Read Ebook: Caprices d'un Bibliophile by Uzanne Octave
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Ebook has 423 lines and 35110 words, and 9 pages
Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont ?t? corrig?es. L'orthographe d'origine a ?t? conserv?e et n'a pas ?t? harmonis?e.
Les erreurs indiqu?es dans l'errata ? la fin du livre ont ?t? corrig?es dans le texte.
CAPRICES
D'UN
BIBLIOPHILE
TIR?? A 572 EXEMPLAIRES:
DROITS DE REPRODUCTION ET DE TRADUCTION R??SERV??S
CAPRICES
D'UN
BIBLIOPHILE
PAR
OCTAVE UZANNE
PR??FACE
AU LECTEUR
Sunt bona, sunt qu??dam mediocria, sunt plura mala; Qui legis h??c, aliter non fit, Avite Liber.
MARTIAL.
Paris, 15 f?vrier 1878.
UNE VENTE DE LIVRES
A L'HOTEL DROUOT
Les am??res douleurs, les regrets, la mort se peignent dans mes songes.
J. J. ROUSSEAU.
Il est des jours o?? l'on se pend ? Londres, dit-on, sans savoir pourquoi. Ce soir l? j'?tais rentr? terriblement agac?, les nerfs tendus comme les cordes d'un violon, la mine morose, l'allure courb?e, dans un accablement intense. Il me bruinait au c??ur tant la sombre tristesse m'envahissait, et je logeais dans ma cervelle tous les diables noirs de la m?lancolie. J'?tais bourru, aigre, hargneux, misanthrope; une sorte de fi??vre maligne ravageait tout mon ??tre et j'eus pay? bien cher l'occasion de pleurer. Il ne me souvient pas, cependant, d'avoir rencontr? le plus petit cr?ancier, ni lu le moindre discours acad?mique, rien d'anormal n'avait voil? mon front d'un cr??pe de deuil, rien!... Je m'?tais uniquement promen? une partie du jour dans les diff?rentes salles de l'h??tel des ventes; je m'?tais promen?, tenant en laisse la meute affam?e des d?sirs les plus ardents.
O po?< C'est pour avoir ?prouv? ces Tantalesques ?motions que le ciel de mon ??me s'?tait assombri; les morsures aigu?< Ouf! avec quel nonchaloir on se laisse tomber dans le grand fauteuil qui tend les bras, et que, la t??te renvers?e, dans un d?lassement alangui, il est doux, apr??s une journ?e de fatigue, de promener un ??il mi-ferm? sur tout le fouillis domestique qui nous environne. Tous les objets, ces ?lus du go?>>t, semblent devenir plus chatoyants pour le retour du ma?tre, ils lui sourient, et dans le langage myst?rieux des choses, ils paraissent le saluer joyeusement ? son arriv?e. Ce fut avec un bonheur m??l? de reconnaissance, que je contemplai ce soir-l? mes richesses, meubles anciens, statuettes, potiches, tableaux et gravures, tous ces jolis riens amass?s avec patience; ma Biblioth??que se dressait fi??rement, comme orgueilleuse de son noble faix, et la vue de mes livres me rass?r?na. Ils ?taient l? , tous align?s, dans une magistrale mitoyennet?, splendides comme ? une revue; les reliures ? petits fers brillaient, semblables ? de beaux uniformes, les volumes broch?s supportaient modestement leur primitif v??tement et le vieux veau brun distillait dans l'air ce v?tuste parfum qui ?nivre si d?licieusement les amoureux du Bouquin. Je regardai avec joie mes chers livres, anthologie de ma passion; je me surpris ? d?tailler leurs charmes, ? compulser leur beaut?, ? analyser leurs perfections; je les caressai de l'??il, je les eus volontiers embrass?s, et mes sensations vaniteuses de Bibliophile vibr??rent avec intensit?. ?< Le somnif?rant Morph?e me paraissait cette nuit-l? , occup? ? secouer ses pavots sur d'autres paupi??res que les miennes, je r?solus d'attendre patiemment les loisirs de cette d?it? inconstante et, prenant sur un rayon, une plaquette, petit in-12, reli?e en maroquin blanc avec coins, je fus me coucher pour lire dans le grand silence de minuit. Je ne tardai pas n?anmoins, peu ? peu, ? m'endormir profond?ment et un essaim de songes tortionnaires vint papillonner dans mon alc??ve. Je fl??nais en r??vant, ou je r??vais en fl??nant, au milieu de ce grand mouvement, de ce perp?tuel va-et-vient dont l'h??tel Drouot est le spectacle ? l'?poque des belles ventes--c'?tait une cohue: D'adorables petites femmes mises avec une gr??ce exquise, des messieurs tr??s d?cor?s, financiers, peintres, hommes de lettres, des marchands et marchandes ? la toilette, des commissionnaires, que sais-je!--Je m'arr??tai en premier lieu ? la salle no 2: On y vendait des tapisseries des Gobelins, des meubles Renaissance, des bronzes, des fa??ences italiennes et japonaises, des ?maux, des statues, tout un bric ? brac ?tonn? de se trouver r?uni. Arm? de son maillet d'ivoire ? manche d'?b??ne, lorgnon sur l'??il, la face rouge, ras?e de frais, plus imp?tueux que jamais, Ma?tre Oudard pontifiait.--Je m'approchai. Les gar??ons emportaient, un mouvement se faisait dans l'auditoire, puis l'expert avec calme mettait un nouvel objet en vente, et la voix de Me Oudard reprenait de plus belle: ?< Ces deux colonnes Doriques ne m'?taient pas inconnues, et afin de me rendre compte de leurs provenances, je demandai les catalogues du jour au distributeur qui passait. La salle no 6 ?tait magistralement pleine. Impossible de me frayer un passage par la porte du vestibule. Je me rendis au magasin ?galement encombr? et l? , avec grandes peines, je parvins, ? gravir sur un tabouret d'o?? je d?couvris un affreux spectacle. Me Maurice Delestre occupait la chaire, correct et ?l?gant comme un jeune sportman; ? sa droite, derri??re une table surcharg?e de livres, la t??te maigre et ? lunettes de M. L... surgissait. Des gar??ons emmagasinaient brutalement des livres que je ne pus voir, mais que je reconnus aux palpitations de mon c??ur... Et d'ailleurs pourquoi douter? N'avais-je pas l? devant moi, horrible! horrible! horrible! mes trois corps de biblioth??ques ? colonnes torses que les draperies vertes de la salle rendaient encore plus belles? J'examinai la salle. Au second plan, ?? torture! hiss?s sur des chaises, mes amis au grand complet, joyeux, pimpants, se frottant les mains et inspectant mon catalogue avec des petits sourires entendus. J'?touffais. L'inquisiteur... je veux dire le filet de voix aigre, gr??le et per??ant de M. L... rompit ce silence. ?< ?< On demande 150 francs, r?p?ta Me Maurice Delestre.--Il y a marchand dit r?solument un de mes amis les plus intimes,--160 lan??a ED. R...,--180 fit M...,--200 reprit l'ami intime...--Ce fut un ouragan d'ench??res, au milieu desquelles, ?? surprise! je crus remarquer la voix d?licate et timide d'une femme. Cette petite voix f?minine ?tait langoureuse et fr?missante; par une filiation myst?rieuse, elle semblait comprendre mon martyre et mon impuissance; c'?tait comme un ?cho de moi-m??me qui r?sonnait dans la salle, et, sans le mutisme ?pouvantable dont j'?tais frapp?, je n'aurais pas, ? ma propre vente, mieux conduit les ench??res. Elle ?tait fi??re et vibrante jusque dans sa timidit?, cette ch??re petite voix f?minine, aussi je la b?nissais en d?pit de ma douleur et de ma rage, et tous mes plus galants d?sirs se portaient vers le coin d'ombre d'o?? elle me paraissait sortir.--A 350 francs; LA COM??DIE DE LA MORT fut adjug?e ? cette folle ench?risseuse. J'attendais qu'on lan????t le nom de ma sympathique inconnue;... qui cela pouvait-il bien ??tre?... J'?tais sur des charbons ardents et ma curiosit? n'avait plus de bornes. H?las! aucun nom ne fut prononc? et le crieur fit silencieusement passer au commissaire-priseur une carte, une simple carte,... un bristol ros? du plus doux effet. Je me pris ? b??tir les suppositions les moins fond?es, tout en scrutant du regard les personnes assises ou debout; mais, soit que ma vue f?>>t troubl?e, soit que, dissimul?e habilement dans la foule, la dame ne t?nt pas ? ??tre d?couverte, il me fut impossible d'entrevoir le plus mignon profil fuyant, pas un bout de dentelle, une main gant?e, une plume de chapeau, une m??che de cheveux blonds ou bruns, rien,... absolument rien; je ne vis que la houle mugissante des spectateurs, attentifs et pr??ts ? d?vorer mes Romantiques. Le monotone, aga??ant et peu viril organe de M. L... reprenait la nomenclature du catalogue. Il serait trop long de peindre la furia des ench??res. Jamais, de m?moire de libraire, on n'avait vu bataille si acharn?e. Me Maurice Delestre s'?tait lev?, l'??il mobile, la voix saccad?e, droit comme un g?n?ral au feu. Le crieur paraissait ext?nu?, tant l'animation ?tait grande, et, sous les verres convexes de ses lunettes, les yeux de l'expert marquaient un supr??me ahurissement. Le marteau d'ivoire voltigeait dans l'air et ne pouvait s'abattre, c'est ? peine si l'on entendait le bruit des salles voisines et, sur leurs chaises hiss?s, mes amis se regardaient effar?s.
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