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Read Ebook: Une Maladie Morale: Le mal du siècle by Charpentier Paul

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Ebook has 461 lines and 90003 words, and 10 pages

Ainsi, chez Mlle Lespinasse, comme chez Mme du Deffand, et du c?t? des encyclop?distes comme du c?t? de leurs adversaires, partout s'?tablit en France une rivalit? de tristesse, ou, si l'on aime mieux, un ?trange accord de plaintes contre les douleurs de la vie. Il en ?tait de m?me ? l'?tranger.

En m?me temps, survenait en Angleterre un ?v?nement litt?raire d'une haute importance. Soit que les po?sies connues sous le nom d'Ossian fussent l'oeuvre authentique d'un vieux barde, fid?lement transmises de g?n?ration en g?n?ration, dans les montagnes de l'?cosse; soit plut?t, comme il para?t certain aujourd'hui, qu'elles ne fussent que le r?sultat d'une supercherie savante, l'habile restauration de quelques d?bris antiques combin?s avec une cr?ation r?cente, sans m'appesantir sur ce probl?me, je dois relever le caract?re de la publication de Macpherson. On n'y trouve que chants de guerre, hymnes de mort, m?lancolie r?veuse et vague religiosit?. De la nature, on ne sent, on ne reproduit, que les spectacles les plus s?v?res. Au milieu de cette mise en sc?ne un peu monotone, se meut un monde fantastique, o? les ombres des h?ros qui ne sont plus se m?lent ? la vague personnalit? de leurs descendants. Ces objets, ces figures ?tranges, charmaient l'esprit des Anglais, et leur inspiraient une admiration dont on verra plus tard la contagion se propager parmi nous.

N'oublions pas enfin de rappeler que, d?s cette ?poque, on rencontre en Angleterre, comme on l'avait vu chez les anciens, le suicide ? l'?tat de mode. Cette mode funeste ?tait-elle chez les Anglais, selon l'explication de Montesquieu, le r?sultat d'une maladie physique, ou, comme l'a pens? Goethe, l'effet des passions politiques et de l'esprit de parti? N'y faut-il pas plut?t voir les suites d'un climat brumeux qui d?veloppe le spleen, affection qui semble si propre ? l'Angleterre que le mot qui la d?finit est emprunt? ? sa langue. Ce qu'on ne peut nier, c'est l'anciennet? de la tradition du suicide en Angleterre.

L'Allemagne, ou, pour employer une expression plus ?tendue, les pays de langue allemande n'?taient pas alors moins malades que l'Angleterre. Il y r?gnait parmi la jeunesse une tendance marqu?e vers le d?senchantement et le d?sespoir. <> Elle se personnifiait d'une mani?re frappante, en un jeune homme, qui, sous un autre nom, devait passer ? la post?rit?. C'?tait le fils d'un th?ologien nomm? J?rusalem. Il ?tait artiste, ami de la solitude; on avait parl? de sa passion pour la femme d'un ami. Ce malheureux se tua; nous y reviendrons tout ? l'heure.

Les femmes n'avaient garde de r?sister ? l'?pid?mie de sensibilit? exalt?e qui r?gnait alors. La lecture des romans avait au plus haut point excit? chez elles la puissance de l'imagination et d?velopp? dans leur coeur des passions sans objet pr?cis. Mlle Flachsland, la fianc?e de Herder, en parlant d'une certaine demoiselle de Ziegler, lui rend ce t?moignage que c'?tait une jeune fille <> Elle-m?me, Mlle Flachsland, devenue plus tard une femme tr?s positive, donnait enti?rement dans cette mode. Elle avait fait b?tir dans son jardin un tombeau qu'elle entourait de rosiers; elle ?levait un agneau dont elle faisait le compagnon de sa table, et quand il mourut, elle donna sa place ? un petit chien. Elle ?crivait ? son fianc? qu'un soir, au fond des bois, elle ?tait tomb?e ? genoux en regardant la lune, qui brillait ? travers les arbres, et elle l'entretenait des vagues ?panchements d'un besoin d'aimer qu'Herder aurait eu le droit de trouver un peu trop prodigue. L'int?ressant commentateur de Goethe, M. M?zi?res, qui rapporte ces faits curieux, fait aussi conna?tre que la m?re de Maximiliana Brentano, la grand'm?re de la c?l?bre Bettina, Mme de la Roche <> Pleurs et attendrissements dont il aurait ?t? difficile de dire la cause.

On rapporte que Zimmermann, n? dans les ?tats helv?tiques, aimait, d?s sa jeunesse, les bois et les montagnes au sein desquels il grandissait. Ce go?t ainsi que l'?tude des po?tes, l'avaient port? ? la m?lancolie. Ses ennuis, au milieu de la soci?t? ?troite et jalouse d'une petite ville, avaient accru ce penchant, que des chagrins domestiques et des douleurs physiques vinrent transformer en une noire misanthropie. Il mourut d?sesp?r?. Goethe, qui l'a connu et qui ne le flatte pas, d?clare qu'il ?tait le jouet et finit par devenir la victime d'une sorte de sombre folie.

Les agitations de l'?crivain se traduisent dans son oeuvre. Il pr?che la solitude, d'abord celle qu'on peut se procurer m?me au milieu du monde en sachant se recueillir, puis aussi la retraite effective. Il vante la vie au sein de la nature et pense qu'on peut trouver le bonheur ? se r?jouir de ses harmonies. La solitude a selon lui cet avantage, qu'elle d?veloppe les forces de l'esprit, qu'elle cr?e des loisirs en retranchant les soins inutiles, enfin qu'elle apaise le coeur et ?l?ve les sentiments. D'un autre c?t?, il est le premier ? en proclamer les dangers. Il en indique m?me plusieurs qui semblent en contradiction avec les bienfaits qu'il lui attribue ailleurs; et il avoue que l'isolement fomente les mauvaises passions, imprime ? l'esprit des allures trop absolues, irrite les forces du cerveau, enfin ?veille ou fortifie le go?t de la m?lancolie. Aux yeux de Zimmermann, ce dernier effet devrait ?tre la condamnation de la solitude, car personne n'a trac? de la m?lancolie un portrait plus sombre que celui qu'il en a laiss?. Il va jusqu'? dire: <> Mais, malgr? cette impr?cation violente, Zimmermann ne sait pas rompre avec le mal qu'il d?teste.

Peut-?tre cependant ses contradictions apparentes peuvent-elles trouver une explication. Peut-?tre sa v?ritable pens?e se rencontrait-elle dans un terme moyen, entre les solutions extr?mes que son imagination parcourait tour ? tour, et je crois qu'en effet le dernier mot de sa philosophie, le fruit supr?me de sa cruelle exp?rience, a ?t? de proclamer que pour vaincre la m?lancolie il ne faut chercher ni les agitations du monde, ni la solitude absolue, mais l'emploi r?gulier des facult?s, le travail habituel, ou, comme il le dit lui-m?me, <> Nous verrons plus d'une fois, dans le cours de cette ?tude, des ?crivains qui avaient longtemps cherch? une autre solution au probl?me du bonheur, arriver ? la m?me conclusion que Zimmermann.

Goethe raconte dans ses m?moires qu'il eut l'amour pr?coce de la solitude, et qu'? un ?ge o? ces choses sont inconnues, il se montra enclin aux pens?es s?rieuses et ? la r?verie. Tr?s jeune encore, il ressent les premi?res atteintes d'une manie hypocondriaque. Il ne peut supporter les regards des hommes et se pla?t ? se retirer dans les bois. Il aime surtout une vaste salle de verdure, form?e par de vieux fr?nes, aux environs de Francfort. <> Sa sant? mal gouvern?e s'alt?re; il subit une maladie grave. Quelques essais d'amour ne lui laissent que des regrets ou des remords. Il se lie, ? Wetzlar, avec un jeune homme d'un caract?re droit et positif, lequel ?tait fianc? ? une jeune personne du nom de Charlotte, rest?e apr?s la mort de sa m?re ? la t?te d'une nombreuse famille. Goethe se prend ? aimer cette jeune fille d'une amiti? qui devient bient?t passion, et pour ne pas devenir t?moin de son mariage, il quitte ses amis. Cette s?paration accomplie, et rentr? en possession de lui-m?me, il ressent le d?sir de peindre, <>

Pendant cette ?poque de sa jeunesse, il songe au suicide. Il r?fl?chit sur tous les moyens de s'?ter la vie. Il repasse dans sa m?moire, riche en souvenirs classiques, tous les exemples de suicide que nous a laiss?s l'histoire, et celui qu'il admire le plus est le fait de l'Empereur Othon, qui, apr?s avoir perdu une bataille, avait soup? gaiement avec ses amis, et le lendemain avait ?t? trouv? perc? d'un poignard qu'il s'?tait enfonc? dans le coeur. Mais ces m?ditations approfondies loin de pousser Goethe au suicide, l'en d?tournent. La perfection de la mort d'Othon lui paraissant inimitable, il est conduit ? penser que <> Goethe poss?dait bien un poignard de prix, soigneusement affil?; tous les soirs <> il se demandait s'il allait s'en servir, mais il avoue que, <> Et il fit bien.

Il avait, d'ailleurs, ? sa disposition un moyen plus doux de mettre fin ? son d?sespoir. Depuis quelque temps, il ?tait tourment? du besoin de r?pandre au dehors ses chagrins, la plume ? la main. Il se mit ? ?crire une oeuvre po?tique r?unissant <> La fin d?plorable du jeune J?rusalem, dont la situation lui rappelait, d'ailleurs, ses rapports personnels avec Charlotte, lui sembla s'adapter naturellement au roman qu'il m?ditait et en indiquer le d?no?ment n?cessaire. Au lieu de se d?truire, il cr?a Werther .

Qu'est-ce que Werther? un r?veur, un d?soeuvr?, un esprit nourri d'illusions, plein d'aspirations vagues et de st?riles regrets, incapable de vouloir avec force, laissant ?chapper le bonheur plac? sous sa main, et courant apr?s celui qu'il ne saurait atteindre. Il prend en piti? le monde r?el, et se renferme dans celui de l'imagination. Il semble que son amour m?me pour Charlotte soit un amour de t?te bien plut?t que de coeur, et qu'il y entre beaucoup du sentiment qui le porte ? se heurter contre l'impossible. La tristesse est l'?tat habituel de son ?me; mais cette tristesse, il la ch?rit, il l'alimente avec soin; il avoue qu'il <> Aussi, ne fait-il nul effort pour s'arracher ? ses maux imaginaires. Peintre, il ne demande aucune consolation ? son art; diplomate, ? la v?rit? malgr? lui, il se rebute au premier incident qui blesse sa susceptibilit? jalouse. Et cependant, ces souffrances dans lesquelles il se compla?t, il les juge, un jour, intol?rables; il forme, il m?rit le projet de s'en affranchir par la mort. Ce triste dessein arr?t?, il en combine tranquillement l'ex?cution, et il l'accomplit froidement, sans souci de ses devoirs divers, et sans ?gard pour la douleur qu'il va causer ? sa m?re et ? ses amis. Telle est la terminaison ?go?ste et funeste des <>

Werther provient donc de deux sources diff?rentes. Goethe en a tir? une partie de ses propres souvenirs. Tristesse vague, amour malheureux pour une jeune et grave Charlotte, vell?it?s de suicide, ces sentiments avaient ?t? les siens. Mais il les avait observ?s aussi chez le malheureux J?rusalem, et le suicide de cet infortun? fournissait ? son roman un d?no?ment path?tique. C'est aussi la personne ext?rieure de J?rusalem que Goethe d?crit dans Werther. On y retrouve jusqu'au costume de ce jeune homme, costume qui devait plus tard devenir c?l?bre, et qui d'apr?s les m?moires de Goethe ?tait celui de la basse Allemagne, <> La fiction n'?tait donc pas le seul, ni m?me le principal ?l?ment de cet ?crit. Quoi qu'il en soit, le but qu'il s'?tait propos? en ?crivant cet ouvrage, Goethe l'atteignit. Il trouva dans cet enfantement un d?rivatif ? ses chagrins. A mesure que sa pens?e prenait un corps, sa passion maladive s'?vanouissait, et quand il eut achev? de d?crire la folie de Werther, il ?tait gu?ri de la sienne. Mais ? quel prix?

Je ne parle pas ici du coup que vint porter ? des coeurs qu'il eut d? m?nager davantage, l'indiscr?tion de ses allusions transparentes. Un dommage plus ?tendu, plus grave et plus durable, devait ?tre la cons?quence de son oeuvre pour bien d'autres ?mes. Combien de lecteurs, d?s son apparition, accueillirent avec une ardeur inconsid?r?e les enseignements d?solants de ce livre! Tandis que Goethe y avait reconquis sa s?r?nit? d'esprit un moment compromise, ses contemporains y puisaient le trouble et le d?sespoir. <> Dangereux, il l'?tait en effet et l'exp?rience ne l'a que trop prouv?. A la suite de cet ?crit, s?vit une d?plorable ?pid?mie de suicide. Lenz en fut atteint l'un des premiers, Lenz, ce personnage que nous font conna?tre les m?moires de Goethe, et qui poussa le fanatisme de l'imitation jusqu'? vouloir finir par la d?mence et le suicide. <> Un jeune homme, fils de Mme de Hohenhausen, femme de lettres, se tire ? Berne un coup de pistolet, apr?s avoir lu Werther et soulign? quelques passages du livre. Toutes les classes de la soci?t? payaient leur tribut ? la funeste contagion. A Halle, un apprenti cordonnier qui se jeta par la fen?tre portait un Werther dans sa poche. <> Je doute, avec M. M?zi?res, que ces morts tragiques soient les seules qu'il faille inscrire au martyrologe ouvert par Werther. Tout au moins est-il certain que l'influence de cet ?crit s'est fait longtemps et cruellement sentir.

Son auteur a-t-il une excuse? Quelle n?cessit? en dehors du besoin d'apaisement int?rieur dont il a fait l'aveu, poussait Goethe ? choisir un pareil sujet? Aux alarmes l?gitimes que causait parmi ses amis l'annonce de cette publication, il r?pondait: <> Pour ma part, je ne connais aucune n?cessit? qui autorise ? jeter dans le public des germes de d?sordre moral. Le g?nie, et c'est lui sans doute dont Goethe entendait revendiquer les droits, le g?nie, je le veux bien, a ses pr?rogatives, mais non pas celle de se jouer du repos et de la vie des hommes, et la m?re qui lui reprochait la perte d'un fils, n'avait-elle pas raison de dire qu'il lui en serait demand? un compte s?v?re devant Dieu?

Il nous reste ? parler en quelques mots d'un drame de Goethe publi? en 1790, mais compos? un peu avant cette date, et qui appartient ? la m?me inspiration que Werther, sa pi?ce de Torquato Tasso. Dans cette pi?ce, le Tasse est repr?sent? sous des traits qui ont fait dire de cette oeuvre ? J.-J. Amp?re que ce n'?tait que du Werther renforc?; et Goethe lui-m?me trouvait cette d?finition d'une justesse frappante. Par cette cr?ation, comme par celle de Werther, Goethe para?t avoir cherch? ? se d?livrer de soucis qui pesaient alors sur son ?me, et qui ?taient n?s, croit-on, de sa situation difficile d'artiste et de po?te dans une soci?t? d'hommes de cour. Mais il convient d'ajouter que Torquato ne pr?sente pas les dangers de Werther, que ce portrait d?figur? ne pouvait exercer une s?rieuse influence, et qu'enfin le po?te Italien y est montr? se r?conciliant avec le monde qui l'avait abreuv? d'amertume. Il nous reste aussi ? parler de Faust, puisque la premi?re partie de ce po?me, la seule qui nous int?resse au point de vue o? nous nous pla?ons, ?bauch?e d?s 1773, avait paru presque enti?re vers 1789.

Goethe a reconnu que, dans ces peintures, il s'?tait encore repr?sent? lui-m?me; que l'ironie de M?phistoph?l?s, aussi bien que l'agitation du docteur, ?taient <> Avouons ? notre tour, que pr?sent?es sous cette forme po?tique et l?gendaire, et adoucies par l'abandon de la tentative de suicide, les sc?nes de d?sespoir contenues dans cette oeuvre ne pouvaient faire autant de mal que celles qui avaient ?t? si fatales aux lecteurs trop consciencieux de Werther.

Ramond.--Andr? Ch?nier.--Bonaparte.

Cependant en France l'esprit public continuait ? suivre la direction que lui avaient imprim?e Rousseau et ses disciples, et qu'avait confirm?e l'influence ?trang?re.

Cet ?crit est une sorte de drame en prose, divis? en trois journ?es avec des interm?des po?tiques d'un caract?re m?lancolique. Il est d?di? ? M. Lenz, cette victime de Werther, dont j'ai rappel? plus haut la fin tragique. On a retrouv? l'exemplaire manuscrit dans lequel l'auteur s'adresse ? la m?moire de ce d?sesp?r?, avec une effusion de sympathique commis?ration: <> D?di? aux m?nes d'un suicid?, ce drame est sinon la glorification, au moins la d?fense du suicide.

La cause d'un d?nouement aussi violent est un chagrin de coeur. D'ailleurs tous les personnages de cette pi?ce, ou peu s'en faut, sont malheureux en amour, et chacun d'eux a de fortes raisons de se plaindre de sa destin?e ? cet ?gard. Heureusement, de tous ces personnages ?galement maltrait?s par la passion, d'Olban seul prend la chose d'une fa?on absolument tragique.

D?s le d?but, l'infortun? expose son mal: <> Il aime les promenades solitaires: <> Quand il apprend qu'il n'y a plus d'espoir pour son amour: <> Le projet de se donner la mort ainsi con?u dans son esprit, s'y fortifie vite, et, malgr? les efforts de ses amis, il le met ? ex?cution. On le voit errer <> Il s'assied au pied d'un arbre et se livre ? un long monologue sur sa fin prochaine, puis <> La derni?re sc?ne nous le montre au ch?teau ruin? de Honak, ? la pointe d'un rocher. <> Il invoque le ciel dont il pr?tend bien avoir l'assentiment: <> A genoux, les mains ?tendues, il dit adieu ? tout ce qu'il a aim?. <> Le coup part, et le suicide est accompli.

Ainsi, ce jeune homme d?pourvu d'?nergie morale, a cru pouvoir attenter ? ses jours; il n'a pas eu piti? des coeurs qu'il allait briser. Chose plus grave encore, il a joint le sophisme ? la faiblesse en pr?tendant faire de Dieu m?me le complice de son oeuvre, et l'auteur a le dernier tort de nous montrer plus tard la l?chet? de d'Olban excus?e par deux p?lerins priant sur son tombeau.

Il faut le dire, du reste, ces exc?s ?tonnaient plus d'un lecteur sans le s?duire. Dorat qui publiait cette oeuvre presqu'enti?re dans le journal des Dames o? elle devait faire une assez singuli?re figure, tout en y reconnaissant des beaut?s, la comparait au chaos des pi?ces anglaises. En tout cas, je ne sache pas que ses admirateurs eux-m?mes aient jamais ?t? tent?s de la mettre en pratique. Ramond se trouvait plus ? l'unisson de l'esprit public, quand il s'en tenait ? des ?l?gies, o? l'on a vu, comme un pr?lude de l'accent de Lamartine, et quand il disait:

Je suis seul, m?content, au sein de la nature; Quand tout chante l'amour, ? mes sens moins ?mus Tout est muet, et l'onde et l'ombre et la verdure; Avec le monde, h?las! mon coeur ne s'entend plus.

Le premier concerne Andr? Ch?nier. Ce po?te attique, ce courageux citoyen, ? qui la Terreur ne devait pardonner ni son talent, ni sa g?n?rosit?, ? une ?poque o? tout lui souriait encore, a eu, lui aussi, son acc?s de m?lancolie. Comme d'autres, il s'est mis ? r?criminer contre la soci?t?, ? vanter la nature. Il ?tait attach? ? l'ambassade de Londres lorsqu'il ?crivit les lignes suivantes: <> Ici se placent des r?flexions sur l'humiliation, les d?dains que les hauts rangs de la soci?t? infligent aux conditions plus modestes, et qui se terminent par ces mots: <> Ces lignes d?clamatoires ne sont-elles pas ce qu'on a appel? de nos jours un signe du temps et ne peut-on pas dire qu'en d?versant ce flot d'humeur noire Ch?nier n'?tait plus lui-m?me, et que Jean-Jacques Rousseau et Goethe parlaient par sa bouche? Un exemple analogue presque de la m?me date est plus saillant encore. Il est emprunt? ? la jeunesse de Napol?on Ier.

On sait qu'il avait vou? de bonne heure ? Ossian un culte auquel il est toujours rest? fid?le. On sait de plus, par de r?cents et attrayants m?moires, que, jeune, il s'adonnait ? la solitude et ? la r?verie. <> N'est-ce pas l? pr?cis?ment le proc?d? de l'?cole m?lancolique? Mais le jeune Bonaparte s'y rattachait encore par un c?t? plus f?cheux. Avant d'avoir s?rieusement commenc? l'?preuve de la vie, il en ?tait fatigu?, et ne voyant aucun int?r?t digne de l'y rattacher, il songeait, comme il y songea, dit-on, plus tard, dans le d?sastre de sa fortune, ? mettre un terme ? ses jours. Une note ?crite par lui, le 3 mai de l'ann?e 1788, retrouv?e dans les papiers du cardinal Fesch, et publi?e en 1812, contient ce passage: <> Je laisse ? d'autres le soin de calculer les cons?quences qu'aurait eues pour l'histoire du monde l'ex?cution du projet dont on vient de voir les traces. Je n'y veux voir que la preuve de l'influence du temps o? il se produisait. Combien cette influence devait-?tre profonde pour ?touffer, dans un tel homme, la conscience de sa force, sinon celle de sa valeur, en m?me temps que le pressentiment de ses destin?es!

J'en aurai fini avec cette ?poque quand j'aurai rappel? qu'? ce moment en France, comme en Angleterre, et plus encore que dans ce pays, le suicide exer?ait ses ravages. Mercier, dans son tableau de Paris , signalait ce fl?au. Il n'a point ?tabli s'il tenait aux sentiments dont j'ai parcouru l'histoire, mais par elle-m?me, l'extension du suicide indique assez un ?tat g?n?ral de souffrance et de d?sespoir.

Ce mouvement s'acc?l?re encore en se communiquant. Il s'?tablit entre les diff?rents peuples des courants d'influence qui activent la tendance naturelle de chacun d'eux. C'est ainsi que Zimmermann faisait des emprunts ? Jean-Jacques Rousseau et ? Bernardin de Saint-Pierre; que Goethe, partageant le go?t de la jeunesse de son temps, se passionnait pour le grand po?te anglais dont il analysait, dans Wilhelm Meister, la belle cr?ation d'Hamlet; c'est ainsi que Goethe encore ne trouvait rien de mieux pour inspirer ? son Werther des id?es de mort, que de lui faire relire avec son amie quelques-unes des plus sombres pages d'Ossian. Enfin, c'est ainsi qu'? son tour, Werther venait troubler les imaginations fran?aises, et revivait, par exemple, dans le jeune d'Olban. Toutes ces causes r?unies pr?paraient la venue de cette <> dont nous devons suivre maintenant le d?veloppement.

Les Po?tes.

MICHAUD.--FONTANES.--LEGOUV?.--MILLEVOYE. BAOUR-LORMIAN.

De toutes les formes que la pens?e peut rev?tir, aucune plus que la po?sie ne para?t propre ? l'expression de la m?lancolie. Il n'en est pas qui semble mieux faite pour traduire dans leurs d?tours ou dans leurs ?lans de capricieuses r?veries ou de vagues aspirations. Cependant, par une anomalie assez bizarre, la po?sie de la R?volution et de l'Empire est rest?e, dans cet ordre d'id?es, fort au-dessous de la prose. Tandis que celle-ci a mis au service du mal que j'?tudie une langue nouvelle, la po?sie se cantonnant dans des souvenirs classiques, ne lui a pr?t? qu'un concours tr?s effac?. Toutefois elle lui a fait une place que, si petite qu'elle soit, il faut consid?rer.

Partout sur son tr?pas on versera des larmes, Partout de ses ?crits on sentira les charmes, Partout on b?nira les vertus de Rousseau, Et l'univers sera son temple et son tombeau.

Un cimeti?re aux champs, quel tableau, quel tr?sor!

Du reste, elle-m?me pr?te son charme ? toute chose; <> Enfin, si l'on veut savoir sous quelle figure elle se pr?sente aux yeux du po?te, voici le portrait qu'il en fait:

<<..... Une vierge assise sous l'ombrage, Qui, r?veuse et livr?e ? de vagues regrets, Nourrit au bruit des flots un chagrin plein d'attraits, Laisse voir, en ouvrant ses paupi?res timides, Des pleurs voluptueux dans ses regards humides Et se pla?t aux soupirs qui soul?vent son sein, Un cypr?s devant elle, et Werther ? la main.>>

En 1801, Baour-Lormian avait donn? ses po?sies Ossianiques. Elles furent accueillies par la faveur publique, et le futur empereur, qui ne m?nagea pas ses r?compenses ? l'auteur, fut le premier ? les lire et ? appr?cier le m?rite avec lequel elles faisaient passer dans notre langue la po?sie vaporeuse et sombre des Anglais.

C'est ? cela que se borne l'expression de la m?lancolie par la po?sie, de 1789 ? 1814. Encore dans ce petit nombre d'oeuvres le mal que j'?tudie se trahit-il ? peine. Pour prendre sur le fait la m?lancolie vraiment maladive, il faut arriver ? des oeuvres moins po?tiques dans la forme, quoiqu'elles le fussent peut-?tre plus par le fond.

Mme de Sta?l.

Ce n'est pas, sans doute, par le c?t? m?lancolique que Mme de Sta?l attire au premier abord l'attention. On loue plut?t en elle des qualit?s ?nergiques et quelque peu viriles. L'enthousiasme paraissait ?tre l'?tat le plus habituel de son ?me et le mot qui l'exprime revient fr?quemment sous sa plume. Mme Le Brun, dans ses Souvenirs, la repr?sente comme personnifiant en quelque sorte la muse de l'improvisation, et G?rard n'a pas cru s'?carter de la v?rit? en la peignant sous les traits de Corinne, l'Italienne inspir?e. Elle a horreur de la solitude; elle recherche le monde, les triomphes que son esprit sup?rieur y remporte, l'impulsion nouvelle qu'il en re?oit; elle aime la gloire, aiguillon puissant pour le talent; enfin son coeur ne reste pas inactif.

Cependant on ne saurait nier qu'elle ait ressenti des atteintes de maladie morale. Elle nous apprend que le <> qu'elle est <> Et dans sa derni?re maladie elle disait ? Chateaubriand: <>

Mme de Sta?l a donc connu par elle-m?me cette maladie du si?cle qu'elle a d?finie <> ?lev?e dans une soci?t? engou?e de Rousseau, elle avait partag? ? son sujet le d?lire g?n?ral. Plus tard, les malheurs publics l'avaient atteinte. La R?volution, en bouleversant sa vie, y avait laiss? un vide profond. Jamais elle n'avait pu se consoler de l'exil ni de sa demi-solitude de Coppet. Elle n'avait pu d'avantage s'accoutumer ? la pens?e des maux de la France livr?e tour ? tour ? l'anarchie ou au despotisme. Enfin les litt?ratures ?trang?res, avec lesquelles son exil l'avait rendue famili?re, avaient fourni ? sa m?lancolie un nouvel aliment. Ses d?faillances d'ailleurs ont ?t? courtes et bient?t suivies de retour ? la pleine sant? morale, et, sous quelques rapports, elle restera comme un mod?le de l'ind?pendance et de la fermet? du caract?re.

Le Groupe de Coppet

On n'est point un esprit sup?rieur, on n'a point en soi une surabondance de force et de mouvement intellectuel, sans attirer, sans grouper pr?s de soi d'autres intelligences moindres, mais qui peuvent ?tre encore remarquables. Autour de Mme de Sta?l gravitaient quelques hommes qui vivaient de sa vie morale et en partageaient les souffrances.

Elle-m?me, a trac? le portrait de l'un deux, car cet Oswald, compagnon trop froid de l'?clatante Corinne, ne serait autre, d'apr?s un juge comp?tent, qu'un des amis de Mme de Sta?l, M. de Barante. Or, on l'a vu plus haut, Oswald ?tait triste et sombre. <> Il ne semble pas, d'ailleurs, que cette disposition am?re ait eu chez M. de Barante une longue dur?e. Elle a d? c?der ? une vie active et favoris?e par le succ?s.

Non loin de lui, dans la p?nombre de Mme de Sta?l, on distingue la figure d'un autre ?crivain, Suisse d'origine, mais Fran?ais par le langage et par le coeur.

M. de Sismondi, qui avait de bonne heure fait de la France sa patrie d'adoption, avait pris sa part, pendant la R?volution, des d?sastres qui atteignaient la France. Il ?tait ? Lyon quand la tourmente s'y d?cha?na. Il avait cherch? un refuge en Suisse, d'o? la guerre vint le chasser. Il s'?tait alors r?fugi? en Angleterre, puis retir? en Italie , et avait ?t? de l? porter ses hommages ? la cour de Coppet. Il n'avait pas tard? ? devenir un des admirateurs les plus d?vou?s de Mme de Sta?l. La soci?t? de cette femme illustre ?tait devenue pour lui un besoin imp?rieux. Il ?crivait: <> Il l'accompagna dans ses voyages en Allemagne et en Italie, et pendant toute la dur?e de l'Empire, qu'il n'a servi qu'au jour du malheur, il s'est associ? ? la haine que Mme de Sta?l avait vou?e au pouvoir qui pesait sur la France. Contre les chagrins que lui inspirait la vue des ?v?nements qui d?solaient alors l'Europe, il ne trouvait en lui-m?me aucun rem?de. Il rencontrait au contraire dans sa pens?e, sa correspondance l'atteste, d'autres sujets d'angoisses. Le 28 mai 1809, il ?crivait ? Mme d'Albany: <> A charge ? lui-m?me, il ?prouve une agitation fatigante qu'il ne peut apaiser qu'en s'oubliant pour d'autres. <> Une derni?re citation montrera ce qu'il ?tait encore deux ans plus tard: <> Ainsi la pens?e, la nature, la vie m?me, tout l'attriste et il ne peut supporter le fardeau de l'existence qu'en en perdant la conscience par l'agitation; il va plus loin, et estime qu'on peut s'en d?faire par la violence. Mme de Sta?l, je l'ai dit, avait r?tract? l'opinion imprudente qu'elle avait d'abord soutenue sur le suicide; Sismondi la bl?me de cette r?tractation qui, selon lui, ne pouvait qu'affaiblir l'autorit? de sa pens?e, et il consid?re le suicide comme un rem?de mis ? notre port?e, <>

Sismondi est une preuve frappante du mal qui s?vissait sur les esprits ? cette ?poque, et ce n'est pas une mince erreur et une faute l?g?re de sa part d'avoir cru et d'avoir dit qu'on pouvait s'y soustraire en quittant volontairement la vie. Du moins, il a cherch? ? le combattre en lui par un travail intellectuel opini?tre et dont les beaux r?sultats ont enrichi la litt?rature; et plus tard, il est revenu au calme et ? la s?r?nit?.

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