beaut?, assises sur les degr?s du tr?ne, jouaient de diverses sortes d'instrumens, qu'elles accordaient au son de leurs voix. Sur le plus haut degr?, c'est-?-dire autour du monarque, douze jeunes filles ?taient ? genoux avec des sceptres d'or ? la main. Une autre, qui ?tait debout, le rafra?chissait avec un ?ventail. En bas, la chambre ?tait bord?e par cinquante ou soixante vieillards qui portaient des mitres d'or sur la t?te, et qui se tenaient debout contre le mur. En divers endroits, quantit? de belles femmes ?taient assises sur de riches tapis: nous juge?mes qu'elles n'?taient pas moins de deux cents. Apr?s tant de magnifiques spectacles que j'avais vus dans l'Asie, la merveilleuse structure de cette chambre, et la majest? de tout ce qui s'y pr?sentait, ne laiss?rent pas de me causer un v?ritable ?tonnement. L'ambassadeur discourant ensuite avec nous des merveilles de sa r?ception, nous dit qu'il se garderait bien de parler au roi son ma?tre de la magnificence qui environnait la personne du calaminham, dans la crainte de l'affliger en diminuant l'id?e qu'il avait de sa propre grandeur.

>>Les c?r?monies de la salutation, et celles du compliment et de la r?ponse, ne m'offrirent rien dont je n'eusse d?j? vu des exemples; mais il me parut tout-?-fait nouveau qu'apr?s une harangue de cinq ou six lignes et une r?ponse encore plus courte, tout le reste de l'audience f?t employ? en danses, en concerts et en com?dies. Apr?s quelques pr?ludes des instrumens, cette f?te commen?a par une danse de six femmes ?g?es avec de jeunes gar?ons, qui fut suivie d'une autre danse de six vieillards avec six petites filles, bizarrerie que je ne trouvai pas sans agr?ment. Ensuite on joua plusieurs com?dies, qui furent repr?sent?es avec un appareil si riche et tant de perfection, qu'on ne peut rien s'imaginer de plus agr?able. Vers la fin du jour, le calaminham se retira dans ses appartemens int?rieurs, accompagn? seulement de ses femmes.

>>Notre s?jour ? Timplam dura trente-deux jours, pendant lesquels nous f?mes trait?s avec autant de civilit? que d'abondance. Le temps que mes compagnons donnaient ? leurs amusemens, je l'employais avec une satisfaction extr?me ? visiter de somptueux ?difices et des temples qui me ravissaient d'admiration. Je n'en vis pas de plus magnifique que celui de Quia?-Pimpocau, dieu des malades; et j'ai d?j? fait remarquer que la pi?t? de ces peuples se porte en particulier au soulagement des infirmit?s humaines.

>>? l'?gard du calaminham et de son empire, je donnerai d'autant moins d'?tendue ? mes observations, que je veux les resserrer dans les bornes de mes lumi?res.

>>Le royaume de P?gou, qui n'a pas plus de cent quarante lieues de circuit, est environn? par le haut d'une grande cha?ne de montagnes nomm?es Pangacirao, qui sont habit?es par la nation des Bramas, dont le pays a quatre-vingts lieues de largeur sur environ deux cents de longueur. C'est au-del? de ces montagnes qu'il s'est form? deux grandes monarchies, celle du Siamon, et celle du Calaminham. On donne ? la seconde plus de trois cents lieues, dans les deux dimensions de la longueur et de la largeur, et l'on pr?tend qu'elle est compos?e de vingt-sept royaumes, dont tous les habitans n'ont qu'un m?me langage. Nous y v?mes plusieurs belles villes, et le pays nous parut extr?mement fertile. La capitale, qui est la r?sidence ordinaire du calaminham, porte aux Indes le nom de Timplam. Elle est situ?e sur une grande rivi?re nomm?e Bitouy.

>>Le commerce est consid?rable ? Timplam, et s'exerce avec beaucoup de libert? pendant les foires. Elles attirent quantit? d'?trangers qui apportent leurs richesses en ?change de celles du pays, et cette communication y fait trouver toutes sortes de marchandises. On n'y voit point de monnaie d'or ni d'argent. Tout se vend ou s'ach?te au poids des ?changes.

>>La cour est fastueuse; la noblesse, qui est riche et polie, se fait honneur de contribuer par sa d?pense ? la grandeur du monarque. On y voit toujours plusieurs capitaines ?trangers, que le calaminham s'attache par de grosses pensions. Il n'a jamais moins de soixante mille chevaux et de dix mille ?l?phans autour de sa personne. Les vingt-sept royaumes dont l'?tat est compos? sont gard?s par un prodigieux nombre d'autres troupes divis?es en sept cents compagnies, dont chacune doit ?tre form?e, suivant leur institution, de deux mille hommes de pied, de cinq cents chevaux et de quatre-vingts ?l?phans. Le revenu imp?rial monte ? vingt millions d'or, sans y comprendre les pr?sens annuels des princes et des seigneurs. L'abondance est r?pandue dans toutes les conditions. Les gentilshommes sont servis en vaisselle d'argent, et quelquefois d'or. Celle du prince est de porcelaine ou de laiton. Tout le monde est v?tu de satin en ?t?, de damas et de taffetas ray?s, qui viennent de Perse. En hiver ce sont des robes doubl?es de belles peaux. Les femmes sont fort blanches et d'un excellent naturel. En g?n?ral, le caract?re des habitans est si doux, qu'ils connaissent peu les querelles et les proc?s.

>>L'ambassadeur, apr?s avoir re?u des lettres et des pr?sens pour le roi son ma?tre, partit de cette cour le 3 novembre 1556, accompagn? de quelques seigneurs qui avaient ordre de l'escorter jusqu'? Pridor. Ils prirent cong? de lui dans un grand festin. D?s le m?me jour, ayant quitt? cette ville, nous nous embarqu?mes sur la grande rivi?re de Bitouy, d'o? nous pass?mes dans le d?troit de Madur?, et cinq jours de plus nous firent arriver ? Mouchel, premi?re place du royaume de P?gou.

>>Mais, si pr?s du terme, et dans un lieu de la d?pendance du roi de Brama, nous ?tions attendus par un malheur dont nous ne pouvions nous croire menac?s. Un corsaire, nomm? Chalogonim, qui observait peut-?tre notre retour, nous attaqua pendant la nuit et nous traita si mal jusqu'au jour, qu'apr?s nous avoir tu? cent quatre-vingt-dix hommes, entre lesquels ?taient deux Portugais, il enleva cinq de nos douze barques. L'ambassadeur m?me eut le bras gauche coup? dans ce combat, et re?ut deux coups de fl?ches qui firent long-temps d?sesp?rer de sa vie. Nous f?mes bless?s aussi presque tous; et le pr?sent du calaminham fut enlev? dans les cinq barques, avec quantit? de pr?cieuses marchandises. Dans ce triste ?tat, nous arriv?mes trois jours apr?s ? Martaban. L'ambassadeur ?crivit au roi pour lui rendre compte de son voyage et de son infortune. Ce prince fit partir aussit?t une flotte de cent vingt seros, ou barques, qui rencontra le corsaire, et qui le fit prisonnier apr?s avoir ruin? sa flotte. Cent Portugais qui avaient ?t? nomm?s pour cette exp?dition revinrent charg?s de richesses. On comptait alors au service du roi de Brama mille hommes de notre nation, command?s par Antonio de Ferreira, n? ? Bragance, qui recevait du roi mille ducats d'appointemens.

>>Les lettres que ce prince avait re?ues du calaminham lui promettant un ambassadeur qui devait ?tre charg? de la conclusion du trait?, il cessa de compter pour le printemps sur la diversion qu'il avait esp?r?e, et la conqu?te d'Ava fut renvoy?e ? d'autres temps. Mais il fit partir le chamigrem son fr?re avec une arm?e de cent cinquante mille hommes pour faire le si?ge de Savadi, capitale d'un petit royaume, ? cent trente lieues de P?gou, vers le nord. J'?tais de cette exp?dition ? la suite du grand tr?sorier, avec les six Portugais qui me restaient encore pour compagnons d'esclavage. Elle fut si malheureuse, qu'apr?s avoir ?t? repouss? plusieurs fois, le chamigrem, irrit? par ses mauvais succ?s, r?solut de porter la guerre dans les autres parties de l'?tat. Diosora?, dont nous ?tions les esclaves, re?ut ordre d'attaquer avec cinq mille hommes un bourg nomm? Valeutay, qui avait fourni des vivres ? la ville assi?g?e. Cette entreprise n'eut pas plus de succ?s. Nous rencontr?mes en chemin un corps de Savadis, beaucoup plus nombreux, qui taill?rent nos Bramas en pi?ces.

>>Dans cette affreuse d?route, j'eus le bonheur d'?viter la mort avec mes compagnons. Nous pr?mes la fuite ? la faveur des t?n?bres, mais avec si peu de connaissance des chemins, que pendant trois jours et demi nous travers?mes au hasard des montagnes d?sertes. De l? nous entr?mes dans une plaine mar?cageuse, o? toutes nos recherches ne nous firent pas d?couvrir d'autres traces que celles des tigres, des serpens, et d'autres animaux sauvages. Cependant, vers la nuit, nous aper??mes un feu du c?t? de l'est. Cette lumi?re nous servit de guide jusqu'au bord d'un grand lac. Quelques pauvres cabanes, que nous ne p?mes distinguer avant le jour, nous inspir?rent peu de confiance pour les habitans. Ainsi, n'osant nous en approcher, nous demeur?mes cach?s jusqu'au soir dans des herbes fort hautes, o? nous f?mes la p?ture des sangsues. La nuit nous rendit le courage de marcher jusqu'au lendemain. Nous arriv?mes au bord d'une grande rivi?re que nous suiv?mes l'espace de cinq jours. Enfin nous trouv?mes sur la rive une sorte de petit temple ou d'ermitage, dans lequel nous f?mes re?us avec beaucoup d'humanit?. On nous y apprit que nous ?tions encore sur les terres de Savadi. Deux, jours de repos ayant r?par? nos forces, nous continu?mes de suivre la route, comme le chemin le plus s?r pour nous avancer vers les c?tes maritimes. Le jour d'apr?s nous d?couvr?mes le village de Pomis?ra?, dont les ermites nous avaient appris le nom; mais la crainte nous retint dans un bois fort ?pais, o? nous ne pouvions ?tre aper?us des passans. ? minuit nous en sort?mes pour retourner au bord de l'eau. Ce triste et p?nible voyage dura dix-sept jours, pendant lesquels nous f?mes r?duits pour nourriture ? quelques provisions que nous avions obtenues des ermites. Enfin, dans l'obscurit? d'une nuit fort pluvieuse, nous d?couvr?mes devant nous un feu qui ne paraissait ?loign? que de la port?e d'un fauconneau. Nous nous cr?mes pr?s de quelque ville; et cette id?e nous jeta dans de nouvelles alarmes. Mais, avec plus d'attention, le mouvement de ce feu nous fit juger qu'il devait ?tre sur quelque vaisseau qui c?dait ? l'agitation des flots. En effet, nous ?tant avanc?s avec beaucoup de pr?caution, nous aper??mes une grande barque et neuf hommes qui en ?taient sortis pour se retirer sous quelques arbres, o? ils pr?paraient tranquillement leur souper. Quoiqu'ils ne fussent pas fort ?loign?s de la rive o? la barque ?tait amarr?e, nous compr?mes que la lumi?re qu'ils avaient pr?s d'eux, et qui nous les faisait d?couvrir, ne se r?pandant pas sur nous dans les t?n?bres, il ne nous ?tait pas impossible d'entrer dans la barque, et de nous en saisir avant qu'ils pussent entreprendre de s'y opposer. Ce dessein ne fut pas ex?cut? moins promptement qu'il avait ?t? con?u. Nous nous approch?mes doucement de la barque, qui ?tait attach?e au tronc d'un arbre, et fort avanc?e dans la vase. Nous la m?mes ? flot avec nos ?paules, et nous y ?tant embarqu?s sans perdre un moment, nous commen??mes ? ramer de toutes nos forces. Le courant de l'eau et la faveur du vent nous port?rent avant le jour ? plus de dix lieues. Quelques provisions que nous avions trouv?es dans la barque ne pouvaient nous suffire pour une longue route; et nous n'en ?tions pas moins r?solus d'?viter tous les lieux habit?s. Mais une pagode qui s'offrit le matin sur la rive nous inspira plus de confiance. Elle se nommait Hinarel. Nous n'y trouv?mes qu'un homme et trente-sept religieuses, la plupart fort ?g?es, qui nous re?urent avec de grandes apparences de charit?. Cependant nous la pr?mes pour l'effet de leur crainte, surtout lorsque, leur ayant fait diverses questions, elles s'obstin?rent ? nous r?pondre qu'elles ?taient de pauvres femmes qui avaient renonc? aux affaires du monde par un voeu solennel, et qui n'avaient pas d'autre occupation que de demander ? Quia?-Ponveda? de l'eau pour la fertilit? des terres. Nous ne laiss?mes pas de tirer d'elles du riz, du sucre, des f?ves, des ognons et de la chair fum?e, dont elles ?taient fort bien pourvues. Les ayant quitt?es le soir, nous nous abandonn?mes au cours de la rivi?re; et pendant sept jours entiers nous pass?mes heureusement entre un grand nombre d'habitations qui se pr?sentaient sur les deux bords.

>>Mais il plut au ciel, apr?s nous avoir conduits parmi tant de dangers, de retirer tout d'un coup la main qui nous avait soutenus. Le huiti?me jour, en traversant l'embouchure d'un canal, nous nous v?mes attaqu?s par trois barques, d'o? l'on fit pleuvoir sur nous une si grande quantit? de dards, que deux de nos compagnons furent tu?s des premiers coups. Nous ne restions que cinq. Il n'?tait pas douteux que nos ennemis ne fussent des corsaires, avec qui la soumission ?tait inutile pour nous sauver de la mort ou de l'esclavage. Nous pr?mes le parti de nous pr?cipiter dans l'eau, ensanglant?s comme nous l'?tions de nos blessures. Le d?sir naturel de la vie soutint nos forces jusqu'? terre, o? nous e?mes encore le courage de faire quelque chemin pour nous cacher dans les bois. Mais, consid?rant bient?t combien il y avait peu d'apparence de pouvoir r?sister ? notre situation, nous regrett?mes de n'avoir pas fini nos malheurs dans les flots. Deux de nos compagnons ?taient mortellement bless?s. Loin de pouvoir les secourir, le plus vigoureux d'entre nous ?tait ? peine capable de marcher. Apr?s avoir pleur? long-temps notre sort, nous nous tra?n?mes sur le bord de la rivi?re; et ne connaissant plus le danger ni la crainte, nous r?sol?mes d'y attendre du hasard les secours que nous ne pouvions plus esp?rer de nous-m?mes.

>>Nos ennemis avaient disparu; mais le lieu qu'ils avaient choisi pour nous attaquer ?tait tout-?-fait d?sert. Vers la fin du jour, nous v?mes d'assez loin un b?timent qui descendait avec le cours de l'eau. Comme notre ressource n'?tait plus que dans l'humanit? de ceux qui le conduisaient, nous ne form?mes pas d'autre dessein que d'exciter leur compassion par nos cris. Ils s'approch?rent. Dans la confusion des mouvemens par lesquels nous nous effor??mes de les attendrir, un de nous fit quelques signes de croix, qui venaient peut-?tre moins de sa pi?t? que de sa douleur. Aussit?t une femme qui nous regardait attentivement s'?cria d'un ton qui parvint jusqu'? nous: <> et, pressant les matelots d'aborder pr?s de nous, elle fut la premi?re qui descendit avec son mari. C'?tait une P?gouane qui avait embrass? le christianisme, quoique femme d'un pa?en dont elle ?tait aim?e tendrement. Ils avaient charg? ce vaisseau de coton pour l'aller vendre ? Cosmin. Nous re??mes d'eux tous les bons offices de la charit? chr?tienne. Cinq jours apr?s, ?tant arriv?s ? Cosmin, port maritime de P?gou, ils nous accord?rent un logement dans leur maison. Nos blessures y furent pans?es soigneusement; et dans l'espace de quelques semaines nous nous trouv?mes assez r?tablis pour nous embarquer sur un vaisseau portugais qui partait pour le Bengale.

>>En arrivant au port de Chatigam, o? le commerce de notre nation ?tait bien ?tabli, je profitai du d?part d'une fuste marchande qui faisait voile ? Goa. Notre navigation fut heureuse. Je trouvai dans cette ville don Pedro de Faria, mon ancien protecteur, qui avait fini le temps de son administration ? Malacca. Son affection fut r?veill?e par le r?cit de mes infortunes. Il se fit un devoir de conscience et d'honneur de me rendre une partie des biens que j'avais perdus ? son service.

>>La g?n?rosit? de don Pedro n'ayant point assez r?tabli mes affaires pour m'inspirer le go?t du repos, je cherchai l'occasion de faire un nouveau voyage ? la Chine, et de tenter encore une fois la fortune dans un pays o? je n'avais ?prouv? que son inconstance. Je m'embarquai ? Goa dans une jonque de mon bienfaiteur qui allait charger du poivre dans les ports de la Sonde. Nous arriv?mes ? Malacca.

>>Quatre vaisseaux indiens qui entreprirent avec nous le voyage de la Chine nous form?rent comme une escorte, avec laquelle nous arriv?mes heureusement au port de Chincheu. Mais, quoique les Portugais y exer?assent librement leur commerce, nous y pass?mes trois mois et demi dans de continuels dangers. On n'y parlait que de r?volte et de guerre. Les corsaires profitaient de ce d?sordre pour attaquer les vaisseaux marchands jusqu'au milieu des ports. La crainte nous fit quitter Chincheu pour nous rendre ? Chabaqua?: c'?tait nous pr?cipiter dans les malheurs dont nous esp?rions nous garantir. Cent vingt jonques que nous y trouv?mes ? l'ancre nous enlev?rent trois de nos cinq vaisseaux. Le n?tre se garantit par un bonheur qui me causa de l'admiration. Mais les vents d'est qui commen?aient ? s'?lever nous ?tant l'esp?rance d'aborder dans d'autres ports, nous nous v?mes forc?s de reprendre la haute mer, o? nous t?nmes une route incertaine pendant vingt-deux jours. La barre de Camboge, que nous reconn?mes le vingt-troisi?me au matin, ranima notre courage; et nous en approchions dans le dessein de jeter l'ancre, lorsqu'une furieuse temp?te, qui nous surprit ? l'ouest sud-ouest, ouvrit notre quille de poupe. Les plus habiles matelots ne virent pas d'autre ressource que de couper les deux m?ts et de jeter toutes nos marchandises ? la mer. Ce soulagement et quelque apparence de tranquillit? qui commen?ait ? rena?tre sur les flots nous donnaient l'esp?rance d'avancer jusqu'? la barre; mais la nuit qui survint nous ayant oblig?s de nous abandonner sans m?ts et sans voiles aux vents qui soufflaient encore avec un reste de fureur, nous all?mes ?chouer sur un ?cueil, o? le premier choc nous fit perdre dans l'obscurit? soixante-deux personnes.

>>Ce malheur nous jeta dans une si ?trange consternation, que de tous les Portugais il n'y en eut pas un seul ? qui la force du danger f?t faire le moindre mouvement pour se sauver. Nos matelots chinois, plus industrieux ou moins timides, employ?rent le reste de la nuit ? ramasser des planches et des poutres, dont ils compos?rent un radeau qui se trouva fini ? la pointe du jour. Ils l'avaient fait si grand et si solide, qu'il pouvait contenir facilement quarante hommes; et tel ?tait ? peu pr?s leur nombre. Martin Estevez, capitaine du vaisseau, ? qui la lumi?re du jour apprenait qu'il ne restait plus d'autre esp?rance, pria instamment ses propres valets, qui s'?taient d?j? retir?s dans cet asile, de le recevoir parmi eux. Ils eurent l'audace de r?pondre qu'ils ne le pouvaient sans danger pour leur s?ret?. Un Portugais, nomm? Ruy de Moura, qui entendit ce discours, sentit rena?tre son courage avec sa col?re; et se levant quoique assez bless?, il nous repr?senta si vivement combien il ?tait important pour notre vie de nous saisir du radeau, qu'au nombre de vingt-huit comme nous ?tions nous entrepr?mes de l'?ter aux Chinois. Ils nous oppos?rent les haches de fer qu'ils avaient ? la main; mais nous f?mes une ex?cution si terrible avec nos ?p?es, que dans l'espace de trois ou quatre minutes tous nos ennemis furent abattus ? nos pieds. Cependant nous perd?mes seize Portugais dans ce combat, sans compter douze bless?s, dont quatre moururent le jour d'apr?s. Un si triste spectacle me fit faire des r?flexions sur les mis?res de la vie humaine: il n'y avait pas douze heures que nous nous ?tions tous embrass?s dans le navire, et que, nous regardant comme des fr?res, nous ?tions dispos?s ? mourir l'un pour l'autre.

>>Aussit?t que nous f?mes en possession du radeau qui nous avait co?t? tant de sang, chacun s'empressa de s'y placer dans l'ordre qu'Estevez jugea n?cessaire pour nous soutenir contre l'agitation des vagues. Nous ?tions encore trente-huit, en y comprenant nos valets et quelques enfans. Le radeau ne fut pas plus t?t ? flot que, s'enfon?ant sous le poids, nous nous trouv?mes dans l'eau jusqu'au cou, sans cesse oblig?s de nous attacher ? quelque solive que nous tenions embrass?e. Une vieille courte-pointe nous servit de voile; mais ?tant sans boussole, nous flott?mes quatre jours entiers dans cette mis?rable situation. La faim, le froid, la crainte et toutes les horreurs de notre sort faisaient p?rir ? chaque moment quelqu'un de nos compagnons. Plusieurs se nourrirent pendant deux jours du corps d'un N?gre qui ?tait mort pr?s d'eux. Nous f?mes jet?s enfin vers la terre; et cette vue nous causa tant de joie, que, de quinze ? qui le ciel conservait encore la vie, quatre la perdirent subitement. Ainsi nous ne nous trouv?mes qu'au nombre de onze, sept Portugais et quatre Indiens, en abordant la terre dans une plage o? notre radeau glissa heureusement sur le sable.

>>Les premiers mouvemens de notre reconnaissance se tourn?rent vers le ciel, qui nous avait d?livr?s des p?rils de la mer: mais ce ne fut pas sans fr?mir de ceux auxquels nous demeurions expos?s. Le pays ?tait d?sert, et nous v?mes quelques tigres que nous m?mes en fuite par nos cris. Les ?l?phans, qui se pr?sentaient en grand nombre, nous parurent moins dangereux; ils ne nous emp?ch?rent pas de rassasier notre faim avec des hu?tres et d'autres coquillages. Nous en pr?mes notre charge pour traverser les bois qui bordaient la c?te; et dans notre marche nous e?mes recours aux cris pour ?loigner les b?tes f?roces. Apr?s avoir fait quelques lieues dans un bois fort couvert, nous arriv?mes au bord d'une rivi?re d'eau douce, qui nous servit ? satisfaire un de nos plus pressans besoins; mais nous nous cr?mes ? la fin de nos maux en voyant para?tre une barque plate charg?e de bois de charpente. Elle ?tait conduite par huit ou neuf N?gres, dont la figure nous effraya peu, lorsque nous e?mes consid?r? qu'un pays o? l'on b?tissait des ?difices r?guliers ne pouvait ?tre habit? par des barbares. Ils s'approch?rent effectivement de la terre pour nous faire diverses questions. Cependant, apr?s avoir paru satisfaits de nos r?ponses, ils nous d?clar?rent que, pour ?tre re?us ? bord, il fallait commencer par leur abandonner nos ?p?es. La n?cessit? nous for?a de les jeter dans leur barque. Alors ils nous exhort?rent ? nous y rendre ? la nage, parce qu'ils ne pouvaient s'avancer jusqu'? terre. Nous nous dispos?mes ? leur ob?ir. Un Portugais et deux jeunes Indiens se jet?rent dans l'eau pour saisir une corde qu'on nous avait jet?e de la barque; mais ? peine eurent-ils commenc? ? nager, qu'ils furent d?vor?s par trois crocodiles, sans qu'il par?t d'autres restes de leurs corps que des traces de sang dont l'eau fut teinte en divers endroits.

>>J'?tais d?j? jusqu'aux genoux dans la vase avec mes sept autres compagnons. Nous demeur?mes si troubl?s de ce funeste accident, qu'ayant ? peine la force de nous soutenir, les N?gres qui nous virent dans cet ?tat saut?rent ? terre, nous li?rent par le milieu du corps et nous mirent dans leur barque. Ce fut pour nous accabler d'injures et de mauvais traitemens; ensuite ils nous men?rent ? douze lieues de l?, dans une ville nomm? Cherbom, o? nous appr?mes que nous ?tions dans le pays des Papouas. Nous y f?mes vendus ? un marchand de l'?le C?l?bes, sous le pouvoir duquel nous demeur?mes pr?s d'un mois. Il ne nous laissa manquer ni de v?temens, ni de nourriture; mais, sans nous faire conna?tre ses motifs, il nous revendit au roi de Calapa, prince ami des Portugais, qui nous renvoya g?n?reusement au d?troit de la Sonde.>>

Pinto, plus pauvre que jamais, entreprend encore un voyage ? la Chine. Il est t?moin de la ruine du comptoir portugais ? Liampo.

>>Un n?gociant de quelque distinction, nomm? Lancerot-Pereyra, natif de Ponte-de-Lima, ville de Portugal, avait pr?t? une somme consid?rable ? quelques Chinois, qui n?glig?rent leurs affaires jusqu'? se trouver dans l'impuissance de la restituer. Le chagrin de cette perte excita Lancerot ? rassembler quinze ou vingt Portugais aussi d?r?gl?s dans leurs moeurs que dans leur fortune, avec lesquels il prit le temps de la nuit pour se jeter dans le village de Chipaton, ? deux lieues de la ville. Ils y pill?rent les maisons de dix ou douze laboureurs; et s'?tant saisis de leurs femmes et de leurs enfans, ils tu?rent dans ce tumulte treize Chinois qui ne les avaient jamais offens?s. L'alarme fut aussit?t r?pandue dans la province, et tous les habitans firent retentir leurs plaintes. Le mandarin prit des informations dans toutes les r?gles de la justice: elles furent envoy?es ? la cour. Un ordre plus prompt que toutes les mesures par lesquelles on s'?tait flatt? de l'arr?ter, amena au port trois cents jonques, mont?es d'environ soixante mille hommes, qui fondirent sur notre malheureuse colonie. Je fus t?moin que, dans l'espace de cinq mois, ces cruels ennemis n'y laiss?rent pas la moindre chose ? laquelle on p?t donner un nom. Tout fut br?l? ou d?moli. Les habitans, ayant pris le parti de se r?fugier dans les navires et les jonques qu'ils avaient ? l'ancre, y furent poursuivis et la plupart consum?s par les flammes, au nombre de deux mille chr?tiens, parmi lesquels on comptait huit cents Portugais. Notre perte fut estim?e ? deux millions d'or. Mais ce d?sastre en produisit un beaucoup plus grand, qui fut la perte enti?re de notre r?putation et de notre cr?dit ? la Chine.

>>Peu de temps apr?s, d'affreuses nouvelles nous vinrent de Canton. Le 17 du mois d'avril 1556, nous appr?mes que la province de Chan-Si avait ?t? ab?m?e presque enti?rement, avec des circonstances dont le seul r?cit nous f?t p?lir d'effroi. Le premier jour du m?me mois, la terre y avait commenc? ? trembler, vers onze heures du soir, avec beaucoup de violence, et ce mouvement avait dur? deux heures enti?res. Il s'?tait renouvel? la nuit suivante, depuis minuit jusqu'? deux heures, et la troisi?me nuit, depuis une heure jusqu'? trois. Pendant que la terre tremblait, l'agitation du ciel n'?tait pas moins terrible par le d?cha?nement de tous les vents, par le tonnerre, la pluie et tous les fl?aux de la nature. Enfin le troisi?me tremblement avait ouvert une infinit? de passages ? des torrens d'eau qui sortaient ? gros bouillons du sein de la terre avec tant d'imp?tuosit? dans leur ravage, qu'en peu de momens un espace de soixante lieues de tour avait ?t? englouti, sans que d'une multitude infinie d'habitans il se f?t sauv? d'autres cr?atures vivantes qu'un enfant de sept ans, qui fut pr?sent? ? l'empereur comme une merveille du sort. Nous nous d?fi?mes d'abord de la v?rit? de ce d?sastre, et plusieurs d'entre nous le crurent impossible. Cependant, comme il ?tait confirm? par toutes les lettres de Canton, quatorze Portugais r?solurent de passer au continent pour s'en assurer par leurs propres yeux. Ils se rendirent, avec la permission des mandarins, dans la province m?me de Chan-Si, o? la vue d'une r?volution si r?cente ne put les tromper. Leur t?moignage ne laissant plus aucun doute, on tira d'eux ? leur retour une attestation qui fut envoy?e depuis par Fran?ois Toscane, capitaine de notre vaisseau, au roi don Jean de Portugal, et pour derni?re confirmation, elle fut port?e ? la cour de Lisbonne par un pr?tre nomm? Di?go Reinel, qui avait ?t? du nombre des quatorze t?moins. On nous raconta dans la suite, mais avec moins de certitude, quoique ce f?t l'opinion commune, que, pendant les trois jours du tremblement de terre, il avait plu du sang dans la ville de P?kin. Au moins ne p?mes-nous douter que l'empereur et la plupart des habitans n'en fussent sortis pour se r?fugier ? Nankin, et que ce monarque, apr?s avoir fait six cent mille ducats d'aum?nes pour apaiser la col?re du ciel, n'e?t ?lev? un temple somptueux sous le nom d'Hypatican, qui signifie amour de Dieu. Cinq Portugais, qui furent d?livr?s ? cette occasion de la prison de Pocasser, o? ils languissaient depuis vingt ans, nous donn?rent ces informations avant notre d?part.>>

Les Portugais, chass?s de Liampo, s'?taient procur? un autre ?tablissement dans l'?le de Lampacao; c'est l? que Pinto s'embarque encore une fois pour le Japon. Il trouve moyen de s'y rendre agr?able ? l'empereur; il en obtient des pr?sens consid?rables avec lesquels il revient ? Goa; il apportait une lettre du monarque japonais, qui donnait les plus belles esp?rances de commerce et d'?tablissement aux Portugais. Pinto croyait obtenir de grandes r?compenses de ce service. Mais voici comme il termine son r?cit.

>>Fran?ois Baratto, qui avait succ?d? dans cet intervalle au gouvernement g?n?ral des Indes, parut sensible au plaisir de recevoir une lettre et des pr?sens par lesquels il se flatta de faire avantageusement sa cour au roi de Portugal. <>

>>Dans la reconnaissance qu'il eut pour ce service, il me fit des offres que d'autres vues ne me permirent pas d'accepter. Ma fortune, quoique fort ?loign?e de l'opulence, commen?ait ? borner mes d?sirs; et l'ennui du travail s'?tant fortifi? dans mon coeur ? mesure que j'avais acquis la force d'y renoncer, je n'avais plus d'impatience que pour aller jouir dans ma patrie d'un repos que j'avais achet? si cher. Cependant je profitai de la disposition du vice-roi pour v?rifier devant lui, par des attestations et des actes, combien de fois j'?tais tomb? dans l'esclavage pour le service du roi ou de la nation, et combien de fois j'avais ?t? d?pouill? de mes marchandises. Je m'imaginais qu'avec ces pr?cautions les r?compenses ne pouvaient me manquer ? Lisbonne. Don Fran?ois Baratto joignit ? toutes ces pi?ces une lettre au roi, dans laquelle il rendait un t?moignage fort honorable de ma conduite et de mes services. Enfin je m'embarquai pour l'Europe, si content de mes papiers, que je les regardais comme la meilleure partie de mon bien.

>>Une heureuse navigation me fit arriver ? Lisbonne le 22 septembre 1558, dans un temps o? le royaume jouissait d'une profonde paix, sous le gouvernement de la reine Catherine. Apr?s avoir remis ? sa majest? la lettre du vice-roi, j'eus l'honneur de lui expliquer tout ce qu'une longue exp?rience m'avait fait recueillir d'important pour l'utilit? des affaires, et je n'oubliai pas de lui pr?senter les miennes. Elle me renvoya au ministre, qui me donna les plus hautes esp?rances. Mais, oubliant aussit?t ses promesses, il garda mes papiers l'espace de quatre ou cinq ans, ? la fin desquels je n'en trouvai pas d'autre fruit que l'ennui d'un nouveau genre de servitude dans mon assiduit? continuelle ? la cour, et dans une infinit? de vaines sollicitations qui me devinrent plus insupportables que toutes mes anciennes fatigues. Enfin je pris le parti d'abandonner ce proc?s ? la justice divine, et de me r?duire ? la petite fortune que j'avais apport?e des Indes, et dont je n'avais obligation qu'? moi-m?me.>>

Naufrage de Guillaume Bonteko?, capitaine hollandais.

? la suite des aventures de Pinto nous placerons, comme nous l'avons promis, celles de Bonteko?, beaucoup moins merveilleuses et moins vari?es, mais pourtant tr?s-remarquables en ce qu'elles paraissent rassembler toutes les horreurs qui peuvent ?tre la suite d'un naufrage. Le lecteur fr?mira plus d'une fois en ?coutant le r?cit du capitaine hollandais, qui porte tous les caract?res de la v?rit?.

Sa terreur ne l'emp?cha pas de se faire expliquer la cause d'une si vive alarme. On lui raconta que le ma?tre-valet, ?tant descendu l'apr?s-midi, suivant l'usage, pour tirer l'eau-de-vie qui devait ?tre distribu?e le lendemain ? l'?quipage, avait attach? son chandelier de fer aux cercles d'un baril qui ?tait d'un rang plus haut que celui qu'il devait percer. Une ?tincelle, ou plut?t une partie de la m?che ardente ?tait tomb?e justement dans le bondon. Le feu avait pris ? l'eau-de-vie du tonneau, et les deux fonds ayant aussit?t saut?, l'eau-de-vie enflamm?e avait coul? jusqu'au charbon de forge. Cependant on avait jet? quelques cruches d'eau sur le feu, ce qui le faisait para?tre ?teint. Bonteko?, un peu rassur? par ce r?cit, fit verser de l'eau ? pleins seaux sur le charbon, et n'apercevant aucune trace de feu, il remonta tranquillement sur les ponts. Mais les suites de cet ?v?nement devinrent bient?t si terribles, que, pour satisfaire pleinement la curiosit? du lecteur par une description int?ressante, dont les moindres circonstances m?ritent d'?tre conserv?es, il faut que cette peinture paraisse sous les couleurs simples de la nature, c'est-?-dire dans les propres termes de l'auteur.

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>>Enfin, me trouvant forc? de sortir, je dis ? Rol, subr?cargue du b?timent, qu'il me paraissait n?cessaire de jeter la poudre ? la mer. Il ne put s'y r?soudre: <>

>>Cependant le feu ne diminuait pas; et la puanteur de la fum?e, autant que son ?paisseur, ne permettait plus ? personne de demeurer au fond de cale. On prit la hache, et dans l'entrepont, vers l'arri?re, on fit de grands trous par lesquels on jeta une grande quantit? d'eau sans cesser d'en jeter en m?me temps par les ?coutilles. Il y avait trois semaines qu'on avait mis le grand canot ? la mer. On y mit aussi la chaloupe, qui ?tait sur le pont, parce qu'elle causait de l'embarras ? ceux qui puisaient de l'eau. La frayeur ?tait telle qu'on peut se la repr?senter. On ne voyait que le feu et l'eau, dont on ?tait ?galement menac?, et par l'un desquels il fallait p?rir sans aucune esp?rance de secours; car on n'avait la vue d'aucune terre, ni la compagnie d'aucun autre vaisseau. Les gens de l'?quipage commen?aient ? s'?couler; et se glissant de tous c?t?s hors du bord, ils descendaient sous les porte-haubans. De l? ils se laissaient tomber dans l'eau, et nageant vers la chaloupe ou vers le canot, ils y montaient et se cachaient sous les bancs ou sous les couvertes, en attendant qu'ils se trouvassent en assez grand nombre pour s'en aller ensemble.

>>Rol ?tant all? par hasard sur le pont, fut ?tonn? de voir tant de gens dans le canot et dans la chaloupe: ils lui cri?rent qu'ils allaient prendre le large, et l'exhort?rent ? descendre avec eux. Leurs instances et la vue du p?ril lui firent prendre ce parti. En arrivant ? la chaloupe, il leur dit: <> Mais ses ordres et ses repr?sentations n'?taient plus ?cout?s. Aussit?t qu'il fut embarqu?, ils coup?rent l'amarre et s'?loign?rent du vaisseau. Comme j'?tais toujours occup? ? donner mes ordres et ? presser le travail, quelques-uns de ceux qui restaient vinrent me dire avec beaucoup d'?pouvante, <> et courant aussit?t sur le pont, je vis effectivement la manoeuvre des fugitifs. Les voiles du vaisseau ?taient sur le m?t, et la grande voile ?tait sur les cargues. Je criai aux matelots: <>

>>En effet, nous approch?mes d'eux jusqu'? la distance de trois longueurs du vaisseau; mais ils gagn?rent au vent et s'?loign?rent. Je dis alors ? ceux qui ?taient avec moi: <> De mon c?t?, je pris les charpentiers, et je leur ordonnai de faire promptement des trous avec les grandes gouges et les tari?res pour faire entrer l'eau dans le navire jusqu'? la hauteur d'une brasse et demie. Mais ces outils ne purent p?n?trer les bordages, parce qu'ils ?taient garnis de fer.

>>Cet obstacle r?pandit une consternation qui ne peut jamais ?tre exprim?e. L'air retentissait de g?missemens et de cris. On se remit ? jeter de l'eau, et l'embrasement parut diminuer. Mais peu de temps apr?s le feu prit aux huiles. Ce fut alors que nous cr?mes notre perte in?vitable. Plus on jetait d'eau, plus l'incendie paraissait augmenter. L'huile et la flamme qui en sortaient se r?pandaient de toutes parts. Dans cet affreux ?tat, on poussait des cris et des hurlemens si terribles, que mes cheveux se h?rissaient, et je me sentais tout couvert d'une sueur froide.

>>Cependant le travail continuait avec la m?me ardeur. On jetait de l'eau dans le navire, et les poudres ? la mer. On avait d?j? jet? soixante demi-barils de poudre; mais il en restait encore pr?s de trois cents. Le feu y prit, et fit sauter le vaisseau, qui, dans un instant, fut bris? en mille et mille pi?ces. Nous y ?tions encore au nombre de cent dix-neuf. Je me trouvais alors sur le pont, pr?s de l'amure de la grande voile, et j'avais devant les yeux soixante-trois hommes qui puisaient de l'eau. Ils furent emport?s avec la vitesse d'un ?clair; et ils disparurent tellement, qu'on n'aurait pu dire ce qu'ils ?taient devenus: tous les autres eurent le m?me sort.

>>Pour moi, qui m'attendais ? p?rir comme tous mes compagnons, j'?tendis les bras et les mains vers le ciel, et je m'?criai: <> Quoiqu'en me sentant sauter je crusse que c'?tait fait de moi, je conservai n?anmoins toute la libert? de mon jugement, et je sentis dans mon coeur une ?tincelle d'esp?rance. Du milieu des airs je tombai dans l'eau, entre les d?bris du navire qui ?tait en pi?ces. Dans cette situation, mon courage se ranima si vivement, que je crus devenir un autre homme. En regardant autour de moi, je vis le grand m?t ? l'un de mes c?t?s, et le m?t de misaine ? l'autre. Je me mis sur le grand m?t; d'o? je consid?rai tous les tristes objets dont j'?tais environn?. Alors je dis en poussant un profond soupir: <>

>>Je fus quelque temps sans apercevoir aucun homme. Cependant, tandis que je m'ab?mais dans mes r?flexions, je vis para?tre sur l'eau un jeune homme qui sortait du fond, et qui nageait des pieds et des mains. Il saisit la cagouille de l'?peron qui flottait sur l'eau, et dit en s'y mettant: <> Ce jeune homme se nommait Harman van Kuiphuisen, natif d'Eyder. Je vis flotter pr?s de lui un petit m?t. Comme le grand sur lequel j'?tais ne cessait pas de rouler et de tourner, ce qui me causait beaucoup de peine, je dis ? Harman: <> Il fit ce que je lui ordonnais; sans quoi, bris?, comme j'?tais, de mon saut et de ma chute, le dos fracass?, et bless? ? deux endroits de la t?te, il m'aurait ?t? impossible de le joindre. Ces maux, dont je ne m'?tais pas encore aper?u, commenc?rent ? se faire sentir avec tant de force, qu'il me sembla tout d'un coup que je cessais de vivre et d'entendre. Nous ?tions tous deux l'un pr?s de l'autre, chacun tenant au bras une pi?ce de revers de l'?peron; nous jetions la vue de tous c?t?s, dans l'esp?rance de d?couvrir la chaloupe ou le canot; ? la fin, nous les aper??mes, mais fort loin de nous. Le soleil ?tait au bas de l'horizon. Je dis au compagnon de mon infortune: <> Nous nous m?mes en pri?res, et nous obt?nmes gr?ce; car ? peine achevions-nous de pousser nos voeux au ciel que, levant les yeux, nous v?mes la chaloupe et le canot pr?s de nous. Quelle joie pour des malheureux qui se croyaient pr?s de p?rir! Je criai aussit?t: <> Quelques matelots qui m'entendirent se mirent aussi ? crier: <> Ils s'approch?rent des d?bris; mais ils n'osaient avancer davantage, dans la crainte d'?tre heurt?s par les grosses pi?ces. Harman, qui avait ?t? peu bless? en sautant, se sentit assez de vigueur pour se mettre ? la nage, et se rendit dans la chaloupe. Pour moi, je criai: <> Le trompette s'?tant jet? dans la mer avec une ligne de sonde qui se trouva dans la chaloupe, en apporta un bout jusqu'entre mes mains. Je la fis tourner autour de ma ceinture; et ce secours me fit arriver heureusement ? bord: j'y trouvai Rol, Guillaume van Galen, et le second pilote nomm? Meyendert Kryns, qui ?tait de Hoorn. Ils me regard?rent long-temps avec admiration.

>>J'avais fait faire ? l'arri?re de la chaloupe une esp?ce de petite cabane qui pouvait contenir deux hommes. J'y entrai pour y prendre un peu de repos; car je me sentais si mal, que je ne croyais pas avoir beaucoup de temps ? vivre. J'avais le dos bris?, et je souffrais mortellement des deux trous que j'avais re?us ? la t?te. Cependant je dis ? Rol: <> On s'?tait sauv? avec tant de pr?cipitation, qu'on ?tait presque sans vivres. ? l'?gard des boussoles, le premier pilote, qui soup?onnait la plupart des gens de l'?quipage de vouloir abandonner le navire, les avait ?t?es de l'habitacle; ce qui n'avait pu arr?ter l'ex?cution de leur projet, ni l'emp?cher lui-m?me de p?rir.

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