Read Ebook: The King's Threshold; and On Baile's Strand by Yeats W B William Butler
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Ebook has 55 lines and 2518 words, and 2 pages
MARIAGES D'AVENTURE
PARIS.--IMPR. DE E. DONNAUD, RUE CASSETTE, 9.
MARIAGES D'AVENTURE
PAR
?MILE GABORIAU
A Madame GEORGES COINDREAU
?MILE GABORIAU.
MONSIEUR J.-D. DE SAINT-ROCH
AMBASSADEUR MATRIMONIAL
Pourquoi Pascal Divorne donna sa d?mission moins de quinze jours apr?s sa sortie de l'?cole des ponts-et-chauss?es, dont il ?tait un des ?l?ves distingu?s, on ne l'a jamais su au juste.
Il ne prit pas la peine de l'expliquer, et ne donna aucune raison, peut-?tre parce qu'il n'en avait pas de bonnes ? donner. J'entends de ces raisons admirables, bas?es sur un int?r?t certain et un ?go?sme prudent, seules admissibles et concluantes pour des juges payant patente.
Les occasions ne lui manqu?rent pourtant pas de dire la v?rit? ou m?me de mentir. Tout ce qu'il avait ? Paris de parents ?loign?s et de connaissances, le sond?rent habilement. On croyait flairer quelque secret, qui sait, quelque petit scandale-c'?tait tentant. Il eut la cruaut? de tromper l'attente de ces excellents curieux, qui, pour s'immiscer dans les affaires d'autrui, ont l'?ternel et banal pr?texte d'un int?r?t tendre qu'ils n'eurent jamais. Il rit au nez de ces obligeants, toujours pr?ts ? ouvrir leur coeur ? une confidence, leur bouche ? un bon conseil, mais qui pour rien au monde n'ouvriraient leur bourse s'il en ?tait besoin.
Quelques-uns s'acharnaient. Ceux-l?, Pascal les prit ? part, et tout bas, myst?rieusement, apr?s avoir jet? de tous c?t?s des regards de conspirateur inquiet, il pronon?a ce gros mot de politique, lui qui de sa vie ne s'?tait occup? de politique. Le moyen lui r?ussit, les ent?t?s s'enfuirent pleins d'?pouvante, croyant d?j? voir s'entreb?iller pour les engloutir les portes du mont Saint-Michel.
De guerre lasse, on laissa Pascal tranquille, mais non sans d?clarer que c'?tait un jeune homme peu sociable, qui manquait de franchise et dont il ?tait prudent de se d?fier, d'autant qu'il avait des opinions par trop avanc?es.
Restaient les amis. Il leur avoua simplement, sans d?tails, que, bien que Fran?ais et m?me tr?s bon Fran?ais, il avait en horreur toute esp?ce d'uniforme, f?t-il plus brod? qu'une ch?sse, et qu'un emploi du gouvernement ne pouvait convenir ? son caract?re; les chances al?atoires de la fortune lui semblaient pr?f?rables ? des appointements fixes, petits ou gros, gagn?s ou non; enfin, son ind?pendance lui paraissait plus pr?cieuse mille fois que tous les honneurs administratifs, qu'un portefeuille de ministre m?me, f?t-ce de Dieu le p?re.
Naturellement, ses amis se souciaient infiniment peu du motif cach? de ses actions; que leur importait qu'il f?t une chose ou une autre? Ils d?clar?rent en choeur que la sagesse elle-m?me parlait par sa bouche et qu'il avait incontestablement raison.
Ce fid?le Achate transform? en Mentor se nommait Eug?ne Lorilleux. Il ?tait de deux ou trois ans plus ?g? que Pascal. Muni depuis dix-huit mois du dipl?me de docteur en m?decine, il cherchait p?niblement ? se faire une client?le.
Il en ?tait encore aux d?buts, plus difficiles, plus hasardeux dans cette carri?re que dans toute autre. Il avait des clients, mais des clients qui payaient mal ou m?me ne payaient pas. Ses malades habitaient les ?tages sup?rieurs, tristes habitants des mansardes. Il lui fallait gravir quatre-vingts marches pour signer une ordonnance. Il avait des consultations gratuites et des consultations payantes; mais, comme aux unes et aux autres il ne venait que des pauvres, ce n'?tait vraiment pas la peine d'?tablir une distinction.
Mais il prenait patience. Il attendait cette occasion heureuse qui, trois fois dans la vie, dit-on, passe ? la port?e de chaque homme et qu'il s'agit de savoir saisir.
Travailleur acharn?, il comptait sur sa science et sur son talent pour arriver ? la r?putation et ? la fortune. En quoi il se trompait et se trompe encore aujourd'hui. Il est savant, c'est incontestable, mais il lui manque le coup d'oeil, le sang-froid, l'audace. S?r de lui dans son cabinet, imperturbable en th?orie, il n'a pas, pr?s du lit du malade, ce sens divinatoire, cette inspiration soudaine qui font les grands, les v?ritables gu?risseurs.
Lorilleux n'est cependant pas un homme ordinaire. Son grand malheur est de n'avoir jamais connu l'enthousiasme. Il n'a eu ni adolescence ni jeunesse. Il est n? vieux. Tel vous le voyez aujourd'hui, tel il ?tait ? quatorze ans, sur les bancs du lyc?e, lorsqu'il achevait sa troisi?me. Rien de chang? en lui: ni la taille, ni le caract?re.
C'est un petit homme compass? et solennel. Il exag?re la gravit?, la dignit? et le respect de soi-m?me, au point d'en para?tre parfois ridicule.
Sa figure insignifiante n'est certes pas le miroir de son esprit, c'est une page blanche o? il n'y a rien ? d?chiffrer. Plus d?li? qu'un paysan normand, il a la faiblesse de supposer ? tout le monde la m?me manie de finasserie. Il ne croit pas aux actions indiff?rentes, et toujours il veut d?couvrir un but cach?.
Vous ne lui ferez pas entendre qu'on agit souvent spontan?ment, sans plan m?dit?; il vous r?pondra invariablement: <<--Il y a quelque chose l?-dessous.>> Ses jours se passent ? d?jouer par d'habiles manoeuvres des complots fantastiques, ou ? d?m?ler laborieusement le fil imaginaire de quelque trame bien compliqu?e. Ces craintes exag?r?es, ces investigations font le malheur de sa vie. Souvent ses amis se sont moqu?s de ces singuli?res appr?hensions. Lorsqu'ils le rencontrent plus pr?occup? qu'? l'ordinaire:
--Eh bien! Lorilleux, lui demandent-ils, as-tu trouv? la petite b?te?
Enfin, ce calculateur traite la vie comme une suite de probl?mes d'alg?bre dont les gens habiles ont toujours la solution en poche. Depuis dix ans, il s'est trac? une r?gle de conduite qui, croit-il, ne laisse aucune prise au hasard, il ne s'en est jamais ?cart? d'une ligne.
Faut-il, apr?s cela, s'?tonner de son esprit born?, de ses id?es ?troites? Il est le contraste vivant de Pascal, qui a, lui, des id?es larges, une certaine audace de conception et un grand courage d'initiative. Aussi lui reproche-t-il d'?tre romanesque.
L'opposition des caract?res suffirait ? expliquer la grande amiti? des deux jeunes gens, mais il y avait autre chose encore.
Depuis longtemps d?j? le m?decin avait des vues sur son ami, qui ne s'en doutait gu?re. Cela datait du coll?ge.
Lorilleux avait une soeur de dix ans plus jeune que lui, qu'il aimait avec passion. Souvent, ? l'?ge o? les autres adolescents n'ont que des id?es de plaisir, il s'inqui?tait de cet enfant. Leur m?re, madame Lorilleux, ?tait veuve; une rente viag?re composait presque toute sa fortune et devait s'?teindre avec elle. Que deviendrait la jeune fille si sa m?re venait ? mourir? Et m?me, en ?cartant ce malheur, quel serait son sort plus tard? Une demoiselle sans dot ne se marie gu?re, et sa famille, qui avait d?j? de la peine ? joindre les deux bouts tous les ans, ne pourrait certes lui en donner; son fr?re n'aurait pas encore eu le temps de lui en amasser une, lorsqu'elle atteindrait ses vingt ans. O? lui trouver un mari?
Voil? les id?es qui tourmentaient ce pr?coce calculateur de dix-sept ans, lorsqu'il vint ? penser que son ami Pascal serait plus tard--dans une dizaine d'ann?es--un excellent parti pour cette soeur ch?rie.
Cette id?e parut sublime au pr?voyant coll?gien. Il s'y accrocha, elle ne le quitta plus. A force de la tourner dans tous les sens, de l'envisager sous toutes ses faces, de calculer toutes les probabilit?s, il en vint ? la consid?rer non-seulement comme admirable, comme n?cessaire, mais encore comme devant r?ussir avec un peu de patience et d'habilet?.
--La fortune, se disait-il, ne sera pas un obstacle: la famille de Pascal est riche, et lui est le plus d?sint?ress? des hommes. Ma soeur sera jolie, modeste, bien ?lev?e, elle fera le bonheur de son mari et sera la meilleure des m?res de famille. Elle plaira certainement ? Pascal. D'ailleurs, s'il ne l'?pouse pas pour l'amour d'elle, il l'?pousera par affection pour moi, son meilleur ami, afin de resserrer les liens de notre amiti? et de devenir mon fr?re. Ainsi j'assure le bonheur de deux ?tres que je ch?ris. Toutes mes actions doivent tendre vers ce but.
Et voil? pourquoi Lorilleux devint et resta l'intime de Pascal, pourquoi il prit un si tendre int?r?t ? tout ce qui le touchait. Il savait, ? un centime pr?s, le chiffre de la fortune qui devait lui revenir un jour, et il ?tait all? passer quinze jours en Bretagne dans la famille de son <
D'ailleurs, jamais un mot, une allusion ne lui ?chapp?rent. Il ne dit rien qui p?t faire soup?onner ses projets ou donner l'?veil. Il ?tait trop prudent pour cela. Sa soeur ?tait encore trop jeune, Pascal n'?tait pas m?me sorti du coll?ge. Il fallait attendre, il attendit.
Mais aussi de quels soins il entoura cet ami! Comme il le choyait! comme il s'informait avec sollicitude de tout ce qui avait trait ? sa famille! N'y avait-il pas, comme cela arrive si souvent en province, quelque petite cousine ?lev?e ? la brochette, quelques projets d'union? Non, rien de tout cela.
Lorsque Pascal fut re?u ? l'?cole polytechnique, Lorilleux ?tait certainement le plus content des deux. Comme il f?licita son ami! Quel hymne il chanta ? sa gloire! Et en lui-m?me il disait:
--Allons, ma soeur ?pousera un officier d'artillerie.
Mais Pascal sortit avec le num?ro trois et opta pour l'?cole des ponts et chauss?es.
--Bravo! se dit Lorilleux, qui n'?tait pas ?tranger ? cette d?cision, la vie de garnison e?t d?plu ? ma soeur, elle sera la femme d'un ing?nieur. Cela m'arrange beaucoup mieux.
Et il se frottait les mains.
On peut juger de son d?sappointement lorsque le jeune ing?nieur donna sa d?mission, sans l'avoir consult?, sans rien lui avoir fait pressentir. Cet acte d'ind?pendance d?plut fort au m?decin; m?me il le consid?ra comme une ind?licatesse: abandonner une position s?re, une carri?re magnifique!
--Peste soit de l'?tourdi! r?p?tait-il du ton dont il aurait dit: Ma pauvre soeur a un mari qui fait des folies.
Cependant il cacha un peu son ressentiment. Pascal ?tait Breton, c'est-?-dire qu'il tenait assez ? ses id?es. Le faire revenir sur une d?termination ?tait chose impossible. Lorilleux ne l'essaya pas. C'e?t ?t? jeter inutilement du froid sur des relations toujours si chaudement amicales. Mais il bl?ma ?nergiquement l'?tourdi. La folie ?tait faite, il fallait en tirer parti, et d?j? le m?decin avait en vue certaine position d'ing?nieur.
--Que vas-tu faire, maintenant? demanda-t-il ? Pascal, voici cinq ann?es de perdues.
--Tu trouves, cher ami, moi qui croyais avoir mis le temps ? profit.
--Mais, encore une fois, ? quoi vas-tu te d?cider?
--Tu verras, j'ai mon projet.
--Ah! fit Lorilleux avec d?pit, tu ne m'en avais pas parl?.
--C'est une surprise.
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