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Read Ebook: Histoire de la prostitution chez tous les peuples du monde depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours tome 1/6 by Jacob P L

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Ebook has 105 lines and 101040 words, and 3 pages

La pr?f?rence que les Ath?niens de distinction accordaient ? ces femmes-l? sur leurs femmes l?gitimes, cette pr?f?rence ne se con?oit que trop, quand on compare les unes aux autres, quand on se rend compte du d?senchantement qui accompagnait presque toujours les relations intimes d'un mari avec sa femme. Ce qui faisait le prestige d'une h?taire aurait fait la honte d'une femme mari?e; ce qui faisait la gloire de celle-ci e?t fait le ridicule de celle-l?. L'une repr?sentait le plaisir, l'autre le devoir; l'une appartenait ? l'int?rieur de la maison, et l'autre au dehors. Elles rest?rent toutes deux dans les limites ?troites de leur r?le, sans vouloir empi?ter alternativement sur leur domaine r?ciproque. Le vieux po?te Simonide s'est plu ? faire le portrait de la femme de bien, qu'il suppose issue de l'abeille: <> Or, ces occupations consistaient en soins de m?nage, en travaux d'aiguille, en fonctions d'?pouse, de nourrice ou de m?re. Simonide compte neuf autres esp?ces de femmes, qu'il suppose cr??es avec les ?l?ments du pourceau, du renard, du chien, du singe, de la jument, du chat et de l'?ne: c'?tait, selon ce grossier satirique, dans ces diverses esp?ces qu'il fallait chercher les h?taires.

Les h?taires avaient donc d'invincibles avantages sur les femmes mari?es: elles ne paraissaient qu'? distance, il est vrai, dans les c?r?monies religieuses; elles ne participaient point aux sacrifices, elles ne donnaient pas le jour ? des citoyens; mais combien de compensations douces et fi?res pour leur vanit? de femme! Elles faisaient l'ornement des jeux solennels, des exercices guerriers, des repr?sentations sc?niques; elles seules se promenaient sur des chars, par?es comme des reines, brillantes de soie et d'or, le sein nu, la t?te d?couverte; elles composaient l'auditoire d'?lite dans les s?ances des tribunaux, dans les luttes oratoires, dans les assembl?es de l'Acad?mie; elles applaudissaient Phidias, Apelles, Praxit?le et Zeuxis, apr?s leur avoir fourni des mod?les inimitables; elles inspiraient Euripide et Sophocle, M?nandre, Aristophane et Eupolis, en les encourageant ? se disputer la palme du th??tre. Dans les occasions les plus difficiles, on ne craignait pas de se guider d'apr?s leurs conseils; on r?p?tait partout leurs bons mots, on redoutait leur critique, on ?tait avide de leurs ?loges. Malgr? leurs moeurs habituelles, malgr? le scandale de leur m?tier, elles rendaient hommage aux belles actions, aux nobles ouvrages, aux grands caract?res, aux talents sublimes. Leur bl?me ou leur approbation ?tait une r?compense ou un ch?timent, qu'on ne d?tournait pas ais?ment de la v?rit? et de la justice. Leur charmant esprit, cultiv? et fleuri, cr?ait autour d'elles l'?mulation du beau et la recherche du bien, r?pandait les le?ons du go?t, perfectionnait les lettres, les sciences et les arts, en les illuminant des feux de l'amour. L? ?tait leur force, l? ?tait leur s?duction. Admir?es et aim?es, elles excitaient leurs adorateurs ? se rendre dignes d'elles. Sans doute elles ?taient les causes fl?trissantes de bien des d?bauches, de bien des prodigalit?s, de bien des folies; quelquefois elles amollissaient les moeurs, elles d?gradaient certaines vertus publiques, elles affaiblissaient les caract?res et d?pravaient les ?mes; mais en m?me temps elles donnaient de l'?lan ? de g?n?reuses pens?es, ? des actes honorables de patriotisme et de courage, ? des oeuvres de g?nie, ? de riches inventions de po?sie et d'art.

Si les philosophes n'avaient pas la force d'?me de r?sister aux attraits d'une courtisane, on ne doit pas s'?tonner que les plus grands hommes de la Gr?ce aient c?d? ?galement ? leurs s?ductions. On en citerait bien peu qui soient rest?s ma?tres d'eux-m?mes en pr?sence de tous les enchantements de la beaut?, de la gr?ce, de l'instruction et de l'esprit. Les rois aussi mettaient leur diad?me aux pieds de ces dominatrices charmantes, ? l'instar de Gyg?s, roi de Lydie, qui pleurant une courtisane lydienne, qu'il jugeait incomparable, lui fit ?lever un tombeau pyramidal si ?lev? qu'on l'apercevait de tous les points de ses ?tats. Parmi les rois que les courtisanes grecques subjugu?rent avec le plus d'adresse, nous avons d?j? cit? les Ptol?m?es d'?gypte. Alexandre le Grand, qui emmenait avec lui, dans ses exp?ditions, l'Ath?nienne Tha?s, semblait avoir l?gu? avec son vaste empire ? ses successeurs le go?t des h?taires grecques et des joueuses de fl?te ioniennes. Quelques-unes de ces favorites, plus habiles ou plus heureuses que leurs concurrentes, r?ussirent ? se faire ?pouser. Ainsi, apr?s la mort d'Alexandre, Tha?s, qu'il avait presque divinis?e en l'aimant, se maria avec un de ses g?n?raux, Ptol?m?e, qui fut roi d'?gypte, et qui eut d'elle trois enfants. Les h?taires cependant n'?taient pas aptes ? fournir une nombreuse prog?niture; la plupart restaient st?riles. L'histoire mentionne n?anmoins plusieurs hommes illustres qui eurent pour m?res des courtisanes: Phil?taire, roi de Pergame, ?tait fils de Boa, joueuse de fl?te paphlagonienne; le g?n?ral ath?nien Timoth?e, fils d'une courtisane de Thrace; le philosophe Bion, fils d'une h?taire de Lac?d?mone, et le grand Th?mistocle, fils d'Abrotone, dict?riade tax?e ? une obole.

Sans doute, la po?tesse Sapho, n?e d'une famille distingu?e de Lesbos, et poss?dant une fortune honorable, ne se prostituait pas ? prix d'argent, mais elle tenait une ?cole de Prostitution, o? les jeunes filles de son gyn?c?e apprenaient de bonne heure un emploi extra-naturel de leurs charmes naissants. On a voulu inutilement r?habiliter les moeurs et la doctrine de Sapho: il suffit de la fameuse ode, qui nous est rest?e parmi les fragments de ses po?sies, pour d?montrer aux plus incr?dules que, si Sapho n'?tait pas hermaphrodite, elle ?tait du moins tribade. Cette ode, ce chef-d'oeuvre de la passion hyst?rique, retrace la fi?vre br?lante, l'extase, le trouble, les langueurs, le d?sordre et m?me la derni?re crise de cette passion, plus d?lirante, plus effr?n?e que tous les autres amours. On ignore le nom de la Lesbienne ? qui est adress?e l'ode saphique, dont le froid Boileau Despr?aux a rendu le mouvement et le coloris avec plus de chaleur et d'art que ses nombreux concurrents:

Heureux qui pr?s de toi pour toi seule soupire, Qui jouit du plaisir de t'entendre parler, Qui te voit quelquefois doucement lui sourire! Les dieux, dans son bonheur, peuvent-ils l'?galer?

Je sens de veine en veine une subtile flamme Courir par tout mon corps, sit?t que je te vois; Et dans les doux transports o? s'?gare mon ?me, Je ne saurais trouver de langue ni de voix.

Un nuage confus se r?pand sur ma vue, Je n'entends plus, je tombe en de molles langueurs; Et p?le, sans haleine, interdite, ?perdue, Un frisson me saisit, je tombe, je me meurs!

L'?cole de Sapho, par bonheur pour l'esp?ce humaine, ne fut toutefois qu'une exception qui ne pouvait pr?valoir contre le v?ritable amour. L'h?taire L??na, la philosophe, qu'on ne confondra point avec la favorite de D?m?trius Poliorc?te, n'avait pas ?t? pervertie par l'esprit de contradiction des Lesbiennes; elle exer?ait franchement et honorablement son m?tier de courtisane ? Ath?nes; elle ?tait l'amie, la ma?tresse d'Harmodius et d'Aristogiton; elle conspira avec eux contre le tyran Pisistrate et son fils Hippias, 514 ans avant l'?re moderne. On s'empare d'elle, on la met ? la torture, on veut qu'elle nomme ses complices, et qu'elle r?v?le le secret de la conspiration; mais elle, pour ?tre plus s?re de garder ce secret, se coupe la langue avec ses dents et la crache au visage de ses bourreaux. On croit qu'elle p?rit dans les tourments. Les Ath?niens, pour honorer sa m?moire, lui ?lev?rent un monument, repr?sentant une lionne sans langue, en airain, qui fut plac? ? l'entr?e du temple dans la citadelle d'Ath?nes. Ce n'est pas le seul acte de courage et de fiert? que pr?sentent les annales des courtisanes grecques. Une autre philosophe, Cl?onice, h?taire de Byzance, s'?tait fait conna?tre par sa beaut? et par divers ?crits de morale. Ce fut sa r?putation qui la d?signa aux pr?f?rences de Pausanias, fils du roi de Sparte Cl?ombrote. Ce g?n?ral demanda qu'on lui envoy?t cette belle philosophe, pour le distraire des fatigues de la guerre. Cl?onice arriva au camp, la nuit, pendant que Pausanias dormait: elle ne voulut point qu'on l'?veill?t; elle fit seulement ?teindre les lampes qui veillaient aupr?s du g?n?ral endormi, et elle s'avan?a dans les t?n?bres vers la couche du prince, qui, r?veill? en sursaut par le bruit d'une lampe qu'elle renverse, croit ? la pr?sence d'un assassin, saisit son poignard et le lui plonge dans le sein. Depuis cette fatale m?prise, chaque nuit lui faisait revoir le fant?me de Cl?onice qui lui reprochait ce meurtre involontaire; il la conjurait en vain de s'apaiser et de lui pardonner; elle lui annon?a qu'il ne serait d?livr? de cette sanglante apparition qu'en revenant ? Sparte. Il y revint, mais pour y mourir de faim dans le temple de Minerve, o? il s'?tait r?fugi?, afin d'?chapper ? la vengeance de ses concitoyens qui l'accusaient de trahison .

L'?re des courtisanes avait commenc? en Gr?ce ? l'?poque o? Cl?onice alliait les s?ductions de l'amour aux enseignements de la philosophie. Une autre philosophe de la m?me esp?ce, Tharg?lie, de Milet, avait ?t? charg?e d'une mission aussi difficile que d?licate par Xerx?s, roi de Perse, qui m?ditait la conqu?te de la Gr?ce: cette h?taire, aussi remarquable par son esprit et son instruction, que par sa beaut? et ses gr?ces, servait d'instrument politique ? Xerx?s; elle devait lui gagner les principales villes grecques, en inspirant de l'amour aux chefs qui les d?fendaient; elle r?ussit, en effet, dans cette premi?re partie de sa galante mission: elle captiva successivement quatorze chefs, qui furent ses amants sans vouloir ?tre les serviteurs du roi de Perse. Celui-ci, en p?n?trant dans la Gr?ce par le passage des Thermopyles, se vit oblig? d'emporter d'assaut les villes dont Tharg?lie croyait lui avoir assur? la possession. Tharg?lie s'?tait fix?e ? Larisse, et le roi de Thessalie l'avait ?pous?e: elle cessa d'?tre h?taire, mais elle resta philosophe. La haute destin?e de cette courtisane excita l'ambition d'une autre Mil?sienne, qui l'?clipsa bient?t dans la carri?re des lettres et de la fortune. Aspasie, originaire de Milet, comme Tharg?lie, apr?s avoir ?t? dict?riade ? M?gare, ?pousa P?ricl?s, l'illustre chef de la r?publique d'Ath?nes.

Aspasie ne manifesta jamais mieux son pouvoir sur l'esprit de P?ricl?s qu'en obtenant de lui qu'il d?clar?t la guerre aux Samiens, puis aux M?gariens. Dans ces deux guerres, elle accompagna son mari et ne se s?para point de sa maison d'h?taires. La guerre de Samos ne fut pour elle qu'un souvenir d'int?r?t ? l'?gard de sa ville natale: Aspasie ne voulut pas que les Samiens, qui ?taient alors en lutte avec les Mil?siens, s'emparassent de Milet; elle promit du secours ? ses compatriotes et elle leur tint parole. Quant ? la guerre de M?gare, la cause en ?tait moins honorable. Alcibiade, ayant entendu vanter les charmes de Simoethe, courtisane de M?gare, se rendit dans cette ville avec quelques jeunes libertins, et ils enlev?rent Simoethe en disant qu'ils agissaient pour le compte de P?ricl?s. Les M?gariens us?rent de repr?sailles et firent enlever aussi deux h?taires de la maison d'Aspasie. Celle-ci se plaignit am?rement, et voici la guerre d?clar?e. Cette guerre de M?gare fut le commencement de celle du P?lopon?se. Aspasie, par sa pr?sence et par l'aimable concours de ses filles, entretint le courage des capitaines de l'arm?e; pendant le si?ge de Samos surtout, les h?taires ne ch?m?rent pas, et elles firent de si ?normes b?n?fices, qu'elles remerci?rent V?nus en lui ?levant un temple aux portes de cette ville, qui n'avait pas r?sist? longtemps ? l'arm?e de P?ricl?s. Cette double guerre, qui co?tait, si glorieuse qu'elle f?t, beaucoup de sang et d'argent, augmenta le nombre des ennemis d'Aspasie et accrut leur acharnement. Les femmes honn?tes, irrit?es de se voir pr?f?rer des courtisanes qui savaient mieux plaire, reproch?rent vivement ? Aspasie et ? ses compagnes de d?baucher les hommes, et de faire tort aux amours l?gitimes. Aspasie rencontra la femme de X?nophon, qui criait plus haut que les autres; elle l'arr?ta par le bras et lui dit en souriant: <> La femme de X?nophon ne r?pondit rien et s'enveloppa dans les plis de son voile.

Les pythagoriciens ?taient du moins, en d?pit des pr?ceptes de Socrate, mieux v?tus et mieux lav?s; les h?taires qui se consacraient ? ces philosophes et qui leur pr?taient une aide d?vou?e, n'avaient rien de repoussant dans leur toilette, et ? travers les soins de la philosophie, elles prenaient le temps de soigner les choses mat?rielles. Ces h?taires ne faisaient pas fi du luxe, principalement celles de la secte d'?picure. Avant lui, Stilpon, philosophe de M?gare, au milieu du quatri?me si?cle avant J?sus-Christ, avait introduit aussi les h?taires dans la secte des sto?ciens, quoique cette secte regard?t la vertu comme le premier des biens. Stilpon commen?a par ?tre d?bauch? et il en conserva toujours quelque chose, alors m?me qu'il recommandait ? ses disciples de tenir en bride leurs passions: le fond de sa doctrine ?tait l'apathie et l'immobilit?. Sa ma?tresse Nicar?te, qu'il faut distinguer d'une courtisane du m?me nom, m?re de la fameuse N??ra, protestait contre cette doctrine et partageait ses moments entre les math?matiques et l'amour. N?e de parents honorables qui lui donn?rent une belle ?ducation, elle fut passionn?e pour les probl?mes de la g?om?trie et elle ne refusait pas ses faveurs ? quiconque lui proposait une solution alg?brique. Stilpon ne lui apprit que la dialectique; d'autres lui enseign?rent les propri?t?s des grandeurs qui font l'objet des math?matiques; Stilpon s'enivrait et dormait souvent; les autres n'en ?taient que plus ?veill?s. Une secte philosophique qui avait des h?taires pour lui faire des partisans, ne manquait jamais de r?ussir. Si la math?maticienne Nicar?te rendit des services multipli?s aux sto?ciens, Phil?nis et L?ontium ne furent pas moins utiles aux ?picuriens. Phil?nis, disciple et ma?tresse d'?picure, ?crivit un trait? sur la physique et sur les atomes crochus. Elle ?tait de Leucade, mais elle n'en fit pas le saut, car elle n'avait point ? se plaindre de la froideur de ses amants. Elle eut ? sa disposition la jeunesse d'?picure; L?ontium ne connut ce philosophe que dans sa vieillesse: il ne l'en aima que davantage, et elle ?tait bien embarrass?e de lui rendre amour pour amour. <> Diog?ne-Laerce n'a malheureusement cit? que ce d?but ?pistolaire. Quant aux lettres de L?ontium, on n'en a qu'une seule, adress?e ? son amie Lamia, et l'on peut juger, d'apr?s cette lettre, que le vieil ?picure avait plus d'un rival pr?f?r?. Ses soup?ons et sa jalousie n'?taient donc que trop justifi?s. L?ontium admirait le philosophe et abhorrait le vieillard.

<> ?picure est jaloux, avec raison, d'un de ses disciples, de Timarque, jeune et beau C?phisien, que L?ontium lui pr?f?re ? juste titre. <> ?picure n'est pas moins g?n?reux, mais il n'en est pas plus aimable et il est cent fois plus jaloux; car, si Timarque souffre sans se plaindre la rivalit? de son ma?tre, celui-ci ne peut lui pardonner d'?tre jeune, beau et aim?. ?picure charge donc ses disciples favoris Hermaque, Metrodore, Polienos, de surveiller les deux amants et de les emp?cher de se joindre. <> Mais le barbon ne veut rien entendre: il exige qu'on n'aime que lui: <> L?ontium demande un asile ? Lamia, pour se mettre ? l'abri des fureurs et des tendresses d'?picure.

Sa fille Dana? ne mourut pas en courtisane: elle ?tait devenue la concubine de Sophron, gouverneur d'?ph?se, sans abandonner pour cela la philosophie de sa m?re et de son p?re. Sophron l'aimait ?perdument, et Laodic?e, femme de Sophron, ne fut pas jalouse d'elle; au contraire, elle en fit son amie et sa confidente: elle lui confia un jour qu'elle avait remis ? des assassins le soin de les d?livrer toutes deux ? la fois d'un mari et d'un amant. Dana? s'en alla tout r?v?ler ? Sophron, qui n'eut que le temps de s'enfuir ? Corinthe. Laodic?e, furieuse de voir sa victime lui ?chapper, se vengea sur Dana? et ordonna qu'elle f?t pr?cipit?e du haut d'un rocher. Dana?, en mesurant la profondeur du pr?cipice dans lequel on allait la jeter, s'?cria: <>

Telles furent les principales philosophes qui ont fait partie des h?taires grecques et qui donn?rent un prestige de science, un attrait d'esprit, une raison d'?tre, aux faits et gestes de la Prostitution; elles s'?lev?rent au rang des ma?tres de la philosophie, par la parole et par le style: leur gloire rejaillit sur l'innombrable famille des courtisanes qui, en fr?quentant des po?tes et des philosophes, ne devenaient pas toutes philosophes et po?tes elles-m?mes. Platon eut Arch?anasse de Colophon; M?n?clide, Bacchis de Samos; Sophocle, Archippe; Antagoras, B?dion, etc.; mais ces h?taires se content?rent de briller dans les choses de leur profession et ne cherch?rent pas ? s'approprier le g?nie de leurs amants, comme Prom?th?e le feu sacr?. Po?tes et philosophes ? l'envi chant?rent les louanges des courtisanes.

Presque tous les grands hommes de la Gr?ce s'attach?rent, comme P?ricl?s, au char des courtisanes; chaque orateur, chaque po?te eut sa famili?re; mais, quoique les h?taires, qui s'adonnaient ainsi aux lettres et ? l'?loquence, n'eussent pour mobile d'int?r?t que l'amour de la c?l?brit?, elles furent souvent tromp?es dans leur attente, et leurs amants ne les ont c?l?br?es que dans des ouvrages qui survivaient peu ? la circonstance, ou qui du moins ne sont pas venus jusqu'? nous. Il ne reste donc que bien peu de d?tails sur ces h?taires que les noms illustres de leurs adorateurs nous recommandent assez, mais qui ont peut-?tre trop n?glig? de se recommander par elles-m?mes, par leurs gr?ces et par leur esprit. Il semble que les hommes ?minents qui ne rougissaient pas de les aimer et de se tra?ner ? leurs pieds publiquement, aient craint de se compromettre vis-?-vis de la post?rit? en se faisant les trompettes de la Prostitution et des vices qui en d?coulent. Il est possible aussi que les ma?tresses choisies par les ma?tres de la litt?rature grecque n'eussent pas d'autre m?rite que l'honneur de ce choix et leur beaut? mat?rielle; ce n'est pas d'aujourd'hui que les gens d'esprit ont donn? la pr?f?rence aux belles statues, et se sont moins pr?occup?s des sentiments que des sensations; or, chez les Grecs, comme nous l'avons d?j? dit, la femme ?tait surtout remarquable par la perfection des formes, et son corps harmonieux avait seul plus de s?ductions muettes que l'esprit et le coeur n'en eussent pu mettre dans sa voix et dans son entretien. Nous en conclurons que les amantes des po?tes, des orateurs et des savants, n'?taient que belles et voluptueuses.

L'aimable Arch?anasse a m?rit? ma foi; Elle a des rides, mais je voi Une troupe d'Amours se jouer dans ses rides. Vous qui p?tes la voir avant que ses appas Eussent du cours des ans re?u ces petits vides, Ah! que ne souffr?tes-vous pas?

Plangone fut moins c?l?bre par ses moeurs hippiques que par sa rivalit? avec Bacchis. Cette belle h?taire de Samos, la plus douce et la plus honn?te des courtisanes, avait pour amant Procl?s de Colophon. Ce jeune homme rencontra Plangone et oublia Bacchis; mais Plangone, sachant quelle ?tait sa rivale, ne voulut pas ?couter d'abord les tendres supplications de Procl?s, qui lui offrait de tout sacrifier pour elle, m?me Bacchis: <> Ce collier de perles n'avait pas de pareil au monde: les reines d'Asie l'enviaient ? la courtisane, qui le portait jour et nuit. Procl?s, d?sesp?r?, s'en alla trouver Bacchis, lui avoua en pleurant qu'il se mourait d'amour, et que Plangone, par d?rision sans doute, ne lui laissait aucun espoir, ? moins qu'il n'e?t le collier de Bacchis ? donner en ?change de ce qu'il demandait. Bacchis d?tacha en silence son collier et le mit dans les mains de Procl?s; celui-ci, ?perdu, ind?cis, fut au moment de le rendre en se jetant aux genoux de sa noble ma?tresse; mais la passion l'emporta; il se leva en tremblant et s'enfuit comme un voleur avec le collier: <> Les deux courtisanes con?urent r?ciproquement beaucoup d'estime l'une pour l'autre, et se li?rent d'une si ?troite amiti?, qu'elles mirent en commun jusqu'? l'amant et le collier. Quand on voyait Procl?s entre ses deux ma?tresses, on disait: <>

Le po?te M?nandre, dont les com?dies n'?taient pas des satires comme celles d'Aristophane, fut mieux accueilli par les courtisanes. Lamia et Glyc?re se disput?rent successivement la gloire de le poss?der et de le fixer; l'une, ma?tresse de D?m?trius Poliorc?te; l'autre, d'Harpalus de Pergame. On a compendieusement dissert? pour savoir s'il devan?a ces deux princes dans les bonnes gr?ces de leurs favorites. <> Glyc?re aimait v?ritablement M?nandre, et celui-ci en fut tellement ?pris que, pour ne pas la quitter, il refusa les offres brillantes du roi d'?gypte Ptol?m?e, qui cherchait en vain ? l'attacher ? sa personne. <> M?nandre pr?f?re l'amour de Glyc?re ? toutes les joies de l'ambition, ? toutes les splendeurs de la fortune: il enverra donc ? sa place chez Ptol?m?e le po?te Phil?mon: <> s'?crie-t-il avec tendresse. Glyc?re, touch?e de cette preuve de solide affection, essaie pourtant de d?cider M?nandre ? accepter les propositions du roi d'?gypte: elle ne veut pas ?tre en reste de g?n?rosit?, elle le suivra partout, elle ira s'?tablir avec lui dans Alexandrie; mais elle triomphe au fond du coeur, elle se r?jouit de l'avoir emport? sur Ptol?m?e: <> On ne croirait pas que c'est une courtisane qui sait trouver ces d?licatesses de sentiments, et l'on en doit conclure que l'amour ne dure pas moins longtemps chez une vieille courtisane que chez une jeune vestale. Avant d'aimer M?nandre, Glyc?re avait ?t? royalement entretenue par Harpalus, un des plus riches officiers d'Alexandre le Grand; mais, en revanche, Lamia avait quitt? M?nandre pour entrer dans la couche royale de D?m?trius Poliorc?te.

Une des plus renomm?es parmi les h?taires de po?tes ou d'orateurs, ce fut certainement Bacchis, la ma?tresse de l'orateur Hyp?ride. Elle l'aimait si profond?ment, qu'elle refusa de conna?tre aucun autre homme, apr?s l'avoir connu. C'?tait une ?me tendre et m?lancolique, qui se contentait d'aimer et d'?tre aim?e par un seul. Elle n'avait ni jalousie ? l'?gard de ses compagnes ni d?fiance ? leur endroit; incapable de faire le mal et d'en avoir m?me l'id?e, elle ne supposait pas la m?chancet? chez les autres. Lorsque Phryn? fut accus?e d'impi?t? par Euthias, elle conjura Hyp?ride de la d?fendre, et elle contribua de tous ses efforts ? la sauver. On lui reprochait seulement, parmi les h?taires, de g?ter le m?tier de courtisane et de faire trop de vertu.

Lorsqu'elle mourut dans la fleur de l'?ge, on la regretta g?n?ralement. On la pleura comme un mod?le de bont?, de douceur et de tendresse. <> Bacchis avait repouss? les pr?sents les plus magnifiques, pour rester fid?le ? Hyp?ride; elle mourut pauvre, n'ayant que le manteau de son amant pour se couvrir dans le mis?rable lit o? elle cherchait encore la trace de ses baisers.

Entre toutes les h?taires grecques qui eurent leurs historiens et leurs pan?gyristes, les plus c?l?bres ? diff?rents titres ont ?t? Gnath?ne, La?s, Phryn?, Pythionice et Glyc?re.

Dyphile ?tait le souffre-douleur; Gnath?ne, pour se d?barrasser de lui jusqu'au lendemain matin, n'avait qu'? le piquer au vif dans son orgueil de po?te. Un jour, ? la repr?sentation d'une de ses com?dies, il fut hu? par l'auditoire et quitta le th??tre, au bruit des rires moqueurs. Il ?tait si d?courag? et si chagrin, qu'il eut l'id?e d'aller se consoler aupr?s de sa ma?tresse. Celle-ci avait dispos? de sa nuit; elle riait encore de l'?chec que Dyphile venait de subir, lorsque celui-ci entra chez elle; il appela un esclave et lui dit brusquement: <> Dyphile ne demanda pas son reste et s'en alla, tout rouge et tout confus. Ordinairement, elle tenait table ouverte, et quiconque voulait s'y asseoir n'avait qu'? solder d'avance la carte et ? se soumettre aux lois conviviales que la courtisane avait fait versifier par son Dyphile, et qu'on lisait grav?es sur un marbre ? l'entr?e de la salle du festin. Ces lois, r?dig?es ? l'imitation de celles qui ?taient en vigueur dans les ?coles philosophiques, commen?aient ainsi, selon Callimaque, qui les avait cit?es dans son recueil de jurisprudence: <> On peut juger, par ce d?but, que Gnath?ne affectait de n'avoir aucune pr?f?rence ? l'?gard de ses amants, et de leur imposer ? tous les m?mes conditions. <> Il ne fallait pas moins que son sourire, l'?clat de ses dents et la flamme de son regard, pour faire passer quelques-unes de ses boutades.

A la suite d'une orgie qui s'?tait faite chez elle, les convives se battirent ? coups de poing en se disputant ses faveurs, qu'elle avait, elle-m?me, mises aux ench?res; un des combattants fut renvers? par terre et forc? de s'avouer vaincu: <> Ses soupers se terminaient souvent en bataille et elle appartenait au vainqueur. Une fois, cependant, les jeunes gens qu'elle avait h?berg?s voulurent jeter ? bas la maison, parce que Gnath?ne refusait de leur faire cr?dit; ils ?taient sans argent, mais ils s'?cri?rent qu'ils avaient des piques et des haches: <> Elle n'y regardait pas d'ailleurs de fort pr?s, pourvu qu'on la pay?t bien. Une fois, elle se trouva dans son lit avec un coquin d'esclave qui portait sur le dos les cicatrices des coups de fouet que son ma?tre lui avait fait donner: <> Ses compagnes avaient raison de craindre les traits ac?r?s qu'elle d?cochait ? tort et ? travers, mais elle rencontra quelquefois une langue aussi mordante que la sienne. Elle se querellait souvent avec Mania, qui ne lui c?dait pas en malice; elles ?taient assez li?es pour conna?tre leurs d?fauts et leurs infirmit?s r?ciproques; or, si Mania ?tait sujette ? la gravelle, Gnath?ne avait des incontinences d'urine et un rel?chement chronique du fondement: <> L'h?taire Dexith?a l'avait invit?e ? souper, mais ? peine les plats paraissaient-ils sur la table, qu'elle les faisait enlever, en ordonnant qu'on les port?t ? sa m?re: <> Dans ce m?me souper, on lui versa, dans une coupe tr?s-exigu?, un vin ?g? de seize ans: <> r?pondit Gnath?ne. Il y avait l? un insupportable bavard qui ne tarissait pas sur son dernier voyage dans l'Hellespont. <> Elle avait en m?me temps deux tenants qui la payaient, un soldat arm?nien et un affranchi sicilien; l'un d'eux lui dit, devant l'autre: <>

La?s ne dut pas sa c?l?brit? ? ses bons mots, quoique ceux qu'on lui pr?te ne soient pas inf?rieurs ? ceux de Gnath?ne et de Gnathoenion; ce fut sa beaut?, sa beaut? incomparable qui la mit au-dessus de toutes les h?taires, et qui en fit presque une divinit? corinthienne. Elle ?tait n?e ? Hiccara, en Sicile; quand Nicias, g?n?ral des Ath?niens, prit cette ville et la saccagea, la jeune enfant fut emmen?e en P?lopon?se et vendue comme esclave. Un jour, le peintre Apelles la rencontra qui revenait de la fontaine, un vase plein d'eau sur la t?te; il l'admira, il devina qu'elle serait belle et il la racheta. Le jour m?me, il la conduisit dans un festin o? ses amis s'?tonn?rent de le voir venir accompagn? d'une petite fille au lieu d'une courtisane: <> Apelles tint parole, et il ne fut pas sans doute ?tranger au d?veloppement des gr?ces et des talents de La?s. Elle ?tait all?e s'?tablir ? Corinthe, la ville des courtisanes, et un songe, que lui envoya V?nus-M?lanis, lui annon?a qu'elle ferait bient?t fortune. Le songe se r?alisa; la renomm?e de La?s se r?pandit jusqu'au fond de l'Asie, et de toutes parts on vit aborder ? Corinthe une foule de riches ?trangers qui n'y venaient chercher que les faveurs de La?s; mais ils n'atteignaient pas tous le but de leur voyage. La?s exigeait non-seulement des sommes exorbitantes, mais encore elle se r?servait le droit de choisir la main qui les lui donnait; quelquefois, par caprice, elle ne voulait rien accepter. D?mosth?ne, l'illustre orateur, voulut aussi savoir ce que valait La?s; il prit avec lui tout l'argent dont il pouvait disposer, et se rendit ? Corinthe. Il va trouver la courtisane et lui demande le prix d'une de ses nuits: <> D?mosth?ne s'en retourna comme il ?tait venu. La?s aimait pourtant les hommes c?l?bres: aussi, elle eut en m?me temps, pour amants privil?gi?s, l'?l?gant et aimable philosophe Aristippe qui la payait bien, et le grossier et sale cynique Diog?ne qui e?t ?t? fort en peine de la payer. Elle pr?f?rait celui-ci ? l'autre et ne semblait pas s'apercevoir que Diog?ne sentait mauvais. Quant au rival de ce dernier, il ne faisait pas mine d'?tre jaloux, et souvent, pour voir La?s, il attendait ? la porte, qu'elle se f?t parfum?e en sortant des bras du cynique. <> Comme on lui repr?sentait que La?s se donnait ? lui sans amour et sans go?t: <> On lui reprochait de souffrir la prostitution journali?re de La?s, et on lui conseillait d'y mettre des bornes: <> Diog?ne, en revanche, malgr? tout son cynisme, voyait avec jalousie la concurrence que lui faisait aupr?s de La?s le brillant philosophe Aristippe: <> Aristippe allait tous les ans avec elle passer les f?tes de Neptune ? ?gine, et, pendant ce temps-l?, disait-il, le logis de la courtisane ?tait aussi chaste que celui d'une matrone.

Cette courtisane exer?ait un tel empire sur ces deux philosophes, Aristippe et Diog?ne, qu'elle croyait qu'il n'existait pas un philosophe au monde qui p?t lui r?sister. On la d?fia de venir ? bout de la vertu de X?nocrate: elle accepta la gageure, dans la pens?e qu'un disciple de Platon ne serait pas plus difficile ? vaincre qu'un disciple de Socrate. Une nuit, elle s'enveloppe dans un voile, ? moiti? nue, et va frapper ? la porte de X?nocrate: il ouvre, et s'?tonne de voir une femme p?n?trer chez lui. Elle se dit poursuivie par des voleurs; ses bras, son cou, ses oreilles, sont charg?s de joyaux qui brillent dans l'ombre: il consent donc ? lui donner un asile jusqu'au jour, et il se recouche, en lui conseillant de dormir aussi sur un banc. Mais il n'est pas plut?t dans son lit, que La?s se montre dans toute la splendeur de sa beaut?, et se place aux c?t?s du philosophe; elle s'approche; elle le touche; elle le presse entre ses bras, elle essaie de l'animer par des caresses qui le laissent froid et indiff?rent; elle pleure de rage, elle redouble ses embrassements, elle ne recule devant aucune sorte de provocation. X?nocrate ne bouge pas. Enfin, elle s'?lance hors de ce lit insultant, et cache sa honte sous son voile. Elle a perdu sa gageure, et on r?clame la somme qu'elle a perdue: <> Elle ?tait d'une beaut? merveilleuse; cependant sa gorge l'emportait en perfection sur son visage, et les peintres, ainsi que les statuaires, qui voulaient repr?senter V?nus d'une fa?on digne d'elle, priaient La?s de poser pour la d?esse. Le sculpteur Myron fut admis de la sorte ? voir sans voile cette adorable courtisane; il ?tait vieux, il avait les cheveux blancs et la barbe grise, mais il se sentit rajeuni ? la vue de La?s; il se jette ? ses pieds; il lui offre tout ce qu'il poss?de, pour la poss?der pendant une nuit; elle sourit, hausse les ?paules et sort. Le lendemain, Myron a fait teindre ses cheveux et sa barbe; il est fard? et parfum?; il porte une robe ?clatante et une ceinture dor?e; il a une cha?ne d'or au cou et des anneaux ? tous les doigts. Il se fait introduire chez La?s et lui d?clare, la t?te haute, qu'il est amoureux d'elle: <>

Elle eut ? subir un refus ? son tour, lorsqu'elle fut ?prise d'Eubates qu'elle rencontra aux jeux olympiques, o? il venait disputer le prix. C'?tait un beau et noble jeune homme, qui avait laiss? ? Cyr?ne une femme qu'il aimait. La?s ne l'eut pas plut?t entrevu, qu'elle lui fit une d?claration d'amour en termes si clairs et si pressants qu'Eubates fut tr?s-embarrass? d'y r?pondre. Elle le suppliait de devenir son h?te et de s'?tablir chez elle; il s'en excusa, en disant qu'il avait besoin de toutes ses forces pour remporter la victoire dans les jeux. Elle s'enflammait ? chaque instant davantage, et elle tremblait que l'objet de sa passion ne lui ?chapp?t: <> Pour se soustraire ? cette pers?cution, il le jura, et parvint ainsi ? garder sa fid?lit? ? sa bien-aim?e; autrement, il e?t fini par succomber sous le regard tout-puissant de La?s. Eubates fut vainqueur; La?s lui envoya une couronne d'or; mais elle apprit bient?t qu'Eubates ?tait retourn? ? Cyr?ne: <> La ma?tresse d'Eubates fut tellement ?merveill?e de tant de fid?lit? et de tant de continence, quand elle sut ce qui s'?tait pass?, qu'elle ?rigea en l'honneur de son amant une statue ? Minerve. La?s, pour se venger, en fit ?lever une autre qui repr?sentait Eubates sous les traits de Narcisse. Cette fi?re h?taire avait sans cesse autour d'elle une cour empress?e de flatteurs et d'adorateurs enthousiastes; plusieurs villes de la Gr?ce se disputaient la gloire de l'avoir vue na?tre; les personnages les plus consid?rables s'honoraient d'avoir eu des relations avec elle, et pourtant quelques farouches moralistes lui rappelaient parfois que son m?tier ?tait honteux. C'est ce que fit un po?te tragique qui avait fait allusion ? ses prostitutions en disant dans une pi?ce de th??tre: <> La?s l'aper?ut au sortir du th??tre et l'aborda pour lui demander, de la voix la plus caressante, ce qu'il entendait par cette cruelle apostrophe: <> Ce vers ?tait tir? justement d'une pi?ce de ce po?te, qui ne sut que r?pondre. Ath?n?e rapporte, d'apr?s Machon, que le po?te dont La?s ch?tiait ainsi les d?dains ?tait Euripide lui-m?me, mais il faudrait alors faire remonter cette anecdote ? la premi?re jeunesse de La?s, qui ?tait au service d'Apelles, lorsque Euripide mourut l'an 407 avant J?sus-Christ. Quoi qu'il en soit, la r?ponse de La?s devint proverbiale, et comme on en abusait pour justifier bien des turpitudes, le vieux philosophe Antisth?ne r?forma en ces termes l'axiome de la courtisane: <> La?s, au lieu de combattre le nouvel apophthegme, l'adopta tel qu'Antisth?ne l'avait formul?: <>

Je le donne ? V?nus, puisqu'elle est toujours belle: Il redouble trop mes ennuis! Je ne saurais me voir dans ce miroir fid?le Ni telle que j'?tais ni telle que je suis.

Quant ? son genre de mort, on ne sait lequel il faut croire de Plutarque, d'Ath?n?e ou de Ptol?m?e. Ce dernier affirme qu'elle s'?trangla en mangeant des olives; Ath?n?e s'appuie de l'autorit? de Phil?taire, pour d?montrer qu'elle mourut dans l'exercice de ses fonctions de courtisane ; et Plutarque rapporte que, s'?tant amourach?e d'un jeune Thessalien, nomm? Hippolochus, elle le suivit en Thessalie et p?n?tra dans un temple de V?nus o? il s'?tait r?fugi? pour se soustraire aux embrassements de cette bacchante, mais les femmes du pays, indign?es de son audace et encore jalouses de sa beaut? qui n'?tait plus qu'un souvenir, entour?rent le temple en poussant de grands cris, et l'assomm?rent ? coups de pierres devant l'autel de V?nus, qui fut souill? du sang de la courtisane. Depuis ce meurtre, le temple fut consacr? ? V?nus-Homicide et ? V?nus-Profan?e. On ?rigea un tombeau ? La?s sur les bords du P?n?e, avec cette ?pitaphe: <> Corinthe d?dia aussi un monument ? la m?moire de son illustre ?l?ve: on avait repr?sent? sur ce monument une lionne terrassant un b?lier. Il est possible que les faits de la vie de La?s ne concernent pas tous la m?me femme, et que deux ou trois h?taires du m?me nom, qui v?curent ? peu pr?s dans le m?me temps, aient ?t? confondues ? la fois par les historiens et par la tradition populaire. Ainsi, la ma?tresse d'Alcibiade, Damasandra, eut une fille qu'on nommait La?s, et qui se fit conna?tre par sa beaut? plus encore que par ses galanteries. Pline signale aussi une autre La?s, laquelle ?tait sage-femme et avait invent? des rem?des secrets, des esp?ces de philtres pour augmenter ou diminuer l'embonpoint des femmes. Cette La?s se livrait ?galement au m?tier de courtisane avec ses amies Salpe et ?l?phantis, comme elle courtisanes, et comme elle tr?s-habiles dans l'art des cosm?tiques, des avortements et des breuvages aphrodisiaques. Elles gu?rissaient aussi de la rage et de la fi?vre quarte, et, dans toutes leurs drogues, elles employaient de diff?rentes fa?ons le sang menstruel m?l? ? des substances plus ou moins innocentes. La ville de Corinthe se glorifiait d'avoir ?t? le th??tre des fastueuses prostitutions de La?s, mais aucune ville de la Gr?ce ne se vanta d'avoir vu cette reine des courtisanes, vieillie, d?chue, oubli?e, fabriquer des poudres, des onguents, des ?lixirs, et vendre de l'amour en bouteille.

Tant de gloire pour une courtisane lui attira l'envie et la haine des femmes vertueuses; celles-ci, afin de se venger, accept?rent l'entremise d'Euthias, qui avait inutilement obs?d? Phryn? sans obtenir d'elle ce qu'elle n'accordait qu'? l'argent ou au g?nie. Cet Euthias ?tait un d?lateur de la plus vile esp?ce; il accusa Phryn?, devant le tribunal des H?liastes, d'avoir profan? la majest? des myst?res d'?leusis en les parodiant, et d'?tre constamment occup?e ? corrompre les citoyens les plus illustres de la R?publique en les ?loignant du service de la patrie. Non-seulement une pareille accusation devait entra?ner la mort de l'accus?e, mais encore infliger ? toutes les courtisanes, solidairement, la honte d'un bl?me, d'une amende, et m?me de l'exil pour quelques-unes. Phryn? avait eu pour amant l'orateur Hyp?ride, qui se partageait alors entre Myrrhine et Bacchis. Phryn? pria ces deux h?taires de s'employer aupr?s d'Hyp?ride, pour qu'il v?nt la d?fendre contre Euthias. La position ?tait d?licate pour Hyp?ride, qu'on savait int?ress? particuli?rement ? venir en aide ? Phryn?, qu'il avait aim?e, et ? tenir t?te ? Euthias, qu'il d?testait comme le plus l?che des hommes. Phryn? pleurait, envelopp?e dans ses voiles et couvrant sa figure avec ses deux mains d'ivoire; Hyp?ride, ?mu et inquiet, ?tendit le bras vers elle, pour annoncer qu'il la d?fendait; et quand Euthias eut formul? ses accusations par l'organe d'Aristogiton, Hyp?ride prit la parole, avoua qu'il n'?tait pas ?tranger ? la cause, puisque Phryn? avait ?t? sa ma?tresse, et supplia les juges d'avoir piti? du trouble qu'il ?prouvait. Sa voix s'alt?rait, son gosier ?tait plein de sanglots, sa paupi?re pleine de larmes, et pourtant le tribunal, froid et silencieux, semblait dispos? ? ne pas se laisser fl?chir. Hyp?ride comprend le danger qui menace l'accus?e: il ?clate en mal?dictions contre Euthias, il proclame r?solument l'innocence de sa victime, il raconte avec complaisance le r?le presque religieux que Phryn? a pu seule accepter aux myst?res d'?leusis... Les H?liastes l'interrompent; ils vont prononcer l'arr?t fatal. Hyp?ride fait approcher Phryn?: il lui d?chire ses voiles, il lui arrache sa tunique, et il invoque avec une sympathique ?loquence les droits sacr?s de la beaut?, pour sauver cette digne pr?tresse de V?nus. Les juges sont ?mus, transport?s, ? la vue de tant de charmes; ils croient apercevoir la d?esse elle-m?me: Phryn? est sauv?e, et Hyp?ride l'emporte dans ses bras. Il ?tait redevenu plus amoureux que jamais, en revoyant cette admirable beaut? qui avait eu plus d'empire que son ?loquence sur les juges; Phryn?, de son c?t?, par reconnaissance, redevint la ma?tresse de son avocat, qui fut infid?le ? Myrrhine. Celle-ci crut se venger en se mettant du parti d'Euthias et en accordant ? ce sycophante tout ce que Phryn? lui avait refus?. Les courtisanes furent indign?es de ce qu'une d'elles os?t protester ainsi contre l'arr?t qui avait absous Phryn?, et Bacchis leur servit d'interpr?te en ?crivant ? l'imprudente Myrrhine: <>

La Prostitution sacr?e ne r?gnait pas seule dans l'Italie primitive: on peut affirmer que la Prostitution hospitali?re et la Prostitution l?gale y r?gnaient aussi en m?me temps, la premi?re dans les for?ts et les montagnes, la seconde dans les cit?s. Les peintures des vases ?trusques ne nous laissent pas ignorer la corruption d?j? raffin?e, qui avait p?n?tr? chez ces peuples aborig?nes, esclaves aveugles et grossiers de leurs sens et de leurs passions. Il suffirait presque des inductions morales qu'on peut tirer de la richesse et de la vari?t? des joyaux que portaient les femmes, pour juger du d?veloppement qu'avait pris la Prostitution, n?e de la coquetterie f?minine et des besoins de la toilette. On voit, ? mille preuves emprunt?es aux vases peints, que la lubricit? de ces peuplades indig?nes ou exotiques ne connaissait aucun frein social ni religieux. La bestialit? et la p?d?rastie ?taient leurs vices ordinaires, et ces abominations, na?vement famili?res ? tous les ?ges et ? tous les rangs de la soci?t?, n'avaient pas d'autres rem?des que des c?r?monies d'expiation et de purification, qui en suspendaient parfois la libre pratique. Comme chez tous les anciens peuples, la promiscuit? des sexes rendait hommage ? la loi de nature, et la femme, soumise aux brutales aspirations de l'homme, n'?tait d'ordinaire que le patient instrument de ses jouissances: elle n'osait presque jamais faire parler son choix, et elle appartenait ? quiconque avait la force. La conformation physique de ces sauvages anc?tres des Romains justifie, d'ailleurs, tout ce qu'on devait attendre de leur sensualit? impudique: ils avaient les parties viriles analogues ? celles du taureau et du chien; ils ressemblaient ? des boucs, et ils portaient au bas des reins une esp?ce de touffe de poils roux, qu'il est impossible de regarder comme un signe de convention dans les dessins qui repr?sentent cette barbiche post?rieure, cette excroissance charnue et poilue ? la fois, ce rudiment d'une v?ritable queue d'animal. On serait fort en peine de dire ? quelle ?poque disparut tout ? fait un si ?trange sympt?me du temp?rament bestial, mais on le conserva dans l'iconologie all?gorique, comme le caract?re distinctif du satyre et du faune. Chez des races aussi naturellement port?es ? l'amour charnel, la Prostitution s'associait sans doute ? tous les actes de la vie civile et religieuse.

Cette f?te, qui subsista jusqu'au cinqui?me si?cle de J?sus-Christ, non sans avoir subi de nombreuses vicissitudes, ?tait bien digne d'une courtisane. Les luperques, pr?tres du dieu Pan, le corps enti?rement nu ? l'exception d'une ceinture en peau de brebis, tenant d'une main un couteau ensanglant? et de l'autre un fouet, parcouraient les rues de la ville, en mena?ant du couteau les hommes et en frappant les femmes avec le fouet. Celles-ci, loin de se d?rober aux coups, les cherchaient avec curiosit? et les recevaient avec componction. Voici quelle ?tait l'origine de cette course embl?matique, qui devait porter rem?de ? la st?rilit? des femmes et les rendre grosses si le fouet divin les avait touch?es au bon endroit. Lorsque les Romains de Romulus eurent enlev? les Sabines pour se faire des femmes et des enfants, les Sabines se montr?rent d'abord r?tives ? ex?cuter ce qu'on attendait d'elles: leur union forc?e ne produisait aucun fruit, bien qu'elles n'eussent point ? se plaindre de leurs ravisseurs. Elles all?rent invoquer Junon dans un bois consacr? ? Pan, et l'oracle qu'elles y recueillirent leur inspira d'abord une certaine appr?hension: <> On n'eut pas la peine de trouver ce bouc-l?; un pr?tre de Pan les tira de peine, en immolant un bouc sur le lieu m?me et en d?coupant en lani?res la peau de l'animal, avec lesquelles il flagella les Sabines, qui devinrent enceintes ? la suite de cette flagellation que les Lupercales eurent le privil?ge de continuer. La mythologie latine donnait une autre origine ? la course des luperques, origine plus po?tique, mais moins nationale. Hercule voyageait avec Omphale: un faune les aper?ut et se mit ? les suivre en cachette, dans l'espoir de profiter d'un moment o? Hercule quitterait sa belle pour accomplir un de ses douze travaux. Les deux amants s'arr?t?rent dans une grotte et y soup?rent: Hercule et Omphale avaient chang? de v?tements pour se divertir pendant le souper; Omphale s'?tait affubl?e de la peau du lion de N?m?e et avait mis sur son dos le carquois rempli des fl?ches empoisonn?es; Hercule, d?couvrant sa poitrine velue, avait pris le collier et les bracelets de sa ma?tresse. Ils burent et s'enivr?rent, ainsi travestis. Ils dormaient, chacun de son c?t?, sur une liti?re de feuilles s?ches, lorsque le faune p?n?tre dans la caverne et cherche ? t?tons le lit d'Omphale. Il se glisse dans celui d'Hercule, apr?s avoir ?vit? prudemment la peau de lion, qui ne lui annonce pas ce qu'elle renferme par hasard. Hercule s'?veille et ch?tie l'audacieux qui s'?tait un peu trop avanc? dans sa m?prise. Ce fut depuis cette aventure, que Pan eut en horreur le travestissement qui avait tromp? son faune, et il ordonna, comme pour protester contre les erreurs de ce genre, que ses pr?tres courraient tout nus aux Lupercales. On sacrifiait ce jour-l? des boucs et des ch?vres, que les luperques ?corchaient eux-m?mes pour se rev?tir de ces peaux toutes sanglantes qui avaient la renomm?e d'?chauffer les d?sirs et de donner une ardeur capricante aux lascifs sacrificateurs du dieu Pan. La Prostitution sacr?e ?tait donc l'?me des Lupercales.

Ce ne furent pas les seules f?tes et le seul culte, que la Prostitution avait ?tablis ? Rome avant celui de V?nus. Sous le r?gne d'Ancus Martius, une courtisane, nomm?e Flora, s'attribua le nom d'Acca Laurentia, en souvenir de la nourrice de R?mus et de Romulus. Elle ?tait d'une beaut? singuli?re, mais elle n'en ?tait pas plus riche. Elle passa une nuit dans le temple d'Hercule pour obtenir la protection de ce puissant dieu. Hercule lui annon?a en songe que la premi?re personne qu'elle rencontrerait au sortir du temple lui porterait bonheur; elle rencontra un patricien, appel? Tarutius, qui avait des biens consid?rables. Il ne l'eut pas plut?t vue, qu'il devint amoureux d'elle et qu'il voulut l'?pouser. Il la fit son h?riti?re en mourant, et Flora, que ce mariage avait mise ? la mode, reprit son ancien m?tier de courtisane, et y acquit une fortune ?norme qu'elle laissa en h?ritage au peuple romain. Son legs fut accept?, et le s?nat, en reconnaissance, d?cr?ta que le nom de Flora serait inscrit dans les fastes de l'?tat et que des f?tes solennelles perp?tueraient la m?moire de la g?n?rosit? de cette courtisane. Mais, plus tard, ces honneurs solennels rendus ? une femme de mauvaise vie afflig?rent la conscience des honn?tes gens, et l'on imagina, pour r?habiliter la courtisane, de la diviniser. Flora fut d?s lors la d?esse des fleurs, et les Florales continu?rent ? ?tre c?l?br?es avec beaucoup de splendeur au mois d'avril ou bien au commencement de mai. On employait ? la c?l?bration de ces f?tes les revenus de la succession de Flora, et quand ces revenus ne furent plus suffisants, vers l'an 513 avant J?sus-Christ, on y appliqua les amendes provenant des condamnations pour crime de p?culat. Les f?tes de Flora, qu'on appelait f?tes de Flore et de Pomone, conserv?rent toujours le stigmate de leur fondatrice; les magistrats les suspendirent quelquefois, mais le peuple les faisait renouveler, lorsque la saison semblait annoncer de la s?cheresse et une mauvaise r?colte. Pendant six jours, on couronnait de fleurs les statues et les autels des dieux et des d?esses, les portes des maisons, les coupes des festins; on jonchait d'herbe fra?che les rues et les places: on y faisait des simulacres de chasse, en poursuivant des li?vres et des lapins , que les courtisanes avaient seules le droit de prendre vivants, lorsqu'ils se blottissaient sous leur robe. Les ?diles, qui avaient la direction supr?me des Florales, jetaient dans la foule une pluie de f?ves, de pois secs et d'autres graines l?gumineuses, que le peuple se disputait ? coups de poing. Ce n'est pas tout: ces f?tes, que les courtisanes regardaient comme les leurs, donnaient lieu ? d'horribles d?sordres dans le Cirque. Les courtisanes sortaient de leurs maisons, en cort?ge, pr?c?d?es de trompettes et envelopp?es dans des v?tements tr?s-amples, sous lesquels elles ?taient nues et par?es de tous leurs bijoux; elles se rassemblaient dans le Cirque, sous les yeux du peuple qui se pressait ? l'entour, et l? elles se d?pouillaient de leurs habits et se montraient dans la nudit? la plus ind?cente, ?talant avec complaisance tout ce que les spectateurs voulaient voir et accompagnant de mouvements inf?mes cette impudique exhibition: elles couraient, dansaient, luttaient, sautaient, comme des athl?tes et des baladins, et chacune de leurs postures lascives arrachait des cris et des applaudissements ? ce peuple en d?lire. Tout ? coup, des hommes ?galement nus s'?lan?aient dans l'ar?ne, aux sons des trompettes, et une effroyable m?l?e de prostitution s'accomplissait publiquement, avec de nouveaux transports de la multitude. Un jour, Caton, l'aust?re Caton, parut dans le Cirque au moment o? les ?diles allaient donner le signal des jeux; mais la pr?sence de ce grand citoyen emp?cha l'orgie d'?clater. Les courtisanes restaient v?tues, les trompettes faisaient silence, le peuple attendait. On fit observer ? Caton que lui seul ?tait un obstacle ? la c?l?bration des jeux; il se leva, ramenant le pan de sa toge sur son visage et sortit du Cirque. Le peuple battit des mains, les courtisanes se d?shabill?rent, les trompettes sonn?rent, et le spectacle commen?a.

C'?tait bien l? certainement la Prostitution la plus effront?e qui se f?t jamais produite sous les auspices d'une d?esse, et l'on comprenait, d'ailleurs, que cette d?esse avait ?t? originairement une effront?e courtisane. Le culte de la Prostitution ?tait plus voil? dans les temples de V?nus. Le plus ancien de ces temples ? Rome para?t avoir ?t? celui de V?nus Cloacina. Dans les premiers temps de la r?publique, lorsqu'on nettoyait le grand Cloaque, construit par le roi Tarquin pour conduire au Tibre les immondices de la ville, on trouva une statue enterr?e dans la fange: c'?tait une statue de V?nus. On ne se demanda pas qui l'avait mise l?, mais on lui d?dia un temple sous le nom de V?nus Cloacine. Les prostitu?es venaient le soir chercher fortune autour de ce temple et pr?s de l'?gout qui en ?tait proche; elles r?servaient une partie de leur salaire, pour l'offrir ? la d?esse, dont l'autel appelait un concours perp?tuel de voeux et d'offrandes du m?me genre. V?nus avait des autels plus honn?tes et des temples moins fr?quent?s dans les douze r?gions ou quartiers de Rome. V?nus Placide, V?nus Chauve, V?nus Genitrix ou qui engendre, V?nus Verticordia ou qui change les coeurs, V?nus Erycine, V?nus Victorieuse et d'autres V?nus assez d?centes n'encourageaient pas la Prostitution: elles la tol?raient ? peine pour l'usage des pr?tres qui s'y livraient secr?tement. Il n'en ?tait pas de m?me des V?nus qui pr?sidaient exclusivement aux plus secrets myst?res de l'amour. Le temple de V?nus Volupia, situ? dans le dixi?me quartier, attirait les d?bauch?s des deux sexes, qui venaient y demander des inspirations ? la d?esse. Le temple de V?nus Salacia ou Lascive, dont on ignore la position dans l'enceinte de Rome, ?tait visit? tr?s-d?votement par les courtisanes qui voulaient se perfectionner dans leur m?tier; le temple de V?nus Lubentia ou Libertine se trouvait hors des murs au milieu d'un bois qui pr?tait son ombre propice aux rencontres des amants. V?nus, sous ses diff?rents noms, faisait toujours un appel aux instincts du plaisir, sinon de la d?bauche; mais ses temples n'?taient pas ? Rome, ainsi que dans la Gr?ce et l'Asie Mineure, d?shonor?s par un march? patent de Prostitution. Il n'y avait gu?re que les courtisanes qui poussassent la pi?t? envers la d?esse jusqu'? se vendre ? son profit, et dans tous les cas, le sacrifice ne s'accomplissait jamais ? l'int?rieur du temple, ? moins que le pr?tre ne f?t le sacrificateur.

On ne voit nulle part, dans les ?crivains latins, que les temples de V?nus, ? Rome, eussent des consacr?es, des coll?ges de pr?tresses, qui se prostituaient au b?n?fice de leurs autels, comme cela se passait encore ? Corinthe et ? ?ryx, du temps des empereurs. Strabon rapporte, dans sa G?ographie, que le fameux temple de V?nus Erycine, en Sicile, ?tait encore plein de femmes attach?es au culte de la d?esse et donn?es ? ses autels par les suppliants qui voulaient la rendre favorable ? leurs voeux: ces esclaves consacr?es pouvaient se racheter avec l'argent qu'elles demandaient ? la Prostitution et dont une part seulement appartenait au temple qui la prot?geait. Ce temple tombait en ruines sous le r?gne de Tib?re, qui, en sa qualit? de parent de V?nus, le fit restaurer et y mit des pr?tresses nouvelles. Quant aux temples de Rome, ils ?taient tous d'une dimension fort exigu?, en sorte que la cella ne pouvait renfermer que l'autel et la statue de la d?esse avec les instruments des sacrifices: on ne p?n?trait donc pas ? l'int?rieur, et dans les f?tes de V?nus comme dans celles des autres dieux, les c?r?monies se faisaient en plein air sur le portique et sur les degr?s du sanctuaire. Cette forme architecturale semble exclure toute id?e de Prostitution sacr?e, d?pendant du moins du temple m?me. Les Romains, d'ailleurs, en adoptant la religion des Grecs, l'avaient fa?onn?e ? leurs moeurs, et l'esprit sceptique de ce peuple allait mal ? des actes de foi et d'abn?gation, qui devaient, pour n'?tre pas odieux et ridicules, s'entourer d'un voile de candeur et de na?vet?: les Romains ne croyaient gu?re ? la divinit? de leurs dieux. Il est donc certain que les f?tes de V?nus, ? Rome, ?taient ? peu pr?s chastes ou plut?t d?centes dans tout ce qui tenait au culte, mais qu'elles servaient uniquement de pr?texte ? des orgies et ? des d?sordres de toute nature qui se renfermaient dans les maisons. Quand Jules C?sar, qui se vantait de descendre de V?nus, donna un nouvel ?lan au culte de sa divine anc?tre, lui d?dia des temples et des statues par tout l'empire romain, fit c?l?brer des jeux solennels en son honneur et dirigea en personne les f?tes magnifiques qu'il restituait ou qu'il ?tablissait pour elle, il n'eut pas la pens?e de mettre en vigueur, sous ses auspices, la Prostitution sacr?e; il ?vita aussi, tout d?bauch? qu'il f?t lui-m?me, de s'occuper des personnifications malhonn?tes de V?nus, qui, comme Lubentia, Volupia, Salacia, etc., n'?tait plus que la d?esse des courtisanes. On doit remarquer pourtant que V?nus Courtisane n'eut jamais de chapelle ? Rome.

On y adorait surtout V?nus Victorieuse, qui semblait la grande protectrice de la nation issue d'?n?e, mais on ne se rappelait pas seulement ? quelle occasion V?nus avait ?t? d'abord ador?e comme V?nus Arm?e. C'?tait une origine spartiate, et non romaine, car V?nus, avant d'?tre Victorieuse, avait ?t? Arm?e. Dans les temps h?ro?ques de Lac?d?mone, tous les hommes valides ?taient sortis de cette ville pour aller assi?ger Mess?ne: les Mess?niens assi?g?s sortirent ? leur tour secr?tement de leurs murailles et march?rent la nuit pour surprendre Lac?d?mone laiss?e sans d?fenseurs; mais les Lac?d?moniennes s'arm?rent ? la h?te et se pr?sent?rent fi?rement ? la rencontre de l'ennemi qu'elles mirent en fuite. De leur c?t?, les Spartiates, avertis du danger que courait leur cit?, avaient lev? le si?ge de Mess?ne et revenaient d?fendre leurs foyers. Ils virent de loin briller des casques, des cuirasses et des lances: ils crurent avoir rejoint les Mess?niens; ils s'appr?t?rent ? combattre; mais, en s'approchant davantage, les femmes, pour se faire reconna?tre, lev?rent leurs tuniques et d?couvrirent leur sexe. Honteux de leur m?prise, les Lac?d?moniens se pr?cipit?rent, les bras ouverts, sur ces vaillantes femmes et ne leur laiss?rent pas m?me le temps de se d?sarmer. Il y eut une m?l?e amoureuse qui engendra le culte de V?nus Arm?e. <> Ausone, en imitant cette ?pigramme, fait dire ? la d?esse: <> La V?nus Victrix de Rome ?tait nue, le casque en t?te, la haste ? la main.

Les f?tes publiques de V?nus furent donc bien moins ind?centes que celles de Lupa et de Flora; elles ?taient voluptueuses, mais non obsc?nes, ? l'exception d'un ?pisode mystique qui se passait sous les yeux d'un petit nombre de privil?gi?s et qui frappait ensuite comme un prodige l'imagination des personnes auxquelles on le racontait avec des d?tails plus ou moins merveilleux. Le po?te Claudien ne nous dit pas dans quel temple s'ex?cutait cet ing?nieux tour de physique amusante. On pla?ait sur un lit de roses une statue en ivoire de la d?esse, repr?sent?e nue; on apportait sur le m?me lit, ? quelque distance de V?nus, une statue de Mars couvert d'armes d'acier. Le myst?re ne manquait pas de s'accomplir au bout de quelques instants: les deux statues s'?branlaient ? la fois et s'?lan?aient avec tant de force l'une contre l'autre, qu'elles s'entrechoquaient comme si elles se brisaient en ?clats; mais elles restaient ?troitement embrass?es et fr?missantes au milieu des feuilles de roses. Tout le secret de cette sc?ne mythologique r?sidait dans le ventre de la statue d'ivoire contenant une pierre d'aimant, dont la puissance attractive agissait sur l'acier de la statue de Mars. Mais cette invention accusait une ?poque de perfectionnement et de raffinement tr?s-avanc?e. Les premiers Romains agissaient moins artistement avec leurs premi?res V?nus. Une de celles-ci fut V?nus Myrtea, ainsi nomm?e ? cause d'un bois de myrte qui entourait son temple, situ? vraisemblablement aupr?s du Capitole. Le myrte ?tait consacr? ? V?nus; il servait aux purifications qui pr?c?daient la c?r?monie nuptiale. La tradition voulait que les Romains ravisseurs des Sabines se fussent couronn?s de myrte, en signe de victoire amoureuse et de fid?lit? conjugale. V?nus s'?tait aussi couronn?e de myrte, apr?s avoir vaincu Junon et Pallas dans le combat de la beaut?. On offrait donc des couronnes de myrte ? toutes les V?nus, et les sages matrones, qui n'adoraient que des V?nus d?centes, avaient le myrte en horreur, comme nous l'apprend Plutarque, parce que le myrte ?tait ? la fois l'embl?me et le provocateur des plaisirs sensuels. V?nus Myrtea prit le nom de Murtia, lorsque son temple fut transf?r? pr?s du Cirque sur le mont Aventin, qu'on appelait aussi Murtius. Alors les jeunes vierges ne craignirent plus d'aller invoquer V?nus Murtia, en lui offrant des poup?es et des statuettes en terre cuite ou en cire, qui rappelaient certainement, ? l'insu des suppliantes, l'ancien usage de se consacrer soi-m?me ? la d?esse en lui faisant le sacrifice de la virginit?. Ce sacrifice, qui avait ?t? si fr?quent et si g?n?ral dans le culte de V?nus, se perp?tuait encore sous la forme du symbolisme, et partout le fait brutal ?tait remplac? par des allusions plus ou moins transparentes. Ainsi, quand les Romains occup?rent la Phrygie et s'?tablirent dans la Troade qu'ils regardaient comme le berceau de leur race, ils y retrouv?rent une coutume qui se rattachait au culte de V?nus, et qui avait remplac? le fait mat?riel de la Prostitution sacr?e: les jeunes filles, peu de jours avant leur mariage, se d?diaient ? V?nus en se baignant dans le fleuve Scamandre, o? les trois d?esses s'?taient baign?es pour se mettre en ?tat de compara?tre devant leur juge, le berger P?ris: <>

Les femmes romaines, chose ?trange! si r?serv?es ? l'?gard du culte de V?nus, ne se faisaient aucun scrupule d'exposer leur pudeur ? la pratique de certains cultes plus malhonn?tes et plus honteux, qui ne regardaient pourtant que des dieux et des d?esses subalternes: elles offraient des sacrifices ? Cupidon, ? Priape, ? Priape surtout, ? Mutinus, ? Tutana, ? Tychon, ? Pertunda et ? d'autres divinit?s du m?me ordre. Non-seulement, ces sacrifices et ces offrandes avaient lieu dans l'int?rieur des foyers domestiques, mais encore dans des chapelles publiques, devant les statues ?rig?es au coin des rues et sur les places de la ville. Ce n'?taient pas les courtisanes qui s'adressaient ? ce myst?rieux Olympe de l'amour sensuel: V?nus leur suffisait sous ses noms multiples et sous ses figures vari?es; c'?taient les matrones, c'?taient m?me les vierges qui se permettaient l'exercice de ces cultes secrets et impudents; elles ne s'y livraient que voil?es, il est vrai, avant le lever du soleil ou apr?s son coucher; mais elles ne tremblaient pas, elles ne rougissaient pas d'?tre vues adorant Priape et son effront? cort?ge. On peut donc croire qu'elles conservaient la puret? de leur coeur, en pr?sence de ces images impures, qui ?talaient partout leur monstrueuse obsc?nit?, dans les rues, dans les jardins et dans les champs, sous pr?texte d'?carter les voleurs et les oiseaux. Il est difficile de pr?ciser ? quelle ?poque le dieu de Lampsaque fut introduit et vulgaris? ? Rome. Son culte, qui y ?tait scandaleusement r?pandu dans les classes des femmes les plus respectables, ne para?t pas avoir ?t? r?gl? par des lois fixes de c?r?monial religieux. Le dieu n'avait pas m?me de temple desservi par des pr?tres ou des pr?tresses; mais ses statues phallophores ?taient presque aussi multipli?es que ses adoratrices, qui trouvaient dans leur d?votion plus ou moins ing?nieuse les diff?rentes formes du culte qu'elles rendaient ? ce vilain dieu. Priape, qui repr?sente, sous une figure humaine largement pourvue des attributs de la g?n?ration, l'?me de l'univers et la force procr?atrice de la mati?re, n'avait ?t? admis que fort tard dans la th?ogonie grecque; il arriva plus tard encore chez les Romains, qui ne le prirent pas au s?rieux, avec ses cornes de bouc, ses oreilles de ch?vre et son insolent embl?me de virilit?. Les Romaines, au contraire, l'honor?rent, pour ainsi dire, de leur protection particuli?re et ne le trait?rent pas comme un dieu impuissant et ridicule. Ce Priape, dont les mythologues avaient fait un fils naturel de V?nus et de Bacchus, n'?tait plut?t qu'une incarnation d?g?n?r?e du Mend?s ou de l'Horus des ?gyptiens, lequel personnifiait aussi les principes g?n?rateurs du monde. Mais les dames romaines ne cherchaient pas si loin le fond des choses: leur dieu favori pr?sidait aux plaisirs de l'amour, au devoir du mariage et ? toute l'?conomie ?rotique. C'?tait l? ce qui le distinguait particuli?rement de Pan, avec lequel il avait plus d'un rapport d'aspect et d'attributions. On lui donnait ordinairement la forme d'un herm?s, et on l'employait au m?me usage que les termes, dans les jardins, les vergers et les champs, qu'il avait mission de prot?ger avec sa massue ou son b?ton.

On ignore, n?anmoins, quels ?taient ces dieux impudiques, dont les noms se trouvent ? peine cit?s par l'obscur Lycophron et par Diodore de Sicile; on ne sait pas ? quelle particularit? du plaisir ils pr?sidaient, et l'on ne pourrait faire aucune conjecture fond?e ? l'?gard de leur image et de leur culte. Il ne serait pas impossible que ces dieux, que ne nous rappelle aucun monument figur?, fussent ceux-l? m?me qui avaient ?t? introduits en ?trurie, l'an de Rome 566, 186 avant J?sus-Christ, par un mis?rable grec, de basse extraction, moiti? pr?tre et moiti? devin. Ces dieux inconnus, dont l'histoire n'a pas m?me conserv? les noms, autorisaient un culte si monstrueux et des myst?res si abominables, que l'indignation publique se pronon?a pour les fl?trir et les condamner. Les femmes seules ?taient d'abord consacr?es aux nouveaux dieux, avec des c?r?monies inf?mes, qui en attir?rent pourtant un grand nombre, par curiosit? et par libertinage. Les hommes furent admis, ? leur tour, dans la pratique de ce culte odieux qui empoisonna toute l'?trurie et qui p?n?tra dans Rome. Il y eut bient?t en cette ville plus de sept mille initi?s des deux sexes; leurs principaux chefs et grands pr?tres ?taient M. C. Attinius, du bas peuple de Rome, L. Opiternius, du pays des Falisques, et Menius Cercinius, de la Campanie. Ils s'intitulaient audacieusement fondateurs d'une religion nouvelle; mais le s?nat, instruit des pratiques ex?crables de ce culte parasite, le proscrivit par une loi, ordonna que tous les instruments et objets consacr?s fussent d?truits, et d?cr?ta la peine de mort contre quiconque oserait travailler ? corrompre ainsi la morale publique. Plusieurs pr?tres, qui faisaient des initiations, malgr? la d?fense du s?nat, furent arr?t?s et condamn?s au dernier supplice. Il ne fallut pas moins que cette rigoureuse application de la loi pour arr?ter les progr?s d'un culte qui s'adressait aux plus grossiers app?tits de la nature humaine. On pr?sume que les traces de cette d?bauche sacr?e ne s'effac?rent jamais dans les moeurs et les croyances du bas peuple de Rome.

Ad aedem Veneris hodie est mercatus meretricius; Eo conveniunt mercatores, ibi ego me ostendi volo.

Les courtisanes ? Rome n'?taient pas, comme en Gr?ce, tenues ? distance des autels; elles fr?quentaient, au contraire, tous les temples, pour y trouver sans doute d'heureuses chances de gain; elles t?moignaient ensuite leur reconnaissance ? la divinit? qui leur avait ?t? propice, et elles apportaient dans son sanctuaire une portion du gain qu'elles croyaient lui devoir. La religion fermait les yeux sur cette source impure de revenus et d'offrandes; la l?gislation civile ne s'immis?ait point dans ces d?tails de d?votion malhonn?te, qui touchaient au culte, et gr?ce ? cette tol?rance ou plut?t ? l'abstention syst?matique du contr?le judiciaire et religieux, la Prostitution sacr?e conservait ? Rome presque ses allures et sa physionomie primitives, avec cette diff?rence toutefois qu'elle ne sortait pas de la classe des courtisanes, et qu'elle ?tait devenue un accessoire ?tranger au culte, au lieu de faire partie int?grante du culte lui-m?me.

La Prostitution l?gale ne s'?tablit ? Rome sous une forme r?guli?re, que bien apr?s la fondation de cette ville, qui n'?tait pas d'abord assez peupl?e pour sacrifier ? la d?bauche publique la portion la plus utile de ses habitants. Les femmes avaient manqu? aux Romains pour former des unions l?gitimes, de telle sorte qu'il leur fallut recourir ? l'enl?vement des Sabines; les femmes leur manqu?rent longtemps encore, pour faire des prostitu?es. On peut donc avancer avec certitude que la Prostitution l?gale fut introduite dans la cit? de Romulus, par des femmes ?trang?res, qui y vinrent chercher fortune et qui y exerc?rent librement leur honteuse industrie, jusqu'? ce que la police urbaine e?t jug? prudent de l'organiser et de lui tracer des lois. Mais il est impossible d'assigner une ?poque plut?t qu'une autre ? cette invasion des courtisanes dans les moeurs romaines, et ? leurs d?buts impudiques sur le th??tre de la Prostitution l?gale. Les souvenirs ?clatants que la nourrice de Romulus, Acca Laurentia, avait laiss?s dans la m?moire des Romains, ne tard?rent pas ? se cacher et ? s'effacer sous le manteau des Lupercales; et lorsque la belle Flora les eut raviv?s un moment, en essayant de les remettre en honneur, ils furent encore une fois absorb?s et d?guis?s dans une f?te populaire, dont les ind?cences m?mes n'avaient plus de sens all?gorique pour le peuple, qui s'y livrait avec fr?n?sie. Les magistrats et les pr?tres s'?taient entendus, d'ailleurs, pour attribuer les Lupercales au dieu Pan, et les Florales ? la d?esse des fleurs et du printemps, comme s'ils avaient eu honte de l'origine de ces f?tes solennelles de la Prostitution. Acca Laurentia et Flora furent donc les premi?res prostitu?es de Rome; mais on ne doit consid?rer leur pr?sence dans la ville naissante que comme une exception, et c'est peut-?tre par cette circonstance qu'il faut expliquer les richesses consid?rables qu'elles acquirent l'une et l'autre dans un temps o? la concurrence n'existait pas pour elles. Un docte juriste du seizi?me si?cle, frapp? de cette particularit? bizarre, a voulu voir, dans Acca Laurentia et surtout dans Flora, la prostitu?e unique et officielle du peuple romain, ? l'instar d'une reine d'abeilles, qui suffit seule ? son essaim; et il tira de l? cette conclusion incroyable, qu'une femme, pour ?tre d?ment et notoirement reconnue prostitu?e publique, devait au pr?alable s'abandonner ? 23,000 hommes.

D?s le r?gne de Romulus, si nous nous contentons de l'?tudier dans Tite-Live, le mariage fut institu? de mani?re ? ?loigner tout pr?texte au divorce et ? l'adult?re; car le mariage, consid?r? au point de vue politique dans la nouvelle colonie, avait principalement pour objet d'attacher les citoyens au foyer domestique et de cr?er la famille autour des ?poux. Il y eut d'abord disette presque absolue de femmes, puisque, pour s'en procurer, le chef de cette colonisation eut recours ? la ruse et ? la violence. Lorsque ce stratag?me eut r?ussi et que les Sabines se furent soumises, bon gr? mal gr?, aux maris que le hasard leur avait donn?s, tous les hommes valides de Rome ne se trouv?rent pas encore pourvus de femmes, et l'on a lieu de supposer que, pendant les deux ou trois premiers si?cles, le sexe f?minin fut en minorit? dans cette r?union d'hommes, venus de tous les points de l'Italie, et divis?s arbitrairement en patriciens et en pl?b?iens, qui vivaient s?par?s les uns des autres. Le mariage ?tait donc n?cessaire, pour rallier et retenir dans un centre commun ces passions, ces moeurs, ces int?r?ts, essentiellement diff?rents et disparates; le mariage devait ?tre fixe et durable, afin de former la base sociale de l'?tat; le mariage, enfin, repoussait et condamnait toute esp?ce de Prostitution, laquelle ne se f?t ?lev?e aupr?s de lui qu'? son pr?judice. Les faits eux-m?mes sont l? pour faire comprendre qu'il y avait eu n?cessit? d'entourer des garanties les plus solides l'institution du mariage, tel que Romulus l'avait prescrit ? son peuple. Les quatre lois qu'il fit ? la fois en faveur des Sabines, et qui furent grav?es sur une table d'airain dans le Capitole, prouvent amplement qu'on n'avait pas encore ? craindre le fl?au de la Prostitution. La premi?re de ces lois d?clarait que les femmes seraient les compagnes de leurs maris, et qu'elles entreraient en participation de leurs biens, de leurs honneurs et de toutes leurs pr?rogatives; la seconde loi ordonnait aux hommes de c?der le pas aux femmes, en public, pour leur rendre hommage; la troisi?me loi prescrivait aux hommes de respecter la pudeur dans leurs discours et dans leurs actions en pr?sence des femmes, ? ce point qu'ils ?taient tenus de ne para?tre dans les rues de la ville qu'avec une robe longue, tombant jusqu'aux talons et couvrant tout le corps: quiconque se montrait nu aux yeux d'une femme , pouvait ?tre condamn? ? mort; enfin, la quatri?me loi sp?cifiait trois cas de r?pudiation pour la femme mari?e: l'adult?re, l'empoisonnement de ses enfants, la soustraction des clefs de la maison; hors de ces trois cas, l'?poux ne pouvait r?pudier sa femme l?gitime, sous peine de perdre tous ses biens, dont moiti? appartiendrait alors ? la femme et moiti? au temple de C?r?s. Plutarque cite, en outre, deux autres lois qui compl?taient celles-ci, et qui t?moignent des pr?cautions que Romulus avait prises pour prot?ger les moeurs publiques et rendre plus inviolable le lien conjugal. Une de ces lois mettait ? la discr?tion du mari sa femme adult?re, qu'il avait le droit de punir comme bon lui semblerait, apr?s avoir assembl? les parents de la coupable, qui comparaissait devant eux; l'autre loi d?fendait aux femmes de boire du vin, sous peine d'?tre trait?es comme adult?res. Ces rigueurs ne se fussent gu?res accord?es avec la tol?rance de la Prostitution l?gale; on doit donc reconna?tre, ? cet aust?re respect de la biens?ance, que la Prostitution n'existait pas encore ouvertement, si tant est qu'elle s'exer??t en secret hors de l'enceinte de la ville, dans les bois qui l'environnaient. Romulus n'eut pas besoin de fermer les portes de sa cit? ? des d?sordres qui se cachaient d'eux-m?mes ? l'ombre des for?ts et dans les profondeurs des grottes agrestes. Ses successeurs, anim?s de sa pens?e l?gislative, se pr?occup?rent aussi de purifier les moeurs et de sanctifier le mariage. Numa Pompilius ?tablit le coll?ge des vestales, et fit b?tir le temple de Vesta, o? elles entretenaient le feu ?ternel comme un embl?me de la chastet?. Les vestales faisaient voeu de garder leur virginit? pendant trente ans, et celles qui se laissaient aller ? rompre ce voeu couraient risque d'?tre enterr?es vives; mais il n'?tait pas facile, ? moins de flagrant d?lit, de les convaincre de sacril?ge; quant ? leur complice, quel qu'il f?t, il p?rissait sous les coups de fouet que lui administraient les autres vestales, pour venger l'honneur de la compagnie. Dans l'espace de mille ans, la virginit? des vestales ne re?ut que dix-huit ?checs manifestes, ou plut?t on n'enterra vivantes que dix-huit victimes, convaincues d'avoir ?teint le feu sacr? de la pudeur. Numa e?t voulu changer en vestales toutes les Romaines, car il leur ordonna, par une loi, de ne porter que des habits longs et modestes, c'est-?-dire amples et flottants, avec des voiles qui leur cachaient non-seulement le sein et le cou, mais encore le visage. Une dame romaine ainsi voil?e, envelopp?e de sa tunique et de son manteau de lin, ressemblait ? la statue de Vesta, descendue de son pi?destal; sa d?marche grave et imposante n'inspirait que des sentiments de v?n?ration, comme si ce f?t la d?esse en personne; et si les hommes s'?cartaient avec d?f?rence pour lui faire place, ils ne la suivaient des yeux qu'avec des id?es de chaste admiration. La mort tragique de Lucr?ce, qui ne se r?signa pas ? survivre ? son affront, est la preuve la plus ?clatante de la puret? des moeurs ? cette ?poque: le peuple entier se soulevant contre l'auteur d'un viol commis sur le lit conjugal, protestait au nom de la moralit? publique. On a, d'ailleurs, de nombreux t?moignages de l'horreur et du m?pris qu'excitait le crime de l'adult?re chez les peuples primitifs de l'Italie, que la corruption grecque et ph?nicienne avait pourtant atteints. A Cumes, en Campanie, par exemple, quand une femme ?tait surprise en adult?re, on la d?pouillait de ses v?tements, on la menait ensuite dans le forum et on l'exposait nue sur une pierre o? elle recevait pendant plusieurs heures les injures, les railleries, les crachats de la foule; puis on la mettait sur un ?ne, que l'on promenait par toute la ville au milieu des hu?es. On ne lui infligeait pas d'autre ch?timent, mais elle restait vou?e ? l'infamie; on la montrait du doigt, en l'appelant +onobatis+ , et ce surnom la poursuivait pendant le reste de sa vie abjecte et mis?rable.

Selon certains commentateurs, la peine de l'adult?re, dans le Latium et dans les contr?es voisines, avait ?t? originairement plus d?hont?e et plus scandaleuse que l'adult?re lui-m?me. L'?ne de Cumes figurait aussi en cette ?trange jurisprudence, mais le r?le qu'on lui faisait jouer ne se bornait pas ? servir de monture ? la patiente, qui devenait publiquement victime de l'impudicit? du quadrup?de.

On devine tout ce qu'une sc?ne aussi monstrueuse pouvait pr?ter de sarcasmes et de ris?es ? la grossi?ret? des spectateurs. C'?tait l? un divertissement digne de la barbarie des Faunes et des Aborig?nes qui avaient peupl? d'abord ces sauvages solitudes. Les malheureuses qui subissaient l'approche de l'?ne, meurtries, contusionn?es, maltrait?es, ne faisaient plus partie de la soci?t?, en quelque sorte que pour en ?tre esclave et le jouet, si bien qu'elles appartenaient ? quiconque se pr?sentait pour succ?der ? l'?ne. Ce furent l? vraisemblablement les premi?res prostitu?es qui se trouv?rent employ?es ? l'usage g?n?ral des habitants du pays. Ici, par d?cence, on fit dispara?tre l'intervention obsc?ne de l'?ne; l?, au contraire, on conserva comme un embl?me la pr?sence de cet animal, ? qui n'?taient plus r?serv?es les fonctions de bourreau; mais il ne faut pas moins faire remonter ? cette antique origine la promenade sur un ?ne, que l'on retrouve au moyen ?ge, non-seulement en Italie, mais dans tous les endroits de l'Europe o? la loi romaine avait p?n?tr?. L'?ne repr?sentait ?videmment la luxure, dans sa plus brutale acception, et on lui livrait, pour ainsi dire, les femmes qui avaient perdu toute retenue en commettant un adult?re ou en se vouant ? la d?bauche publique. On ne saurait dire, dans tous les cas, si l'?ne montrait ou non de l'intelligence dans les supplices qu'il ?tait charg? d'ex?cuter. On croit seulement que, dans ces circonstances assez rares chez les anc?tres des Romains, il portait une grosse sonnette attach?e ? ses longues oreilles, afin que chacun de ses mouvements publi?t la honte de la condamn?e. Cette sonnette fut, d'ailleurs, un des attributs h?ro?ques de l'?ne de Sil?ne, qui, malgr? la fougue de ses passions, avait m?rit? la bienveillance de Cyb?le pour avoir sauv? l'honneur de cette d?esse: elle dormait dans une grotte ?cart?e, et l'indiscret Z?phyr s'amusait ? relever les pans de son voile; Priape passa par l?, et il ne l'eut pas plut?t vue, qu'il se mit en mesure de profiter de l'occasion; mais l'?ne de Sil?ne troubla cette f?te, en se mettant ? braire. Cyb?le s'?veilla et eut encore le temps d'?chapper aux t?m?raires entreprises de Priape. Par reconnaissance, elle voulut consacrer au service de son temple l'?ne qui l'avait avertie fort ? propos, et, elle lui pendit une clochette aux oreilles, en m?moire du p?ril qu'elle avait couru: chaque fois qu'elle entendait tinter la clochette, elle regardait autour d'elle pour s'assurer que Priape n'y ?tait pas. Celui-ci, en revanche, avait un tel ressentiment contre l'?ne, que rien ne lui pouvait ?tre plus agr?able que le sacrifice de cet animal. Priape m?me, selon plusieurs po?tes, aurait puni l'?ne, en l'?corchant, pour lui apprendre ? se taire. Il est vrai que cette malicieuse b?te avait renouvel? son braiment ou sa sonnerie dans une situation analogue: Priape rencontra dans les bois la nymphe Lotis, qui dormait comme Cyb?le, et qui ne se d?fiait de rien; il s'appr?tait ? s'emparer de cette belle proie, lorsque l'?ne se mit ? braire et le paralysa dans sa m?chante intention. La nymphe garda rancune ? l'?ne plus encore qu'? Priape. Les Romains s'?taient laiss?s sans doute influencer par la nymphe Lotis, car ils avaient de la haine et presque de l'horreur pour l'?ne, puisque sa rencontre seule leur semblait de mauvais augure.

Lorsque l'?ne eut ?t? successivement priv? de ses vieilles pr?rogatives dans la punition des adult?res, on ne fit que lui donner un suppl?ant bip?de et quelquefois plus d'un en m?me temps; on respecta aussi l'usage de la sonnette comme un monument de l'ancienne p?nalit?. Ce fut sans doute la coutume, plut?t que la loi, qui avait ?tabli ce mode singulier de ch?timent pour les coupables de basse condition; car il est difficile de supposer que les patriciens, m?me pour venger leurs injures personnelles, se soient mis ? la merci de l'insolence pl?b?ienne. Il y avait, dans divers quartiers de Rome les plus ?loign?s du centre de la ville et probablement aupr?s des ?dicules de Priape, certains lieux destin?s ? recevoir les femmes adult?res, et ? les exposer ? l'outrage du premier venu. C'?taient des esp?ces de prisons, ?clair?es par d'?troites fen?tres et ferm?es par une porte solide; sous une vo?te basse, un lit de pierre, garni de paille, attendait les victimes, qu'on faisait entrer ? reculons dans ce bouge d'ignominie; ? l'ext?rieur, des t?tes d'?ne, sculpt?es en relief sur les murs, annon?aient que l'?ne pr?sidait encore aux myst?res impurs, dont cette vo?te ?tait t?moin. Une campanille surmontait le d?me de cet ?difice qui fut peut-?tre l'origine du pilori des temps modernes. Quand une femme avait ?t? trouv?e en flagrant d?lit d'adult?re, elle appartenait au peuple, soit que le mari la lui abandonn?t, soit que le juge la condamn?t ? la Prostitution publique. Elle ?tait entra?n?e au milieu des rires, des injures et des provocations les plus obsc?nes; aucune ran?on ne pouvait la racheter; aucune pri?re, aucun effort, la soustraire ? cet horrible traitement. D?s qu'elle ?tait arriv?e, ? moiti? nue, sur le th??tre de son supplice, la porte se fermait derri?re elle, et l'on ?tablissait une loterie, avec des d?s ou des osselets num?rot?s, qui assignaient ? chaque ex?cuteur de la loi le rang qu'il aurait dans cette abominable ex?cution. Chacun p?n?trait ? son tour dans la cellule, et aussit?t une foule de curieux se pr?cipitait aux barreaux des fen?tres pour jouir du hideux spectacle, que le son de la cloche proclamait au milieu des applaudissements ou des hu?es de la populace. Toutes les fois qu'un nouvel athl?te paraissait dans l'ar?ne, les rires et les cris ?clataient de toutes parts, et la sonnerie recommen?ait. Si l'on s'en rapporte ? Socrate le Scolastique, cette odieuse Prostitution fut en vigueur, par tout l'empire romain, jusqu'au cinqui?me si?cle de l'?re chr?tienne. L'?ne primitif n'existait plus qu'au figur? dans les d?sordres d'une pareille p?nalit?, mais le peuple en avait gard? le souvenir, car il s'?tudiait ? braire comme lui pendant cette inf?me d?bauche, qui se terminait souvent par la mort de la patiente, et par le sacrifice d'un ?ne sur l'autel voisin de Priape. N?anmoins, il est probable que les Romains ne m?prisaient pas, autant qu'ils en avaient l'air, cet animal dont le nom +onos+ d?signait le plus mauvais coup de d?s: souvent un amant, un jeune ?poux suspendait aux colonnes de son lit une t?te d'?ne et un cep de vigne, pour c?l?brer les exploits d'une nuit amoureuse, ou pour se pr?parer ? ceux qu'il projetait; l'?ne transportait les offrandes au temple de la chaste Vesta; l'?ne marchait fi?rement dans les f?tes de Bacchus, et, comme le disait une ?pigramme c?l?bre, si Priape avait pris l'?ne en aversion, c'est qu'il en ?tait jaloux.

La population de Rome, compos?e d'habitants si diff?rents d'origine, de pays, de langage et de moeurs, n'e?t ?t? que trop port?e sans doute ? vivre sans frein et sans loi, dans le d?sordre le plus honteux, si Romulus, Numa et Servius Tullius n'avaient pas cr?? une l?gislation dans laquelle le mariage servait de lien et de fondement ? la soci?t? romaine. Mais comme ces rois ne se pr?occup?rent que des patriciens, la pl?be suppl?a au silence des l?gislateurs ? son ?gard, et se fit des coutumes qui lui tinrent lieu de lois, jusqu'? ce qu'elles devinssent des lois accept?es par les consuls et le s?nat. On peut donc supposer que le mariage des pl?b?iens fut pr?c?d? du concubinage et de la Prostitution, lorsque des femmes ?trang?res vinrent chercher fortune dans une ville o? les hommes ?taient en majorit?, et lorsque les guerres continuelles de Rome avec ses voisins eurent amen? dans ses murs beaucoup de prisonni?res qui restaient esclaves ou qui devenaient ?pouses. En tous cas, la loi et la coutume donnaient ?galement la toute-puissance au mari vis-?-vis de sa femme: celle-ci le trouv?t-elle en plein adult?re, comme le disait Caton, n'osait pas m?me le toucher du bout du doigt , tandis qu'elle pouvait ?tre tu?e impun?ment, si son mari la trouvait dans une position analogue. Les pl?b?iens n'usaient jamais, ? cet ?gard, du b?n?fice que leur accordait la loi; mais les patriciens, pour qui le mariage ?tait chose plus s?rieuse, se faisaient souvent justice eux-m?mes: ils avaient donc d'autres id?es que le peuple sur la Prostitution, et l'on doit en conclure que, dans les premiers si?cles de Rome, ils avaient v?cu plus chastement, plus conjugalement que les pl?b?iens qui ne se mari?rent peut-?tre que pour imiter les patriciens et s'?galer ? eux. La femme mari?e, m?re de famille ou ?pouse, n'avait pas le droit de demander le divorce, m?me pour cause d'adult?re; mais le mari, au contraire, pouvait divorcer dans les trois circonstances que Romulus avait eu le soin de pr?ciser: l'adult?re, l'empoisonnement des enfants, et la soustraction des clefs du coffre-fort, comme indice du vol domestique. La femme n'avait pas, d'ailleurs, plus de pouvoir sur ses enfants que sur son mari; celui-ci, au contraire, avait sur eux droit de vie et de mort, et pouvait les vendre jusqu'? trois fois. Cet empire de la paternit? n'existait qu'? l'?gard des enfants l?gitimes, ce qui d?montre suffisamment que les enfants, issus de la Prostitution, n'avaient ni tutelle ni assistance dans l'?tat, et se voyaient rel?gu?s dans la vile multitude, avec les esclaves et les histrions.

Ce n'?tait pas d'enfants naturels que Rome avait besoin; elle ne faisait rien de ces pauvres victimes qui ne pouvaient nommer leur p?re, et qui rougissaient du nom de leur m?re: elle voulait avoir des citoyens, et elle les demandait au mariage r?guli?rement contract?. Une vieille loi, dont parle Cic?ron, d?fendait ? un citoyen romain de garder le c?libat au del? d'un certain ?ge qui ne d?passait pas trente ans, suivant toute probabilit?. Quand un patricien comparaissait devant le tribunal des censeurs, ceux-ci lui adressaient cette question avant toute autre: <> Ceux qui ne r?pondaient pas d'une mani?re satisfaisante ?taient mis ? l'amende et renvoy?s hors de cause, jusqu'? ce qu'ils eussent fait emplette d'un cheval et d'une femme. Les censeurs, qui exigeaient cette double condition civique chez un patricien, lui permettaient parfois de se contenter de l'une ou de l'autre; car le cheval indiquait des habitudes guerri?res; la femme, des habitudes pacifiques. <> Ce censeur, qui se nommait M?tellus Numiadicus, n'?tait pas lui-m?me bien convaincu des m?rites du mariage qu'il recommandait ? autrui; un jour, il commen?a en ces termes une harangue au s?nat: <> Les censeurs, qui avaient dans leurs attributions les fian?ailles et les mariages, furent certainement charg?s, avant les ?diles, de surveiller la Prostitution publique.

Telle fut chez les Romains la seule jurisprudence ? laquelle ait donn? lieu la Prostitution, jusqu'? ce que la morale chr?tienne eut introduit une l?gislation nouvelle dans le paganisme en l'?clairant et en le purifiant. Sous l'empire des id?es pa?ennes, la Prostitution avait exist? ? l'?tat de tol?rance, et la loi ne daignait pas m?me soulever le voile qui la couvrait aux yeux de la conscience publique; mais d?s que l'?vangile eut commenc? la r?forme des moeurs, le l?gislateur chr?tien se reconnut le droit de r?primer la Prostitution l?gale.

Les filles publiques ? Rome, du moins dans la Rome corrompue et amollie par l'importation des moeurs de la Gr?ce et de l'Asie, ?taient plus nombreuses qu'elles ne le furent jamais ? Ath?nes ni m?me ? Corinthe; elles se divisaient aussi en plusieurs classes qui n'avaient pas entre elles d'autre rapport que l'objet unique de leur honteux commerce; mais, parmi ces diff?rentes cat?gories de courtisanes venues de tous les pays du monde, on e?t cherch? inutilement ces reines de la Prostitution, ces h?taires aussi remarquables par leur instruction et leur esprit que par leurs gr?ces et leur beaut?, ces philosophes form?es ? l'?cole de Socrate et d'?picure, ces Aspasie, ces L?ontium, qui avaient en quelque sorte r?habilit? et illustr? l'h?tairisme grec. Les Romains ?taient plus mat?riels, sinon plus sensuels que les Grecs; ils ne se contentaient pas des raffinements, des d?licatesses de la volupt? ?l?gante; ils ne se nourrissaient pas le coeur avec des illusions d'amour platonique; ils auraient rougi de s'atteler au char litt?raire d'une philosophe ou d'une muse; ils n'eussent pas daign? chercher aupr?s d'une femme de plaisir les chastes distractions d'un entretien spirituel. Pour eux, le plaisir consistait dans les actes les plus grossiers, et comme ils ?taient naturellement d'une nature ardente, d'une imagination lubrique et d'une force hercul?enne, ils ne demandaient que des jouissances r?elles, souvent r?p?t?es, largement assouvies et monstrueusement vari?es. Ce temp?rament, qu'annon?ait la grosseur de leur encolure nerveuse semblable ? celle d'un taureau, se trouvait servi ? souhait par une foule de mercenaires des deux sexes, qui devaient des noms particuliers ? leurs habitudes, ? leurs costumes, ? leurs retraites et aux menus d?tails de leur profession.

...... Hic si Quaeritur et desunt homines, mora nulla peripsam Quomin?s imposito clunem submittat asello.

FIN DU TOME PREMIER.

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