Read Ebook: Histoire de la prostitution chez tous les peuples du monde depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours tome 2/6 by Jacob P L
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Illa Lesbia quam Catullus unam Plus quam se atque suos amavit omnes, Nunc in quadriviis et angiportis Glubit magnanimos Remi nepotes!
Toutes les modes ?trang?res appartenaient de droit aux courtisanes qui avaient perdu le titre de citoyenne, et qui, d'ailleurs, venaient la plupart des pays ?trangers. Leur coiffure d'apparat, car le capuce ou cuculle ne leur servait que le soir ou le matin, pour aller au lupanar et pour en sortir; la coiffure qu'elles portaient de pr?f?rence au th??tre et dans les c?r?monies publiques, o? leur pr?sence ?tait tol?r?e; cette coiffure, qui leur fut longtemps particuli?re, t?moignait assez que la Prostitution avait commenc? en Orient, et que Rome lui laissait son costume national. On distinguait trois sortes de coiffure ou d'habillements de t?te sp?cialement r?serv?s aux m?r?trices de Rome: la mitre, la tiare et le nimbe. Le nimbe para?t ?gyptien; c'?tait une bande d'?toffe plus ou moins large, qu'on ceignait autour du front pour en diminuer la hauteur. Les Romains, ? l'exemple des Grecs, n'admiraient pas les grands fronts chez les femmes, et celles-ci cherchaient ? dissimuler le leur, qui ?tait plus ?lev? et plus pro?minent que le front des femmes grecques. Le nimbe ou bandeau frontal ?tait quelquefois charg? d'ornements en or, et ses deux bouts pendaient de chaque c?t? de la t?te, comme les bandelettes qui descendent sur les mamelles d'un sphinx. La mitre venait ?videmment de l'Asie-Mineure, de la Chald?e ou de la Phrygie, selon qu'elle ?tait plus ou moins conique. La tiare venait de la Jud?e et de la Perse. Cette tiare, en ?toffe de couleur ?clatante, avait la forme d'un cylindre, et ressemblait aux d?mes pointus des temples de l'Inde; la mitre, au contraire, affectait la forme d'un c?ne, et tant?t celle d'un casque ou d'une coquille. Telle ?tait la mitre phrygienne, que les peintres ont attribu?e par tradition au berger troyen P?ris jugeant les trois d?esses et donnant la pomme ? V?nus. Ces souvenirs mythologiques justifiaient assez l'adoption de ce bonnet recourb?, comme embl?me de la libert? du choix et du plaisir. Quant ? la mitre pyramidale, elle avait deux pendants comme le nimbe, avec une bordure autour du front; apr?s avoir ?t? l'insigne des anciens rois de Perse et d'Assyrie, elle couronnait encore d'une royaut? impudique les courtisanes de Rome, qui r?gnaient mitr?es ou nimb?es aux repr?sentations du th??tre et aux jeux du cirque, sans payer d'amende au censeur ni ? l'?dile. Plus tard, le nom de cette coiffure orgueilleuse devint pour elles un sobriquet m?prisant.
Nil non permittit mulier, sibi turpe putat nil, Cum virides gemmas collo circumdedit et cum Auribus externis magnos commisit elenchos.
Cet ?pouvantable amas de Prostitutions de tous genres, dans la fange desquelles se vautrait la soci?t? romaine, ne pouvait manquer de corrompre la sant? publique. Quoique les po?tes, les historiens et m?me les m?decins de l'antiquit? se taisent sur ce sujet, qu'ils auraient craint de pr?senter sous un jour d?shonorant, quoique les f?cheuses cons?quences de ce qu'un ?crivain du treizi?me si?cle appelle l'amour impur aient laiss? fort peu de traces dans les ?crits satiriques, comme dans les trait?s de mati?re m?dicale, il est impossible de m?conna?tre que la d?pravation des moeurs avait multipli? chez les Romains le germe et les ravages des maladies de V?nus. Ces maladies ?taient certainement tr?s-nombreuses, toujours fort tenaces et souvent terribles; mais elles ont ?t? ? peu pr?s n?glig?es ou du moins rejet?es dans l'ombre par les m?decins et les naturalistes grecs et romains. Nous ne pouvons hasarder que des conjectures philosophiques sur les causes de cet oubli et de ce silence g?n?ral. En l'absence de toute indication claire et formelle ? cet ?gard, nous sommes r?duits ? supposer que des motifs religieux emp?chaient d'admettre parmi les maladies ostensibles celles qui affectaient les organes de la g?n?ration et qui avaient pour origine une d?bauche quelconque. Les anciens ne voulaient pas faire injure aux dieux, qui avaient accord? aux hommes le bienfait de l'amour, en accusant ces m?mes dieux d'avoir m?l? un poison ?ternel ? cette ?ternelle ambroisie; les anciens ne voulaient pas qu'Esculape, l'inventeur et le dieu de la m?decine, entr?t en lutte ouverte avec V?nus, en essayant de porter rem?de aux vengeances et aux ch?timents de la d?esse. En un mot, les maladies des organes sexuels, peu connues, peu ?tudi?es en Gr?ce comme ? Rome, se cachaient, se d?guisaient, comme si elles frappaient d'infamie ceux qui en ?taient atteints et qui se soignaient en cachette avec le secours des magiciennes et des vendeuses de philtres.
Nous avons d?j? soutenu cette th?se, qui n'est point un paradoxe et que la science appuierait au besoin sur des bases solides, le vice contre nature, que Mo?se, seul entre tous les l?gislateurs avant J?sus-Christ, avait frapp? de r?probation, n'existait, ne pouvait exister ? l'?tat de tol?rance dans toute l'antiquit?, que par suite des p?rils fr?quents, continus, qui troublaient l'ordre r?gulier des plaisirs naturels. Les femmes ?taient souvent malsaines, et leur approche, en certaines circonstances, sous des influences diverses de temp?rament, de saison, de localit?, de genre de vie, entra?nait de f?cheuses cons?quences pour la sant? de leurs maris ou de leurs amants. Les femmes les plus saines, les plus pures, cessaient de l'?tre tout ? coup par des causes presque inappr?ciables, qui ?chappaient aux pr?cautions de l'hygi?ne comme aux rem?des de la m?decine. La chaleur du climat, la malpropret? corporelle, l'indisposition mensuelle du sexe f?minin, les d?g?n?rescences de cette indisposition ordinaire, les flueurs blanches, les suites de couches et d'autres raisons accidentelles produisaient des maladies locales qui variaient de sympt?mes et de caract?res, selon l'?ge, l'organisation, le temp?rament et le r?gime du sujet. Ces maladies ?tranges, dont l'origine restait ? peu pr?s inconnue, et dont la gu?rison radicale ?tait fort longue, fort difficile et m?me impossible en diff?rents cas, entouraient d'une sorte de d?fiance les rapports les plus l?gitimes entre les deux sexes. On regardait, d'ailleurs, comme une souillure presque ind?l?bile toute inflammation, toute infirmit?, tout affaiblissement des forces g?n?ratrices. On mettait sur le compte des mauvais sorts, des mauvais esprits et des mauvaises influences, ces germes empoisonn?s, qui se cachaient dans les plus tendres caresses d'une femme aim?e, et l'on en venait bient?t ? redouter ces caresses qu'on avait tant d?sir?es avant de conna?tre ce qu'elles renfermaient de perfide et d'hostile. Voil? comment la crainte et quelquefois le d?go?t ?loign?rent du commerce des femmes les hommes que l'exp?rience avait ?clair?s sur les ph?nom?nes morbides qui semblaient attach?s ? ce commerce; voil? comment un honteux d?sordre d'imagination avait essay? de changer les lois physiques de l'humanit? et d'enlever aux femmes le privil?ge de leur sexe, pour le transporter ? des ?tres b?tards et avilis, qui consentaient ? n'?tre plus d'aucun sexe, en devenant les instruments dociles d'une hideuse d?bauche. Il est vrai que d'autres maladies d'un genre plus r?pugnant et non moins contagieux s'enracin?rent parmi la population, avec le go?t d?prav? qui les avait fait na?tre et qui les m?tamorphosait sans cesse; mais ces maladies ?taient moins r?pandues que celles des femmes, et sans doute on pouvait mieux s'en garantir. On comprend aussi que dans toutes ces maladies myst?rieuses, la l?pre, end?mique dans tout l'Orient, prenait figure et se montrait sous les formes les plus capricieuses, les plus inexplicables.
Les m?decins de l'antiquit?, on a tout lieu de le croire, se refusaient au traitement des maux de l'une et l'autre V?nus , puisque ces maux avaient, ? leurs yeux, comme aux yeux de la foule, un air de mal?diction divine, un sceau d'infamie. Les malheureux qui en ?taient atteints recouraient donc, pour s'en d?barrasser, ? des pratiques religieuses, ? des recettes d'empirisme vulgaire, ? des oeuvres t?n?breuses de magie. Ce fut l? surtout ce qui fit la puissance des sciences occultes et de l'art des philtres; ce fut l?, pour les pr?tres ainsi que pour les magiciens, un moyen de richesse et de cr?dit. Cette contagion v?n?rienne, qui r?sultait in?vitablement d'un commerce impur, ?tait toujours consid?r?e comme un ch?timent c?leste, ou comme une vengeance infernale; la victime de la contagion, loin de se plaindre et d'accuser l'auteur de son infortune, s'accusait elle-m?me et ne cherchait qu'en soi les motifs de cette douloureuse ?preuve. De l?, bien des offrandes, bien des sacrifices dans les temples; de l?, bien des invocations magiques au fond des bois; de l?, l'intervention officieuse des vieilles femmes, des enchanteurs et de tous les charlatans subalternes qui vivaient aux d?pens de la Prostitution. Il est impossible de comprendre autrement le silence des ?crivains grecs et romains au sujet des maladies honteuses, qui ?taient autrefois plus fr?quentes et plus hideuses qu'elles ne le sont aujourd'hui. Ces maladies, les m?decins proprement dits ne les soignaient pas, except? en cachette, et ceux qui en ?taient infect?s, hommes et femmes, ne les avouaient jamais, alors m?me qu'ils devaient en mourir. La l?pre, d'ailleurs, cette affection presque incurable qui se transformait ? l'infini et qui ? ses diff?rents degr?s offrait les sympt?mes les plus multiples, la l?pre servait de pr?texte unique ? toutes les maladies v?n?riennes; la l?pre, aussi, les engendrait, les modifiait, les augmentait, les d?naturait et leur donnait essentiellement l'apparence d'une affection cutan?e. Il est bien clair que la l?pre et les maladies v?n?riennes, en se confondant, en se combinant, en s'avivant r?ciproquement, avaient fini par s'emparer de l'?conomie et par laisser un virus h?r?ditaire dans tout le corps d'une nation; ainsi, la grande l?pre appartenait traditionnellement au peuple juif; la petite l?pre ou le mal de V?nus , au peuple syrien.
Il ne faut pas n?gliger de remarquer que la m?decine grecque s'?tablit ? Rome presque en m?me temps que la luxure asiatique; celle-ci date de l'an de la fondation 588; celle-l?, de l'an 600 environ. Soixante-dix ans auparavant, vers 535, quelques m?decins grecs avaient essay? de se fixer dans la ville o? les appelaient diff?rentes maladies contre lesquelles l'aust?rit? romaine ne pouvait rien ; mais ils ?prouv?rent tant d'avanies, tant de difficult?s, tant de r?pugnances, qu'ils renonc?rent ? ce premier ?tablissement; ils ne revinrent que quand Rome fut un peu moins fi?re de la sant? de ses habitants. La bonne ch?re et la d?bauche avaient, dans l'espace de quelques ann?es, cr??, d?velopp?, multipli? un plus grand nombre de maladies qu'on n'en avait vu depuis la fondation de la ville. Parmi ces maladies, les plus communes et les plus vari?es furent certainement celles que la d?bauche avait produites; on les rapportait toujours ? des causes avouables, ou plut?t on ?vitait d'en d?clarer les causes, et le m?decin avait soin de les couvrir d'un manteau d?cent, en les rangeant dans la cat?gorie des maladies honn?tes. Voil? pourquoi les maladies honteuses, dans les ouvrages de m?decine de l'antiquit?, ne se montrent nulle part ou bien se d?guisent sous des noms qui en sauvaient l'infamie. C'est dans l'immense et d?go?tante famille de la l?pre que nous devons rechercher presque tous les genres de maux v?n?riens, qui ne faisaient pas faute ? l'ancienne Prostitution plus qu'? la moderne. La plupart des m?decins ?taient des esclaves ou des affranchis: <
Dans les inflammations lentes ou spontan?es du testicule, qui ne sont pas la suite d'un coup , et qui proviennent, par cons?quent, d'un accident v?n?rien, Celse conseille la saign?e du pied, la di?te et l'application de topiques ?mollients. Il donne la recette de plusieurs de ces topiques, pour le cas o? le testicule devient dur et passe ? l'?tat d'induration chronique. Celse a grand soin de distinguer le gonflement des testicules, produit par une cause interne, de celui qui r?sulte d'une violence ext?rieure, d'une pression ou d'un coup. Il n'aborde qu'avec r?pugnance les maladies de l'anus, qui sont, dit-il, tr?s-nombreuses et tr?s-importunes ! Il n'en d?crit que trois: les fissures ou rhagades, le condylome et les h?morrho?des, qui pouvaient ?tre souvent v?n?riennes. Les fissures de l'anus, que les Grecs nomment +rhagadia+, et dont Celse n'explique pas la honteuse origine, se traitaient avec des empl?tres, dans la pr?paration desquelles entraient du plomb, de la litharge d'argent et de la t?r?benthine. Quelquefois les rhagades s'?tendaient jusqu'? l'intestin, et on les remplissait de charpie tremp?e dans la m?me solution antisyphilitique. Les affections de ce genre r?clamaient une alimentation douce, simple et g?latineuse, avec un repos complet et l'usage fr?quent des demi-bains d'eau ti?de. Quant au condylome, cette excroissance qui na?t ordinairement de certaines inflammations de l'anus , il faut le traiter, d?s son d?but, de la m?me mani?re que les rhagades: apr?s les demi-bains et les empl?tres fondants, on a recours, en certains cas, ? la caut?risation et aux caustiques les plus ?nergiques: l'antimoine, la c?ruse, l'alun, la litharge sont les ingr?dients ordinaires des topiques destin?s ? d?truire le condylome, apr?s la disparition duquel il est utile de prolonger le r?gime adoucissant et rafra?chissant. Celse, en conseillant des rem?des analogues contre les h?morrho?des ulc?r?es et tuberculeuses, laisse entendre qu'il les attribuait souvent ? une cause semblable. Il ne parle qu'avec beaucoup de r?serve d'un accident que la d?bauche rendait plus fr?quent et plus dangereux, la chute du fondement et de la matrice . Il ?vite aussi de s'occuper des maladies honteuses qui se rencontraient ?galement chez les femmes, et c'est ? peine si, en terminant, il indique sommairement un ulc?re pareil ? un champignon , qui affectait l'anus et la matrice. Il prescrit de fomenter cet ulc?re avec de l'eau ti?de en hiver et de l'eau froide en ?t?, de le saupoudrer avec de la limaille de cuivre, de la cire et de la chaux, et d'employer ensuite la caut?risation, si le mal persiste malgr? le premier traitement. Mais on voit que Celse n'ose pas, par d?f?rence pour le sexe f?minin, le pr?senter comme int?ress? au m?me titre que l'autre sexe dans les maladies obsc?nes: il croirait lui faire injure que de le montrer expos? aux inflammations, aux ulc?res, aux tubercules et aux hideux ravages du mal v?n?rien.
La l?pre ?tait devenue, ? Rome, de m?me que chez les Juifs, la maladie chronique, permanente, h?r?ditaire; elle puisait de nouvelles forces et de prodigieux ?l?ments dans l'abus et le d?r?glement des jouissances amoureuses; elle se transformait et se reproduisait sans cesse sous les aspects les plus affligeants; elle ?tait environn?e d'un affreux cort?ge d'ulc?res et de bosses chancreuses; elle ne disparaissait sous l'action ?nergique des rem?des et des op?rations chirurgicales, que pour repara?tre bient?t avec des caract?res plus sinistres, avec un principe plus vivace. Musa, le m?decin d'Auguste, qu'il gu?rit d'une maladie que les historiens n'ont pas nomm?e ni d?crite, maladie inflammatoire et locale, puisque des bains ti?des en ?teignirent les ardeurs; Musa para?t s'?tre vou? plus particuli?rement ? l'?tude et au traitement des maladies l?preuses, scrofuleuses et v?n?riennes. Il avait ?t? esclave avant d'?tre affranchi par Auguste, et il devait conna?tre les affections secr?tes, qu'on traitait d'ordinaire ? la d?rob?e dans l'int?rieur des familles, affections graves et tenaces qui s'attaquaient ? toutes les parties de l'organisme, apr?s avoir pris naissance dans un co?t impur. Musa inventa plusieurs pr?parations contre les ulc?res de mauvais caract?re; et ces pr?parations, qui gard?rent son nom en tombant dans l'empirisme, ?taient r?put?es infaillibles dans la plupart des cas v?n?riens que Celse a d?crits. Musa ne se bornait pas ? des topiques ext?rieurs: il soumettait le malade ? un traitement d?puratif interne, en lui ordonnant de boire des sucs de laitue et de chicor?e. Ce traitement, inusit? avant lui, d?montre assez qu'il regardait le mal v?n?rien comme un virus qui se m?lait au sang et aux humeurs en les enflammant et en les corrompant. Il traitait avec le m?me syst?me tous les maux qu'il croyait, de pr?s ou de loin, d?riv?s de ce virus: les ulc?rations de la bouche, les ?coulements de l'oreille, les affections des yeux; infirmit?s si communes ? Rome, qu'elles y ?taient devenues end?miques, sous les empereurs. M?g?s de Sidon, qui exer?ait dans le m?me temps que Musa, se distingua aussi en traitant les maladies l?preuses, qui devaient ?tre souvent v?n?riennes. M?g?s ?tait ?l?ve de Themison, qui fonda l'?cole m?thodique, et qui, pour parvenir ? la gu?rison de la l?pre, en avait d'abord recherch? les causes, ?tudi? les caract?res et d?fini le principe.
Ce principe ?tait ou avait ?t? v?n?rien dans l'origine. La l?pre, de quelque pays qu'on la fasse venir, de l'?gypte ou de la Jud?e, de la Syrie ou de la Ph?nicie, fut d'abord une affection locale, n?e d'un commerce impur, d?velopp?e, aggrav?e par le manque de soins m?dicinaux, favoris?e par des circonstances accidentelles, et transform?e sans cesse, graduellement ou spontan?ment, selon l'?ge, le temp?rament, le r?gime et la constitution physique du malade. De l? ces vari?t?s de l?pre que les m?decins grecs et romains semblent avoir ?vit? de d?crire dans leurs ouvrages, comme si la th?orie au sujet de cette maladie honteuse leur inspirait autant de r?pugnance que la pratique. La l?pre-m?re ?tait donc, suivant toute probabilit?, la v?ritable syphilis du quinzi?me si?cle, et c'est dans l'?l?phantiasis que nous croyons reconna?tre ? la fois la syphilis et la l?pre-m?re. Celse parle ? peine de l'?l?phantiasis, <
>>Ce feu d?l?t?re commence, chez la plupart des malades, par la face, qui devient luisante comme un miroir; chez les autres, par les coudes, par les genoux, par les articulations des mains et des pieds. D?s lors, ces malheureux sont destin?s ? p?rir, le m?decin, par n?gligence ou par ignorance, n'ayant pas essay? de combattre le mal lorsqu'il ?tait encore faible et myst?rieux. Ce mal augmente; l'haleine du malade est infecte; les urines sont ?paisses, blanch?tres, troubles comme celles des juments; les aliments ne se dig?rent pas, et le chyle, form? par leur mauvaise coction, sert moins ? nourrir le malade que la maladie elle-m?me dont le bas-ventre est le centre. Des tub?rosit?s y bourgeonnent les unes aupr?s des autres; elles sont ?paisses et raboteuses; l'espace interm?diaire de ces tumeurs in?gales se gerce comme le cuir de l'?l?phant; les veines grossissent, non par la surabondance du sang, mais par l'?paisseur de la peau. La maladie ne tarde pas ? se manifester: de semblables tub?rosit?s apparaissent sur tout le corps. D?j? les poils d?p?rissent et tombent; la t?te se d?garnit et le peu de cheveux, qui r?sistent encore, blanchit; le menton et le pubis sont bient?t d?pil?s. La peau de la t?te est ensuite d?coup?e par des fentes ou ger?ures profondes, rigides et multipli?es. La face se h?risse de poireaux durs et pointus, quelquefois blancs ? leur sommet, verd?tres ? la base; la langue se couvre de tubercules en forme de grains d'orge. Quand la maladie se d?clare par une violente ?ruption, des dartres envahissent les doigts, les genoux et le menton. Les pommettes des joues enflent et rougissent; les yeux sont obscurcis et de couleur cuivreuse; les sourcils chauves se rapprochent et se contractent, en se chargeant de larges poireaux noirs ou livides, de sorte que les yeux sont comme voil?s sous les rides profondes qui s'entre-croisent au-dessus des paupi?res. Ce froncement de sourcils, cette difformit?, impriment sur la face humaine le caract?re du lion et de l'?l?phant. Les joues et le nez offrent aussi des excroissances noir?tres; les l?vres se tum?fient: la l?vre inf?rieure est pendante et baveuse; les dents sont d?j? noircies; les oreilles s'allongent, mollasses et flasques comme celles de l'?l?phant; des ulc?res rayonnent autour et il en sort une humeur purulente. Toute la superficie du corps est sillonn?e de rides calleuses et m?me de fissures noires qui la d?coupent comme un cuir: de l? d?rive le nom de la maladie. Des crevasses divisent aussi les talons et les plantes des pieds jusqu'au milieu des orteils. Si le mal prend des accroissements, les tub?rosit?s des joues, du menton, des doigts, des genoux, se terminent en ulc?res f?tides et incurables; ils s'?l?vent m?me les uns au-dessus des autres, de fa?on que les derniers semblent dominer et ronger les premiers. Il arrive m?me que les membres meurent avant le sujet, jusqu'? se s?parer du reste du corps, qui perd ainsi successivement le nez, les doigts, les pieds, les mains enti?res, les parties g?nitales; car le mal ne tue le malade, pour le d?livrer d'une vie horrible et de cruels tourments, qu'apr?s l'avoir d?membr?.>>
Quand on rapprochera cet affreux tableau de celui que les m?decins du quinzi?me si?cle ont trac?, ? l'apparition de la syphilis en Europe, on ne doutera pas que cette m?me syphilis n'ait d?j? s?vi quinze si?cles auparavant sous le nom d'?l?phantiasis; on ne doutera pas non plus que la l?pre, de quelque esp?ce qu'elle f?t, n'ait puis? sa source dans une cohabitation impure. Tel para?t ?tre le sentiment de Raimond, le savant historien de l'El?phantiasis: <
Sed quod et elixo plantaria podice velles Et teris incusas pumice clazomenas; Causa latet; bimarem nisi quod patientia morbum Appetit, et tergo foemina, pube vir es.
A c?t? de ces m?decins m?thodistes, on voit en foule les empiriques, les antidotaires et les pharmacopoles. Ils ?taient encore plus m?pris?s, plus abhorr?s que les m?decins. Horace ne croit pas leur faire injure, en les pla?ant sur la m?me ligne que les bateleurs, les mendiants, les parasites et les prostitu?es . Ces charlatans avaient dans leur domaine les maladies honteuses qui offraient un vaste champ ? la pharmacop?e. Parmi ces empiriques, on distingua pourtant plusieurs savants botanistes, plusieurs manipulateurs ing?nieux. Sous Tib?re, M?n?crate, l'inventeur du diachylon, composait des empl?tres, souvent efficaces contre les dartres, les tumeurs et les scrofules; Servilius Damocrate fabriquait d'excellents empl?tres ?mollients; Ascl?piade Pharmacion gu?rissait les ulc?res de mauvais caract?re, Apollonius de Pergame, les aphthes; Criton, la l?pre; Andromachus, l'inventeur de la th?riaque, et Dioscoride, l'auteur d'un grand et c?l?bre ouvrage sur la mati?re m?dicale, paraissent avoir attach? plus d'importance ? la morsure des serpents qu'au venin v?n?rien, qui faisait cependant plus de victimes.
Les m?decins, surtout ceux qui avaient une nombreuse et riche client?le, d?daignaient certainement de s'abaisser au traitement des maladies secr?tes; ils ne l'entreprenaient qu'avec r?pugnance, dans l'espoir d'?tre g?n?reusement r?tribu?s. Ce d?dain m?dical ? l'?gard de ce genre de maladies nous para?t ressortir des habitudes m?mes de ces m?decins c?l?bres qui arrivaient chez leurs malades avec un cort?ge de vingt, de trente et quelquefois de cent disciples, comme le dit Martial. Le nombre de ces disciples indiquait proportionnellement le m?rite ou plut?t la r?putation de leur ma?tre; et tous venaient, apr?s lui, t?ter le pouls du malade et juger des diagnostics du mal. On n'a pas besoin de d?montrer qu'un malade v?n?rien ne se livrait pas ainsi en spectacle aux observations m?dicales et aux quolibets de la suite d'un m?decin. Il y avait donc des m?decins ou des pharmacopoles qui s'appropriaient le traitement des maladies secr?tes et qui entouraient de myst?re et d'une discr?tion ? l'?preuve ce traitement, que la m?decine empirique se voyait trop souvent forc?e d'abandonner ? la chirurgie. Un mal obsc?ne, longtemps n?glig? d'abord, puis largement trait? par l'empirisme, se terminait d'ordinaire par une op?ration terrible dont parle Martial dans cette ?pigramme: <
Qui praestare virum Cypriae certamine nescit, Manducet bulbos, et bene fortis erit. Languet anus: pariter bulbos ne mandere cesset, Et tua ridebit praelia blanda Venus.
Martial nous a laiss? une esquisse des comessations d'un libertin qu'il nomme Zo?le: cette esquisse, quoique bien affaiblie dans la traduction classique, qui a ?t? publi?e r?cemment par les soins de M. D. Nisard, est encore plus latine que toutes les descriptions dont nous pourrions charger un tableau de fantaisie: <
Il y avait encore d'autres bruits humains, qui se pr?taient aux capricieuses interpr?tations de la cl?donistique: l'?ternument, par exemple, ?tait compris de bien des mani?res, selon qu'il se pr?sentait retentissant, plaintif, ?clatant, burlesque, simple ou r?it?r?. ?ternuer le matin, ?ternuer le soir, ?ternuer la nuit, c'?taient trois significations distinctes: f?cheuse, bonne, excellente. C'?tait bien plus significatif encore, si l'?ternument arrivait tout ? coup au milieu des travaux de V?nus: la d?esse proclamait par l? une bienveillante protection ? l'?gard du sternutateur qui avait eu soin de se tourner ? droite pour ?ternuer. L'?ternument, dans un repas, mettait en joie les convives, qui saluaient ? la fois et applaudissaient celui que le dieu avait visit?; car, d'apr?s une antique croyance qui repara?t sans cesse dans les ?crivains grecs, on attribuait la sternutation au passage invisible d'un dieu tut?laire: on l'avait surnomm? l'oiseau de Jupiter conservateur; Socrate disait que c'?tait un d?mon, et il se vantait de comprendre le langage sternutatoire de ce d?mon familier. L'?ternument ?tait moins bon chez les femmes que chez les hommes; et elles le craignaient, d'ailleurs, au point de recourir, lorsqu'elles y ?taient sujettes, ? certains moyens pr?servatifs. ?ternuer trois fois de suite ou en nombre impair, c'?tait le meilleur des pr?sages. <
Num tibi nascenti et primis, mea vita, diebus, Candidus argutum sternuit omen Amor.
On ?tait aussi tr?s-pr?occup?, en amour, des tintements d'oreilles, des tressaillements subits du corps et des mouvements incoh?rents d'un membre. Ces pr?sages, du moins g?n?ralement, n'?taient pas heureux; on les regardait comme les indices d'une infid?lit? ou de tout autre d?lit qui outrageait l'amour. Pline n'?tait pas si cr?dule que ses contemporains; il affirme pourtant que les tintements d'oreilles sont les ?chos du discours que tiennent les absents. La jalousie avait foi surtout ? ces pressentiments; et un amant dont les oreilles tintaient ne doutait pas que la vertu de sa ma?tresse ne f?t en p?ril. C'?tait aussi quelquefois un sympt?me de l'amour qui se parlait et qui se r?pondait ? lui-m?me, comme dans ces vers attribu?s ? Catulle:
Garrula quid totis resonans mihi noctibus auris Nescio quem dicis nunc meminisse mei?
Non illam nutrix orienti luce revisens, Hesterno collum poterit circumdare collo.
Nous passerons d'abord en revue les amours d'Horace, pour conna?tre les grandes courtisanes de son temps; car Horace, sage et prudent jusque dans les choses du plaisir, ne faisait cas que des amours faciles, dans lesquels son repos ne pouvait pas ?tre compromis. La terrible loi Julia contre les adult?res n'existait pas encore; mais la jurisprudence romaine, quoique tomb?e en d?su?tude sur ce point d?licat, ne laissait pas moins des armes terribles dans les mains d'un mari tromp?, ou d'un p?re, ou d'un fr?re, outrag?s par la conduite dissolue d'une fille ou d'une soeur. Horace savait qu'on n'?tait pas impun?ment amoureux d'une matrone, et qu'un amant surpris en adult?re courait risque d'?tre puni sur le th??tre m?me de son crime, soit que le mari se content?t de couper le nez et les oreilles du coupable, soit que celui-ci y perd?t son caract?re d'homme et f?t priv? des attributs de la virilit?, soit enfin qu'il p?r?t ?gorg? en pr?sence de sa complice. Horace, dans la satire 2e du livre I, ? l'occasion de Cupiennius, qui ?tait fort curieux de l'amour des matrones , ?num?re les victimes que cet amour avait faits, et dont le plaisir fut tristement interrompu : <
Cependant, Horace ne d?daignait pas, pour son propre compte, les courtisanes et les danseuses; mais il m?nageait avec elles sa bourse et sa sant?. Il conservait l'usage de sa raison dans tous les d?r?glements de ses sens, et il ?tait toujours assez ma?tre de lui-m?me pour ne pas se livrer ? la merci d'une femme, en f?t-il passionn?ment ?pris. Dans ses passions les plus vives, partisan qu'il ?tait de la philosophie ?picurienne, il suivait avant tout les inspirations de la volupt?, et il ?vitait soigneusement tout ce qui pouvait ?tre un embarras, une g?ne, un ennui. Voil? pourquoi, sans parler des honteuses d?bauches que les moeurs romaines autorisaient dans un ordre de plaisirs contraire ? la nature, il ne concentrait pas son affection sur un seul objet, mais il la partageait d'ordinaire entre plusieurs amies qui ?taient successivement ou simultan?ment ses ma?tresses. Voil? pourquoi, ? examiner la question avec une froide impartialit?, il pr?f?rait, ? la dangereuse promiscuit? des galanteries matronales, la tranquille possession des ma?tresses mercenaires: <
Horace, dans cette satire o? il se r?v?le avec ses go?ts comme avec ses habitudes, compare ensuite ? cette matrone si bien gard?e une courtisane qui se livre elle-m?me avant qu'on l'attaque: <
Sa premi?re ma?tresse, celle du moins qu'il c?l?bra la premi?re dans ses po?sies, se nommait N??ra. Il l'aimait, ou plut?t il l'entretint pendant plus d'une ann?e, sous le consulat de Plancus, l'an de Rome 714. Il avait, ? cette ?poque, vingt-cinq ans, et il ne s'?tait pas encore fait un nom parmi les po?tes; il ?tait donc trop pauvre pour payer bien cher les faveurs de cette chanteuse, qui sans doute n'avait pas la vogue qu'elle obtint plus tard dans les comessations. Une nuit, elle enla?a dans ses bras son jeune amant et pronon?a ce serment, dont la lune fut le t?moin muet: <
Horace avait besoin de respirer, apr?s un pareil amour, n? au milieu des potions ?rotiques et sous l'empire des invocations magiques: il ne pardonnait pas toutefois ? Canidie, car il d?cocha depuis plus d'un trait ac?r? contre elle, et il put se r?jouir d'avoir fait du surnom qu'il lui donnait le pseudonyme d'empoisonneuse: <
Dans le temps m?me qu'Horace ?tait possesseur des charmes de Lyc?, il ne se d?fendit pas des s?ductions d'une autre enchanteresse, et il donna l'exemple de l'inconstance ? sa nouvelle ma?tresse en traversant pour ainsi dire le lit de Pyrrha: il ne l'aimait pas, il n'en ?tait pas jaloux, car un jour il la surprit, dans une grotte o? elle ?tait couch?e sur les roses, dans les bras d'un bel adolescent ? la chevelure parfum?e. Il ne troubla pas les baisers de ces deux amants, qui ne soup?onnaient pas sa pr?sence; il se contenta de les admirer, tous deux enivr?s d'amour et p?tulants d'ardeur. Il se d?lecta ? ce spectacle voluptueux, et il se retira sans bruit, avant que l'heureux couple f?t en ?tat de le voir et de l'entendre. Mais, le lendemain, il envoya une ode d'adieu ? Pyrrha, pour lui notifier ce dont il avait ?t? t?moin et ce qui l'avait gu?ri d'un amour si mal partag?: <
Horace, ? cette ?poque, ?g? de trente-huit ans , se livrait ? toute la fougue de son temp?rament; il cherchait une ma?tresse fid?le et il n'en trouvait pas, faute de la pr?cher d'exemple; il se retirait souvent dans une de ses maisons de campagne, ? Proeneste ou ? Ustica, et il emmenait avec lui, pour passer le temps, quelque belle affranchie, qui se lassait bient?t de cette esp?ce de servitude et qui le quittait pour retourner ? Rome. Comme il allait partir pour Ustica, son domaine de la Sabine, il rencontra sur la voie Sacr?e une jeune femme, portant la toge et coiff?e d'une perruque blonde: elle ?tait d'une beaut? si merveilleuse, que tous les regards la suivaient avec admiration, mais cette beaut? se trouvait encore relev?e par celle d'une compagne plus ?g?e qu'elle, quoique non moins resplendissante d'attraits. La ressemblance de ces deux courtisanes, qui ne diff?raient que par l'?ge, prouvait suffisamment que l'une ?tait la fille de l'autre. Horace fut ?merveill? et il se sentit sur-le-champ ?pris de toutes deux ? la fois; mais quand il sut que la m?re avait pour amie cette parfumeuse Gratidie, ? laquelle il avait fait une si triste c?l?brit?, il r?solut de ne s'occuper que de la fille, nomm?e Tyndaris, chanteuse de son m?tier, entretenue par un certain Cyrus, jaloux et col?re, qui la battait. Il envoya cette d?claration d'amour ? Tyndaris: <
C'est apr?s Tyndaris, que Lydie inspira au po?te volage une des passions les plus vives qu'il e?t encore ressenties. Lydie ?tait ?prise d'un tout jeune homme, qu'elle d?tournait des exercices gymnastiques et des laborieux travaux de son ?ducation patricienne: Horace lui reprocha de perdre ainsi l'avenir de ce jeune homme, qu'il parvint ? remplacer, en se montrant plus lib?ral que lui. Mais ? peine avait-il succ?d? ? cet imberbe Sybaris, que Lydie, aussi capricieuse qu'il pouvait l'?tre jamais, lui donna pour rival un certain T?l?phe, qui s'?tait empar? d'elle et qui la captivait par les sens. Horace n'?tait pas homme ? soutenir une semblable rivalit?; il tint bon cependant, et il essaya, par la persuasion et par la tendresse, de lutter contre un robuste rival, qui lui d?faisait le soir tous ses projets du matin. Sa po?sie la plus amoureuse ?tait sans force vis-?-vis des faits et gestes de ce copieux amant: <
Horace ne pouvait rester un seul jour sans ma?tresse. Quoiqu'il aim?t avec plus de fr?n?sie l'infid?le qui le chassait, il voulut, par le nombre de ses distractions galantes, ?touffer cet amour qui n'en ?tait que plus vivace dans son coeur; il fit parade de ses nouvelles ma?tresses: <
Les amours des courtisanes ?taient changeants: Lydie retourna bient?t ? Calais, et Horace, ? Chlo?, tout en regrettant Lydie, tout en s'affligeant de n'avoir pas su la fixer. La blonde Chlo? ?tait encore enfant, lorsqu'elle vendit sa fleur au po?te, qui la n?gligea bient?t pour s'attacher ? deux autres ma?tresses plus m?res et moins ignorantes, ? Phyllis, affranchie de Xanthias, et ? Glyc?re, l'ancienne amante de Tibulle. Ce fut dans une singuli?re circonstance, qu'il eut r?v?lation des beaut?s cach?es de Phyllis et qu'il se sentit jaloux de les poss?der. Un jour, il alla faire visite ? un ami, nomm? Xanthias, jeune Grec de Phoc?e, ?picurien et voluptueux comme lui; il ne voulut pas qu'on avert?t de sa pr?sence l'h?te aimable qu'il venait voir et qu'on lui dit ?tre enferm? dans la biblioth?que de sa maison, au milieu des bustes et des portraits de ses anc?tres; il eut l'id?e de le surprendre et il le surprit, en effet, car il ne le trouva pas la t?te pench?e sur un livre: Xanthias avait ?cart? tous ses domestiques, pour ?tre seul avec une esclave dont il avait fait sa concubine. Horace, arr?t? sur le seuil, ne troubla pas un t?te-?-t?te dont il observa curieusement les ?pisodes et dont il partagea en quelque sorte les plaisirs. Xanthias s'aper?ut qu'il avait un t?moin muet de son bonheur, lorsqu'il eut la conscience de lui-m?me et de sa situation; il rougit de honte et chassa brutalement la belle Phyllis, qui se reprochait tout bas son abandon, et qui se retira toute confuse devant la col?re de son ma?tre. Il y avait chez les Romains un pr?jug? tr?s-r?pandu et tr?s-inv?t?r?, qui repr?sentait comme d?shonorant le commerce intime d'un homme libre avec une esclave. Xanthias ne se consolait pas d'avoir d?voil? son secret malgr? lui, et il ?coutait ? peine les raisonnements d'Horace, qui cherchait ? justifier aux yeux de son ami une faiblesse amoureuse qu'il e?t volontiers prise pour son propre compte. Horace fit l'?loge le moins ?quivoque de la complice de Xanthias, et il laissa celui-ci sous l'impression d'une sorte de jalousie qui r?habilitait Phyllis. D'apr?s le conseil d'Horace, Xanthias commen?a par affranchir cette esclave, pour n'avoir plus ? rougir de la rapprocher de lui. Horace lui avait envoy? une ode, dans laquelle il flattait Phyllis, de la mani?re la plus d?licate, en la comparant ? la blanche Bris?is aim?e d'Achille, ? Tecmesse aim?e d'Ajax son ma?tre, ? la vierge troyenne dont Agamemnon fut ?pris apr?s la chute de Troie: <
Horace essaya inutilement de lui inspirer de la jalousie et de lui prouver qu'il pouvait se passer d'elle: il se tourna vers une ancienne ma?tresse, qu'il n'avait pas du moins injuri?e, et il n'?pargna rien pour redevenir son amant. Cette ma?tresse ?tait Chlo?, cette belle esclave de Thrace, qu'il avait poss?d?e le premier et qui n'avait pas su le retenir sous le prestige d'une na?ve tendresse d'enfant. La blonde Chlo? avait acquis de l'exp?rience, en devenant une courtisane en vogue; elle se trouvait, ? cette ?poque, dans tout l'?clat de ses gr?ces, de ses talents et de sa r?putation: elle avait autour d'elle une brillante cour d'adorateurs empress?s; elle se montrait partout avec eux, ? la promenade, au th??tre, aux bains de mer; son luxe surpassait celui de ses rivales, et elle n'?tait entretenue n?anmoins que par un jeune marchand, nomm? Gyg?s. Ce Gyg?s, elle l'aimait sans doute parce qu'il n'avait pas d'?gal en beaut?, mais elle lui ?tait surtout attach?e ? cause de l'immense fortune de ce jeune homme. Ils vivaient donc ensemble comme mari et femme, lorsque Gyg?s rencontra une autre courtisane, appel?e Ast?rie: il l'aima aussit?t et il ne songea plus qu'? se s?parer de Chlo?, qui veillait sur lui comme sur un tr?sor. Il pr?texta un voyage en Bithynie, o?, disait-il, l'appelaient ses affaires de commerce. Il partit et promit ? Ast?rie de ne revenir que pour elle. D?s qu'il fut ?loign?, son amour pour Ast?rie ?clata par des pr?sents qui la d?nonc?rent ? l'inqui?te jalousie de Chlo?. Sans cesse Ast?rie recevait des lettres du voyageur; Chlo? n'en recevait aucune; elle ignorait m?me en quel pays il se trouvait, plus r?solu que jamais ? ne repara?tre ? Rome que pour ne plus quitter son Ast?rie. Chlo? ?tait hors d'elle, furieuse et d?sol?e ? la fois; elle apprit que Gyg?s ?tait all? de Bithynie en ?pire: elle lui envoya un ?missaire charg? de lettres suppliantes et passionn?es.
Le moment ?tait mal choisi pour faire oublier ? Chlo? l'absence de Gyg?s; Horace fut repouss? par cette belle d?laiss?e, qui ne lui ?pargna pas les d?dains. Horace se vengea, non-seulement par une ?pigramme contre la superbe Chlo?, mais encore en prenant fait et cause pour Ast?rie, dont il se fit l'ami et le protecteur. Il lui adressa une ode, dans laquelle il l'encourageait ? rester fid?le ? son fid?le Gyg?s, et ? ne rien craindre des intrigues de sa rivale abandonn?e: <
Mais Horace disait adieu trop t?t ? V?nus: il reconnut avec joie qu'il pouvait encore avoir droit aux faveurs de la d?esse. Il vit ou peut-?tre il revit Lyd?, habile chanteuse qui jouait de la lyre dans les festins; il ne fut pas longtemps ? lier avec elle une partie amoureuse, et il emprunta certainement ? sa bourse les plus grands moyens de s?duction. Il mit d'abord ses projets sous les auspices de Mercure, dieu des po?tes, des voleurs et des marchands: <
C'en est fait, la carri?re amoureuse d'Horace se ferme des mains de Lyd?: il ne recherche plus la soci?t? des courtisanes; il n'aime plus les femmes; il sait qu'il n'a plus rien de ce qu'il faut pour leur plaire, il ne s'exposera donc plus ? leurs d?dains et ? leurs refus; mais il invoque encore V?nus: <
Il nous fait conna?tre, dans ses po?sies, dont la moiti? n'est pas venue jusqu'? nous, trois ou quatre courtisanes grecques qui furent ses ma?tresses et ses amies; elles ?taient ? la mode de son temps , mais leur r?putation de beaut?, d'esprit, de talents et de gr?ces, si ?clatante qu'elle ait ?t? dans la p?riode de leurs amours, n'a pas dur? assez longtemps pour qu'on en trouve un reflet dans les oeuvres d'Horace. Il n'y a que Lesbie, dont le nom, immortalis? par Catulle, ait surv?cu au moineau qu'elle avait tant pleur?; et encore, suivant les commentateurs, cette Lesbie, fille d'un s?nateur, M?tellus C?ler, s'appelait Clodia, et n'appartenait pas ? la classe des courtisanes. Au reste, le po?te semble avoir ?vit?, dans les vers adress?s ? Lesbie ou ? son moineau, d'admettre un d?tail qui aurait pu la d?signer personnellement: il ne fait pas le portrait de cette belle; il ne nous r?v?le pas seulement la couleur de ses cheveux; il se borne ? des ?num?rations de baisers, mille fois donn?s et rendus, dont il embrouille tellement le nombre, que les envieux ne puissent jamais les compter: <
Catulle ?tait si passionn?ment ?pris de Lesbie, qu'il ne pr?voyait pas la fin de cette passion qu'elle partageait aussi: <
Lesbie s'?tait mari?e, ou plut?t elle avait form? une de ces liaisons concubinaires que la loi romaine rangeait dans la cat?gorie des mariages par usucapion. Elle vivait donc avec un homme qu'on appelait son mari et qui n'?tait peut-?tre qu'un ma?tre jaloux. Elle ne laissait pas que de recevoir quelquefois Catulle en pr?sence de ce mari, qu'elle n'osait tromper, bien qu'elle en e?t belle envie. Pour mieux feindre l'oubli du pass? et pour tranquilliser l'esprit de l'?poux qu'elle regrettait secr?tement d'avoir pr?f?r? ? l'amant, elle adressait tout haut des reproches et m?me des injures ? Catulle: <
Lesbia formosa est: quae quum pulcherrima tota est, Tum omnibus una omnes surripuit veneres.
Restituis cupido, atque insperanti ipsa refers te Nobis. O lucem candidiore not?! Quis me uno vivit felicior, aut magis haec quid Optandum vita, dicere quis poterit!
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Properce ?tait n? avant que Catulle f?t mort. Properce, qui devait ?tre aussi, suivant l'expression bizarre d'un rh?teur, <
Cet amour n'?tait pourtant pas sans nuages. Cynthie se devait journellement aux exigences de son m?tier; car, sans compter son pr?teur d'Illyrie, elle avait des galants qui subvenaient ? la d?pense de la maison. Elle n'accordait donc pas ? Properce toutes les faveurs qu'il r?clamait ? titre d'amant d?clar?; elle le tenait souvent ? l'?cart, elle lui fermait sa porte, du moins la nuit, qui appartenait aux amours mercenaires; mais elle couvrait autant que possible de pr?textes honn?tes la malhonn?te v?rit?, qui blessait le coeur du po?te; elle mettait sur le compte des f?tes d'Isis, de Junon ou de quelque d?esse, la continence qu'elle s'imposait, disait-elle, ? regret: <
Ce n'?tait pas seulement ? Rome que Cynthie r?unissait autour d'elle cette foule de concurrents plus ou moins ?pris et plus ou moins g?n?reux; c'?tait aussi aux bains de Ba?es o? elle tenait sa cour pendant la saison des eaux thermales. La ville de Ba?es et les environs voyaient affluer alors l'?lite de la richesse, de la corruption et du plaisir. Les courtisanes grecques en renom se seraient regard?es comme d?chues, si elles n'eussent ?tal? leur luxe insolent au milieu des orgies de ce lieu de d?lices; elles y venaient chercher de nouvelles intrigues et de nouveaux profits. Properce ?tait donc jaloux de Ba?es, comme il l'e?t ?t? de dix rivaux ? la fois: <
Cynthie avait ?t? la premi?re ma?tresse de Properce: il lui jurait qu'elle serait la derni?re. On doit croire, en effet, qu'il lui donna longtemps et vainement l'exemple de la constance. Il d?clare, en plusieurs endroits de ses ?l?gies, qu'il ?tait rest? fid?le ? cette charmante infid?le, et l'on voit qu'il lui pardonnait tout, d?s qu'elle lui permettait de rentrer dans ce lit o? la veille encore un autre r?gnait ? sa place; il se faisait si peu d'illusion ? cet ?gard, qu'il lui disait, tout en l'embrassant: <
A la suite de cette r?conciliation, les r?les chang?rent entre les amants; la jalousie se calma dans le coeur de Properce, pour s'allumer dans celui de Cynthie. Il venait d'?tre d?livr? enfin de l'odieuse malveillance qui s'acharnait ? troubler ses amours: Acanthis, l'entremetteuse, qui avait tant d'empire sur Cynthie, qui lui procurait des parfums, des philtres, des cosm?tiques, qui se chargeait de ses messages, qui ?tait la protectrice n?e des riches adorateurs et l'ennemie implacable d'un po?te d?sh?rit?, Acanthis, cette terrible m?g?re, avait exhal? sa vilaine ?me dans un acc?s de toux; elle n'?tait plus l?, l'inf?me conseill?re, pour dire ? Cynthie: <
Cette jalousie vague s'?tait fix?e sur une courtisane, nomm?e Lycinna, dont Properce avait ?t? l'amant, avant de devenir le sien. Cynthie se porta bient?t ? de telles fureurs contre la pauvre Lycinna, que Properce fut oblig? de la conjurer de faire gr?ce ? cette ancienne rivale, qui n'avait rien ? se reprocher envers elle; il avoua qu'il avait eu dans sa jeunesse quelques rapports avec cette Lycinna, mais qu'il se souvenait ? peine de l'avoir connue, quoique Lycinna lui e?t enseign?, dans ces nuits d'amour, une science qui ne lui ?tait que trop famili?re. <
Properce devait survivre ? sa Cynthie. Une rivale, une vile courtisane, nomm?e Nomas, qui vendait ses nuits ? vil prix sur la voie publique, versa le poison, qu'un de ses amants avait fait appr?ter par une magicienne, pour se venger d'un affront qu'il avait re?u de cette fi?re ma?tresse. Properce ?tait absent alors; il ne put diriger les fun?railles, qui furent faites ? la h?te et sans pompe: on ne jeta pas de parfums dans le b?cher; on ne brisa pas un vase plein de vin sur la cendre fumante de la victime d'un si noir attentat: on avait l'air de vouloir effacer les traces du crime. Lorsque Properce revint ? Rome, Cynthie avait ?t? inhum?e au bord de l'Anio, sur la route de Tibur, dans l'endroit m?me qu'elle avait choisi pour sa s?pulture. Properce resta foudroy? par cette mort soudaine, mais il ne chercha pas ? en punir les auteurs; il ?tait jour et nuit poursuivi par le spectre de Cynthie, qui lui demandait vengeance; mais il n'osa pas se faire l'accusateur de l'empoisonneur. Ce devait ?tre un personnage puissant, car Nomas, qui avait ?t? l'instrument du crime, se vit tout ? coup enrichie, et balaya la poussi?re avec sa robe broch?e d'or; en revanche, les amies de Cynthie, qui ?lev?rent la voix pour la regretter ou pour la d?fendre, furent impitoyablement trait?es, on ne sait par quel ordre ni par quel pouvoir: pour avoir port? quelques couronnes sur sa tombe, la vieille P?tal? fut attach?e ? la cha?ne de l'inf?me billot; la belle Lalag?, suspendue par les cheveux, fut battue de verges, pour avoir invoqu? le nom de Cynthie. Enfin, Properce, assi?g? par sa conscience, et par les fant?mes qui troublaient son sommeil, ?rigea une colonne et grava une ?pitaphe sur la tombe de sa ch?re ma?tresse; il accomplit aussi les derni?res volont?s de cette infortun?e, en recueillant chez lui la vieille nourrice et l'esclave bien-aim?e de Cynthie; mais, en d?pit des avertissements supr?mes qui lui venaient par la porte des songes, il ne br?la pas les vers qu'il avait consacr?s ? ses amours. Une nuit, l'ombre m?lancolique de Cynthie lui apparut et lui dit: <
L'amour des courtisanes fut aussi toute la vie et toute la renomm?e d'un contemporain de Properce: Tibulle aima et chanta ses ma?tresses. Tibulle, ami de Virgile, d'Horace et d'Ovide, fut comme eux un grand po?te et un tendre amant. Il ?tait n? ? Rome, quarante-trois ans avant l'?re chr?tienne, le m?me jour qu'Ovide. Son go?t pour la po?sie se r?v?la de bonne heure, et, d?s l'?ge de dix-sept ans, il reconnut qu'il n'?tait pas fait pour suivre la carri?re des armes, mais que son temp?rament le portait ? se jeter dans celle des plaisirs: <
Il arr?ta d'abord son choix sur une courtisane, qu'il nomme D?lie dans le premier livre de ses ?l?gies, et qui portait certainement un autre nom. Suivant l'opinion la plus probable, c'?tait une affranchie, nomm?e Plania, dont le mari complaisant exploitait habilement la beaut? et la coquetterie. Tibulle n'?tait point assez riche pour ?tre accept? ou m?me tol?r? par cet avare mari, qui n'avait de jalousie qu'? l'?gard d'une infid?lit? improductive; mais la m?re de D?lie, indign?e des honteuses servitudes qu'on imposait ? sa fille, prit le parti de Tibulle aupr?s de celle-ci qu'il aimait et qu'il ne payait pas. Ce fut elle, qui amena D?lie ? Tibulle dans les t?n?bres, et qui, craintive et silencieuse, unit en secret leurs mains tremblantes; ce fut elle, qui pr?sidait aux rendez-vous nocturnes, qui attendait l'amant ? la porte et qui reconnaissait le bruit lointain de ses pas. Ces rendez-vous n'?taient peut-?tre pas, il est vrai, tr?s-dangereux pour la vertu de la femme et pour l'honneur du mari; car Tibulle raconte lui-m?me qu'avant d'avoir touch? le coeur de D?lie, il n'?tait d?j? plus homme: <
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