Read Ebook: Cours familier de Littérature - Volume 22 by Lamartine Alphonse De
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Ebook has 1607 lines and 117547 words, and 33 pages
COURS FAMILIER DE LITT?RATURE
UN ENTRETIEN PAR MOIS
PAR M. A. DE LAMARTINE
PARIS ON S'ABONNE CHEZ L'AUTEUR, RUE DE LA VILLE L'?V?QUE, 43. 1866
L'auteur se r?serve le droit de traduction et de reproduction ? l'?tranger.
COURS FAMILIER DE LITT?RATURE
REVUE MENSUELLE.
Typ. Rouge fr?res, Dunon et Fresn?, rue du Four-St-Germain, 43.
FIOR D'ALIZA
Je ne sais pas combien de temps, monsieur, je restai ainsi ?vanouie de douleur sur les marches de la petite chapelle, au milieu du pont, devant la niche grill?e de la Madone. Quand je revins ? moi, je me trouvai toujours couch?e dans la poussi?re du chemin, sur le bord du pont; mais une jolie contadine, en habit de f?te, penchait son gracieux visage sur le mien, me donnait de l'air au front avec son ?ventail de papier vert tout paillet? d'or, et me faisait respirer, ? d?faut d'eau de senteur, son gros bouquet de fleurs de limons qu'elle tenait ? la main comme une fianc?e de la campagne; elle ?tait tellement belle de visage, de robe, de dentelles et de rubans, monsieur, qu'en rouvrant les yeux je crus que c'?tait un miracle, que la Madone vivante ?tait descendue de sa niche ou de son paradis pour m'assister, et je fis un signe de croix, comme devant le Saint-Sacrement, quand le pr?tre l'?l?ve ? la messe et le fait adorer aux chr?tiens de la montagne au milieu d'un nuage d'encens, ? la lueur du soleil du matin, qui reluit sur le calice.
CXLIV
Mais je vis bien vite que je m'?tais tromp?e, quand un beau jeune paysan de Saltochio, son fianc? ou son fr?re, d?tacha de son ?paule une petite gourde de coco suspendue ? sa veste par une petite cha?ne d'argent, d?boucha la gourde, et, l'appliquant ? mes l?vres, en fit couler doucement quelques gouttes dans ma bouche, pour me relever le coeur et me rendre la parole.
Deux grands boeufs blancs, aussi luisants que le marbre des statues qui brillent sur le quai de Pise, ?taient attel?s au timon du char: un petit bouvier de quinze ans, avec son aiguillon de roseau ? la main, se tenait debout, arr?t? devant les gros boeufs; il leur chassait les mouches du flanc avec une branche feuillue de saule; leurs cornes luisantes, leur joug poli, de bois d'?rable, ?taient enlac?s de sarments de vigne encore verte dont les pampres et les feuilles balayaient la poussi?re de la route jusque sur leurs sabots vernis de cire jaune par le jeune bouvier; ils regardaient ? droite et ? gauche, d'un oeil doux et oblique, comme pour demander pourquoi on les avait arr?t?s, et ils poussaient de temps en temps des mugissements profonds, mais joyeux, comme des zampognes vivantes qui auraient jou? d'elles-m?mes un air de f?te.
CXLV
Voil? ce que je vis devant moi, monsieur, en rouvrant les yeux ? la lumi?re.
Les deux fianc?s m'avaient adoss?e sur mon s?ant contre le parapet du pont, ? l'ombre, et ils me regardaient doucement avec de belle eau dans les yeux; on voyait qu'ils attendaient, pour questionner, que je leur parlasse moi-m?me la premi?re; mais je n'osais pas seulement lever un regard sur tout ce beau monde pour lui dire le remerc?ment que je me sentais dans le coeur.
--C'est la faim, disait le fianc?, et il m'offrait un morceau de g?teau b?nit que le pr?tre du village voisin venait de leur distribuer ? la messe des noces; mais je n'avais pas faim, et je d?tournais la t?te en repoussant sa politesse.
--C'est la soif, disait le petit bouvier, en m'apportant une gorg?e d'eau du Cerchio dans une feuille de muguet.
H?las! je n'osais pas leur dire: Ce n'est ni la faim de la bouche, ni la soif des l?vres, ni la chaleur du front, c'est le chagrin. Que leur aurait fait mon chagrin jet? tout au travers de leur joie, comme une ortie dans une guirlande de roses?
--N'est-ce pas que c'est la chaleur et la poussi?re du jour qui t'ont surpris sur le chemin, pauvre bel enfant, me dit enfin la fianc?e, et qu'? pr?sent que l'ombre du mur et le vent de l'?ventail t'ont rafra?chi, tu ne te sens plus de mal? On le voit bien aux fra?ches couleurs qui te refleurissent sur la joue.
--Je vous le disais bien, reprit-elle, en se retournant avec un air de contentement vers son fianc? et vers ses vieux et jeunes parents qui regardaient tout ?mus du haut du char.
--L'enfant est fatigu?, dit tout le monde; il faut lui faire place ? l'ombre de la toile sur le plancher du chariot. Il est bien mince et les boeufs sont bien forts et bien nourris; il n'y a pas de risque que son poids les fatigue; puisqu'il va ? Lucques et que nous y allons aussi, que nous en co?tera-t-il de le d?poser sous la vo?te du rempart?
--Monte, mon enfant, dit la fianc?e, c'est une b?n?diction du bon Dieu que de trouver une occasion de charit? ? la porte de la ville, un jour de noce et de joie, comme est ce beau jour pour nous.
--Monte, mon gar?on, dit le fianc? en me soulevant dans ses bras forts et en me tendant ? son p?re, qui m'attira du haut du timon et qui me fit passer par-dessus les ridelles.
Car ils m'avaient entendue, en s'approchant aux pas lents des boeufs, pendant que je jouais les derni?res notes de ma litanie de douleur et d'amour, toute seule devant la niche du pont.
CXLVI
? ces mots, tous me firent place, en t?te du char, pr?s du timon, et jet?rent sur mes genoux, les uns du g?teau de ma?s parsem? d'anis et des grappes de raisin, les autres des poires et des oranges. Je fis semblant de manger par reconnaissance et par ?gard, mais les morceaux s'arr?taient entre mes dents, et le vin des grappes, en me rafra?chissant les l?vres, ne me r?jouissait pas le coeur; cependant, je faisais comme celui qui a faim et contentement pour ne pas contrister la noce.
Pendant que le char avan?ait au pas lent des grands boeufs des Maremmes et que les deux fianc?s, assis l'un pr?s de l'autre, sous le dais de toile, causaient ? voix basse, les mains dans les mains, le petit bouvier assis tout pr?s de moi, sur la cheville ouvri?re du timon, derri?re ses boeufs, regardait avec un na?f ?bahissement ma zampogne et me demandait qui est-ce qui m'avait appris si jeune ? faire jouer des airs si m?lodieux ? ce morceau de bois attach? ? cette peau de b?te.
Il s'?merveillait de ce que sept trous dans un roseau, ouverts ou ferm?s au caprice des doigts, faisaient tant de plaisir ? l'oreille, disaient tant de choses au coeur, et il oubliait presque d'en toucher ses boeufs, qui marchaient d'eux-m?mes. Puis il mettait une gloriole d'enfant ? me raconter ? son tour ceci et cela sur cette belle noce qu'il conduisait ? la ville, et sur les personnages qui remplissaient derri?re nous le chariot couvert de toile et de feuilles.
Ces r?cits du jeune bouvier, qui m'avaient laiss?e d'abord distraite et froide, me firent tout ? coup tressaillir, rougir et p?lir quand il ?tait venu ? parler de ge?le, de ge?lier, de cachots et de prisonniers; car l'id?e me vint tout ? coup que la maison o? allait se r?jouir cette noce de village ?tait peut-?tre pr?cis?ment celle o? l'on aurait jet? sur la paille le pauvre Hyeronimo, et que la Providence me fournirait peut-?tre par cet ?vanouissement de douleur sur la route et par cette fortuite rencontre, une occasion de savoir de ses nouvelles, et, qui sait, peut-?tre de parvenir jusqu'? lui.
Je ne fis semblant de rien et je continuai ? interroger, sans affectation, l'enfant jaseur, pour tirer par hasard quelque indice ou quelque esp?rance de ce qui s'?chappait de ses l?vres.
Pendant ce temps les grands boeufs marchaient toujours, et les murs gris des remparts de Lucques, couronn?s d'une noire rang?e de gros tilleuls, commen?aient ? appara?tre ? travers la poudre de la route, au fond de l'horizon.
--Ton fr?re, le fianc?, dis-je au petit, est donc laboureur, et il aidait son p?re dans les travaux de la campagne?
CLI
--Oh! non, r?pondit l'enfant; ils vont revenir ? la maison, et notre p?re, qui commence ? se fatiguer de la charrue, va remettre ? mon fr?re, ? pr?sent mari?, le b?tail et la culture; il se r?serve seulement les vers ? soie, parce que ces petites b?tes donnent plus de revenu et moins de peine. Elles filent d'elles-m?mes, pourvu que les jeunes filles et les vieilles femmes leur apportent, quatre fois par jour, les feuilles de m?rier dans leur tablier, et qu'on leur change souvent la nappe verte sur la table, comme ? des ouvriers d?licats qui pr?f?rent la propret? ? la nourriture.
--Ah! dame, je n'en sais rien, dit l'enfant. Je voudrais bien que ce f?t moi, car on dit que c'est une bien belle place, qu'on y gagne bien des petits b?n?fices honn?tement, et qu'on est ? m?me d'y rendre bien des services aux femmes, aux m?res, aux filles de ces pauvres prisonniers.
CLII
Mais c'?tait une pens?e folle, et je la chassai comme une tentation du d?mon; cependant, malgr? moi, je cherchai ? plaire ? la fianc?e, ? sa m?re et ? son p?re, qui avaient ?t? charitables pour moi, en leur t?moignant plus de respect qu'aux autres et en tirant de ma zampogne et de mes doigts, quand on me prierait de jouer, des airs qu'ils aimeraient le mieux ? entendre.
On ne tarda pas de m'en prier, monsieur, nous touchions enfin aux portes de la ville. C'est l'habitude du pays de Lucques, quand la noce des paysans est riche et la famille respect?e, qu'un musicien, soit fifre, soit violon, soit hautbois, soit musette, soit m?me tambour de basque, se tienne debout sur le devant du char ? boeufs et qu'il joue des aubades, ou des marches, ou des tarentelles joyeuses en l'honneur des mari?s et des assistants.
CLIV
CLV
Le petit bouvier rattela ses boeufs au timon fleuri; on s'embrassa sur les marches de la prison, et le cort?ge s'en alla sans moi, plus triste qu'il n'?tait venu, par les sombres rues de Lucques.
--Et toi, mon gar?on, me dirent le bargello et sa femme, o? vas-tu coucher dans cette grande ville, par la pluie et le temps qu'il fait?
--Je ne sais pas, r?pondis-je, sans souci apparent, mais en r?alit? bien inqui?te de ce que ces braves gens allaient me dire. Je ne sais pas, et je n'en suis gu?re en peine; il y a bien des arcades vides devant les maisons et des porches couverts devant les ?glises de Lucques, une dalle pour s'?tendre; un manteau de b?te pour se couvrir et une zampogne pour oreiller, n'est-ce pas le lit et les meubles des pauvres enfants de la montagne comme je suis? Merci de m'avoir log? et nourri tout un jour si honn?tement, comme vous avez fait; le bon Dieu prendra bien soin de la nuit.
Ils se parlaient ? demi-voix tous deux, pendant que je d?montais ma zampogne et que je pliais mon manteau de poil de ch?vre lentement, comme pour m'en aller. Ils avaient l'air ind?cis de deux personnes qui se demandent: Ferons-nous ou ne ferons-nous pas? La femme semblait dire oui, et le mari dire: Fais ce que tu voudras, peut-?tre bien que ton id?e sera la bonne.
--Eh bien! non, me dit tout ? coup la femme attendrie, pendant que le mari appuyait ce qu'elle disait d'un signe de t?te, eh bien! non, il ne sera pas dit que nous aurons laiss? coucher dehors, un jour de f?te pour la maison, un pauvre musicien qui a r?joui toute la journ?e ces murailles! ? quoi bon aller chercher un g?te sous le porche des ?glises avec les vagabonds et les mendiants couverts de vermine, peut-?tre, pendant que nous avons l?-haut, en montrant du geste ? son mari l'escalier tortueux d'une petite tour, le lit vide du porte-clefs qui s'en va ? Saltochio avec notre fille?
--Oui, n'y manque pas, mon gar?on, ajouta la bonne femme, nous aurons quelque chose ? te dire, mon mari et moi, car ta face d'innocence me pla?t, et ce serait dommage qu'une boule de neige comme ?a s'en all?t rouler dans la boue des ruisseaux et se fondre dans un ?gout, faute d'une main propre pour la ramasser encore pure.
CLX
La tour ?tait haute, ?troite, humide et perc?e seulement, ?? et l?, de fentes dans l'?paisse muraille, pour regarder par-dessus la ville.
Je tirai le verrou, je poussai la porte, j'entrai, toute tremblante, dans la petite chambre ? vo?te basse, ?clair?e le jour par une large meurtri?re, qu'un triple grillage s?parait du ciel; le vent qui sortit de la chambre, quand la porte s'ouvrit, et des chauves-souris, qui battaient leurs ailes aveugles contre les murs, faillirent ?teindre la lampe que je tenais dans ma main gauche pour m'?clairer jusqu'au lit.
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