Il arr?ta d'abord son choix sur une courtisane, qu'il nomme D?lie dans le premier livre de ses ?l?gies, et qui portait certainement un autre nom. Suivant l'opinion la plus probable, c'?tait une affranchie, nomm?e Plania, dont le mari complaisant exploitait habilement la beaut? et la coquetterie. Tibulle n'?tait point assez riche pour ?tre accept? ou m?me tol?r? par cet avare mari, qui n'avait de jalousie qu'? l'?gard d'une infid?lit? improductive; mais la m?re de D?lie, indign?e des honteuses servitudes qu'on imposait ? sa fille, prit le parti de Tibulle aupr?s de celle-ci qu'il aimait et qu'il ne payait pas. Ce fut elle, qui amena D?lie ? Tibulle dans les t?n?bres, et qui, craintive et silencieuse, unit en secret leurs mains tremblantes; ce fut elle, qui pr?sidait aux rendez-vous nocturnes, qui attendait l'amant ? la porte et qui reconnaissait le bruit lointain de ses pas. Ces rendez-vous n'?taient peut-?tre pas, il est vrai, tr?s-dangereux pour la vertu de la femme et pour l'honneur du mari; car Tibulle raconte lui-m?me qu'avant d'avoir touch? le coeur de D?lie, il n'?tait d?j? plus homme: <> Il est permis de croire que Tibulle n'avait pas chang?, en devenant l'amant de D?lie. Voil? sans doute pourquoi, m?content de lui-m?me et inquiet de son impuissance, il recommande ? la vieille m?re de D?lie, <> C'?tait donc de la part du po?te un amour plus id?al que mat?riel, et le coeur en faisait presque tous les frais. Cependant les deux amants se voyaient quelquefois la nuit, ? l'insu du mari, et Tibulle, exalt? par sa tendresse toute platonique, attendait patiemment ? la porte de D?lie, que cette porte, souvent muette et immobile, tourn?t furtivement sur ses gonds, quand le jaloux ?tait absent ou endormi: <>
Cet amour eut toutes les p?rip?ties des autres amours, les jalousies, les ruptures, les raccommodements, les larmes et les baisers; mais le po?te avait bien de la peine ? s'accoutumer au m?tier que faisait sa ma?tresse. Il sentait bien pourtant qu'il ne pouvait pas lui donner le prix de ses caresses et qu'il devait fermer les yeux ou rompre avec elle: <> Il n'avait pas d'or, pour satisfaire la v?nalit? de l'inf?me ?poux de sa D?lie; il eut recours aux philtres et aux enchantements, dans l'espoir de repousser ses rivaux et de forcer sa ma?tresse ? lui ?tre fid?le, mais enchantements et philtres ne lui r?ussirent pas: <> D?lie, fatigu?e des plaintes et des reproches qu'elle savait trop m?riter, ferma sa porte au po?te d?sol?: <> Dans son d?sespoir, il alla jusqu'? d?noncer ses propres amours au mari, qui feignait de les ignorer, et il lui offrit de l'aider ? garder sa femme, comme aurait pu le faire un esclave d?vou?. D?lie, que l'habitude du vice avait rendue astucieuse, ne fit que rire des d?nonciations de Tibulle et soutint effront?ment qu'elle ne lui avait jamais accord? que de la piti?. Le mari affecta de la croire et imposa silence ? son accusateur; mais celui-ci, piqu? au jeu et irrit? de recevoir un pareil d?menti, entra dans les d?tails les plus circonstanci?s au sujet de sa liaison avec la perfide: <> Le mari haussait les ?paules et souriait sans r?pondre, comme pour dire: <> Tibulle, tourment? par la jalousie, s'avisait de donner des conseils ? ce mari tromp? et heureux de l'?tre: <> Tibulle oubliait que c'?tait de lui-m?me que D?lie avait appris l'art de tromper son Argus: il lui avait m?me donn? le secret des sucs et des herbes qui effa?aient l'empreinte livide que fait la dent d'un amant dans les combats de V?nus .
Tibulle avait trop offens? D?lie pour qu'elle p?t lui pardonner ses outrages; la rupture entre eux ?tait d?finitive, et le mari y trouvait son compte, puisque sa femme ne serait plus d?tourn?e d'autres amours plus lucratifs. Quand Tibulle fut convaincu de l'impossibilit? d'une r?conciliation, il ne s'obstina pas ? la poursuivre en vain; il aima ailleurs. C'?tait encore une courtisane, plus avide et plus inflexible que D?lie. Il se mit pourtant en frais de po?sie pour elle; il se flatta d'arriver ? ce coeur avare, par les s?ductions de la vanit?: il fit fumer son encens po?tique aux pieds de la belle d?daigneuse, qu'il adorait sous le nom de N?m?sis. Cette courtisane ?tait entretenue par un riche affranchi, qui avait ?t? plusieurs fois vendu au march? des esclaves et qui devait sa richesse ? de m?prisables industries. Elle ne faisait aucun cas de ce parvenu, que la fortune avait ? peine d?crass?; mais elle n'avait aucun go?t pour des amours qui ne lui rapporteraient rien: <> Ce n'?tait l? que des projets de po?te, et Tibulle, apr?s les avoir pompeusement retrac?s dans une ?l?gie, ne se h?tait pas de les mettre ? ex?cution. Il attendit un an, un an tout entier, les faveurs de cette N?m?sis, qui sans doute les lui fit payer d'une mani?re ou d'autre, mais qui ne lui inspira gu?re le d?sir de les demander et de les obtenir une seconde fois au m?me prix. Il fut sur le point de vendre le modeste h?ritage de ses anc?tres, pour satisfaire aux importunit?s de sa nouvelle ma?tresse; son ami Cerinthe l'emp?cha de faire cette folie, et il essaya de ne payer qu'en monnaie de po?te: il fut cong?di? d?daigneusement. <> Ses amis le consol?rent et lui firent comprendre que Rome ne manquait pas de courtisanes qui seraient fi?res d'?tre aim?es et chant?es par un po?te comme lui.