Read Ebook: Traité touchant le commun usage de l'escriture françoise by Meigret Louis Active Th Century
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Ebook has 278 lines and 25915 words, and 6 pages
Et ? ce que je puis cognoistre nous ne trouvons ceste diversit? de prononciation qu'avecq' r. Car devant les autres consonantes il me semble qu'il se prononce tousjours clos: & s'il s'en treuve de prononcez ouverts, ilz sont bien rares. Parquoy pour le moins nous fault il noter de n'escrire jam?s, ou, devant les autres consonantes: car c'est la vraye prononciation de l'o: & escrirons povoir, covrir, coper, covoitise tout ainsi que nous escrivons bonne, bont?, compaignon.
Et au regard de l'o ouvert il participe de l'a, & o, & est bien rare en la prononciation Fran?oise: avecq' ce qu'il ne se treuve qu'en aucuns vocables devant r, comme en cor, corne, corps, mort, fort, bord, or. Ausquelz on pourroit donner ung point au dessus, comme c?r, c?rps, m?rt, pour denoter l'o ouvert, & escrire du simple o tous autres vocables que nous escrivons avecq' la diphthongue ou. Et ne doit non plus l'o, estre diphthongu? en pour, court, amour, & ainsi de tous autres o, qu'en corone, bonne, bont?, coller, doleur: attendu que la prononciation ne se trouvera point autre es ungs qu'es autres. Vous pourrez paravanture dire, que je cherche ung peu de trop pres les choses. Croyez que je le fais affin que vous cognoissiez comme a est? grande la nonchallance de nous & de noz ancestres, en l'ordre de nostre escriture: & affin que pour le moins la cognoissance des petites faultes vous donne horreur es plus grandes, & telle que quelquefois vous pensiez de les corriger. Et pour aussi donner occasion ? ceux qui font des regles de bien escrire, de rechercher les choses au vif, & de ne se haster pas tant de nous charger de celles qui ne partent d'autres principes que de leur fantaisie seule, avecq' je ne s?ay quelle superstition de nombre de letres pour oultrer l'escriture Fran?oise, & la rendre confuse.
Au regard de u, je treuve que quelquefois nous luy faisons usurper la puissance de l'o devant m, & n, qui est ung vice venu des Latins ? cause des derivaisons, comme en umbre, unde, qui viennent d'umbra, & unda: par faulte d'avoir consider? que l'usage de la langue Fran?oise a tourn? cest u, en o, & d'escrire ombre, onde, & ainsi de tous les autres, esquelz vous oyez le son de l'o, comme en conduire, prononcer.
Vous en pourrez ais?ment voyr la difference en faisant comparaison d'humble ? ombre, & de ung ? onde: d'autant que vous oyrez en humble, & ung, evidemment la voix de u, & es autres celle de l'o. Brief tout ce que vous demande l'escriture n'est point en grand lecture de livres. Il ne fault estre Hebreu, ne Grec, ne Latin, il ne vous fault que la prononciation fran?oise, & savoir la puissance des letres, sans vous amuser ? l'orthographie des autres langes, quelque dificult? qu'on vous face pour les derivaisons: suyvant les quelles vous escririez ung langage qui n'est Latin, Grec, ny Fran?ois, inutile, & confus pour nous, & scandaleux aux estrangiers. Au demourant je treuve que les Latins, & Fran?ois, & toutes autres nations qui usent de l'u, s'en aydent aussi en son de consonnante.
Parquoy l'advis de Claude Caesar n'estoit pas sans rayson, qui voulut qu'on usa d'une autre figure de letre pour u, consonante en inventant une , renvers?e: qui toutesfois ne fut pas receue. A la verit? aussi est ce chose bien dificile de faire recevoir ? ung peuple une nouvelle fa?on de faire tant soit elle juste, raysonnable, & ? son advantage. Et pourtant quiconque se mesle de faire telles remonstrances, se doit contenter d'avoir fait son devoir envers les homes, de tant qu'il sent son entreprinse bonne & fond?e en rayson: sans au demourant craindre les moqueries & blasmes ausquelz finablement l'ignorance forc?e a son recours. Il nous reste encores ? depescher l'y grec, le quel semble estre superflu en nostre langue: d'autant que l'i, est suffisant. Il est vray que les Latins en usent tant seulement es vocables tyrez des Grez, es quelz il se rencontre, comme en syllaba, lychnus, lycaon, & aultres innumerables: combien qu'il n'est pas vray semblable, qu'ilz l'ayent prononc? anciennement en i. Or quant ? nous ce nous seroit une grand peine de chercher en nostre langue les vocables Grecz qui le requierent, d'autant que chascun en use ? son bon gr? pour i, & sans faire tort ? l'escriture.
Aussi bon est aymer qu'aimer. Il est vray qu'il seroit plus convenant entre deux voyelles que l'i, l? ou i, demeure voyelle. Ce qu'aussi nous faisons le plus souvent, comme en loyal, royal, & ? bonne rayson: veu que l'i, sonne quelque fois en consonante entre deux voyelles, comme en gojat, projet, ce que jam?s ne fait l'y, grec.
DES DIPHTHONGUES.
Or avant que de disputer des diphthongues, sachons premierement que cest, & disons que diphthongue, en comprenant les triphthongues, est ung amas de plusieurs voyelles retenans leur son en une seule syllabe:
comme ay, en aydant, eao, en beao, veao, oy en moins, ye en hyer, fier, uy en bruyt, & ainsi des autres es quelz les deux voyelles sont prononc?es. Et pourtant abusent ceux qui cuydent que de ceste assembl?e de voyelles, il s'en face une confusion de son d'une seule autre que celuy de celles qui la forment: comme font les Grecz d'aujourd'huy, quant ilz prononcent Aineas, Eneas:
ou bien quant on pense que l'une seule des deux doit estre prononc?e: ce qu'ilz font en la plus grand partie de leurs diphthongues, pronon?ans tant seulement la derniere voyelle, comme Tiptis, pour Tipteis, inon, pour oinon: ayans opinion les aucuns d'eux estre impossible de faire en la langue Grecque, ce que les enfans, & nourisses savent faire en la nostre.
Mais quelle dificult? y a il plus grande ? prononcer ai, & oi, en aimatto, aideo, oine typoien, qu'en ces autres fran?ois, aimant, aydant, oindre, & moien: es quelz nous oyons resoner legierement les deux voyelles?
Or je treuve qu'en nostre escriture nous en abusons en deux sortes, l'une, en ce que nous escrivons diphthongue au lieu d'une simple voyelle, & l'autre en escrivant une diphthongue pour autre.
Voyons premierement doncques celles qui commencent par a, & considerons si ai, se treuve tousjours raysonnablement escrit, de sorte que les deux voyelles soient en la prononciation comme nous les voyons en aymant, aydant, hair.
Il n'ya point de doubte qu'en mais, maistre, aise, vous ny trouverez aucunes nouvelles de la diphthongue ay, mais tant seulement d'ung e que j'appelle ? ouvert, comme ja j'ay dict. Parquoy telle maniere d'escriture est vicieuse en ceux l?, & en tous autres semblables, es quelz la prononciation est autre que d'ai: comme vous pourrez cognoistre si vous les paragonez ? aydant, aymant, es quelz elle est veritablement prononc?e.
Je treuve d'avantage que nous faisons bien souvent usurper ? la diphthongue ai, la puissance de ei, comme en ces vocables sainct, main, maintenir: es quelz sans point de doubte nous pronon?ons la diphthongue ei tout ainsi qu'en ceint, ceinture, peindre, peinture, meine, emmeine. De sorte que si tu te joues de vouloir prononcer ai en ceux l?, tu seras trouv? lourd, & de mauvaise grace, & avecq aussi bonne rayson qu'est le menu peuple de Paris quant il prononce main, pain, par ai. Ne soyons doncq pas plus lourds, & nyez en nostre escriture que nous ne vouldrions estre trouvez en la lecture: & escrivons pein, mein, & tous autres, es quelz nous oyons semblable prononciation par ei, ainsi que nous faisons peine, meine, ceint, ceinture, peindre, ayans tousjours comme je vous ay dict la prononciation devant noz yeux: car cest le vif, & le refrein de nostre escriture.
Nous avons d'avantage en la prononciation la diphthongue ao, laquelle nostre escriture ne cognoist comme point, mais a au contraire en bonne recommendation la diphthongue au, qu'onques ? mon advis langue de fran?ois ne pronon?a en son langage, comme autant, cault, chauld, chevaux royaux, es quelz nous oyons distinctement la diphthongue ao, tout ainsi qu'en paovre.
Au contraire aussi nous l'escrivons en saoler, aorner, l? ou il n'est nulle memoire de l'a, en la prononciation.
Vsons doncques de la vraye diphthongue en nostre escriture dont use la prononciation, & escrivons aotant, caot, & ainsi des autres, & mesmement qu'elle est hors du dangier des Calomniateurs. Car il est impossible d'en faire lecture en diphthongue, qu'on ne prononce le fran?ois.
Passons aux autres diphthongues, j'entens ? celles ou il me semble qu'on fait quelque abus, comme ? la diphthongue oy: la quelle je voy indiferemment escrite pour oe, comme en moy, toy, soy, troys foys, roy, & estoit aymoit, & finablement en tous les preterits imperfectz des verbes: comme aymoys, aymoyt, estoys, estoit, & quant nous disons quelquefois j'aymoy, j'estoy, es quelz indubitablement nous pronon?ons la diphthongue oe, par e ouvert femenin, ou brief. Ce que nous verrons evidemment si nous voulons considerer ceste diphthongue oi, es vocables es quelz elle est prononc?e, & trouverons qu'il y a grande difference des ungs es autres.
Car en moins royal, loyal, nous oyons evidemment en la prolation la diphthongue commencer par o, & finir par i. Au contraire en moy, toy, soy, nous oyons la fin de la diphthongue, non seulement en e, mais encor en ? ouvert, qui est moien entre a & e clos, & par consequence bien estrange de la prononciation de l'i, ou y grec.
Nous escrirons doncq' lo?, ro?, & loyal, royal. Par ce moien la diphthongue o?, sera tourn?e en oy en ces autres derivatifs. Aussi ferons nous estoi?t allo?t, & tous autres qui ont mesme prononciation, & qu'un enfant apris en l'Alphabeth cognoistroit ais?ment. Et retenez que je parle de la diphthongue o? par l'? ouvert brief: car nous en avons une autre par l'? ouvert masculin, par lequel nous nous dechargerons de deux letres superflues: les quelles nous donnent occasion grande, & mesmement ? ceux qui ne sont rusez, & bien usitez ? la langue fran?oise de faire une lecture merveilleusement aigre au pris de nostre usage de parler.
Les quelles letres se treuvent entrelass?es en la tierce personne du plurier des verbes du preterit imperfect, comme en aymoient, venoient, disoient: es quelz si nous lisons la derniere syllabe entiere comme la rayson de l'escriture le requiert, je vous laisse ? penser de quelle mauvaise grace sera la prononciation: & s'il fault comme la raison le veult que nous lisions moient en aimoient, tout ainsi que nous le faisons en moien. Or pour remedier ? cecy, & que nostre escriture soit plus courte & plus lisable, il nous fault recorir ? la prononciation ainsi qu'ung peinctre recourt au vif ou ? l'ordonnance qu'il suyt pour corriger son pourtraict.
De vray il me semble que nous ne proferons ? parler proprement en fran?ois que la diphthongue o? avecq' le t, en queue, laquelle j'entens estre de l'o & ? ouvert long: de sorte que ceste derniere syllabe n'est en rien differente de celle de la tierce personne du singulier, sinon d'autant que l'e du plurier demande plus longue prononciation, que celuy du singulier:
tout ainsi que nous voyons advenir en l'e clos femenin, & masculin, comme quant nous disons: ferme l'huys, s'il n'est ferm?, nous ne voyons aucune difference en la prononciation, sinon, que la derniere syllabe du dernier ferm? requiert plus longue prolation.
Aussi dy je que quant nous disons Pierre aymo?t ceux qui l'aymo?t: il n'ya difference entre ces deux verbes, sinon que le premier a e ouvert femenin, & le dernier a l'? masculin qui demande une prononciation lente estant celle de l'autre fort soudaine: & l? ou vous vous sentiriez chargez de l'e ouvert, tousjours faudroit il ung ? masculin en l'ung, & femenin en l'autre. Ny n'ay introduit l'e ouvert, sinon pour rendre l'escriture plus perfecte, & plus lisable. Car il me semble que la charge n'en est pas si grande que l'aisance.
Il reste encores ? debatre la diphthongue ou, dont comme je vous ay dict nous nous passerions bien: tellement que nous voyons que les ungs l'escrivent quelquefois, les autres non en aucuns vocables, comme en nous, quant il est primitif, & non en noz quant il est derivatif. Ce qu'ilz ne font pour autre rayson que pour faire la difference du primitif au pris du derivatif: ? quoy je vous ay ja respondu qu'il n'y a difference, ny derivaison, qui ayt loy de corrompe l'escriture: & que puis que la prononciation n'en fait point, qu'aussi ne doivent les letres en corrompant leur puissance.
Mais quelle difference font les Latins quant ? l'escriture des letres entre volo vis, & volo volas?
Car vo, est escrit de mesmes letres en l'ung qu'en l'autre: & toutesfois ilz sont de diverse signification, car volo vis signifie je veux, & volo volas je vole. Quelle rayson doncques avons nous d'escrire vouloir, par la diphthongue ou, plustost que voler? De sorte que nous nous obligeons ? une loy ? la quelle jam?s autre langue ne s'est oblig?e: j'entens pour corrompre les puissances des letres, & l? ou il leur seroit advenu, je ne voy point de moien de raysonnable excuse.
J'ay laiss? ? parler de deux autres diphthongues que nous avons introduictes pour nous jetter hors de la confusion du g, & du c, d'autant que quelquefois nous pronon?ons le g en i, consonante, & le c en s, devant l'a, & l'o, autrefois en leur propre puissance.
Comme quant nous disons gagea, & gageons, commencea, commenceons, l? ou ses deux diphthongues ea, & eo, sont faulses. Car nous n'y pronon?ons purement que l'a, & o: nous vuyderons toutesfois cela quant nous parlerons de ses deux consonantes. Vous voyez comme d'une faulte on tumbe en autre: car si le g, & le c n'eussent point usurp? les puissances de s, & de i, consonante, & que nous eussions us? simplement des letres selon qu'est leur puissance: nous n'eussions point eu occasion d'abuser de ces autres diphthongues. Il y a aussi ung autre abus en l'i, devant le g, & l, que je remets au propos que nous tiendrons quant nous les expedierons. Voyla en somme toutes les dipthongues dont ? mon advis nous abusons en nostre fa?on d'escrire, & qui me semblent dignes d'estre corrig?es, si nous voulons faire que nostre escriture quadre ? la prononciation. Passons maintenant aux consonantes.
DES CONSONNANTES.
Les Grecz homes ingenieux & recherchans les choses selon la rayson naturelle, ont form? leurs conjugaisons des verbes, suyvans aucunes consonantes: qu'ilz appellent characteristiques, & qui avoient le plus d'affinit?, & consonance ensemble.
Et pourtant ont ilz mis en la premiere celles qui avoient en la derniere syllabe devant ?, b, ou ?, ou ?, ou ??, qui vallent autant en nostre langue que b, ou u consonante, ou f, p, ph, pt: les quelles b, & p, sont form?es d'une clousture de levres forc?e de s'ouvrir par le vent de l'home, qui est quelque moindre au b, qu'au p. Et les autres le sont par une compression qui se fait de la levre d'embas aux dens de dessus: & est le mouvement moindre en u consonante, qu'en f, & ph, les quelz j'estime en nostre langue n'estre en rien differans de puissance:
car autant sone f, en filer que ph, en Philipe. Or je treuve qu'en nostre fa?on d'escrire nous abusons souvent par superfluit? du p, & f, de sorte qu'elle donne occasion de faire une lecture rude, & brusque:
comme quant nous escrivons doibt, doibvent, briefvement, escript, escripture, escripre. Car l? n'est aucune mention d'elles en nostre prononciation: ny n'est possible de les y faire tant soit peu sonner, qu'on ne face une lourde fa?on de parler.
Et tenez pour regle generalle que b, & f, ne se rencontrent jam?s en la prononciation fran?oise avant u consonante:
si ce n'est que le b, semble quelque peu sonner en obvier: combien que ce n'est pas la nayve prononciation fran?oise.
Car sans y prendre garde nous pronon?ons plus voluntiers ovier, qu'obvier: & ny a point de doubte qu'au dernier obvier nous nous for?ons, pensans que la prononciation latine nous y doyve contreindre. En quoy nous abusons, car le seul usage de nostre langue doit gouverner nostre prononciation.
Notez aussi que les noms qui se terminent en f, comme brief, la tournent en leurs derivatifs en u consonante, comme brief, brieve, privatif, privative. Passons aux autres consonantes, en poursuyvant celles qui ont quelque convenance de voix ensemble.
Les Grecz font leur seconde conjuguaison des verbes de G, K, X, K, T, qui vallent autant en nostre langue que g, & c, ainsi que nous les pronon?ons avant a, & o, & que Kh, & KT. Or fault il entendre que ces letres ne sont guieres differentes que de vehemente, moyenne, ou foyble prolation. De sorte que toutes se forment d'une retraicte que fait la langue contre le palais en s'estendant jusques aux dens machillieres, & au mouvement de laquelle se cause Ch, ou Kh, quant il est vehement: & ce ? cause de l'aspiration, mais c, ou K, ou q, quant il est moien: au regard du g, il a la prononciation plus molle.
Nous povons bien voer ces differences en Chameau, Capitaine, Gabriel: toutesfois que les Fran?ois ne font guieres soner une aspiration apparamment avecq une consonante, joinct qu'ilz prononcent devant toutes voyelles ch, en s molle.
Je laisse ? penser aux Latins de quelle autorit? ilz prononcent le c, en s, avant e, & i, & en semblable le g en i consonante, & combien est estrange la prononciation de Cicero en pronon?ant Sisero, au pris de dire Kikero. Pensez comme nous trouverions estrange en nostre langue si quelqu'ung pronon?oit Saset pour Caquet.
Toutesfois quelque chose qu'en dye Quintilian, & Priscian: & apres eux Erasme, on y voyt point d'amendement. Et au lieu de prendre peine de bien prononcer selon l'ancienne coustume des Latins, chascung s'excuse sur la faulte d'autruy, disant que les plus savans en usent ainsi. Si n'est il en la puissance de tous les savans homes du monde de forger une nouvelle langue Latine par la plume, ny par livres. Car ung langage est de telle nature, qu'il requiert pour son commencement la tette des nourrisses, & le commun usage receu presques de toutes conditions d'homes d'une nation: ny ne fut oncques trouv? depuis que le monde est monde, qu'autres homes que ceux du pays ayent en puissance de changer l'usage d'une langue, sinon de tant qu'ilz ont eu commune habitation ensemble. Au demourant il n'y a celuy qui estudie es langues Latine, & Grecque, qui n'entende faire la prononciation telle, qu'a est? celle des Autheurs qu'il list: & s'il la fait autre, je puis dire que c'est ung jargon: d'autant que sa lecture ne fut onques anciennement cognue. Avecq ce que comme je vous ay dict l'usage par lequel nous tumbons en confusion & desordre, se doit appeller abus. Voyons maintenant si les Fran?ois ont point confondu ces letres, de sorte qu'on puisse faire faulse lecture.
Je trouve premierement que nous avons usurp? le c, en son d's, avant toutes les voyelles: combien que quelquefois il demeure en sa premiere puissance devant a, o, u, comme en Capitaine, Compaignon, Cure. Mes en ces autres comme, Fon?a, fa?on, cecy nous voyons qu'il est prononc? en s. Parquoy vous voyez evidemment que ceste fa?on d'escrire donne occasion de mal prononcer, & de laisser le liseur en doubte. Or je m'esmerveille que ceux qui ont cherch? de faire differente escriture de vocables, l? ou leur signification seroit diverse: n'ont advis? en semblable de diversifier les letres, l? ou leur puissance se trouveroit diverse.
Car il me semble qu'il est aussi raysonnable de diversifier le C, quant il sonne en S, de celuy qui sonne en K: attendu mesmement que la prononciation est diverse, comme en fa?on, & facond, que de faire diverse l'escriture de nous, primitif, & de noz derivatif: qui ne sont en rien differens en leur prononciation.
Pour nous oster doncques de ceste confusion du C, j'ay advis? que les Hespaignols ont ung ? crochu, ou ? queue, dont nous pourrons user devant toutes voyelles: devant lesquelles nous usurpons le C, en S, en escrivant de ?a ?e?y fa?on, non pas que je vueille dire que S, ne s'y puisse bien mettre, quoy que les homes de france se moquent des Dames le faisant ainsi.
Des quelles si nous recherchons la fa?on d'escrire, nous la trouverons beaucop plus raysonnable, & mieux poursuyvie selon l'Alphabeth, que celle des plus savans homes des nostres. Brief s'il est demour? quelque reste de raysonnable escriture, & form?e selon que les puissances des letres le requierent, il leur en fault donner l'honneur: comme qui ont suyvi ung bon principe qui est, que l'office des letres est de servir en l'escriture, chascune selon sa puissance: & non pas pour y estre oysive, ou bien usurper celle d'une autre. Ce qu'au contraire nous avons faict tous en prenant des faulx principes, que ja je vous ay debatuz.
Si nous estions homes ? qui la rayson fut en affection, & que nous eussions en toutes choses les vrays principes en aussi bonne recommandacion que les apparans: les sophisteries, & faulses doctrines en tous ars ne seroient pas en si grand regne, ny receues pour veritables. Mais en cela cognoistrez vous la difference du savant, & de l'ignorant, & sophiste, que le savant se fortifie de ses principes, qu'il sent partir de verit?, & pourtant certains, & invincibles: sans recourir ? nulles autres armes, & sans fuyr nulle part le combat. Mais l? ou la rayson nous default, & que la verit? nous presse, de sorte que ceste apparence qui n'est qu'une couverture de mensonge vient ? estre decouverte: allors nous quittons la campaigne, ainsi que fait une troupe de gens de guerre quant elle se sent foyble, & regaignons le fort de ruses, & malices, pour quelquefois faire des saillies, avecq' injures, cryeries, & toutes fa?ons de cruaut?. O que c'est une grande pauvret?, & misere en ung pays, quant les homes veulent forcer les autres de recevoir l'ignorance pour science, & les tenebres pour lumiere! Or revenons ? noz moutons. Il me semble doncques que si nous usons de ceste fa?on de ? comme je vous ay dict: & que nous employons le nostre devant les voyelles, esquelles nous le pronon?ons en K, comme en Capitaine, coper, compaignon, que nous fuirons ceste fa?on de confusion de puissance de letres. Par ce moien nous aurons deux letres d'une mesme nature: d'autant qu'il n'est pas possible de corriger l'abus du c autrement: avecq' ce qu'il n'y a point d'inconvenient pour la lecture, d'avoir plusieurs letres d'une mesme puissance.
Quant est du K, & q, les Latins les ont estimez superfluz, comme qui avoient le c, ayant mesme puissance qu'eux sur toutes les voyelles. Il est vray qu'ilz s'aydoient du q, comme dict Priscian pour monstrer qu'es vers l'u ensuyvant perdo?t la force de letre, qui se doit entendre ? mon advis en tant que touche la quantit?. Car par rayson deux voyelles en une syllabe la rendent longue. Or avons nous en tyrant des vocables de la langue Latine gard? ce q, avecq l'u en ceux ou nous l'avons trouv?: combien que l'u n'y soit aucunement prononc?, & que nous ne soyons en la necessit? pour la poesie dont parle Priscian. Parquoy il est superflu.
Car quant nous pronon?ons qui, que, quelle, quant, & ainsi des autres, nous ne disons sinon qi, qe, qelle, qant. Et pourtant je treuve que c'est simplesse de l'escrire, & de penser que l'u soit de rien necessaire pour faire soner le q en K. Et si le c n'eust est? corrompu en usurpation de s, & qu'il eut gard? sa puissance devant i, & e, en K: nous n'avions en sorte du monde besoing du q, ne du K. Car si nous pronon?ons le c en K, en cholerice comme il deut estre, nous y trouverons nostre lecture aussi entiere qu'en cholerique, ou choleriqe. Parquoy le q, ou bien le K nous est necessere mesmement devant e, & i, comme en qi ou Ki, qelle, ou Kelle. Et quant ? cest u, que nous mettons apres le q, il donne occasion de mauvaise lecture: & si ne la donne pour la grande coustume qu'on a de la taire, si est ce qu'en le taisant nous cognoissons qu'il est surhabondant.
Au regard de Ch nous en usons egallement devant toutes les voyelles en s molle: comme en chansons, cheminer, chiches crochu, exceptez aucuns tant Latins que Grecz esquelz nous le pronon?ons en K, comme en cholere chameleon, chart?, & toutesfois nous n'oyons point de prononciation autre que du simple c, ou K.
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