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Read Ebook: Le Rhin Tome IV by Hugo Victor

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Ebook has 550 lines and 52938 words, and 11 pages

Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont ?t? corrig?es. L'orthographe d'origine a ?t? conserv?e et n'a pas ?t? harmonis?e.

LE RHIN

TYPOGRAPHIE DE CH. LAHURE Imprimeur du S?nat et de la Cour de Cassation rue de Vaugirard, 9

VICTOR HUGO

LE RHIN

COLLECTION HETZEL

PARIS

LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET Cie

RUE PIERRE-SARRAZIN, No 14

Droit de traduction r?serv?

BALE.

B?le, 7 septembre.

Hier, cher ami, ? cinq heures du matin, j'ai quitt? Freiburg. A midi j'entrais dans B?le. La route que je fais est chaque jour plus pittoresque. J'ai vu lever le soleil. Vers six heures il a puissamment trou? les nuages, et ses rayons horizontaux sont all?s au loin faire surgir ? l'horizon les gibbosit?s monstrueuses du Jura. Ce sont d?j? des bosses formidables. On sent que ce sont les derni?res ondulations de ces ?normes vagues de granit qu'on appelle les Alpes.

Il faisait assez froid; j'y ?tais seul.

Les jeunes filles de ce c?t? du Haut-Rhin ont un costume exquis: cette coiffure-cocarde dont je vous ai parl?, un jupon brun ? gros plis assez court et une veste d'homme en drap noir avec des morceaux de soie rouge imitant des crev?s et des taillades cousus ? la taille et aux manches. Quelques-unes, au lieu de cocarde, ont un mouchoir rouge nou? en fichu sous le menton. Elles sont charmantes ainsi. Cela ne les emp?che pas de se moucher avec leurs doigts.

Vers huit heures du matin, dans un endroit sauvage et propre ? la r?verie, j'ai vu un monsieur d'?ge v?n?rable, v?tu d'un gilet jaune, d'un pantalon gris et d'une redingote grise, et coiff? d'un vaste chapeau rond, ayant un parapluie sous le bras gauche et un livre ? la main droite. Il lisait attentivement. Ce qui m'inqui?tait, c'est qu'il avait un fouet ? la main gauche. De plus, j'entendais des grognements singuliers derri?re une broussaille qui bordait la route. Tout ? coup la broussaille s'est interrompue, et j'ai reconnu que ce philosophe conduisait un troupeau de cochons.

Le chemin de Freiburg ? B?le court le long d'une magnifique cha?ne de collines d?j? assez hautes pour faire obstacle aux nuages. De temps en temps on rencontre sur la route un chariot attel? de boeufs, conduit par un paysan en grand chapeau, dont l'accoutrement rappelle la Basse-Bretagne; ou bien un roulier tra?n? par huit mulets; ou une longue poutre qui a ?t? un sapin, et qu'on transporte ? B?le sur deux paires de roues qu'elle r?unit comme un trait d'union; ou une vieille femme ? genoux devant une vieille croix sculpt?e. Deux heures avant d'arriver ? B?le, la route traverse un coin de for?t: des halliers profonds, des pins, des sapins, des m?l?zes; par moments une clairi?re, dans laquelle un grand ch?ne se dresse seul comme le chandelier ? sept branches; puis des ravins o? l'on entend murmurer des torrents. C'est la for?t Noire.

C'est une chose bien remarquable d'ailleurs que ces fontaines. J'en ai compt? huit ? Freiburg; ? B?le il y en a ? tous les coins de rue. Elles abondent ? Lucerne, ? Zurich, ? Berne, ? Soleure. Cela est propre aux montagnes. Les montagnes engendrent les torrents, les torrents engendrent les ruisseaux, les ruisseaux produisent les fontaines; d'o? il suit que toutes ces charmantes fontaines gothiques des villes suisses doivent ?tre class?es parmi les fleurs des Alpes.

Demain, ? cinq heures du matin, je pars pour Zurich, o? vient d'?clater une petite chose qu'on appelle ici une r?volution. Que j'aie une temp?te sur le lac, et le spectacle sera complet.

BALE.

La Plume et le Canif, ?l?gie.--Frick.--B?le.--La cath?drale.--Indignation du voyageur.--Le badigeonnage.--Les fl?ches.--La fa?ade.--Les deux seuls saints qui aient des chevaux.--Le portail de gauche.--La rosace.--Le portail de droite.--Le clo?tre.--Regret amer au clo?tre de Saint-Wandrille.--Luxe des tombeaux.--Int?rieur de l'?glise.--Les stalles.--La chaire.--La crypte.--Peur qu'on y a.--Les archives.--Le haut des clochers.--B?le ? vol d'oiseau.--Promenade dans la ville.--Ce que l'architecture locale a de particulier.--La maison des armuriers.--L'h?tel de ville.--Munatius Plancus.--L'auteur rencontre avec plaisir le valet de tr?fle ? la porte d'une auberge.--L'arch?ologie serait perdue si les servantes ne venaient pas au secours des antiquaires.--La biblioth?que.--Holbein partout.--La table de la di?te.--Soins admirables et exemplaires des biblioth?caires de B?le pour un tableau de Rubens.--Remarque importante et derni?re sur la biblioth?que.--Fin de l'?l?gie de la Plume et du Canif.

Frick, 8 septembre.

Cher ami, j'ai une affreuse plume, et j'attends un canif pour la tailler. Cela ne m'emp?che pas de vous ?crire, comme vous voyez. L'endroit o? je suis s'appelle Frick, et ne m'a rien offert de remarquable qu'un assez joli paysage et un excellent d?jeuner que je viens de d?vorer. J'avais grand'faim.--Ah! on m'apporte un canif et de l'encre. J'avais commenc? cette lettre avec ma carafe pour ?critoire. Puisque j'ai de bonne encre, je vais vous parler de B?le, comme je vous l'ai promis.

Au premier abord, la cath?drale de B?le choque et indigne. Premi?rement, elle n'a plus de vitraux; deuxi?mement, elle est badigeonn?e en gros rouge, non-seulement ? l'int?rieur, ce qui est de droit, mais ? l'ext?rieur, ce qui est inf?me; et cela, depuis le pav? de la place jusqu'? la pointe des clochers: si bien que les deux fl?ches, que l'architecte du quinzi?me si?cle avait faites charmantes, ont l'air maintenant de deux carottes sculpt?es ? jour.--Pourtant, la premi?re col?re pass?e, on regarde l'?glise, et l'on s'y pla?t; elle a de beaux restes. Le toit, en tuiles de couleur, a son originalit? et sa gr?ce . Les fl?ches, flanqu?es d'escaliers-lanternes, sont jolies. Sur la fa?ade principale il y a quatre curieuses statues de femmes: deux femmes saintes qui r?vent et qui lisent; deux femmes folles, ? peine v?tues, montrant leurs belles ?paules de Suissesses fermes et grasses, se raillant et s'injuriant avec de grands ?clats de rire des deux c?t?s du portail gothique. Cette fa?on de repr?senter le diable est neuve et spirituelle. Deux saints ?questres, saint Georges et saint Martin, figur?s ? cheval et plus grands que nature, compl?tent l'ajustement de la fa?ade. Saint Martin partage ? un pauvre la moiti? de son manteau, qui n'?tait peut-?tre qu'une m?chante couverture de laine, et qui maintenant, transfigur? par l'aum?ne, est en marbre, en granit, en jaspe, en porphyre, en velours, en satin, en pourpre, en drap d'argent, en brocart d'or, brod? en diamants et en perles, cisel? par Benvenuto, sculpt? par Jean Goujon, peint par Rapha?l.--Saint Georges, sur la t?te duquel deux anges posent un morion germanique, enfonce un grand coup de lance dans la gueule du dragon qui se tord sur une plinthe compos?e de v?g?taux hideux.

Le portail de gauche est un beau po?me roman. Sous l'archivolte, les quatre ?vang?listes; ? droite et ? gauche, toutes les oeuvres de charit? figur?es dans de petites stalles superpos?es, encadr?es de deux piliers et surmont?es d'une architrave. Cela fait deux esp?ces de pilastres, au sommet desquels un ange glorificateur embouche la trompette. Le po?me se termine par une ode.

Une rosace byzantine compl?te ce portail; et, par un beau soleil, c'est un tableau charmant dans une bordure superbe.

Au centre du clo?tre, il y a une petite cour carr?e pleine de cette belle herbe ?paisse qui pousse sur les morts.

Dans l'int?rieur de l'?glise, outre les tombes dont je vous ai parl? dans ma derni?re lettre, j'ai trouv? des stalles en menuiserie du quinzi?me et du seizi?me si?cle. Ces petits ?difices en bois cisel? sont pour moi des livres tr?s-amusants ? lire; chaque stalle est un chapitre. La grande boiserie d'Amiens est l'iliade de ces ?pop?es.

La chaire, qui est du quinzi?me si?cle, sort du pav? comme une grosse tulipe de pierre, enchev?tr?e sous un r?seau d'inextricables nervures. Ils ont mis ? cette belle fleur une coiffe absurde, comme ? Freiburg.--En g?n?ral, le calvinisme, sans mauvaise intention d'ailleurs, a malmen? cette pauvre ?glise; il l'a badigeonn?e, il a blanchi les fen?tres, il a masqu? d'une balustrade ? mollets le bel ordre roman des hautes trav?es de la nef, et puis il a r?pandu sous cette belle vo?te catholique je ne sais quelle atmosph?re puritaine qui ennuie. La vieille cath?drale du prince-?v?que de B?le, lequel portait d'argent ? la crosse de sable, n'est plus qu'une chambre protestante.

Pourtant le m?thodisme a respect? les chapiteaux romans du choeur, qui sont des plus myst?rieux et des plus remarquables; il a respect? la crypte plac?e sous l'autel, o? il y a des piliers du douzi?me si?cle et des peintures du treizi?me. Quelques monstres romans, d'une difformit? chim?rique, arrach?s de je ne sais quelle ?glise ancienne disparue, gisent l?, sur le sombre pav? de cette crypte, comme des dogues endormis. Ils sont si effrayants qu'on marche aupr?s d'eux dans l'ombre avec quelque peur de les r?veiller.

Du haut des clochers la vue est admirable. J'avais sous mes pieds, ? une profondeur de trois cent cinquante pieds, le Rhin large et vert; autour de moi le grand B?le, devant moi le petit B?le: car le Rhin a fait de la ville deux morceaux; et, comme dans toutes les villes que coupe une rivi?re, un c?t? s'est d?velopp? aux d?pens de l'autre. A Paris c'est la rive droite, ? B?le c'est la rive gauche. Les deux B?le communiquent par un long pont de bois, souvent rudoy? par le Rhin, qui n'a plus de piles de pierre que d'un seul c?t?, et au centre duquel se d?coupe une jolie tourelle-gu?rite du quinzi?me si?cle. Les deux villes font au Rhin des deux c?t?s une broderie ravissante de pignons taill?s, de fa?ades gothiques, de toits ? girouettes, de tourelles et de tours. Cet ourlet d'anciennes maisons se r?p?te sur le Rhin et s'y renverse. Le pont refl?t? prend l'aspect ?trange d'une grande ?chelle couch?e d'une rive ? l'autre. Des bouquets d'arbres et une foule de jardins suspendus aux devantures des maisons se m?lent aux zigzags de toutes ces vieilles architectures. Les croupes des ?glises, les tours des enceintes fortifi?es, font de gros noeuds sombres auxquels se rattachent de temps en temps les lignes capricieuses qui courent en tumulte des clochers aux pignons, des pignons aux lucarnes. Tout cela rit, chante, parle, jase, jaillit, rampe, coule, marche, danse, brille au milieu d'une haute cl?ture de montagnes qui ne s'ouvre ? l'horizon que pour laisser passer le Rhin.

Je suis redescendu dans la ville, qui abonde en fantaisies exquises, en portes bien imagin?es, en ferrures extravagantes, en constructions curieuses de toutes les ?poques. Il y a, entre autres, un grand logis qui sert aujourd'hui de hangar ? un roulage, et qui a ? toutes les baies, guichets, portes, fen?tres, des noeuds gordiens de nervures, souvent tranch?s par l'architecte et les plus bizarres du monde. Je n'ai rien rencontr? de pareil nulle part. La pierre est l? tordue et tricot?e comme de l'osier. Vous pouvez voir des anses de panier en Normandie; mais, pour voir le panier tout entier, il faut venir ? B?le. Pr?s de ce roulage, j'ai visit? l'ancienne maison des armuriers, bel ?difice du seizi?me si?cle, avec des peintures en plein air sur la devanture, dans lesquelles V?nus et la Vierge sont fort accortement m?l?es.

Une fra?che servante est sortie tout ? coup de la porte surbaiss?e; elle m'a adress? quelques paroles en allemand, et, comme je ne la comprenais pas, je l'ai suivie. Bien m'en a pris. La bonne fille m'a introduit dans une chambre o? il y a un escalier ? vis des plus exquis, puis dans une salle toute en ch?ne poli, avec de beaux vitraux aux crois?es et une superbe porte de la renaissance ? la place o? nous mettons d'ordinaire la chemin?e: ici, comme en Alsace, comme en Allemagne, il n'y a pas de chemin?es, il y a des po?les. Voyant toutes ces merveilles, j'ai donn? ? la gracieuse fille une belle pi?ce d'argent de France qui l'a fait sourire.

Sur l'escalier de cet h?tel de ville il y a une curieuse fresque du Jugement dernier, qui est du seizi?me si?cle.

Je n'aurais pas quitt? B?le sans visiter la Biblioth?que. Je savais que B?le est pour les Holbein ce que Francfort est pour les Albert Durer. A la Biblioth?que, en effet, c'est un nid, un tas, un encombrement; de quelque c?t? qu'on se tourne, tout est Holbein. Il y a Luther, il y a Erasme, il y a M?lanchthon, il y a Catherine de Bora, il y a Holbein lui-m?me; il y a la femme de Holbein, belle femme d'une quarantaine d'ann?es, encore charmante, qui a pleur? et qui r?ve entre ses deux enfants pensifs, qui vous regarde comme une femme qui a souffert et qui pourtant vous donne envie de baiser son beau cou. Il y a aussi Thomas Morus avec toute sa famille, avec son p?re et ses enfants, avec son singe, car le grave chancelier aimait les singes. Et puis il y a deux Passions, l'une peinte, l'autre dessin?e ? la plume; deux Christ morts, admirables cadavres qui font tressaillir. Tout cela est de Holbein; tout cela est divin de r?alit?, de po?sie et d'invention. J'ai toujours aim? Holbein; je trouve dans sa peinture les deux choses qui me touchent, la tristesse et la douceur.

Mon ami, j'arr?te ici cette lettre, griffonn?e, comme vous le pouvez voir, sur je ne sais quel papyrus ?gyptien plus poreux et plus alt?r? qu'une ?ponge. Voici un supplice que j'enregistre parmi ceux que je ne souhaite pas ? mes pires ennemis: ?crire avec une plume qui crache sur du papier qui boit.

ZURICH.

L'auteur entend un tapage nocturne, se penche et reconna?t que c'est une r?volution.--S?r?nit? de la nuit.--V?nus.--Choses violentes m?l?es aux petites choses.--Enceinte murale de B?le.--Quel succ?s les B?lois obtiennent dans le redoutable foss? de leur ville.--Familiarit?s hardies de l'auteur avec une gargouille.--Les portes de B?le.--L'arm?e de B?le.--Une fontaine en mauvais lieu.--Route de B?le ? Zurich.--Creuzach.--Augst.--L'Ergolz.--Warmbach.--Rhinfelden.--Une fontaine en bon lieu.--L'auteur prend place parmi les chimistes.

C'est qu'il y a une r?volution ? Zurich. Les petites villes veulent faire comme les grandes. Tout marquis veut avoir un page. Zurich vient de tuer son bourgmestre et de changer son gouvernement.

Moi, puisqu'ils m'ont ?veill?, je profite de cela pour vous ?crire, mon ami. Voil? ce que vous gagnerez ? cette r?volution.

Le jour se levait hier matin quand j'ai quitt? B?le. La route qui m?ne ? Zurich c?toie pendant un demi-quart de lieue les vieilles tours de la ville. Je ne vous ai pas parl? des tours de B?le; elles sont pourtant remarquables, toutes de formes et de hauteurs diff?rentes, s?par?es les unes des autres par une enceinte cr?nel?e appuy?e sur un foss? formidable o? la ville de B?le cultive avec succ?s les pommes de terre. Du temps des arcs et des fl?ches, cette enceinte ?tait une forteresse redoutable; maintenant ce n'est plus qu'une chemise.

Les entr?es de la ville sont encore orn?es de ces belles herses du quatorzi?me si?cle, dont les dents crochues garnissent le haut des portes, si bien qu'en sortant d'une tour on croit sortir de la gueule d'un monstre. A propos, avant-hier, au plus haut de la fl?che de B?le, il y avait une gargouille qui me regardait fixement; je me suis pench?, je lui ai mis r?sol?ment la main dans la gueule, il n'en a ?t? que cela. Vous pouvez conter la chose aux gens qui s'?merveillent de Van-Amburgh.

Presque toutes les entr?es du grand B?le sont des portes-forteresses d'un beau caract?re, surtout celle qui m?ne au polygone, fier donjon ? toit aigu, flanqu? de deux tourelles, orn? de statues comme la porte de Vincennes et l'ancienne porte du vieux Louvre. Il va sans dire qu'on l'a ratiss?, rabot?, mastiqu? et badigeonn? . Deux archers sculpt?s dans les cr?neaux sont curieux. Ils appuient contre le mur leurs souliers ? la poulaine et semblent soutenir avec d'?normes efforts les armes de la ville, tant elles sont lourdes ? porter. En ce moment passait sous la porte un peloton d'environ deux cents hommes qui revenaient du polygone avec un canon. Je crois que c'est l'arm?e de B?le.

Pr?s de cette porte est une d?licieuse fontaine de la renaissance qui est couverte de canons, de mortiers et de piles de boulets sculpt?s autour de son bassin, et qui jette son eau avec le gazouillement d'un oiseau. Cette pauvre fontaine est honteusement mutil?e et d?grad?e; la colonne centrale ?tait charg?e de figures exquises dont il ne reste plus que les torses, et, par-ci, par-l?, un bras ou une jambe. Pauvre chef-d'oeuvre viol? par tous les soudards de l'arsenal!--Mais je reprends la route de B?le ? Zurich.

Pendant quatre heures, jusqu'? Rhinfelden, elle c?toie le Rhin dans une vall?e ravissante o? pleuvaient, du haut des nuages, toutes les lueurs humides du matin. On laisse ? gauche Creuzach, dont la haute tour, tach?e d'un cadran blanc, s'aper?oit des clochers de B?le; puis on traverse Augst. Augst, voil? un nom bien barbare. Eh bien, ce nom, c'est Augusta. Augst est une ville romaine, la capitale des Rauraques, l'ancienne Raurica, l'ancienne Augusta Rauracorum, fond?e par le consul Munatius Plancus, auquel les B?lois ont ?rig? une statue dans leur h?tel de ville, avec ?pitaphe r?dig?e par un brave p?dant qui s'appelait Beatus Rhenanus. Voil? une bien grosse gloire, disais-je, et une bien petite ville. En effet, l'Augusta Rauracorum n'est plus maintenant qu'un adorable d?cor pour un vaudeville suisse. Un groupe de cabanes pittoresques, pos? sur un rocher, rattach? par deux vieilles portes-forteresses; deux ponts moisis, sous lesquels galope un joli torrent, l'Ergolz, qui descend de la montagne en ?cartant les branches des arbres; un bruit de roues de moulins, des balcons de bois ?gay?s de vignes, un vieux cimeti?re o? j'ai remarqu? en passant une tombe ?trange du quatri?me si?cle et qui a l'air de s'?crouler dans le Rhin, auquel il est adoss?; voil? Augst, voil? Raurica, voil? Augusta. Le sol est boulevers? par les fouilles. On en tire un tas de petites statuettes de bronze dont la biblioth?que de B?le se fait un petit dunkerque.

Une demi-heure plus loin, sur l'autre rive du Rhin, ce joli ruban de vieilles maisons de bois, coup? par une cascade, c'est Warmbach. Et puis, apr?s une demi-lieue d'arbres, de ravins et de prairies, le Rhin s'ouvre; au milieu de l'eau s'accroupit un gros rocher couvert de ruines et rattach? aux deux rives par un pont couvert, b?ti en bois, d'un aspect singulier. Une petite ville gothique, h?riss?e de tours, de cr?neaux et de clochers, descend en d?sordre vers ce pont: c'est Rhinfelden, une cit? militaire et religieuse, une des quatre villes foresti?res, un lieu c?l?bre et charmant. Cette ruine au milieu du Rhin, c'est l'ancien ch?teau, qu'on appelle la Pierre-de-Rhinfelden. Sous ce pont de bois qui n'a qu'une arche, au del? du rocher, du c?t? oppos? ? la ville, le Rhin n'est plus un fleuve, c'est un gouffre. Force bateaux s'y perdent tous les jours.--Je me suis arr?t? un grand quart d'heure ? Rhinfelden. Les enseignes des auberges pendent ? d'?normes branches de fer touffues, les plus amusantes du monde. La grande rue est r?jouie par une belle fontaine dont la colonne porte un noble homme d'armes qui porte lui-m?me les armes de la ville de son bras ?lev? fi?rement au-dessus de sa t?te.

Apr?s Rhinfelden jusqu'? Bruck, le paysage reste charmant, mais l'antiquaire n'a rien ? regarder, ? moins qu'il ne soit comme moi plut?t curieux qu'arch?ologue, plut?t fl?neur de grandes routes que voyageur. Je suis un grand regardeur de toutes choses, rien de plus; mais je crois avoir raison; toute chose contient une pens?e; je t?che d'extraire la pens?e de la chose. C'est une chimie comme une autre.

ZURICH.

Septembre.

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