Read Ebook: Histoire des Musulmans d'Espagne t. 4/4 jusqu'à la conquête de l'Andalouisie par les Almoravides (711-1100) by Dozy Reinhart Pieter Anne
Font size:
Background color:
Text color:
Add to tbrJar First Page Next Page
Ebook has 1565 lines and 80159 words, and 32 pages
HISTOIRE
DES
MUSULMANS D'ESPAGNE
HISTOIRE
DES
MUSULMANS D'ESPAGNE
JUSQU'A LA CONQU?TE DE L'ANDALOUSIE PAR LES ALMORAVIDES
PAR
R. DOZY
TOME QUATRI?ME
LEYDE E. J. BRILL Imprimeur de l'Universit?
LIVRE IV
LES PETITS SOUVERAINS
Les Hammoudites ?taient, mais seulement de nom, les chefs du parti berber. Ils pr?tendaient avoir des droits sur toute la partie arabe de la P?ninsule; en r?alit? ils n'y poss?daient que la ville de Malaga et son territoire. Les plus puissants parmi leurs vassaux ?taient les princes de Grenade, Z?w?, qui ?leva Grenade au rang de capitale, et son neveu Habbous qui lui succ?da. Il y avait en outre des princes berbers ? Carmona, ? Moron, ? Ronda. Les Aftasides, qui r?gnaient ? Badajoz, appartenaient ? la m?me nation; mais enti?rement arabis?s, ils se donnaient une origine arabe, et occupaient une position assez isol?e.
Dans le parti oppos?, les hommes les plus marquants ?taient Khair?n, le prince d'Alm?rie, Zohair, qui lui succ?da en 1028, et Modj?hid, le prince des Bal?ares et de D?nia. Ce dernier, le plus grand pirate de son temps, se rendit fameux par les exp?ditions qu'il fit en Sardaigne et sur la c?te de l'Italie, et aussi par la protection qu'il accorda aux hommes de lettres. D'autres Slaves r?gn?rent d'abord ? Valence; mais dans l'ann?e 1021, Abdalaz?z, un petit-fils du c?l?bre Almanzor, y fut proclam? roi. A Saragosse une noble famille arabe, celle des Beni-Houd, obtint le pouvoir apr?s la mort de Mondhir, arriv?e en 1039.
Enfin, sans compter un assez grand nombre de petits Etats, il y avait encore le royaume de Tol?de. Un certain Ya?ch y r?gna jusqu'? l'ann?e 1036; depuis lors les Beni-Dh?-'n-noun en prirent possession. C'?tait une ancienne famille berb?re qui avait pris part ? la conqu?te de l'Espagne au huiti?me si?cle.
Quant ? Cordoue, apr?s que le califat y eut ?t? aboli, les principaux habitants se r?unirent et r?solurent de confier le pouvoir ex?cutif ? Ibn-Djahwar, dont la capacit? ?tait universellement reconnue. Il refusa d'abord d'accepter la dignit? qu'on lui offrait, et quand il c?da enfin aux instances de l'assembl?e, il ne le fit qu'? condition qu'on lui donnerait pour coll?gues deux membres du s?nat qui appartenaient ? sa famille, ? savoir Mohammed ibn-Abb?s et Abdalaz?z ibn-Hasan. L'assembl?e y consentit, mais en stipulant que ces deux personnes auraient seulement voix consultative.
Le premier consul gouverna la r?publique d'une mani?re ?quitable et sage. Gr?ce ? lui, les Cordouans n'eurent plus ? se plaindre de la brutalit? des Berbers. Son premier soin avait ?t? de les cong?dier; il avait seulement retenu les Beni-Iforen, sur l'ob?issance desquels il pouvait compter, et il avait remplac? les autres par une garde nationale. En apparence, il laissa subsister les institutions r?publicaines. Quand on lui demandait une faveur: <
Le sort de S?ville avait ?t? longtemps li? ? celui de Cordoue. De m?me que la capitale, elle avait ob?i successivement ? des souverains de la famille d'Omaiya ou de celle de Hammoud; mais la r?volution de Cordoue en 1023 eut son contre-coup ? S?ville. Les Cordouans s'?tant insurg?s contre C?sim le Hammoudite et l'ayant chass? de leur territoire, ce prince r?solut d'aller chercher un refuge ? S?ville, o? se trouvaient ses deux fils avec une garnison berb?re, command?e par Mohammed ibn-Z?r?, de la tribu d'Iforen. En cons?quence, il envoya aux S?villans l'ordre d'?vacuer mille maisons qui seraient occup?es par ses troupes. Cet ordre causa un m?contentement tr?s-vif, d'autant plus que les soldats de C?sim, les plus pauvres de leur race, avaient la triste r?putation d'?tre de grands pillards. Cordoue venait de montrer aux S?villans la possibilit? de s'affranchir du joug, et ils ?taient tent?s de suivre l'exemple que leur avait donn? la capitale. La crainte de la garnison berb?re les retenait encore; mais le cadi de la ville, Abou-'l-C?sim Mohammed, de la famille des Beni-Abb?d, r?ussit ? gagner le chef de cette garnison. Il lui dit qu'il lui serait facile de devenir seigneur de S?ville, et d?s lors Mohammed ibn-Z?r? se d?clara pr?t ? le seconder. Le cadi conclut ensuite une alliance avec le commandant berber de Carmona, et alors les S?villans, second?s par la garnison, prirent les armes contre les fils de C?sim, dont ils cern?rent le palais.
Arriv? devant les portes de S?ville, qu'il trouva ferm?es, C?sim essaya de gagner les habitants par des promesses; mais il n'y r?ussit pas, et comme ses fils ?taient expos?s ? un grand p?ril, il s'engagea enfin ? ?vacuer le territoire s?villan, pourvu qu'on lui rend?t ses fils et ses biens. Les S?villans y consentirent, et C?sim s'?tant retir?, ils saisirent la premi?re occasion qui s'offrit ? eux pour chasser la garnison berb?re.
Son fils Abou-'l-C?sim Mohammed l'?gala peut-?tre en savoir, mais non en vertu. Ego?ste et ambitieux, son premier acte avait ?t? un acte d'ingratitude. Lorsque son p?re fut mort et qu'il avait esp?r? de lui succ?der comme cadi, un autre lui avait ?t? pr?f?r?. Il s'?tait adress? alors ? C?sim ibn-Hammoud, et gr?ce ? l'entremise de ce prince, il avait obtenu l'emploi qu'il d?sirait. Nous avons d?j? vu de quelle mani?re il r?compensa plus tard cette faveur.
Le cadi voulut ensuite agrandir son territoire en s'emparant de B?ja. Dans les derniers temps cette ville, qui avait d?j? beaucoup souffert au neuvi?me si?cle par la guerre entre les Arabes et les ren?gats, avait ?t? saccag?e et en partie d?truite par les Berbers qui avaient couru le pays en pillant et br?lant tout ce qui se trouvait sur leur passage. Le cadi avait l'intention de la reb?tir; mais inform? de son projet, Abdall?h ibn-al-Aftas, le prince de Badajoz, y envoya des troupes command?es par son fils Mohammed , et ces troupes avaient d?j? pris possession de B?ja au moment o? Ism??l, le fils du cadi, se pr?senta devant les portes avec l'arm?e de S?ville et celle du seigneur de Carmona, l'alli? de son p?re. Il commen?a aussit?t le si?ge et fit piller par sa cavalerie les villages qui se trouvaient entre Evora et la mer. Malgr? le renfort qu'il avait re?u du seigneur de Mertola, Ibn-Taifour, Mohammed l'Aftaside fut tr?s-malheureux: apr?s avoir perdu ses meilleurs guerriers, il tomba entre les mains des ennemis et fut envoy? ? Carmona.
Enhardis par les succ?s qu'ils avaient remport?s, le cadi et son alli? firent des incursions, non-seulement sur le territoire de Badajoz, mais aussi sur celui de Cordoue, de sorte que le gouvernement de cette ville dut prendre ? son service des Berbers de la province de Sidona. Quelque temps apr?s, cependant, ils conclurent la paix, ou du moins un armistice, avec l'Aftaside, et alors Mohammed fut d?livr? de sa prison du consentement du cadi . En lui annon?ant qu'il ?tait libre, le seigneur de Carmona lui recommanda de passer par S?ville et de remercier le cadi; mais Mohammed avait tant d'aversion pour ce dernier, qu'il r?pondit au Berber: <
Quatre ans plus tard, en 1034, Abdall?h l'Aftaside se vengea, mais d'une mani?re peu honorable, des revers qu'il avait essuy?s. Il avait accord? au cadi le passage de son arm?e, qui allait faire, sous les ordres d'Ism??l, une razzia dans le royaume de L?on; mais quand Ism??l fut arriv? dans un d?fil? non loin de la fronti?re l?onaise, il l'attaqua ? l'improviste. Beaucoup de soldats s?villans furent tu?s, d'autres furent massacr?s pendant leur fuite par les cavaliers l?onais. Ism??l lui-m?me ?chappa au carnage avec une poign?e de ses guerriers; mais tandis qu'il se dirigeait sur Lisbonne, ville qui formait la fronti?re des Etats de son p?re du c?t? du nord-ouest, lui et les siens eurent ? endurer les plus grandes privations.
D?s lors le cadi devint l'ennemi mortel du prince de Badajoz; mais nous ne poss?dons pas de d?tails sur les combats qu'ils se livr?rent dans la suite, et sans doute cette guerre n'eut pas pour l'Espagne musulmane des cons?quences aussi importantes qu'un ?v?nement d'une autre nature, dont nous avons ? nous occuper ? pr?sent.
Le cadi, comme nous l'avons dit, avait reconnu la souverainet? du calife hammoudite Yahy? ibn-Al?. ?'avait ?t? longtemps un acte de nulle cons?quence; le cadi r?gnait sans contr?le ? S?ville, Yahy? ?tant trop faible pour y faire valoir ses droits. Peu ? peu cet ?tat de choses changea. Yahy? parvint ? rallier successivement ? sa cause presque tous les chefs berbers; il devint donc en r?alit? ce qu'auparavant il n'avait ?t? que de nom, le chef de tout le parti africain, et comme il avait ?tabli son quartier g?n?ral ? Carmona, d'o? il avait chass? Mohammed ibn-Abdall?h, il mena?ait ? la fois Cordoue et S?ville.
La gravit? du p?ril inspira alors au cadi une pens?e qui e?t ?t? grande et patriotique, si elle n'e?t ?t? sugg?r?e en partie par l'ambition. Pour emp?cher les Berbers, d?sormais unis, de reconqu?rir le terrain qu'ils avaient perdu, l'union des Arabes et des Slaves sous un seul chef ?tait n?cessaire; c'?tait le seul moyen pour pr?server le pays du retour des maux dont il avait souffert. Le cadi le sentait; il d?sirait qu'une grande ligue se form?t, dans laquelle entreraient tous les ennemis des Africains, mais en m?me temps il voulait en devenir le chef. Il ne s'aveuglait pas sur les obstacles qu'il aurait ? vaincre; il savait que les princes slaves, les seigneurs arabes et les s?nateurs de Cordoue seraient bless?s dans leur ombrageuse fiert? au cas o? il t?cherait de les dominer; mais il ne se laissa pas d?courager par des consid?rations de cette nature, et comme les circonstances lui pr?t?rent un puissant appui, il parvint, jusqu'? un certain point, ? r?aliser son projet. Nous allons voir de quelle mani?re il s'y prit.
Nous avons dit plus haut que le malheureux calife Hich?m II s'?tait ?vad? du palais sous le r?gne de Solaim?n, et que, selon toute apparence, il ?tait mort en Asie, ignor? et inconnu. Cependant le peuple, encore fort attach? ? la dynastie omaiyade qui lui avait donn? la prosp?rit? et la gloire, refusait de croire ? la mort de ce monarque, et accueillait avidement les bruits ?tranges qui couraient sur son compte. Il se trouvait des gens qui se piquaient de pouvoir donner les d?tails les plus pr?cis sur son s?jour en Asie. D'abord, disait-on, il s'?tait rendu ? la Mecque, muni d'une bourse remplie d'argent et de pierres pr?cieuses. Cette bourse lui ayant ?t? arrach?e par des n?gres de la garde de l'?mir, il passa deux jours et deux nuits sans manger, jusqu'? ce qu'un potier, touch? de compassion, lui demand?t s'il savait p?trir de l'argile. A tout hasard Hich?m r?pondit que oui. <
Ce r?cit, que le peuple acceptait avec une aveugle cr?dulit?, ne semble m?riter aucune confiance. Le fait est qu'? l'?poque o? Yahy? mena?ait S?ville et Cordoue, il y avait ? Calatrava un nattier du nom de Khalaf, qui avait une ressemblance frappante avec Hich?m; mais rien ne prouve que cet homme ait ?t? l'ex-calife, et les clients omaiyades tels que les historiens Ibn-Haiy?n et Ibn-Hazm, bien qu'il e?t ?t? de leur int?r?t de reconna?tre le soi-disant Hich?m, ont toujours protest? de la mani?re la plus ?nergique contre ce qu'ils appelaient une grossi?re imposture. Khalaf, toutefois, avait de l'ambition. Ayant souvent entendu dire qu'il ressemblait beaucoup ? Hich?m II, il se donna pour ce monarque, et comme il n'?tait pas n? ? Calatrava, ses concitoyens le crurent. Qui plus est, ils le reconnurent pour leur souverain et se r?volt?rent contre leur seigneur Ism??l ibn-Dh?-'n-noun, le prince de Tol?de. Ce dernier vint alors les assi?ger, et leur r?sistance ne fut pas longue. Ayant fait sortir le soi-disant Hich?m de leur ville, ils se soumirent de nouveau ? leur ancien seigneur.
Cependant le r?le de Khalaf n'?tait pas fini; il ne faisait que commencer. Le cadi de S?ville, quand il fut inform? de la r?apparition de Hich?m II, comprit sans tarder le parti qu'il pouvait tirer de cet homme s'il le faisait venir ? S?ville. Peu lui importait que ce f?t Hich?m ou un autre; l'essentiel pour lui, c'?tait que la ressemblance f?t assez grande pour qu'on p?t pr?tendre, sans trop se compromettre, que c'?tait Hich?m, et alors une ligue contre les Berbers pourrait s'organiser en son nom, ligue dont le cadi, en sa qualit? de premier ministre du calife, serait le chef et l'?me. Il fit donc inviter le pr?tendant de se rendre ? S?ville, et lui promit son appui pour le cas o? son identit? serait constat?e. Le nattier ne se fit pas prier; il vint ? S?ville, o? le cadi le montra ? des femmes du s?rail de Hich?m. Sachant ce qu'elles avaient ? dire, elles d?clar?rent presque toutes que cet homme ?tait r?ellement l'ex-calife, et alors le cadi, s'appuyant sur leurs t?moignages, ?crivit au s?nat de Cordoue ainsi qu'aux seigneurs arabes et slaves, pour leur annoncer que Hich?m II se trouvait aupr?s de lui et les inviter ? prendre les armes pour sa cause. Cette d?marche fut couronn?e d'un brillant succ?s. La souverainet? de Hich?m fut reconnue par Mohammed ibn-Abdall?h, le prince d?tr?n? de Carmona, qui avait trouv? un refuge ? S?ville, par Abdalaz?z, prince de Valence, par Modj?hid, prince de D?nia et des ?les Bal?ares, et par le seigneur de Tortose. A Cordoue le peuple apprit avec enthousiasme qu'il vivait encore. Moins cr?dule et jaloux de conserver le pouvoir, le pr?sident de la r?publique, Abou-'l-Hazm ibn-Djahwar, ne fut pas dupe de cette imposture; mais il savait qu'il lui serait impossible de r?sister ? la volont? du peuple. Il comprenait la n?cessit? de l'union des Arabes et des Slaves sous un seul chef, et il craignait de voir Cordoue attaqu?e par les Berbers. Il ne s'opposa donc pas aux d?sirs de ses concitoyens, et il permit que l'on pr?t?t de nouveau serment ? Hich?m II .
Sur ces entrefaites et pendant que le parti arabe-slave s'armait partout contre lui, Yahy? assi?geait S?ville ou en ravageait le territoire, bien r?solu ? tirer une ?clatante vengeance de l'astucieux cadi. Mais il ?tait entour? de tra?tres. Les Berbers de Carmona qu'il avait contraints ? s'enr?ler sous sa banni?re, ?taient fort attach?s ? leur ancien seigneur; ils entretenaient des intelligences avec lui, et en octobre 1035, quelques-uns d'entre eux se rendirent secr?tement ? S?ville. Quand ils y furent arriv?s, ils apprirent au cadi et ? Mohammed ibn-Abdall?h qu'il leur serait facile de surprendre Yahy?, attendu que ce prince ?tait presque toujours ivre. Le cadi et son alli? r?solurent aussit?t de profiter de cet avis. En cons?quence, Ism??l, le fils du cadi, se mit en marche ? la t?te de l'arm?e s?villane et accompagn? de Mohammed ibn-Abdall?h. La nuit venue, il se tint en embuscade avec le gros de ses forces, et envoya un escadron contre Carmona, dans l'espoir d'attirer Yahy? hors de la place. Son projet lui r?ussit. Yahy? ?tait occup? ? boire lorsqu'il fut inform? de l'approche des S?villans. Quittant aussit?t son sofa: <
La nouvelle de la mort de Yahy? causa une joie indicible tant ? S?ville qu'? Cordoue. Le cadi, quand il la re?ut, tomba ? genoux pour remercier le ciel, et tous ceux qui l'entouraient suivirent son exemple. Pour le moment il n'avait plus rien ? craindre des Hammoudites. Idr?s, un fr?re de Yahy?, fut bien proclam? calife ? Malaga; mais il lui fallait du temps pour gagner, ? force de promesses et de concessions, les chefs berbers ? sa cause, et il fut m?me hors d'?tat de r?duire ? l'ob?issance Alg?ziras, o? son cousin Mohammed avait ?t? proclam? calife par les n?gres. Voyant donc que les circonstances lui ?taient propices, le cadi voulut s'installer, avec le soi-disant Hich?m II, dans le palais califal de Cordoue. Mais Ibn-Djahwar n'avait nulle envie d'abdiquer le consulat. Il r?ussit ? convaincre ses concitoyens que le pr?tendu calife n'?tait qu'un imposteur; le nom de Hich?m II fut supprim? dans les pri?res publiques, et lorsque le cadi arriva devant les portes de la ville, il les trouva ferm?es. N'?tant pas assez puissant pour r?duire ? main arm?e une ville aussi consid?rable, force lui fut de retourner d'o? il ?tait venu.
Il ?tait ?vident que le cadi avait trop pr?sum? de ses forces, et il pouvait craindre que le moment ne v?nt o? les arm?es d'Alm?rie et de Grenade, prenant l'offensive ? leur tour, envahiraient le territoire de S?ville. Heureusement pour lui, le hasard, qui le servait presque toujours ? souhait, voulut que l'un de ses ennemis le d?barrass?t de l'autre.
A l'?poque dont nous parlons, deux hommes ?galement remarquables, mais qui se portaient une haine mortelle, avaient la conduite des affaires ? Grenade et ? Alm?rie. C'?taient l'Arabe Ibn-Abb?s et le juif Samuel.
Rabbi Samuel ha-L?vi, qu'on nommait ordinairement Ben-Naghd?la, ?tait n? ? Cordoue, o? il avait ?tudi? le Talmud sous Rabbi Hanokh, le chef spirituel de la communaut? juive. Il s'?tait appliqu? aussi, avec beaucoup de succ?s, ? l'?tude de la litt?rature arabe et de presque toutes les sciences que l'on cultivait alors. Au reste, il n'avait ?t? longtemps rien autre chose qu'un simple marchand d'?picerie, d'abord ? Cordoue, puis ? Malaga, o? il s'?tait ?tabli apr?s la prise de la capitale par les Berbers de Solaim?n, lorsqu'un heureux hasard vint l'arracher ? son humble condition.
Sa boutique se trouvait pr?s d'un ch?teau qui appartenait ? Abou-'l-C?sim ibn-al-Ar?f, le vizir de Habbous, roi de Grenade. Or, les gens de ce ch?teau avaient souvent ? ?crire ? leur ma?tre, mais comme ils ?taient illettr?s, ils firent r?diger leurs lettres par Samuel. Ces lettres excit?rent l'admiration du vizir, car elles ?taient ?crites avec la plus grande ?l?gance et artistement ?maill?es des plus belles fleurs de la rh?torique arabe. Aussi s'empressa-t-il, quand il eut l'occasion de venir ? Malaga, de s'enqu?rir de la personne qui les avait compos?es. Puis, ayant fait venir le juif: <
O toi qui as r?uni en ta personne toutes les belles qualit?s dont d'autres ne poss?dent qu'une partie, toi qui as rendu la libert? ? la G?n?rosit? captive, tu es sup?rieur aux hommes les plus lib?raux de l'Orient et de l'Occident, de m?me que l'or est sup?rieur au cuivre. Ah! si les hommes pouvaient distinguer la v?rit? de l'erreur, ils n'appliqueraient leur bouche que sur tes doigts. Au lieu de chercher ? plaire ? l'Eternel en baisant la pierre noire ? la Mecque, ils baiseraient tes mains, car ce sont elles qui disposent du bonheur. Gr?ce ? toi, j'ai obtenu ici-bas ce que je d?sirais, et j'esp?re que, gr?ce ? toi, j'obtiendrai aussi l?-haut ce que je souhaite. Quand je me trouve aupr?s de toi et des tiens, je professe ouvertement la religion qui prescrit d'observer le sabbat, et quand je suis aupr?s de mon propre peuple, je la professe en secret.
Comme homme d'Etat, il joignait ? un esprit vif et lucide un caract?re ferme et une prudence consomm?e. D'ordinaire--qualit? pr?cieuse pour un diplomate--il parlait peu et pensait beaucoup. Il profitait de toutes les circonstances avec un savoir-faire merveilleux; il connaissait le caract?re et les passions des hommes, et les moyens de les dominer par leurs vices. De plus, il ?tait homme du monde. Dans les magnifiques salles de l'Alhambra il se montrait si parfaitement ? son aise, qu'on l'e?t cru n? au sein du luxe. Personne ne parlait avec autant d'?l?gance ou d'adresse, ne maniait mieux la flatterie, ne savait avec plus d'art ?tre caressant ou familier dans le discours, entra?nant par sa verve ou persuasif par ses arguments. Et pourtant--chose rare chez ceux qu'un tour de roue de la fortune ?l?ve ? une subite opulence et ? une haute dignit?--il n'avait rien de la hauteur d'un parvenu, rien de l'insolente et sotte infatuation g?n?ralement famili?re aux enrichis. Bienveillant et aimable pour tout le monde, il poss?dait cette dignit? vraie qui r?sulte du naturel, du manque absolu de pr?tentions. Loin de rougir de son ancienne condition et de la vouloir cacher, il la glorifiait de son mieux, et imposait par sa simplicit? m?me ? ses d?tracteurs.
Lorsqu'il s'agit de moi, le Malheur dort toujours,--et d?fense expresse lui a ?t? faite de me frapper.
Cet insolent d?fi jet? ? la destin?e avait excit? ? Alm?rie l'indignation de tout le monde, et un hardi po?te se fit l'interpr?te de l'opinion publique en substituant ? la seconde moiti? du vers ces mots qui ?taient un pronostic v?ritable:
Mais le temps arrivera o? la Destin?e, qui ne dort jamais, l'?veillera .
Arabe pur sang, Ibn-Abb?s ha?ssait les Berbers et m?prisait les juifs. Peut-?tre ne voulait-il pas pr?cis?ment que son ma?tre se joign?t ? la ligue arabe-slave, car dans ce cas Zohair aurait ?t? jet? dans l'ombre par le chef de cette ligue, le cadi de S?ville; mais il s'indignait du moins de le voir l'alli? d'un Berber qui avait pour ministre un juif qu'il d?testait et dont il se savait ha?. De concert avec Ibn-Bacanna, le vizir des Hammoudites de Malaga, il avait t?ch? d'abord de renverser Samuel. Pour y parvenir, il avait invent? d'innombrables calomnies, mais sans atteindre son but. Alors il avait essay? de brouiller son ma?tre avec le roi de Grenade, en l'engageant ? pr?ter son appui ? Mohammed de Carmona, l'ennemi de Habbous, et ce plan lui avait r?ussi.
Peu de temps apr?s, dans le mois de juin de l'ann?e 1038, Habbous vint ? mourir. Il laissa deux fils, dont l'a?n? s'appelait B?d?s et le cadet Bologgu?n. Les Berbers et quelques juifs voulaient donner le tr?ne ? ce dernier; d'autres juifs, Samuel entre autres, penchaient pour B?d?s, de m?me que les Arabes. Une guerre civile e?t donc ?clat?, si Bologgu?n n'e?t renonc? spontan?ment ? la couronne, et quand il eut pr?t? serment ? son fr?re, ses partisans, malgr? qu'ils en eussent, furent oblig?s de suivre son exemple.
Le nouveau prince fit tout ce qu'il put pour r?tablir l'alliance avec le seigneur d'Alm?rie, et celui-ci d?clara enfin que tout serait r?gl? dans une entrevue. Accompagn? d'un nombreux et magnifique cort?ge, il se mit donc en marche, et arriva inopin?ment devant les portes de Grenade, sans avoir demand? la permission de franchir la fronti?re. B?d?s fut profond?ment bless? de cette d?marche inconvenante; n?anmoins il re?ut le prince d'Alm?rie avec beaucoup d'?gards, r?gala somptueusement les gens de sa suite, et les combla de dons. La n?gociation, toutefois, n'aboutit pas; ni les princes, ni leurs ministres ne purent s'entendre. Joignez-y que Zohair, qui se laissait influencer par Ibn-Abb?s, prenait envers B?d?s un ton de sup?riorit? fort offensant. Aussi le roi de Grenade songeait d?j? ? punir le prince d'Alm?rie de son insolence, lorsqu'un de ses officiers, qui s'appelait Bologgu?n, se chargea de faire une derni?re tentative pour amener une r?conciliation. La nuit venue, il se rendit donc aupr?s d'Ibn-Abb?s. <
Pleurant d'indignation et de rage, Bologgu?n retourna aupr?s de B?d?s et de son conseil. Puis, quand il eut rapport? l'entretien qu'il avait eu avec le vizir: <
En retournant vers ses Etats, Zohair avait ? passer plusieurs d?fil?s et un pont auquel un village voisin empruntait son nom d'Alpuente. B?d?s ordonna de couper ce pont et envoya des soldats qu'il chargea d'occuper les d?fil?s. Toutefois, comme il ?tait moins exasp?r? contre Zohair que son fr?re, et qu'il ne d?sesp?rait pas encore tout ? fait de ramener l'ancien ami de son p?re ? de meilleurs sentiments, il r?solut de le faire avertir secr?tement du p?ril qui le mena?ait. A cet effet il eut recours ? l'entremise d'un officier berber qui servait dans l'arm?e alm?rienne. Cet officier alla trouver Zohair pendant la nuit, et lui parla en ces termes: <
Les ennemis d'Ibn-Abb?s ont pr?tendu qu'il avait repouss? le conseil de l'officier berber, non parce qu'il le croyait mauvais, mais parce qu'il d?sirait que Zohair f?t tu?. Ibn-Abb?s, disaient-ils, avait l'ambition de r?gner ? Alm?rie; il voulait donc que Zohair trouv?t la mort en combattant contre les Grenadins, et quant ? lui-m?me, il esp?rait qu'il lui serait possible de se sauver par la fuite et de se faire proclamer souverain ? Alm?rie. Peut-?tre y a-t-il quelque chose de vrai dans cette accusation; nous verrons du moins que plus tard Ibn-Abb?s se vanta aupr?s de B?d?s d'avoir attir? Zohair dans un pi?ge.
Quoi qu'il en soit, Zohair se vit cern?, le lendemain matin , par les troupes de Grenade. Ses soldats en furent constern?s; mais lui-m?me ne perdit pas sa pr?sence d'esprit. Il rangea aussit?t en bataille ses fantassins noirs, qui ?taient au nombre de cinq cents, et ses Andalous; puis il ordonna ? son lieutenant Hodhail de fondre sur les ennemis ? la t?te de la cavalerie slave. Hodhail ob?it; mais le combat ? peine engag?, il fut d?mont?, soit par un coup de lance, soit par un faux pas de son cheval, et alors ses cavaliers prirent la fuite dans le plus grand d?sordre. Au m?me instant Zohair fut trahi par ses n?gres, dans lesquels il avait cependant une grande confiance. Ces n?gres pass?rent ? l'ennemi, apr?s s'?tre rendus ma?tres du d?p?t d'armes. Il ne restait donc que les Andalous; mais ceux-ci, qui ?taient en g?n?ral de fort mauvais soldats, n'eurent rien de plus press? que de s'enfuir, et bon gr?, mal gr?, Zohair dut en faire autant. Comme le pont d'Alpuente ?tait coup? et que les d?fil?s ?taient occup?s par les ennemis, les fuyards durent chercher un refuge sur les montagnes. La plupart furent sabr?s par les Grenadins qui ne donnaient point de quartier; d'autres trouv?rent la mort dans d'effroyables pr?cipices, et de ce nombre fut Zohair lui-m?me.
Tous les fonctionnaires civils avaient ?t? faits prisonniers, B?dis ayant ordonn? d'?pargner leur vie. Ibn-Abb?s se trouvait parmi eux. Il croyait n'avoir rien ? craindre et ne s'inqui?tait que de ses livres. <
La promenade finie, B?d?s se fit amener son prisonnier et lui reprocha ses torts dans les paroles les plus dures. Ibn-Abb?s attendit avec r?signation la fin de cette longue invective; puis, quand le roi eut cess? de parler: <
B?d?s l'?couta sans mot dire; puis, brandissant son javelot, il le lui plongea dans la poitrine. Son fr?re Bologgu?n et son chambellan Al? ibn-al-Caraw? suivirent son exemple; mais Ibn-Abb?s, qui ne discontinuait pas d'implorer la cl?mence de ses bourreaux, ne tomba par terre qu'au dix-septi?me coup .
Add to tbrJar First Page Next Page