Read Ebook: La Coupe; Lupo Liverani; Le Toast; Garnier; Le Contrebandier; La Rêverie à Paris by Sand George
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Ebook has 1664 lines and 50666 words, and 34 pages
Elle le trouva faible et poltron. Pendant quelques jours, elle l'oublia; mais comme ses compagnes lui demandaient ce qu'il ?tait devenu et lui reprochaient de l'avoir pris par caprice et de l'avoir laiss? mourir dans un coin, elle courut le chercher et leur montra qu'il ?tait bien portant et bien vivant. <
Zilla comprit que la sage et bonne reine la bl?mait, et elle se piqua d'honneur. Elle retourna tous les jours aupr?s de l'enfant, y passa plus de temps chaque jour, apprit ? lui parler doucement, le caressa un peu plus, mit plus de complaisance ? le faire jouer en m?nageant ses forces et en exer?ant son courage. Elle lui apprit aussi ? se nourrir sans verser le sang et elle vit qu'il ?tait ?ducable, car il s'ennuyait d'?tre seul, et pour la faire rester avec lui, il ob?issait ? toutes ses volont?s, et m?me il avait des gr?ces caressantes qui flattaient l'amour-propre de la f?e.
Pourtant l'hiver approchait, et bien que l'enfant n'y songe?t point, bien qu'il jou?t avec la neige qui peu ? peu gagnait la grotte o? la f?e l'avait log?, le chien commen?ait ? hurler et ? aboyer contre les empi?tements de cette neige insensible qui avan?ait toujours. Zilla vit bien qu'il fallait ?ter de l? l'enfant, si elle ne voulait le voir mourir. Elle l'emmena au plus creux de la vall?e, et elle pria ses compagnes de l'aider ? lui b?tir une maison, car il est faux que les f?es sachent tout faire avec un coup de baguette.
Elles ne savent faire que ce qui leur est n?cessaire, et une maison leur est fort inutile. Elles n'ont jamais chaud ni froid que juste pour leur agr?ment. Elles sautent et dansent un peu plus en hiver qu'en ?t?, sans jamais souffrir tout ? fait dans leur corps ni dans leur esprit. Elles gambadent sur la glace aussi volontiers que sur le gazon, et s'il leur pla?t de sentir en janvier la moiteur d'avril, elles se couchent avec les ours blottis dans leurs grottes de neige, et elles y dorment pour le plaisir de r?ver, car elles ont fort peu besoin de sommeil.
Zilla n'e?t os? confier l'enfant aux ours. Ils n'?taient pas m?chants; mais, ? force de le sentir et de le l?cher, ils eussent pu le trouver bon. Les jeunes f?es qu'elle invita ? lui b?tir un g?te s'y pr?t?rent en riant et se mirent ? l'oeuvre p?le-m?le, ? grand bruit. Elles voulaient que ce f?t un palais plus beau que tous ceux que les hommes construisent et qui ne ressembl?t en rien ? leurs mis?rables inventions. La reine s'assit et les regarda sans rien dire.
L'une voulait que ce f?t tr?s-grand, l'autre que ce f?t tr?s-petit; l'une que ce f?t comme une boule, l'autre que tout mont?t en pointe; l'une qu'on n'employ?t que des pierres pr?cieuses, l'autre que ce f?t fait avec les aigrettes de la graine de chardon; l'une que ce f?t d?couvert comme un nid, l'autre que ce f?t enfoui comme une tani?re. L'une apportait des branches, l'autre du sable, l'une de la neige, l'autre des feuilles de roses, l'une de petits cailloux, l'autre des fils de la Vierge; le plus grand nombre n'apportait que des paroles.
La reine vit qu'elles ne se d?cidaient ? rien et que la maison ne serait jamais commenc?e; elle appela l'enfant et lui dit: <
>>Ces ?tres qui vivent d'une myst?rieuse tradition, toujours transmise de tous ? chacun, sans qu'aucun d'eux y apporte un changement quelconque, sont inf?rieurs ? l'?tre le plus mis?rable et le plus d?pourvu dont l'esprit cherche et combine. C'est pour cela que l'homme, notre anc?tre, est le premier des animaux, et que son travail, ?tant le plus vari? et le plus changeant, est le plus beau de tous. Voyez ce qu'il peut faire avec le souvenir, comme il invente l'exp?rience, et comme il sait accommoder ? son usage les mat?riaux les plus grossiers!
>>--L'homme, dit Zilla, serait donc meilleur et plus habile s'il vivait dans l'isolement?--Non, Zilla, il lui faut la soci?t? volontaire et non la r?union forc?e. Seul il peut lutter contre toutes choses, et l? o? les autres animaux succombent, il triomphe par l'esprit; mais il a le d?sir d'un autre bonheur que celui de conserver son corps; c'est pourquoi il cherche le commerce de ses semblables afin qu'ils lui donnent le pain de l'?me, et le besoin qu'il a des autres est encore une libert?.>>
XLI
Zilla s'effor?a de comprendre la reine, que les autres f?es ne comprenaient pas beaucoup. Elles avaient gard? les id?es barbares du temps o? elles ?taient semblables ? nous sur la terre, et si leur science les faisait p?n?trer mieux que jadis et mieux que nous dans les lois de renouvellement du grand univers, elles ne se rendaient plus compte de la marche suivie par la race humaine dans ce petit monde o? elles s'ennuyaient, faute de pouvoir y rien changer. Elles avaient voulu ne plus changer elles-m?mes, il leur fallait bien s'en consoler en m?prisant ce qui change.
XLII
Zilla, toute pensive, r?solut de procurer ? son enfant adoptif tout ce qu'il pouvait souhaiter, afin de voir le parti qu'il en saurait tirer. <
Ce torrent, qui donne naissance ? un grand fleuve dont les hommes ne connaissent pas la source, sort du glacier o? ?tait tomb? l'enfant du prince. Il se divise en mille filets d'argent pour arroser et fertiliser le Val-des-F?es, puis il se r?unit ? l'entr?e d'un massif de roches ?normes qui est la barri?re naturelle de leur royaume. L? le torrent, devenu rivi?re, se pr?cipite dans des ab?mes effroyables, s'engouffre dans des cavernes o? le jour ne p?n?tre jamais, et de chute en chute arrive par des voies inconnues au pays des hommes.
XLIV
Les f?es, pour lesquelles il n'est pas de site infranchissable, peuvent sortir de chez elles par les cimes neigeuses, par les fl?ches des glaciers ou par les fentes du roc; mais elles pr?f?rent se laisser emporter par la rivi?re, qui ne leur fait pas plus de mal qu'? un flocon d'?cume en les pr?cipitant dans ses ab?mes. En peu d'instants, Zilla se trouva dans les terres cultiv?es et s'approcha d'un village de bergers et de b?cherons, o? elle vit un homme ?trangement v?tu qui, mont? sur une grosse pierre, parlait ? la foule.
XLV
Cet homme disait: <
XLVI
La f?e fut contente aussi de la mort de la duchesse. <
Pourtant ce n'?tait pas ce que les hommes qu'elle avait sous les yeux estimaient le plus. Elle les voyait se battre encore pour les pi?ces de monnaie r?pandues ? terre. Elle suivit le h?raut, qui s'en allait avec une mule blanche charg?e d'un coffre plein d'or et d'argent, destin? aux lib?ralit?s de la d?votion ducale. Elle fit signe ? la mule, qui suivit l'?ne et la charrue, et le h?raut n'y prit pas garde. La f?e avait jet? sur lui et sur son escorte un charme qui les fit dormir ? cheval pendant plus de quinze lieues.
La f?e ne se fit aucune conscience de voler ces choses. C'?tait pour l'enfant du prince, et tout dans le pays lui appartenait. D'ailleurs les f?es ne reconnaissent pas nos lois et ne partagent pas nos id?es. Elles nous consid?rent comme les plus grands pillards de la cr?ation, et ce que nous volons ? la nature, elles pensent avoir le droit de nous le reprendre. Comme elles n'ont gu?re besoin de nos richesses, il faut dire qu'elles ne nous font pas grand tort. Pourtant leurs fantaisies sont dangereuses. Elles ont fait pendre plus d'un malheureux accus? de leurs rapts.
Suivie de son butin, Zilla se rapprocha de la montagne, et, connaissant dans la for?t un passage par o? elle pouvait rentrer dans le Val-aux-F?es avec sa suite, elle p?n?tra au plus ?pais des pins et des m?l?zes. L? elle s'arr?ta surprise en rencontrant sous ses pieds un ?tre bizarre qui lui causa un certain d?go?t: c'?tait un vieux homme grand et sec, barbu comme une ch?vre et chauve comme un oeuf, avec un nez fort gros et une robe noire tout en guenilles.
Il paraissait mort, car un vautour venait de s'abattre sur lui et commen?ait ? vouloir go?ter ? ses mains; mais en se sentant mordu, le moribond fit un cri, saisit l'oiseau, et, l'?touffant, il le mordit au cou et se mit ? sucer le sang avec une rage horrible et grotesque. C'?tait la premi?re fois que la f?e voyait pareille chose: le vautour mang? par le cadavre! Elle pensa que ce devait ?tre un ?v?nement fatidique de sa comp?tence, et elle demanda au vieillard ce qui le faisait agir ainsi.
<
LII
<
< LIV --Tu te vantes d'?tre savant, et tu es inepte, r?pondit Zilla. Si tu connaissais les f?es, tu saurais qu'elles ne peuvent commettre aucun mal. Le grand Esprit du monde ne leur a permis de conqu?rir l'immortalit? qu'? la condition qu'elles respecteraient la vie; autrement votre race n'existerait plus depuis longtemps. Suis-moi et ne dis plus de sottises, ou je vais te reconduire o? je t'ai pris.--Dieu m'en garde!--pensa le vieillard, et, prenant un air plus modeste, il arriva avec la f?e ? la demeure nouvelle du petit prince Hermann. Depuis un jour entier que la f?e ?tait absente, l'enfant, qui ?tait bon, n'avait ni travaill?, ni jou?, ni mang?. Il attendait sa m?re et ne pensait plus qu'? elle. Quand il vit arriver le vieillard, il courut ? lui, croyant qu'il annon?ait et pr?c?dait la duchesse. < LVI Alors la f?e apprit ? l'enfant que sa m?re ?tait morte, sans songer qu'elle lui faisait une grande peine et sans comprendre qu'un ?tre soumis ? la mort p?t ne pas se soumettre ? celle des autres comme ? une chose toute naturelle. L'enfant pleura beaucoup, et dans son d?pit il dit ? la f?e que puisqu'elle ne lui rapportait qu'une mauvaise nouvelle, elle e?t bien pu se dispenser de lui ramener son pr?cepteur. La f?e haussa les ?paules et le quitta f?ch?e. Ma?tre Bonus ne se f?cha pas. Il s'assit aupr?s de l'enfant et pleura de le voir pleurer. Ce que voyant, l'enfant, qui ?tait tr?s-bon, l'embrassa et lui dit qu'il voulait bien le garder pr?s de lui et le loger dans sa maison, ? la condition qu'il ne lui parlerait plus jamais d'?tudier. < Le chien fit amiti? au p?dagogue et lui c?da volontiers sa proie, que ma?tre Bonus se mit en devoir de faire cuire; mais les f?es, qui le surveillaient, lui envoy?rent une hallucination ?pouvantable: aussit?t qu'il commen?a d'?corcher le li?vre, le li?vre grandit et prit sa figure, de mani?re qu'il s'imagina s'?corcher lui-m?me. Saisi d'horreur, il mit l'animal sur les charbons, esp?rant se d?livrer de son r?ve en respirant l'odeur de la viande grill?e; mais ce fut lui qu'il fit griller dans des contorsions hideuses, et m?me il crut sentir dans sa propre chair qu'il br?lait en effet. Il se rappela qu'il ?tait condamn? par les hommes ? ?tre r?ti tout vivant, et, sentant qu'il ne fallait pas m?contenter les f?es, il rendit la viande au chien et y renon?a pour toujours. Alors il s'en alla dehors pour recueillir des racines, des fruits et des graines, et il en fit une si grande provision pour l'hiver que la maison en ?tait pleine et qu'il y restait ? peine de la place pour dormir. Et ensuite, craignant d'?tre vol? par les f?es, et s'imaginant savoir assez de magie pour leur inspirer le respect, il fit avec de la terre des figures symboliques qu'il planta sur le toit. Mais sa science ?tait fausse et ses symboles si barbares que les f?es n'y firent d'autre attention que de les trouver fort laids et d'en rire. Les voyant de bonne humeur, il s'enhardit ? demander o? il pourrait se procurer des outils de travail, sans lesquels il lui ?tait impossible, disait-il, de rien faire de bien. Elles le men?rent alors dans une grotte o? elles avaient entass? une foule d'objets vol?s par elles dans leurs excursions, et abandonn?s l? apr?s que leur curiosit? s'en ?tait rassasi?e. Ma?tre Bonus fut ?tonn? d'y trouver des ustensiles de toute esp?ce et des objets de luxe m?l?s ? des d?bris sans aucune valeur. Ce qu'il y chercha d'abord, ce fut une casserole, des plats et des pincettes. Il les d?terra du milieu des bijoux et des riches ?toffes. Il aper?ut des sacs de farine, des confitures s?ches, une aigui?re et un bassin. Il regarda ? peine les livres et les ?critoires. < Il fit avec Hermann plusieurs voyages ? la grotte que les f?es regardaient comme leur mus?e et qu'il appelait, lui, tout simplement le magasin. Ils y trouv?rent tout ce qu'il fallait pour faire du beurre, des fromages et de la p?tisserie. Hermann y d?couvrit force friandises qu'il emporta, et ma?tre Bonus, apr?s de nombreux essais, parvint ? faire de si bons g?teaux qu'un ?v?que s'en f?t l?ch? les doigts. Et, dans la douce occupation de bien dormir et de bien manger, le p?dagogue oublia ses jours de mis?re et ne chicana pas le jeune prince pour lui apprendre ? lire. La reine des f?es vint voir l'?tablissement, et comme plusieurs de ses compagnes ?taient m?contentes de voir deux hommes, au lieu d'un, s'?tablir sur leurs domaines, elle leur dit: < Elle appela ma?tre Bonus, et lui dit: < Mais il ne trouva point d'habits pour son sexe dans le magasin des f?es, et, ne sachant que faire, il pria la vieille Milith, qui ?tait une f?e un peu idiote, ayant bu la coupe au moment o? elle tombait en enfance, de l'aider ? se v?tir. Milith aimait ? ?tre consult?e, et comme personne ne lui faisait cet honneur, elle prit en amiti? le p?dagogue, et lui donna une de ses robes neuves qui ?tait en bonne laine bise, de m?me que le chaperon bord? de rouge, et, ainsi habill? en femme, ma?tre Bonus semblait ?tre une grande f?e bien laide. Alors la petite R?gis, qui passait, le trouva si dr?le qu'elle en rit une heure; mais, tout en riant, elle lui persuada de lui amener l'enfant, qu'elle voulait aussi habiller avec une de ses robes, et quand elle l'eut entre les mains, elle le lava, le parfuma, arrangea ses cheveux, le couronna de fleurs, lui mit un collier de perles, une ceinture d'or o? elle fixa les mille plis de sa jupe rose, et le trouva si beau ainsi, qu'elle voulut le faire chanter et danser, pour admirer son ouvrage. Hermann aussi se trouvait beau, et il se plaisait dans cette robe parfum?e; mais il ne savait pas ob?ir, et il refusa de danser, ce qui mit la petite R?gis en col?re. Elle lui arracha son collier, lui d?chira sa robe, et, comme une f?e tr?s-fantasque qu'elle ?tait, elle lui ?bouriffa les cheveux, lui barbouilla la figure avec le jus d'une graine noire, et le laissa tout honteux, presque nu, et furieux de ne pouvoir rendre ? cette folle les injures dont elle l'accablait. Cependant ma?tre Bonus, voyant la petite R?gis en col?re, s'?tait sauv?. Hermann, en le rejoignant, lui reprocha d'avoir fui devant une f?e si menue, et de n'avoir pas plus de coeur qu'une poule. < >>Quant ? moi, qui dois ?tre r?ti ? petit feu si je sors d'ici, je suis bien d?cid? ? me pr?ter ? toutes les fantaisies de ces dames, et si l'on m'e?t ordonn? de danser, j'aurais ob?i et fait la cabriole par-dessus le march?.>> L'enfant sentit que son p?dagogue avait raison, mais il ne l'en m?prisa que plus, car la raison ne conseille pas toujours les plus belles choses. Il courut trouver Zilla pour lui raconter sa m?saventure et lui montrer de quelle mani?re on l'avait houspill?. Zilla en rougit d'indignation et le mena devant la reine pour porter plainte contre R?gis. LXX
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