Read Ebook: Histoire de la Littérature Anglaise (Volume 3 de 5) by Taine Hippolyte
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?e. -- Comment le temp?rament, l'orgueil et l'int?r?t la soutiennent. -- La th?orie du droit personnel est appliqu?e. -- Comment les ?lections, les journaux, les tribunaux la mettent en pratique.
Avec l'?tablissement de 1688, un nouvel esprit appara?t en Angleterre. Lentement, par degr?s, la r?volution morale accompagne la r?volution sociale: l'homme change en m?me temps que l'?tat, dans le m?me sens et par les m?mes causes; le caract?re s'accommode ? la situation, et l'on voit peu ? peu dominer dans les moeurs et dans les lettres l'esprit s?rieux, r?fl?chi, moral, capable de discipline et d'ind?pendance, qui seul peut soutenir et achever une constitution.
La haute soci?t? valait un peu moins que la basse. S'il n'y eut point de r?volution plus bienfaisante que celle de 1688, il n'y en eut point qui f?t lanc?e ou soutenue par de plus sales ressorts. La trahison est partout, non pas simple, mais double et triple. Sous Guillaume et sous Anne, amiraux, ministres, gentilshommes du conseil, favoris de l'antichambre, tous correspondent et conspirent avec les Stuarts qu'ils ont d?j? vendus, sauf ? les vendre encore, par une complication de march?s qui vont se d?truisant l'un l'autre et par une complication de parjures qui vont se d?passant l'un l'autre jusqu'? ce que personne ne sache plus ? qui il appartient ni qui il est. Le plus grand capitaine du temps, le duc de Marlborough, est un des plus bas coquins de l'histoire, entretenu par ses ma?tresses, ?conome administrateur de la paye qu'il re?oit d'elles, occup? ? voler ses soldats, trafiquant des secrets d'?tat, tra?tre envers Jacques, envers Guillaume, envers l'Angleterre, capable de risquer sa vie pour ?pargner une paire de bottes mouill?es, et de faire tomber dans une embuscade fran?aise une exp?dition de soldats anglais. Apr?s lui vient Bolingbroke, sceptique et cynique, tour ? tour ministre de la reine et du pr?tendant, aussi d?loyal envers l'un qu'envers l'autre, marchand de consciences, de mariages et de promesses, ayant gaspill? du g?nie dans les d?bauches et les tripotages pour arriver ? la disgr?ce, ? l'impuissance et au m?pris. Vient enfin Walpole, chass? de la chambre comme concussionnaire, premier ministre pendant vingt ans, et qui se vantait de savoir le tarif de chaque conscience. <
Ce n'?taient l? que des dehors, et les bons observateurs, Voltaire par exemple, ne s'y sont point tromp?s. Entre la vase du fond et l'?cume de la surface roulait le grand fleuve national, qui, s'?purant par son mouvement propre, laissait d?j? voir par intervalles sa couleur vraie, pour ?taler bient?t la r?gularit? puissante de sa course et la limpidit? salubre de son eau. Il avan?ait dans son lit natal; chaque peuple a le sien et coule sur sa pente. C'est cette pente qui donne ? chaque civilisation son degr? et sa forme, et c'est elle qu'il faut t?cher de d?crire et de mesurer.
Tout autre est la voie par laquelle a chemin? la civilisation anglaise. Ce n'est pas l'esprit de soci?t? qui l'a faite, c'est le sens moral, et la raison en est que l'homme l?-bas est autre que chez nous. Nos Fran?ais qui en ce moment d?couvrent l'Angleterre en sont frapp?s. <
On s'en aper?oit quand on regarde les sectes. En France, jans?nistes et j?suites semblent des pantins de l'autre si?cle occup?s ? se battre pour le divertissement de celui-ci. Ici les quakers, les ind?pendants, les baptistes, subsistent, s?rieux, honor?s, reconnus par l'?tat, illustr?s par des ?crivains habiles, par des savants profonds, par des hommes vertueux, par des fondateurs de nations. Leur pi?t? fait leurs disputes; c'est parce qu'ils veulent croire qu'ils diff?rent de croyance; les seuls hommes sans religion sont ceux qui ne s'occupent pas de religion. Une foi immobile est bient?t une foi morte, et quand un homme devient sectaire, c'est qu'il est fervent. Ce christianisme vit, car il se d?veloppe; on voit la s?ve toujours coulante de l'examen et de la foi protestante rentrer dans de vieux dogmes, dess?ch?s depuis quinze cents ans. Voltaire, arrivant ici, est surpris de trouver des ariens, et parmi eux les premiers penseurs de l'Angleterre, Clarke, Newton lui-m?me. Ce n'est pas seulement le dogme, c'est le sentiment qui se renouvelle; par del? les ariens sp?culatifs per?aient les m?thodistes pratiques, et derri?re Newton et Clarke venaient Whitefield et Wesley.
C'est en cela que Tillotson est admirable. Sans doute il est <
> comme disait Voltaire; il a toute la mauvaise gr?ce contract?e ? l'universit?:>> il n'a point ?t? <
Dans cette grande manufacture de morale, o? chaque m?tier tourne aussi r?guli?rement que son voisin avec un bruit monotone, on en distingue deux qui r?sonnent plus haut et mieux que les autres, Barrow et South: non pas que la lourdeur leur manque; Barrow avait toute l'apparence d'un cuistre de coll?ge, et s'habillait si mal qu'un jour, pr?chant ? Londres devant un auditoire qui ne le connaissait pas, il vit la congr?gation presque enti?re quitter l'?glise ? l'instant. Il expliquait le mot en chaire avec tous les agr?ments d'un dictionnaire, commentant, traduisant, divisant et subdivisant comme le plus h?riss? des scoliastes, ne se souciant pas plus du public que de lui-m?me, si bien qu'une fois ayant parl? trois heures et demie devant le lord-maire, il r?pondit ? ceux qui lui demandaient s'il n'?tait pas fatigu?: <
Quoiqu'il ne puisse arriver ? Dieu ni bien ni avantage qui augmente sa f?licit? naturelle et inalt?rable, ni mal ou dommage qui la diminue , cependant il a d?clar? qu'il y a certains objets et int?r?ts que par pure bont? et condescendance il affectionne et poursuit comme les siens propres, et comme si effectivement il recevait un avantage de leur bon succ?s ou souffrait un tort de leur mauvaise issue; qu'il d?sire s?rieusement certaines choses et s'en r?jouit grandement, qu'il d?sapprouve certaines autres choses et en est gri?vement offens?, par exemple qu'il porte une affection paternelle ? ses cr?atures et souhaite s?rieusement leur bien-?tre, et se pla?t ? les voir jouir des biens qu'il leur a pr?par?s; que pareillement il est f?ch? du contraire, qu'il a piti? de leur mis?re, qu'il s'en afflige, que par cons?quent il est tr?s-satisfait lorsque la pi?t?, la paix, l'ordre, la justice, qui sont les principaux moyens de notre bien-?tre, sont florissants; qu'il est f?ch? lorsque l'impi?t?, l'injustice, la dissension, le d?sordre, qui sont pour nous des sources certaines de malheur, r?gnent et dominent; qu'il est content lorsque nous lui rendons l'ob?issance, l'honneur et le respect qui lui sont dus; qu'il est hautement offens? lorsque notre conduite ? son ?gard est injurieuse et irr?v?rencieuse par les p?ch?s que nous commettons et par la violation que nous faisons de ses plus justes et plus saints commandements, de sorte que nous ne manquons point de mati?re suffisante pour t?moigner ? la fois par nos sentiments et nos actions notre bon vouloir envers lui, et nous nous trouvons capables non-seulement de lui souhaiter du bien, mais encore en quelque fa?on de lui en faire en concourant avec lui ? l'accomplissement des choses qu'il approuve et dont il se r?jouit.
Cet enchev?trement vous lasse; mais quelle force et quel ?lan dans cette pens?e si m?dit?e et si compl?te! La v?rit? ainsi appuy?e sur toutes ses assises ne saurait plus ?tre ?branl?e. Et remarquez que la rh?torique est absente. Il n'y a point d'art ici; tout l'artifice de l'orateur consiste dans la volont? de bien expliquer et de bien prouver ce qu'il veut dire. M?me il est n?glig?, na?f; et justement cette na?vet? l'?l?ve jusqu'au style antique. Vous trouveriez chez lui telle image qui semble appartenir aux plus beaux temps de la simplicit? et de la majest? latines. <
Ce n'est pas tout de former les moeurs, il faut d?fendre les croyances; avec le vice il faut combattre le doute, et la th?ologie accompagne le sermon. Elle pullule ? ce moment en Angleterre. Anglicans, presbyt?riens, ind?pendants, quakers, baptistes, antitrinitariens, se r?futent <
? regarder de loin la constitution anglaise, on ne se douterait gu?re de cette inclination publique; ? regarder de pr?s la constitution, on l'aper?oit d'abord. Elle semble un amas de privil?ges, c'est-?-dire d'injustices consacr?es; la v?rit? est qu'elle est un corps de contrats, c'est-?-dire de droits reconnus. Chacun a le sien, petit ou grand, qu'il d?fend de toute sa force. Ma terre, mon bien, mon droit garanti par ma charte, quel qu'il soit, surann?, indirect, inutile, priv?, public, personne n'y touchera, ni roi, ni lords, ni communes; il s'agit d'un ?cu, je le d?fendrai comme un million: c'est ma personne qu'on entame. Je quitterai mes affaires, je perdrai mon temps, je jetterai mon argent, j'entreprendrai des ligues, je payerai des amendes, j'irai en prison, je mourrai ? la peine: il n'importe; je n'aurai pas fait de l?chet?, je n'aurai pas pli? sous l'injustice, je n'aurai pas c?d? une seule parcelle de mon droit.
Voil? des hommes debout et pr?ts ? se d?fendre. Suivez ce sentiment du droit dans le d?tail de la vie politique; la force du temp?rament brutal et des passions concentr?es ou sauvages vient lui fournir des armes. Si vous assistez ? une ?lection, la premi?re chose que vous aperceviez, ce sont des tables pleines. On s'empiffre aux frais du candidat; l'ale, le gin et l'eau-de-vie coulent en plein air; la mangeaille descend dans les ventres ?lectoraux, les trognes deviennent rouges. Mais en m?me temps elles deviennent furieuses. < chaque verre qu'ils entonnent, leur animosit? cro?t. Maint honn?te homme, qui auparavant ?tait aussi inoffensif qu'un lapin apprivois?, une fois rempli, devient aussi dangereux qu'une couleuvrine charg?e.>> Le d?bat devient une lutte, et l'instinct batailleur, une fois l?ch?, a besoin de coups. Les candidats s'enrouent l'un contre l'autre. On les prom?ne en l'air sur des fauteuils, au grand p?ril de leur cou; la foule hue, applaudit et s'?chauffe par le mouvement, la contradiction, le tapage; les grands mots patriotiques ronflent, la col?re et la boisson enflent les veines, les poings se serrent, les gourdins travaillent, et des passions de bouledogues manoeuvrent les grands int?r?ts du pays; qu'on prenne garde de les tourner contre soi: lords, communes ou roi, elles n'?pargneront personne, et quand le gouvernement voudra opprimer un homme en d?pit d'elles, elles contraindront le gouvernement ? abroger sa loi.
Je n'ai point ? raconter leurs vies, ni ? d?velopper leurs caract?res; il faudrait entrer dans le d?tail politique. Trois d'entre eux, lord Chatam, Fox et Pitt, ont ?t? ministres, et leur ?loquence est une portion de leur pouvoir et de leur action. Elle appartient ? ceux qui raconteront les affaires qu'ils ont conduites; je ne puis qu'en marquer le ton et l'accent.
Un souffle extraordinaire, une sorte de fr?missement de volont? tendue, court ? travers toutes ces harangues. Ce sont des hommes qui parlent, et ils parlent comme s'ils combattaient. Ni m?nagements, ni politesse, ni retenue. Ils sont d?cha?n?s, ils se livrent, ils se lancent, et s'ils se contiennent, ce n'est que pour frapper plus impitoyablement et plus fort. Lorsque Pitt remplit pour la premi?re fois la chambre des communes de sa voix vibrante, il avait d?j? son indomptable audace. En vain Walpole essaya <
Hier encore l'Angleterre e?t pu se tenir debout contre le monde; aujourd'hui, <
Il y a quelque chose de Milton et de Shakspeare dans cette pompe tragique, dans cette solennit? passionn?e, dans l'?clat sombre et violent de ce style surcharg? et trop fort. C'est de cette pourpre superbe et sanglante que se parent les passions anglaises; c'est sous les plis de ce drapeau qu'elles se rangent en bataille, d'autant plus puissantes qu'au milieu d'elles il y en a une toute sainte, le sentiment du droit, qui les rallie, les emploie et les ennoblit.
Je me r?jouis que l'Am?rique ait r?sist?; trois millions d'hommes assez morts ? tous les sentiments de libert? pour souffrir volontairement qu'on les fasse esclaves auraient ?t? des instruments convenables pour rendre le reste esclave aussi.... L'esprit qui maintenant r?siste ? vos taxes en Am?rique est le m?me qui autrefois s'est oppos? en Angleterre aux dons gratuits, ? la taxe des vaisseaux; c'est le m?me esprit qui a dress? l'Angleterre sur ses pieds, et par le bill des droits a revendiqu? la constitution anglaise; c'est le m?me esprit qui a ?tabli ce grand, ce fondamental et essentiel principe de vos libert?s, que nul sujet de l'Angleterre ne peut ?tre tax? que de son propre consentement. Ce glorieux esprit whig anime en Am?rique trois millions d'hommes qui pr?f?rent la pauvret? avec la libert? ? des cha?nes dor?es et ? la richesse ignoble, et qui mourront pour la d?fense de leurs droits en hommes et en hommes libres.... Comme Anglais par naissance et par principes, je reconnais aux Am?ricains un droit supr?me et inali?nable sur leur propri?t?, un droit par lequel ils sont justifi?s ? la d?fendre jusqu'? la derni?re extr?mit?.
Si Pitt sent son droit, il sent aussi celui des autres; c'est avec cette id?e qu'il a remu? et mani? l'Angleterre. Il en appelait aux Anglais contre eux-m?mes; et, en d?pit d'eux-m?mes, ils reconnaissaient leur plus cher instinct dans cette maxime, que chaque volont? humaine est inviolable dans sa province limit?e et l?gale, et qu'elle doit se dresser tout enti?re contre la plus petite usurpation.
Des passions effr?n?es et le plus viril sentiment du droit, voil? l'abr?g? de toute cette ?loquence. Au lieu d'un orateur, homme public, prenez un ?crivain, simple particulier; voyez ces lettres de Junius qui, au milieu de l'irritation et des inqui?tudes nationales, tomb?rent une ? une comme des gouttes de feu sur les membres fi?vreux du corps politique. Si celui-ci serre ses phrases et choisit ses ?pith?tes, ce n'est point par amour du style, c'est pour mieux imprimer l'insulte. Les artifices oratoires deviennent entre ses mains des instruments de supplice, et lorsqu'il lime ses p?riodes c'est pour enfoncer plus avant et plus s?rement le couteau; avec quelle audace d'invective, avec quelle roideur d'animosit?, avec quelle ironie corrosive et br?lante, appliqu?e sur les parties les plus secr?tes de la vie priv?e, avec quelle insistance inexorable de pers?cution calcul?e et m?dit?e, les textes seuls pourront le dire: <
Sire, ?crit Junius au roi, c'est le malheur de votre vie et la cause originelle de tous les reproches et de toutes les calamit?s qui ont accompagn? votre gouvernement, que vous n'avez jamais connu le langage de la v?rit?, tant que vous ne l'avez point entendu dans les plaintes de votre peuple. Il n'est point trop tard cependant pour corriger l'erreur de votre ?ducation. Nous sommes encore dispos?s ? tenir un compte indulgent des pernicieuses le?ons que vous avez re?ues dans votre jeunesse et ? fonder les plus hautes esp?rances sur la bienveillance naturelle de vos inclinations. Nous sommes loin de vous croire capable d'un dessein d?lib?r? et d'un attentat direct contre les droits originels sur lesquels toutes les libert?s civiles et politiques de vos sujets sont assises. Si nous avions pu nourrir un soup?on si d?shonorant pour votre renomm?e, nous aurions depuis longtemps adopt? un style de remontrances fort ?loign? de l'humilit? de la plainte. Le peuple d'Angleterre est fid?le ? la maison de Hanovre, non parce qu'il pr?f?re vainement une famille ? une autre, mais parce qu'il est convaincu que l'?tablissement de cette famille ?tait n?cessaire au maintien de ses libert?s civiles et religieuses. Le prince qui imite la conduite des Stuarts doit ?tre averti par leur exemple, et pendant qu'il se glorifie de la solidit? de son titre, il fera bien de se souvenir que, si sa couronne a ?t? acquise par une r?volution, elle peut ?tre perdue par une autre.
Cherchons des g?nies moins ?pres, et t?chons de rencontrer un accent plus doux. Il y a un homme, Charles Fox, qui s'est trouv? heureux d?s le berceau, qui a tout appris sans ?tudes, que son p?re a ?lev? dans la prodigalit? et l'insouciance, que, d?s vingt et un ans, la voix publique a d?sign? comme le prince de l'?loquence et le chef d'un grand parti, lib?ral, humain, sociable, fid?le aux g?n?reuses esp?rances, ? qui ses ennemis eux-m?mes pardonnaient ses fautes, que ses amis adoraient, que le travail n'avait point lass?, que les rivalit?s n'avaient point aigri, que le pouvoir n'avait point g?t?, amateur de la conversation, des lettres, du plaisir, et qui a laiss? l'empreinte de son riche g?nie dans l'abondance persuasive, dans le beau naturel, dans la clart? et la facilit? continue de ses discours. Le voici qui prend la parole, pensez aux m?nagements qu'il doit garder; c'est un homme d'?tat, un premier ministre, qui parle en plein Parlement, qui parle des amis du roi, des lords de la chambre ? coucher, des plus illustres familles du royaume, qui a devant lui leurs alli?s et leurs proches, qui sent que chacune de ses paroles s'enfoncera comme une fl?che ardente dans le coeur et dans l'honneur des cinq cents hommes assis pour l'?couter. Il n'importe, on l'a trahi; il veut punir les tra?tres, et voici ? quel pilori il attache <
Le domaine entier du langage ne fournit pas de termes assez forts et assez poignants pour marquer le m?pris que je ressens pour leur conduite. C'est un aveu effront? d'immoralit? politique, comme si cette esp?ce de trahison ?tait moindre qu'aucune autre. Ce n'est pas seulement une d?gradation d'un rang qui ne devrait ?tre occup? que par la loyaut? la plus pure et la plus exemplaire; c'est un acte qui les fait d?choir de leurs droits ? la renomm?e de gentilshommes, et les r?duit au niveau des plus bas et des plus vils de leur esp?ce, qui insulte ? la noble et ancienne ind?pendance caract?ristique de la pairie anglaise, et qui est calcul? pour d?shonorer et avilir la l?gislature anglaise aux yeux de toute l'Europe et devant la plus lointaine post?rit?. Par quelle magie la noblesse peut-elle ainsi changer le vice en vertu, je ne le sais pas, et je ne souhaite pas le savoir; mais en tout autre sujet que la politique, et parmi toutes autres personnes que des lords de la chambre ? coucher, un tel exemple de la plus grossi?re perfidie serait fl?tri, comme il le m?rite, par l'infamie et l'ex?cration.
Puis se retournant vers les communes:
Un Parlement ainsi li? et contr?l?, sans coeur et sans libert?, au lieu de limiter la pr?rogative de la couronne, l'?tend, l'?tablit et la consolide au del? de tout pr?c?dent, de toute condition et de toute limite. Mais quand la chambre des communes anglaises serait si ignominieusement morte ? la conscience du poids dont elle doit peser dans la constitution, quand elle aurait si enti?rement oubli? ses anciennes luttes et ses anciens triomphes dans la grande cause de la libert? et de l'humanit?, quand elle serait si indiff?rente ? l'objet et ? l'int?r?t premier de son institution originelle, j'ai la confiance que le courage caract?ristique de cette nation serait encore au niveau de cette ?preuve; j'ai la confiance que le peuple anglais serait aussi jaloux des influences secr?tes qu'il est sup?rieur aux violences ouvertes; j'ai la confiance qu'il n'est pas plus dispos? ? d?fendre son int?r?t contre la d?pr?dation et l'insulte ?trang?re qu'? rencontrer face ? face et jeter par terre cette conspiration nocturne contre la constitution.
Voil? les explosions d'un naturel par excellence doux et aimable; jugez des autres. Une sorte d'exag?ration passionn?e r?gne dans les d?bats que soul?vent le proc?s de Warren Hastings et la R?volution fran?aise, dans la rh?torique acrimonieuse et dans la d?clamation outr?e de Sheridan, dans le sarcasme impitoyable et dans la pompe sentencieuse du second Pitt. Ils aiment la vulgarit? brutale des couleurs voyantes; ils recherchent les grands mots accumul?s, les oppositions sym?triquement prolong?es, les p?riodes ?normes et retentissantes. Ils ne craignent point de rebuter, et ils ont besoin de faire effet. La force, c'est l? leur trait, et celui du plus grand d'entre eux, le premier esprit de ce temps, Edmund Burke. <
Ne le lisez que par grandes masses; ce n'est qu'ainsi qu'il est grand: autrement l'outr?, le commun, le bizarre vous arr?teront et vous choqueront; mais si vous vous livrez ? lui, vous serez emport? et entra?n?. La masse ?norme des documents roule imp?tueusement dans un courant d'?loquence. Quelquefois le discours parl? ou ?crit n'a pas trop d'un volume pour d?ployer le cort?ge de ses preuves multipli?es et de ses courageuses col?res. C'est l'expos? de toute une administration, c'est l'histoire enti?re de l'Inde anglaise, c'est la th?orie compl?te des r?volutions et de l'?tat politique qui arrive comme un vaste fleuve d?bordant pour choquer, de son effort incessant et de sa masse accumul?e, quelque crime qu'on veut absoudre ou quelque injustice qu'on veut consacrer. Sans doute il y a de l'?cume sur ses remous, il y a de la bourbe dans son lit; des milliers d'?tranges cr?atures se jouent temp?tueusement ? la surface; il ne choisit pas, il prodigue; il pr?cipite par myriades ses imaginations pullulantes, emphase et crudit?s, d?clamations et apostrophes, plaisanteries et ex?crations, tout l'entassement grotesque ou horrible des r?gions recul?es et des cit?s populeuses que sa science et sa fantaisie infatigables ont travers?es. Il dira, en parlant de ces pr?ts usuraires ? quarante-huit pour cent et ? int?r?ts compos?s par lesquels les Anglais ont d?vast? l'Inde, que <
Ils arrivent ainsi au seuil de la R?volution fran?aise, conservateurs et chr?tiens, en face des Fran?ais libres penseurs et r?volutionnaires. Sans le savoir, les deux peuples roulent depuis deux si?cles vers ce choc terrible; sans le savoir, ils n'ont travaill? que pour l'aggraver. Tout leur effort, toutes leurs id?es, tous leurs grands hommes ont acc?l?r? l'?lan qui les pr?cipite vers ce conflit in?vitable. Cent cinquante ans de politesse et d'id?es g?n?rales ont persuad? aux Fran?ais d'avoir confiance en la bont? humaine et en la raison pure. Cent cinquante ans de r?flexions morales et de luttes politiques ont rattach? l'Anglais ? la religion positive et ? la constitution ?tablie. Chacun a son dogme contraire et son enthousiasme contraire. Aucun des deux ne comprend l'autre, et chacun des deux d?teste l'autre. Ce que l'un appelle r?novation, l'autre l'appelle destruction; ce que l'un r?v?re comme l'?tablissement du droit, l'autre le maudit comme le renversement de tous les droits. Ce qui semble ? l'un l'an?antissement de la superstition para?t ? l'autre l'abolition de la morale. Jamais le contraste des deux esprits et des deux civilisations ne s'est marqu? en caract?res plus visibles, et c'est encore Burke, qui, avec la sup?riorit? d'un penseur et l'hostilit? d'un Anglais, s'est charg? de nous les montrer.
Il s'indigne ? l'id?e de cette <
Voil? ce que Burke ?crivait d?s 1790 ? l'aurore de la R?volution fran?aise. L'ann?e d'apr?s, le peuple de Birmingham allait d?truire les maisons des jacobins anglais, et les mineurs de Wednesbury sortaient en corps de leurs houill?res pour venir aussi au secours <
Addison.
Dans cette vaste transformation des esprits qui occupe tout le dix-huiti?me si?cle et donne ? l'Angleterre son assiette politique et morale, deux hommes paraissent, sup?rieurs dans la politique et la morale, tous deux ?crivains accomplis, les plus accomplis qu'on ait vus en Angleterre; tous deux organes accr?dit?s d'un parti, ma?tres dans l'art de persuader ou de convaincre; tous deux born?s dans la philosophie et dans l'art, incapables de consid?rer les sentiments d'une fa?on d?sint?ress?e, toujours appliqu?s ? voir dans les choses des motifs d'approbation ou de bl?me; du reste diff?rents jusqu'au contraste, l'un heureux, bienveillant, aim?, l'autre ha?, haineux et le plus infortun? des hommes; l'un partisan de la libert? et des plus nobles esp?rances de l'homme, l'autre avocat du parti r?trograde et d?tracteur acharn? de la nature humaine; l'un mesur?, d?licat, ayant fourni le mod?le des plus solides qualit?s anglaises, perfectionn?es par la culture continentale; l'autre effr?n? et terrible, ayant donn? l'exemple des plus ?pres instincts anglais, d?ploy?s sans limite ni r?gle, par tous les ravages et ? travers tous les d?sespoirs. Pour p?n?trer dans l'int?rieur de cette civilisation et de ce peuple, il n'y a pas de meilleur moyen que de s'arr?ter avec insistance sur Swift et sur Addison.
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Essayons de d?crire cette raison qui peu ? peu s'est d?gag?e du puritanisme et de sa rigidit?, de la Restauration et de son carnaval. En m?me temps que la religion et l'?tat, l'esprit atteint son ?quilibre. Il con?oit la r?gle et discipline sa conduite; il s'?carte de la vie excessive et s'?tablit dans la vie sens?e; il fuit la vie corporelle et prescrit la vie morale. Addison rejette avec d?dain la grosse joie physique, le plaisir brutal du bruit et du mouvement. <
Figurez-vous maintenant cet esprit moyen par excellence, tout occup? ? d?couvrir de bons motifs d'action. Quel personnage r?fl?chi, toujours ?gal et digne! Comme il est muni de r?solutions et de maximes! Tout ce qui est verve, instinct, inspiration, caprice, est en lui aboli ou disciplin?. Il n'y a point de cas qui le surprenne ou l'emporte. Il est toujours pr?par? et ? l'abri. Il l'est si bien qu'il semble un automate. Le raisonnement l'a fig? et envahi. Voyez, par exemple, de quel style il nous met en garde contre l'hypocrisie involontaire, annon?ant, expliquant, distinguant les moyens en ordinaires et en extraordinaires, se tra?nant en exordes, en pr?parations, en expos?s de m?thodes, en comm?morations de la sainte ?criture. Apr?s six lignes de cette morale, un Fran?ais irait prendre l'air dans la rue. Que ferait-il, bon Dieu! si pour l'exciter ? la pi?t? on l'avertissait que l'omniscience et l'omnipr?sence de Dieu nous fournissent trois sortes de motifs, et si on lui d?veloppait d?monstrativement ces trois sortes, la premi?re, la seconde et la troisi?me? Mettre partout le calcul, arriver avec des poids et des chiffres au milieu des passions vivantes, les ?tiqueter, les classer comme des ballots, annoncer au public que l'inventaire est fait, le mener, comptes en main et par la seule vertu de la statistique, du c?t? de l'honneur et du devoir, voil? la morale chez Addison et en Angleterre. C'est une sorte de bon sens commercial appliqu? aux int?r?ts de l'?me; un pr?dicateur l?-bas n'est qu'un ?conomiste en rabat, qui traite de la conscience comme des farines, et r?fute le vice comme les prohibitions.
En pareil sujet, ces habitudes choquent. Il ne faut pas vouloir trop d?finir et prouver Dieu; la religion est plut?t une affaire de sentiment que de science; on la compromet quand on exige d'elle des d?monstrations trop rigoureuses et des dogmes trop pr?cis. C'est le coeur qui voit le ciel; si vous voulez m'y faire croire, comme vous me faites croire aux antipodes par des r?cits et des vraisemblances g?ographiques, j'y croirai mal ou je n'y croirai point. Addison n'a gu?re que des arguments de coll?ge ou d'?dification assez semblables ? ceux de l'abb? Pluche, qui laissent les objections entrer par toutes leurs fentes, et qu'il ne faut prendre que comme des exercices de dialectique ou comme des sources d'?motion. Joignez-y des motifs d'int?r?t et des calculs de prudence qui peuvent faire des recrues, mais non des convertis: voil? ses preuves. On trouve un fonds de grossi?ret? dans cette fa?on de traiter les choses divines, et on aime encore moins l'exactitude avec laquelle il explique Dieu, le r?duisant ? n'?tre qu'un homme agrandi. Cette nettet? et cette ?troitesse vont jusqu'? d?crire le ciel. <
Ce n'est pas une petite affaire que de mettre la morale ? la mode. Addison l'y mit, et elle y resta. Auparavant les gens honn?tes n'?taient point polis, et les gens polis n'?taient point honn?tes; la pi?t? ?tait fanatique et l'urbanit? d?bauch?e; dans les moeurs, comme dans les lettres, on ne rencontrait que des puritains ou des libertins. Pour la premi?re fois, Addison r?concilia le vertu avec l'?l?gance, enseigna le devoir en style accompli, et mit l'agr?ment au service de la raison.
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Que d'art il faut pour plaire! D'abord l'art de se faire entendre, du premier coup, toujours, jusqu'au fond, sans peine pour le lecteur, sans r?flexion, sans attention! Figurez-vous des hommes du monde qui lisent une page entre deux bouch?es de g?teau, des dames qui interrompent une phrase pour demander l'heure du bal: trois mots sp?ciaux ou savants leur feraient jeter le journal. Ils ne veulent que des termes clairs, de l'usage commun, o? l'esprit entre de prime-saut comme dans les sentiers de la causerie ordinaire; en effet, pour eux, la lecture n'est qu'une causerie et meilleure que l'autre. Car le monde choisi raffine le langage. Il ne souffre point les hasards ni les ?-peu-pr?s de l'improvisation et de l'inexp?rience. Il exige la science du style comme la science des fa?ons. Il veut des mots exacts qui expriment les fines nuances de la pens?e, et des mots mesur?s qui ?cartent les impressions choquantes ou extr?mes. Il souhaite des phrases d?velopp?es qui, lui pr?sentant la m?me id?e sous plusieurs faces, l'impriment ais?ment dans son esprit distrait. Il demande des alliances de mots qui, pr?sentant une id?e connue sous une forme piquante, l'enfoncent vivement dans son imagination distraite. Addison lui donne tout ce qu'il d?sire; ses ?crits sont la pure source du style classique; jamais en Angleterre on n'a parl? de meilleur ton. Les ornements y abondent, et jamais la rh?torique n'y a part. Partout de justes oppositions qui ne servent qu'? la clart? et ne sont point trop prolong?es; d'heureuses expressions ais?ment trouv?es qui donnent aux choses un tour ing?nieux et nouveau; des p?riodes harmonieuses o? les sons coulent les uns dans les autres avec la diversit? et la douceur d'un ruisseau calme; une veine f?conde d'inventions et d'images o? luit la plus aimable ironie. Pardonnez au traducteur qui essaye d'en donner un exemple dans cette moqueuse peinture du po?te et de ses libert?s: <
Si le premier soin du Fran?ais en soci?t? est d'?tre aimable, celui de l'Anglais est de rester digne; leur temp?rament les porte ? l'immobilit?, comme le n?tre nous porte aux gestes; et leur plaisanterie est aussi grave que la n?tre est gaie. Le rire chez eux est tout en dedans; ils ?vitent de se livrer; ils s'amusent silencieusement. Consentez ? comprendre ce genre d'esprit, il finira par vous plaire. Quand le flegme est joint ? la douceur, comme dans Addison, il est aussi agr?able que piquant. On est charm? de rencontrer un homme enjou? et pourtant ma?tre de lui-m?me. On est tout ?tonn? de voir ensemble deux qualit?s aussi contraires. Chacune d'elles rehausse et temp?re l'autre. On n'est point rebut? par l'?cret? venimeuse, comme dans Swift, ou par la bouffonnerie continue, comme dans Voltaire. On jouit avec une complaisance enti?re de la rare alliance qui assemble pour la premi?re fois la tenue s?rieuse et la bonne humeur. Lisez cette petite satire contre le mauvais go?t du th??tre et du public. <
Au-dessus est la po?sie. Elle a coul?, dans sa prose, mille fois plus sinc?re et plus belle que dans ses vers. De riches fantaisies orientales viennent s'y d?rouler sans petillement d'?tincelles comme dans Voltaire, mais sous une sereine et abondante lumi?re qui fait ondoyer les plis r?guliers de leur pourpre et de leur or. La musique des larges phrases cadenc?es et tranquilles prom?ne doucement l'esprit parmi les magnificences et les enchantements romanesques, et le profond sentiment de la nature toujours jeune rappelle la qui?tude fortun?e de Spenser. ? travers les discr?tes moqueries ou les intentions morales, on sent que son imagination est heureuse, qu'elle se pla?t ? contempler les balancements des for?ts qui peuplent les montagnes, l'?ternelle verdure des vall?es que vivifient les sources fra?ches, et les larges horizons qui ondulent au bord du ciel lointain. Les sentiments grands et simples viennent d'eux-m?mes se lier ? ces nobles images, et leur harmonie mesur?e compose un spectacle unique, digne de ravir le coeur d'un honn?te homme par sa gravit? et par sa douceur. Telle est cette vision de Mirza qu'il faut traduire presque en entier: <
Dans cette morale orn?e, dans cette belle raison si correcte et si ?loquente, dans cette imagination ing?nieuse et noble, je trouve en abr?g? tous les traits d'Addison. Ce sont les nuances anglaises qui distinguent leur ?ge classique du n?tre, une raison plus ?troite et plus pratique, une urbanit? plus po?tique et moins ?loquente, un fonds d'esprit plus inventif et plus riche, moins sociable et moins d?licat.
FIN DU TROISI?ME VOLUME.
TABLE DES MATI?RES
CONTENUES DANS LE TROISI?ME VOLUME.
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