bell notificationshomepageloginedit profileclubsdmBox

Read Ebook: L'exilée by Loti Pierre

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

Ebook has 423 lines and 40678 words, and 9 pages

Je l'ai entendue une fois accomplir le m?me tour de force de traduction avec la langue roumaine. Elle lisait une vieille ballade des montagnes et, ? livre ouvert, la transposait en un fran?ais rythm? qui paraissait ?tre de la po?sie. Il semble, que pour elle, une langue ou une autre soit un moyen ? peu pr?s indiff?rent de rendre sa pens?e. Elle est en cela comme ces musiciens consomm?s qui jouent un morceau dans un ton ou dans un autre avec la m?me aisance et la m?me intensit? de sentiment...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En terminant l? ces notes rapides, j'ai l'impression de n'avoir rien dit de ce que j'aurais d?sir? dire. Je voulais parler de Sa Majest? la reine ?lisabeth de Roumanie,--et je me suis born? ? tourner autour de mon sujet trop profond. J'ai d?crit le cadre,--plut?t que la figure ? laquelle j'ai ? peine os? toucher d'une main l?g?re, dans mon respect extr?me et dans ma crainte de ne pas faire assez ressemblant, assez beau.

Bucarest, avril 1890.

... Ce matin-l?, en entrant dans les appartements de la reine, j'avais ?t? surpris d'y voir une profusion inaccoutum?e de fleurs. Les salons, qui se commandaient par de grandes baies aux draperies relev?es, ?taient pleins de roses comme des sanctuaires d'idoles indoues les jours d'adoration. Sur tous les si?ges, sur les banquettes dor?es, les coussins d'Orient, les tables pr?cieuses, des bouquets ?taient pos?s; d'autres apparaissaient suspendus dans des jardini?res de roseau que nouaient des rubans aux couleurs du royaume; d'autres se tenaient debout sur des pieds, imitant des couronnes royales tout en boutons de roses d'un jaune d'or.

Au fond sombre des appartements, dans une partie plus ?lev?e qui formait tribune, au milieu de broderies aux nuances rares, se tenait l'idole-martyre, qu'on f?tait ce jour-l? encore une fois: la reine, v?tue de blanc comme ? son ordinaire, ses cheveux, blancs aussi, encadrant son visage rest? jeune, au sourire d'exquise et sereine bont?. Deux demoiselles d'honneur, assises par terre ? ses pieds, d?cachetaient et lui lisaient des t?l?grammes de f?licitation, dont un plateau d'argent ?tait rempli...

--<<... Sign?: HUMBERT Ier>>, finissait de lire l'une d'elles.

Et l'autre reprenait: <>

La reine leva la t?te vers moi qui entrais, et, souriante, avec une expression d'une m?lancolie sans bornes, me donna l'explication que sans doute mes yeux demandaient:

--C'est ma f?te aujourd'hui... Vous ne saviez pas, vous... J'avais d?fendu ? ces petites filles de vous le dire: je re?ois d?j? bien assez de fleurs, mon Dieu...

Et la fin inexprim?e de la phrase signifiait que la souveraine ne se laissait pas leurrer par cette profusion de roses.

En l'honneur de la f?te de la reine,--la derni?re f?te qui lui fut souhait?e par son peuple,--il y eut r?ception intime, au palais, l'apr?s-midi, dans les appartements particuliers.

Vers deux heures, elles arriv?rent toutes, celles que la reine appelait <>, c'est-?-dire ses demoiselles d'honneur d'antan, plus ou moins ?lev?es par elle, puis mari?es par ses soins.

Dans ce premier salon, o? un grand orgue d'?glise montait au plafond sombre, la reine les attendait. Elles entraient une ? une ou par petits groupes, ?mergeant de la serre aux palmiers; c'?tait un ?blouissement de les regarder appara?tre, brod?es et paillet?es d'or, car Sa Majest? avait, pour ce jour, prescrit le vieux costume national et s'?tait, elle-m?me, v?tue d'un rigide drap d'argent, avec le long voile archa?que.

Parmi les arrivantes, je retrouvais beaucoup de mes commensales un peu oubli?es, d'il y avait trois ans, au f?erique ch?teau de Sina?a. J'?changeais avec elles des saluts, ou quelques mots de gai revoir.

Mais toutes ces figures d'?l?gantes frivoles, affol?es de la mode du jour, tous ces jolis yeux noirs, curieux, scrutateurs, perfides, d?tonnaient plus que jamais avec ces costumes anciens. Et puis, je ne sais quoi de d?j? ingrat, de d?j? haineux, de d?j? cruel, ?tait dans leur sourire ? la reine, dans leurs r?v?rences de cour, dans leurs baisements de main... Oh! je ne dis pas cela pour toutes, assur?ment, car il s'en trouvait l? de loyales et de fid?les, femmes de m?moire et de coeur, qui se discernaient des autres. Mais la plupart d'entre elles me glac?rent, vues tout ? coup sous un jour impr?vu...

Et comme elle ?tait chang?e, leur reine, depuis ces trois ans! Encore si jeune de visage, en ce temps-l?, et aujourd'hui, ab?m?e par quelque inoubliable deuil, par quelque supr?me d?ception, peut-?tre; amaigrie, vieillie, et le sourire d?sol?.

Des musiciens tziganes arriv?rent ensuite, qu'on dissimula dans la serre aux grands palmiers. Sous les feuillages, inond?s de soleil factice, qui, vus des salons obscurs, jouaient le jardin oriental, on n'apercevait que leurs t?tes fauves, comme des Indiens embusqu?s dans la jungle, et leur musique en fi?vre triste venait ? nous tr?s att?nu?e.

Alors toutes les dangereuses petites poup?es paillet?es d'or se form?rent en une longue cha?ne charmante, pour commencer, par fantaisie d'?l?gantes modernes, une vieille danse populaire de ce pays appel?e: <>.

Elles pri?rent la reine de danser aussi, et la reine, pour leur faire plaisir, le voulut bien, avec son inalt?rable bonne gr?ce et toujours sa souriante tristesse. Au milieu de la cha?ne arrondie en cercle, elle vint se placer, plus grande que toutes <> et enti?rement blanche, avec son drap d'argent et son voile de mousseline, parmi leurs pailletages et leurs broderies multicolores. Elle semblait une s?rieuse et douce figure, ?chapp?e d'une fresque byzantine, ayant mis pour la premi?re fois, sous son voile blanc, un bandeau ? l'antique tr?s bas sur le front: <> Et on ne l'en avait pas d?persuad?e, tant ce bandeau lui allait bien... Avec un art et un charme qu'aucune de <> ne savait atteindre, elle dansa la danse lente et grave, qui semblait une sorte de pas rituel.

Apr?s, elles lui demand?rent de chanter. Et elle chanta, avec sa r?signation ? leur plaire, elle chanta un vieux lied d'Allemagne, qu'elle me pria de lui accompagner ? l'orgue. Toutes les angoisses de son ?me pass?rent dans sa voix et, apr?s qu'elle eut d?licieusement chant?, il me sembla que, dans l'entour, quelques paires de jolis yeux m?chants s'?taient adoucis et se mouillaient de larmes...

Le soir, il me fut donn? de prendre place pour la derni?re fois ? la petite table royale.

C'?tait, au centre des appartements particuliers, dans une haute salle circulaire en marbre rouge, aux lambris de marbre noir, que d?coraient des tableaux de sombres ma?tres anciens. Un couvert tout simple, sur une table ronde, juste assez grande pour les six personnes qui s'asseyaient autour: le roi, la reine, le prince royal, deux demoiselles d'honneur, et l'h?te que Leurs Majest?s avaient bien voulu admettre. N'e?t ?t? la splendeur aust?re du lieu, et le nombre, le silence empress?, la livr?e de cour des gens de service, on e?t dit le plus intime repas de famille.

Pendant la causerie de ces d?ners, le roi se montrait de la plus affable et charmante bienveillance, ne gardant, de son habituelle expression grave qui imposait tant, qu'un pli profond trac? entre ses sourcils noirs. <>

Mais, ni la bienveillante simplicit? des souverains, ni les figures jeunes du prince royal et des demoiselles d'honneur, ni m?me quelquefois leurs rires discrets ? propos d'enfantillages, ne parvenaient ? dissiper une tristesse sp?ciale, qui tombait des hauts plafonds.

La rotonde de marbre rouge avait vue, par des portes sans battants, sur de grandes salles peu ?clair?es, dont la magnificence portait l'empreinte du go?t s?v?re et affin? du roi,--entre autres la biblioth?que, au fond de laquelle ?tait allum? le fanal historique de la gondole des anciens doges v?nitiens,--et les deux jeunes filles, rendues plus nerveuses par la vie un peu s?questr?e du palais, plongeaient de temps en temps leurs yeux dans ces lointains, avec de vagues inqui?tudes d'apparitions et de fant?mes.

Qu'est-ce donc qui causait tout cela? C'?tait peut-?tre cet isolement de la vie ext?rieure. C'?tait peut-?tre, autour de nous, cet espace vide, magnifique et obscur, que gardaient des sentinelles, et ce silence, ce silence lourd, au milieu d'une des villes du monde o? le roulement des voitures est le plus fi?vreux et le plus continu... Vraiment, on sentait dans l'air quelque chose de particulier, que les grands d?ners de cour ?tincelants de lumi?re ne donnent jamais, et qui ?tait comme le mal des palais, l'oppression de la royaut?.

Je devais partir, la nuit suivante, pour Constantinople et je me souviens du serrement de coeur que j'?prouvai en prenant cong? de la reine, en quittant ce palais o? je pressentais si bien de ne plus jamais revenir.

J'ignorais o? ?tait le danger et de quel c?t? le mauvais vent commencerait ? souffler; mais, de cette derni?re journ?e, de cette f?te, m'?tait rest? comme un froid au fond de l'?me. En regardant les petites invit?es, au d?part, baiser la belle main royale, j'avais entrevu chez celles qui le plus d?votement s'inclinaient, des duret?s et des haines, et, chez la souveraine qui leur souriait, une clairvoyance nouvelle, une indulgente mais infinie m?fiance.

Un an plus tard, la reine, tr?s gravement malade, emmen?e d'abord dans le sud de l'Italie, venait d'?tre transport?e ? Venise. Il lui fallait, disait-on, l'air marin att?nu? et la constante humidit? des lagunes.

En r?alit?, l'exil ?tait commenc?.

Et c'est l?, ? Venise, qu'il me fut permis de venir la voir, mais pour la derni?re fois...

Venise, vendredi 14 ao?t 1891.

Venise, un matin d'ao?t au petit jour naissant.

Mand? par Sa Majest?, j'arrive, de Nice o? j'?tais, pour passer ici deux rapides journ?es, tout ce que me permet de libert? le service d'escadre.

On commence ? peine ? bien voir clair, quand je descends de l'express de G?nes, ? cette gare de Venise qui semble une petite ?le. Les choses sont vagues encore, dans cette demi-lueur cendr?e d'avant le soleil, sorte de brume lumineuse, couleur gris de lin, des extr?mes matins d'?t?.

Au quai de la gare, je monte dans l'une quelconque de ces gondoles noires, ferm?es en sarcophage flottant, qu'on loue ici comme ailleurs on louerait une voiture.

Nous partons, sur l'eau morte des rues, nous engageant tout de suite dans de vieux quartiers en d?dale o? nous reprend un reste de nuit, entre de hautes maisons centenaires, l?zard?es, noir?tres, qui dorment encore. Et le silence de ces rues pleines d'eau fait songer ? quelque lugubre ville d'Ys, tr?s anciennement noy?e, mais qu'? pr?sent la mer abandonnerait.

Puis, ? un tournant, tout ? coup de l'espace et de l'air, o? les lueurs d'aube reviennent, et c'est la magique splendeur du Grand Canal, apparaissant avant son r?veil, dans une absolue immobilit?, dans une uniforme teinte gris perle, avec, ?? et l?, sur le haut de ses palais, un peu de rose d'aurore...

Mais toute cette merveilleuse Venise, je la revois ce matin en la regardant ? peine; elle a tout juste la valeur d'un accessoire charmant, d'un cadre un peu id?al, pour la figure doucement triste de la reine, pour la figure de la f?e que je suis venu retrouver ici.

Un nouveau tournant, un tournant sombre, nous replonge dans la demi-nuit. Pour la seconde fois, nous nous enfon?ons dans les rues ?troites, entre les vieilles constructions de marbre qui ?mergent, toutes noir?tres, de l'eau morne. Toujours le silence matinal et le sommeil. Quand par hasard, un peu dans le lointain, aux abords de quelque carrefour obscur, s'entend un bruit cadenc? de rames, mon gondolier pousse un long cri avertisseur, qui se r?percute entre les marbres humides des murs,--ces rues sans passants ont des sonorit?s de caveau;--quelqu'un d'invisible r?pond, et bient?t appara?t une autre gondole, aussi noire et ferm?e que la mienne; les deux sarcophages se croisent d'apr?s des r?gles fixes, glissent l'un pr?s de l'autre sans fr?lement...

L'esprit de plus en plus ailleurs, ? mesure que j'approche, je ne me suis occup? ni de la route ni de la direction suivie; je ne regarde m?me plus... Et voici que nous allons passer sous ce <>, dont le nom est aussi d?mod? qu'une vieille romance, mais qui demeure une chose tr?s impressionnante, ? voir si inopin?ment repara?tre... Et l'espace s'ouvre, large, lumineux et rose, devant nous qui sortons de l'obscurit?; c'est la Grande Lagune, c'est brusquement tout, toute la splendeur de Venise: pr?s de nous, le palais des Doges et le lion de Saint-Marc; l?-bas, sur l'autre rive, assis au milieu des eaux dor?es comme une ?le f?erique, Saint-Georges-Majeur, avec son campanile et son d?me ?tincelants sous le soleil qui se l?ve. C'est tout cela, qui est une ?ternelle et classique merveille, et que chacun conna?t pour l'avoir vu peint mille fois partout; c'est tout cela, mais dans un tel ?clat d'aurore et d'?t?, qu'en aucun tableau, je crois, on n'a os? y mettre tant de surprenante couleur, tant de rose, de rouge, d'orang? pour les lumi?res, tant de violet d'iris pour les ombres.

Nous sommes arriv?s, d'ailleurs; nous abordons ? l'h?tel Danieli o? la reine habite.

Cet h?tel Danieli, o? jadis la R?publique de Saint-Marc recevait ses ambassadeurs, est un palais gothique, l'un des plus beaux de Venise, faisant suite ? celui des doges et dans le m?me alignement que lui. Int?rieurement il a gard? ses escaliers de marbre, ses parquets de mosa?que et deux ou trois salles aux plafonds somptueux. Mais, en ce temps de d?mocratie, il est devenu un vulgaire h?tel o? tout le monde peut descendre.

Pour la reine et les quelques personnes de sa suite intime qui l'accompagnent encore, on a lou? tout le premier ?tage, o? se trouvent les grands vestibules et les anciens salons d'apparat.

Vers dix heures, on vient m'avertir que la reine peut me recevoir. La salle o? l'on me conduit est gard?e par de braves vieux serviteurs que je reconnais, pour les avoir vus souvent, ? Bucarest, m'ouvrir les portes des appartements de Sa Majest?.

Tout au fond du grand salon dont les portes sont surmont?es de couronnes royales, dont le plafond encore magnifique supporte d'immenses lustres en verre de Venise, la reine en robe blanche est ?tendue dans un fauteuil et me sourit pour la bienvenue avec son exquise bont?... Mais comme son visage est chang?, amaigri... Depuis le printemps dernier, il semble qu'il ait vieilli de dix ann?es.

Autour de la reine, il y a tout le petit groupe, jusqu'? un certain point fid?le, qui l'a suivie dans son triste d?part et qui constitue ici sa cour: en tout huit ou dix personnes. Et on cause presque gaiement, mais sans compl?te confiance... La reine me dit, en riant, ceci, qui n'est pas loin de devenir une v?rit?: <> Et elle ajoute, avec une nuance plus triste: <>

C'?tait la premi?re fois que la reine m'apparaissait ainsi, hors de son cadre sp?cial, sortie de ses appartements de l?-bas, de Bucarest ou de Sina?a,--o? se justifiait si bien la maxime d'?l?gance pos?e, je crois, par E. de Goncourt: <>

Ici, par lassitude de tout sans doute, cet immense salon pompeux, qui aurait pu ?tre beau, avait ?t? laiss? tel quel, avec ses ornements d'h?tel garni, objets modernes d'un go?t atroce, bronzes dor?s sous des globes, et, d?tail tout ? fait inattendu, le fauteuil banalement riche, o? Sa Majest? se tenait affaiss?e et languissante, ?tait recouvert d'un petit voile blanc, au crochet.

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

 

Back to top