Read Ebook: Les grands froids by Bouant Emile Weber Theodore Illustrator
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Ebook has 724 lines and 75059 words, and 15 pages
Les habitants des r?gions polaires sont dou?s d'un app?tit f?roce; ils mangent, ou plut?t ils d?vorent une quantit? prodigieuse d'aliments, parmi lesquels les huiles et les graisses, ?minemment propres ? produire de la chaleur, sont pr?pond?rantes.
Des v?tements appropri?s sont tout aussi indispensables. Les mati?res d'origine animale, soie, laine, poils, ont la propri?t? de conduire mal la chaleur, c'est-?-dire de s'opposer au passage de la chaleur ? travers elles. Un v?tement de laine ou de fourrure emp?chera donc la chaleur du corps de se perdre ? l'ext?rieur. Les v?tements, ? eux seuls, lorsqu'ils sont assez abondants et assez fourr?s, joints ? une bonne alimentation, suffiront ? d?fendre du froid.
Pendant les froids de l'hiver, l'?vaporation cutan?e se produit encore, quoique bien faiblement, et tendrait ? nous refroidir. Dans les climats rigoureux, on peut emp?cher cette ?vaporation en r?pandant sur le corps une substance grasse, qui met en m?me temps la peau ? l'abri de l'impression du froid. <
Enfin, pour se d?fendre du froid, l'homme a les moyens ext?rieurs: il se r?fugie dans les habitations; il emploie le feu, qui s'ajoute ? la chaleur produite dans la respiration.
Les habitants des r?gions polaires vivent le plus souvent sous terre, dans des huttes creus?es sous le sol, munies d'un toit form? de peaux de b?tes. Ils sont l? un peu comme des animaux hibernants, ? l'abri de tout courant d'air ext?rieur, ? l'abri aussi du rayonnement qui tendrait ? refroidir leur demeure.
Mais dans les pays civilis?s, une semblable habitation ne peut ?tre employ?e, et il faut construire des maisons plus commodes. Elles doivent avoir des murs ?pais, faits autant que possible de substances peu conductrices de la chaleur. Le bois et la brique sont, pour ces constructions, tr?s pr?f?rables ? la pierre. Bien plus, dans certains pays froids, les murs sont doubles, en briques ou en planches, de mince ?paisseur, et l'intervalle qui les s?pare est garni de sciure de bois ou de paille hach?e, qui constituent une couche parfaitement isolante. De doubles fen?tres augmentent aussi beaucoup l'efficacit? de la pr?servation.
Dans nos maisons fran?aises, surtout celles du midi et du centre, on ne cherche ? r?aliser aucune de ces conditions. Les murs sont en pierre, simples et l?gers; les fen?tres sont uniques et le plus souvent mal jointes. Aussi, d?s que l'hiver est rigoureux, nous avons plus ? souffrir que les habitants des pays froids.
C'est qu'aussi notre moyen de chauffage n'est pas mieux organis? que nos maisons pour lutter contre le froid. La chemin?e, pleine de gaiet?, excellent syst?me de ventilation, est un moyen de chauffage d?testable. L'air chaud, au lieu de rester dans l'appartement, monte constamment dans le tuyau et est renouvel? par de l'air froid venant du dehors: l'?chauffement ne se fait que par rayonnement, et la chaleur rayonn?e n'est qu'une bien faible portion de la chaleur produite.
Combien sont sup?rieurs les po?les, au moins au point de vue de l'?l?vation de la temp?rature! Les po?les de fonte de nos pays ont l'inconv?nient de s'?chauffer trop fort, jusqu'au rouge, ce qui n'est pas sans danger pour l'hygi?ne de l'appartement; mais les po?les des pays froids, et notamment ceux de la Russie, ont une tout autre disposition.
Ce sont d'immenses constructions de briques, recouvertes de porcelaine ou de fa?ence. L'air, aspir? de l'ext?rieur par un conduit sp?cial, vient se chauffer dans le po?le pour se r?pandre ensuite dans l'appartement. La masse s'?chauffe lentement; puis, quand il ne reste plus dans l'int?rieur qu'un brasier, on ferme toutes les ouvertures, et la chaleur se conserve pendant de longues heures. Les paysans russes produisent ainsi dans leurs mis?rables r?duits des temp?ratures effroyables, de 40 ? 50 degr?s, qui font ressembler leurs habitations ? des fours. La chaleur accablante de cette atmosph?re, l'odeur repoussante et l'effroyable salet? qui l'accompagnent, rendent le s?jour dans ces demeures impossible ? quiconque n'y est pas n?.
Enfin nous devons compter aussi l'habitude de r?sister au froid, l'endurcissement qui en r?sulte, comme un pr?servatif souvent efficace contre le refroidissement. Les hommes robustes peuvent, en effet, par un endurcissement progressif, arriver ? avoir une grande force de r?sistance contre le froid. Nos mains et notre visage poss?dent ? un degr? ?lev? cette insensibilit? relative, parce qu'ils sont constamment expos?s aux intemp?ries. Les mains, qui ont une si grande surface de refroidissement pour un volume tr?s faible, seraient ? chaque instant les victimes du froid sans cet endurcissement.
Aristide demandait un jour ? un Scythe comment il pouvait, presque nu, r?sister au froid de l'hiver: <
Ces moyens de pr?servation: endurcissement, v?tements convenables, nourriture appropri?e, habitations bien closes, chauffage bien entendu, suffisent pour emp?cher tout accident; mais, dans bien des cas, quelques-uns de ces moyens de d?fense font d?faut. Il n'y a que trop de gens expos?s aux rigueurs de l'hiver sans habitation et sans feu, sans v?tements suffisants, sans nourriture. Alors, si le froid est assez vif, si son action est assez prolong?e, l'endurcissement n'est plus que d'un faible secours, et il survient les accidents les plus graves, sur lesquels nous devons nous arr?ter.
Dans quelques cas, lorsque l'individu expos? au froid est peu robuste, l'action peut ?tre foudroyante. Celui qui est atteint par cette soudaine invasion du refroidissement s'agite comme saisi de frayeur, son regard devient fixe et sombre, il pousse un cri, puis tombe rigide et glac?. On a vu de jeunes militaires qui, expos?s ? un froid violent pendant une heure seulement, ont ?t? trouv?s morts dans un ?tat de rigidit? compl?te; mais ces cas foudroyants sont rares.
D'habitude, l'action d'un froid excessif est plus lente. Elle est locale ou g?n?rale.
L'action locale, qui commence par une douleur assez vive, est bient?t suivie de fourmillements, d'engourdissement, d'un ralentissement progressif de la circulation. Si l'arr?t a ?t? total, la circulation souvent ne peut plus ?tre r?tablie et l'ablation du membre devient n?cessaire. Les pieds, les oreilles, les mains, le nez, sont les parties le plus souvent atteintes par la cong?lation. Nous verrons que les voyageurs des r?gions polaires ont souvent ? ?prouver ces accidents. Ils se produisent bien plus fr?quemment encore dans les arm?es en campagne.
Nous en trouvons des exemples d?s l'antiquit?. L'arm?e romaine, en 177 avant notre ?re, ?tait camp?e en Arm?nie. L'hiver fut des plus rudes, au rapport de Tacite: <
En 1341, l'hiver fut des plus rudes en Livonie, et beaucoup de soldats de l'arm?e des crois?s eurent le nez, les doigts et les membres gel?s.
En 1524, le froid fut tel en Angleterre que beaucoup de personnes perdirent les orteils.
En 1552 et 1553, au si?ge de Metz par Charles-Quint, les soldats eurent fort ? souffrir du froid; beaucoup restaient raides et transis dans les tranch?es. <
L'insensibilit? qui accompagne l'arr?t de la circulation est quelquefois absolue. Nous avons vu, au mois de d?cembre 1870, un garde mobile du d?partement de Sa?ne-et-Loire, qui se chauffait au feu du bivouac, se br?ler presque enti?rement un pied sans ?prouver aucune douleur. Il fallut le lui couper.
Ces accidents sont si fr?quents que le plus souvent les historiens ne prennent pas la peine de les mentionner. Bien pr?s de nous, ils ont ?t? terribles pendant les funestes guerres de 1811-1812 et de 1870-1871, sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir. Des cas de cong?lation partielle peuvent se produire et se produisent en r?alit? presque chaque ann?e, m?me dans les hivers les moins rigoureux, surtout aux pieds; il est important d'en conna?tre le traitement.
Il faut d'abord faire de douces frictions avec de la neige sur la partie malade; d?s que la sensibilit? est revenue, on pratique des lotions avec de l'eau tr?s froide dont on ?l?ve graduellement la temp?rature.
L'exposition ? la chaleur doit ?tre ?vit?e avec le plus grand soin, comme le montrent les r?cits suivants, emprunt?s ? la campagne de Russie.
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On a vu des soldats tomber raides morts devant les feux des bivouacs. Mais ces cong?lations partielles, souvent faciles ? gu?rir, quelquefois n?cessitant des amputations, rarement suivies de mort, ne sont rien aupr?s de l'action g?n?rale du froid sur les individus affaiblis ou mal garantis.
Cette action g?n?rale se porte surtout sur le cerveau et sur le syst?me nerveux. L'action sur le cerveau se traduit assez fr?quemment par un d?lire furieux, bient?t suivi d'une m?ningite rapidement mortelle. Mais le plus souvent les accidents se produisent d'une mani?re toute diff?rente. A la p?leur de la face succ?de une congestion accompagn?e d'un assoupissement qui augmente graduellement; les muscles s'affaiblissent de plus en plus; il en r?sulte une grande difficult? d'agir, de parler m?me, une faiblesse de la vue qui va, dans quelques cas, jusqu'? la c?cit? absolue, enfin un h?b?tement qui semble de l'idiotisme. Puis, l'assoupissement augmentant, le besoin de repos et de sommeil devient irr?sistible. Le malheureux se couche avec d?lice sur la neige ou la terre glac?e, il s'endort pour ne plus se r?veiller.
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Les anciens connaissaient parfaitement tous ces sympt?mes de l'action progressive du froid. D'apr?s Plutarque, <
Le froid sec est bien moins ? craindre que le froid accompagn? d'humidit?. M. Lacassagne rappelle que dans la retraite de Constantine, en novembre 1836, par une temp?rature minima de -1 degr?, il y eut des accidents graves de cong?lation.
Les effets de l'humidit? et des vents se montr?rent d'une mani?re beaucoup plus effrayante dans l'exp?dition de S?tif au Bou-Thaleb, en 1846. En trois jours, sur une colonne de 2800 hommes, 208 p?rirent par l'action imm?diate du froid, et plus de 500 furent atteints de cong?lation. Et pourtant le thermom?tre ne descendit pas jusqu'? -2 degr?s.
Il faut cependant, dans les r?cits des historiens, bien se garder de confondre les cas de mort par le froid avec les mortalit?s caus?es par les maladies cons?cutives du froid, ou par les famines survenues ? la suite des grands hivers. Voyons d'abord, dans l'histoire, les accidents caus?s par la seule action du froid. Ces accidents, qui se produisent presque constamment, ne sont jamais bien nombreux, sauf pendant les guerres, et ne peuvent prendre le caract?re de calamit?s publiques.
En 823, des hommes meurent de froid en grand nombre; il en fut de m?me en 874. En 1124, beaucoup de femmes et d'enfants moururent de froid. En 1523, il y eut en Angleterre un hiver si rigoureux que plusieurs personnes p?rirent par la rigueur du froid; d'autres perdirent les orteils.
Peignot rapporte les tristes effets d'un voyage dans les r?gions polaires, entrepris en 1552: <
Mais il nous faut nous arr?ter dans cette ?num?ration, qui serait trop longue et bien monotone. Arrivons donc de suite aux temps qui sont plus proches de nous.
Un invincible besoin de sommeil saisit ceux que le froid va terrasser. Cet engourdissement nous sera montr? d'une mani?re bien frappante par l'exemple suivant. Le docteur Solander, l'un des compagnons du capitaine Cook, surpris par le froid sur les c?tes de Terre-Neuve avec plusieurs matelots, usait de toute son influence pour les emp?cher de s'abandonner au sommeil. <
Mais c'est encore le tableau de la retraite de Russie qui nous montrera le mieux l'influence g?n?rale du froid. Nous y verrons ? quel point les hommes, d?moralis?s par la d?faite, us?s par la fatigue et les privations ant?rieures, sont rapidement atteints. Reprenons le r?cit de Ren? Bourgeois: <
Larrey, de son c?t?, trace un tableau tout aussi triste: <
Le d?couragement, l'affaiblissement, ?taient tels que rien ne pouvait sauver ces malheureux. <
L'immersion dans l'eau glac?e, surtout pour les hommes affaiblis, est une cause de mort encore plus prompte que l'action de la temp?rature la plus basse. Nombre de soldats p?rirent de la sorte au passage de la B?r?sina. Ceux qui ne trouvaient pas ? passer sur les ponts, ou qui y ?taient bouscul?s trop fort, se jetaient ? l'eau, dans l'espoir de gagner ? la nage l'autre rive. Mais leurs membres ?taient imm?diatement envahis par une raideur cadav?rique, tout mouvement devenait impossible, et les malheureux trouvaient une mort prompte, suspendus entre les gla?ons. Les h?ro?ques pontonniers qui, sous la conduite de l'admirable g?n?ral ?bl?, se plong?rent dans la B?r?sina pour r?tablir les ponts effondr?s, moururent presque tous: quelques-uns ? peine furent sauv?s. Le g?n?ral qui leur avait donn? l'exemple ne tarda pas ? les suivre dans la tombe.
La mort par le froid, si souvent constat?e, est une v?ritable asphyxie: elle a pour cause principale l'arr?t de la respiration par suite de la rigidit? des muscles.
Les asphyxies par le froid sont si fr?quentes que chacun peut se trouver en pr?sence d'un de ces accidents, et doit conna?tre les soins ? donner. Nous ne pouvons mieux faire que de copier ici la m?thode de traitement publi?e au milieu de ce si?cle par le conseil de salubrit? de la Seine. Cette instruction, parfaitement con?ue, est relative ? toutes les sortes d'asphyxies: elle devrait ?tre connue de tous. Nous n'en transcrirons que les passages relatifs ? l'asphyxie par le froid:
Remarquons en terminant cette ?tude que le froid, sans agir imm?diatement sur l'homme, peut occasionner des maladies graves, causes d'une mortalit? souvent ?norme. Cette mortalit? s?vit surtout sur la classe pauvre, qui n'a pour r?sister ni la ressource d'une bonne alimentation, ni celle d'une bonne hygi?ne.
C'est aux ?pid?mies, bien plus qu'aux asphyxies caus?es par le froid, qu'il faut attribuer les grandes mortalit?s des hivers rigoureux cit?s par les historiens. Faisons quelques emprunts ? l'importante notice d'Arago, qui nous a d?j? servi et qui nous servira encore longtemps de guide.
Dans l'?tude particuli?re que nous ferons d'un grand nombre d'hivers, nous aurons l'occasion de revenir sur ces mortalit?s.
Mais toutes ces tristes cons?quences des froids violents de nos r?gions ne sont rien aupr?s des d?sastres produits dans la v?g?tation, et des terribles famines qui en ont ?t? si souvent la cons?quence. Nous allons bient?t les ?tudier.
CHAPITRE II
ACTION DU FROID SUR LES ANIMAUX ET SUR LES PLANTES.
Les animaux aussi sont sensibles au froid; beaucoup m?me y sont plus sensibles que l'homme. L'homme a, comme nous l'avons vu, la propri?t? de vivre dans des climats bien divers; il peut, presque sans inconv?nient, passer des pays chauds aux r?gions froides, pourvu qu'il prenne des pr?cautions convenables.
Chappe, dans le r?cit de son voyage en Sib?rie, effectu? au si?cle dernier, raconte que les Russes, ? la sortie de bains de vapeur dans lesquels ils sont rest?s plusieurs heures ? une temp?rature de +70 degr?s, vont, absolument nus, se s?cher dehors avec de la neige, alors que le froid est de 30 degr?s.
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