Read Ebook: Cinq-Mars; ou Une conjuration sous Louis XIII (Tome 2 of 2) by Vigny Alfred De Jeanniot Pierre Georges Illustrator
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Ebook has 1534 lines and 83217 words, and 31 pages
Illustrator: Pierre Georges Jeanniot
Note de transcription:
Les erreurs clairement introduites par le typographe ont ?t? corrig?es. L'orthographe n'a pas ?t? harmonis?e.
Il y a une note plus d?taill?e ? la fin de ce livre.
PETITE BIBLIOTH?QUE CHARPENTIER
PETITE BIBLIOTH?QUE CHARPENTIER
PAR LE COMTE ALFRED DE VIGNY
TOME SECOND
PARIS G. CHARPENTIER | CALMANN L?VY ?DITEURS
CINQ-MARS
L'?MEUTE
Le danger, Sire, est pressant et universel, et au del? de tous les calculs de la prudence humaine.
Nous allons user des m?mes droits sans avoir le m?me g?nie, nous ne voulons pas nous asseoir plus que lui sur le tr?pied des unit?s, et, jetant les yeux sur Paris et sur le vieux et noir palais du Louvre, nous passerons tout ? coup l'espace de deux cents lieues et le temps de deux ann?es.
Deux ann?es! que de changements elles peuvent apporter sur le front des hommes, dans leurs familles, et surtout dans cette grande famille si troubl?e des nations, dont un jour brise les alliances, dont une naissance apaise les guerres, dont une mort d?truit la paix! Nos yeux ont vu des rois rentrer dans leur demeure un jour de printemps; ce jour-l? m?me un vaisseau partit pour une travers?e de deux ans; le navigateur revint; ils ?taient sur leur tr?ne: rien ne semblait s'?tre pass? dans son absence; et pourtant Dieu leur avait ?t? cent jours de r?gne.
Mais rien n'?tait chang? pour la France en 1642, ?poque ? laquelle nous passons, si ce n'?tait ses craintes et ses esp?rances. L'avenir seul avait chang? d'aspect. Avant de revoir nos personnages, il importe de contempler en grand l'?tat du royaume.
La puissante unit? de la monarchie ?tait plus imposante encore par le malheur des ?tats voisins; les r?voltes de l'Angleterre et celles de l'Espagne et du Portugal faisaient admirer d'autant plus le calme dont jouissait la France; Strafford et Olivar?s, renvers?s ou ?branl?s, grandissaient l'immuable Richelieu.
Six arm?es formidables, repos?es sur leurs armes triomphantes, servaient de rempart au royaume; celles du Nord, ligu?es avec la Su?de, avaient fait fuir les Imp?riaux, poursuivis encore par l'ombre de Gustave-Adolphe; celles qui regardaient l'Italie recevaient dans le Pi?mont les clefs des villes qu'avait d?fendues le prince Thomas: et celles qui redoublaient la cha?ne des Pyr?n?es soutenaient la Catalogne r?volt?e, et fr?missaient encore devant Perpignan, qu'il ne leur ?tait pas permis de prendre. L'int?rieur n'?tait pas heureux, mais tranquille. Un invisible g?nie semblait avoir maintenu ce calme; car le Roi, mortellement malade, languissait ? Saint-Germain pr?s d'un jeune favori; et le Cardinal, disait-on, se mourait ? Narbonne. Quelques morts pourtant trahissaient sa vie, et de loin en loin des hommes tombaient comme frapp?s par un souffle empoisonn?, et rappelaient la puissance invisible.
Ce nom lui fut donn? pour sa valeur et un caract?re trop ferme, qui fut son seul crime.
Cependant la France semblait gouvern?e par elle-m?me; car le prince et le ministre ?taient s?par?s depuis longtemps: et, de ces deux malades, qui se ha?ssaient mutuellement, l'un n'avait jamais tenu les r?nes de son Etat, l'autre n'y faisait plus sentir sa main; on ne l'entendait plus nommer dans les actes publics, il ne paraissait plus dans le gouvernement, s'effa?ait partout; il dormait comme l'araign?e au centre de ses filets.
S'il s'?tait pass? quelques ?v?nements et quelques r?volutions durant ces deux ann?es, ce devait donc ?tre dans les coeurs; ce devait ?tre quelques-uns de ces changements occultes, d'o? naissent, dans les monarchies sans base, des bouleversements effroyables et de longues et sanglantes dissensions.
Pour en ?tre ?claircis, portons nos yeux sur le vieux et noir b?timent du Louvre inachev?, et pr?tons l'oreille aux propos de ceux qui l'habitent et qui l'environnent.
On ?tait au mois de d?cembre; un hiver rigoureux avait attrist? Paris, o? la mis?re et l'inqui?tude du peuple ?taient extr?mes; cependant sa curiosit? l'aiguillonnait encore, et il ?tait avide des spectacles que lui donnait la cour. Sa pauvret? lui ?tait moins pesante lorsqu'il contemplait les agitations de la richesse; ses larmes moins am?res ? la vue des combats de la puissance; et le sang des grands, qui arrosait ses rues et semblait alors le seul digne d'?tre r?pandu, lui faisait b?nir son obscurit?. D?j? quelques sc?nes tumultueuses, quelques assassinats ?clatants, avaient fait sentir l'affaiblissement du monarque, l'absence et la fin prochaine du ministre, et, comme une sorte de prologue ? la sanglante com?die de la Fronde, venaient aiguiser la malice et m?me allumer les passions des Parisiens. Ce d?sordre ne leur d?plaisait pas; indiff?rents aux causes des querelles, fort abstraites pour eux, ils ne l'?taient point aux individus, et commen?aient d?j? ? prendre les chefs de parti en affection ou en haine, non ? cause de l'int?r?t qu'ils leur supposaient pour le bien-?tre de leur classe, mais tout simplement parce qu'ils plaisaient ou d?plaisaient comme des acteurs.
Une nuit surtout, des coups de pistolet et de fusil avaient ?t? entendus fr?quemment dans la Cit?: les patrouilles nombreuses des Suisses et des gardes du corps venaient m?me d'?tre attaqu?es et de rencontrer quelques barricades dans les rues tortueuses de l'?le Notre-Dame; des charrettes encha?n?es aux bornes et couvertes de tonneaux, avaient emp?ch? les cavaliers d'y p?n?trer, et quelques coups de mousquet avaient bless? des chevaux et des hommes. Cependant la ville dormait encore, except? le quartier qui environnait le Louvre, habit? dans ce moment par la Reine et MONSIEUR, duc d'Orl?ans. L?, tout annon?ait une exp?dition nocturne d'une nature tr?s grave.
Il ?tait deux heures du matin; il gelait, et l'ombre ?tait ?paisse, lorsqu'un nombreux rassemblement s'arr?ta sur le quai, ? peine pav? alors, et occupa lentement et par degr?s, le terrain sabl? qui descendait en pente jusqu'? la Seine. Deux cents hommes, ? peu pr?s, semblaient composer cet attroupement; ils ?taient envelopp?s de grands manteaux, relev?s par le fourreau des longues ?p?es ? l'espagnole qu'ils portaient. Se promenant sans ordre, en long et en large, ils semblaient attendre les ?v?nements plut?t que les chercher. Beaucoup d'entre eux s'assirent, les bras crois?s, sur les pierres ?parses du parapet commenc?; ils observaient le plus grand silence. Apr?s quelques minutes cependant, un homme, qui paraissait sortir d'une porte vo?t?e du Louvre, s'approcha lentement avec une lanterne sourde, dont il portait les rayons au visage de chaque individu, et qu'il souffla, ayant d?m?l? celui qu'il cherchait entre tous: il lui parla de cette fa?on, ? demi-voix, en lui serrant la main:
--Eh bien, Olivier, que vous a dit M. le Grand? Cela va-t-il bien?
On nommait ainsi par abr?viation le grand ?cuyer Cinq-Mars. Ce nom reviendra souvent dans le cours du r?cit.
--Soyez tranquille, Montr?sor va venir avec une centaine de gentilshommes de MONSIEUR; vous le reconna?trez; il sera d?guis? en ma?tre ma?on, une r?gle ? la main. Mais n'oubliez pas surtout les mots d'ordre: les savez-vous bien tous, vous et vos amis?
--Oui, tous, except? l'abb? de Gondi, qui n'est pas arriv? encore; mais, Dieu me pardonne, je crois que le voil? lui-m?me. Qui diable l'aurait reconnu?
En effet, un petit homme sans soutane, habill? en soldat des gardes fran?aises, et portant de tr?s noires et fausses moustaches, se glissa entre eux. Il sautait d'un pied sur l'autre avec un air de joie, et se frottait les mains.
--Eh! que peut-il faire autre chose? dit Fontrailles; s'il prenait une r?solution aujourd'hui en notre faveur, ce serait bien f?cheux.
--Et pourquoi?
--Parce que nous serions bien s?rs que demain, au jour, il serait contre.
--N'importe, reprit l'abb?, la reine a de la t?te.
--Et du coeur aussi, dit Olivier; cela me donne de l'espoir pour Cinq-Mars, qui me semble avoir os? faire le boudeur quelquefois en la regardant.
--Enfant que vous ?tes! que vous connaissez encore mal la cour! Rien ne peut le soutenir que la main du roi, qui l'aime comme son fils; et, pour la reine, si son coeur bat, c'est de souvenir et non d'avenir. Mais il ne s'agit pas de ces fadaises-l?; dites-moi, mon cher, ?tes-vous bien s?r de votre jeune avocat que je vois r?der l?? pense-t-il bien?
--Parfaitement; c'est un excellent Royaliste; il jetterait le Cardinal ? la rivi?re tout ? l'heure: d'ailleurs c'est Fournier, de Loudun, c'est tout dire.
--Bien, bien; voil? comme nous les aimons. Mais garde ? vous, messieurs: on vient de la rue Saint-Honor?.
--Qui va l?? cri?rent les premiers de la troupe ? des hommes qui venaient. Royalistes ou Cardinalistes?
--C'est Montr?sor avec les gens de MONSIEUR, dit Fontrailles; nous pourrons bient?t commencer.
--Oui, par la corbleu! dit l'arrivant; car les Cardinalistes vont passer ? trois heures; on nous en a instruits tout ? l'heure.
--O? vont-ils? dit Fontrailles.
--Ils sont plus de deux cents pour conduire M. de Chavigny, qui va voir le vieux chat ? Narbonne, dit-on; ils ont cru plus s?r de longer le Louvre.
--Eh bien, nous allons leur faire patte de velours, dit l'abb?.
Comme il achevait, un bruit de carrosses et de chevaux se fit entendre. Plusieurs hommes ? manteaux roul?rent une ?norme pierre au milieu du pav?. Les premiers cavaliers pass?rent rapidement ? travers la foule et le pistolet ? la main, se doutant bien de quelque chose; mais le postillon qui guidait les chevaux de la premi?re voiture s'embarrassa dans la pierre et s'abattit.
Dans le long si?ge de cette ville, on donna ce nom ? M. de Richelieu pour tourner en ridicule son obstination ? commander comme g?n?ral en chef et s'attribuer le m?rite de la prise de la Rochelle.
--Rangez ces Cardinalistes jusque dans la rivi?re! dit une voix aigre et per?ante.
Cependant les hommes ? pied avaient r?ussi ? placer les deux carrosses ? travers du quai, de mani?re ? s'en faire un rempart contre les chevaux de Chavigny, et de l?, entre les roues, par les porti?res et sous les ressorts, les accablaient de coups de pistolet et en avaient d?mont? plusieurs. Le tumulte ?tait affreux, lorsque les portes du Louvre s'ouvrirent tout ? coup, et deux escadrons des gardes du corps sortirent au trot; la plupart avaient des torches ? la main pour ?clairer ceux qu'ils allaient attaquer et eux-m?mes. La sc?ne changea. A mesure que les gardes arrivaient ? l'un des hommes ? pied, on voyait cet homme s'arr?ter, ?ter son chapeau, se faire reconna?tre et se nommer, et le garde se retirait, quelquefois en saluant, d'autres fois en lui serrant la main. Ce secours aux carrosses de Chavigny fut donc ? peu pr?s inutile et ne servit qu'? augmenter la confusion. Les gardes du corps, comme pour l'acquit de leur conscience, parcouraient la foule des duellistes en disant mollement: <
Les fen?tres du Louvre s'?clairaient peu ? peu, et l'on y voyait beaucoup de t?tes de femmes derri?re les petits carreaux en losanges, attentives ? contempler le combat.
De nombreuses patrouilles de Suisses sortirent avec des flambeaux; on distinguait ces soldats ? leur ?trange uniforme. Ils portaient le bras droit ray? de bleu et de rouge, et le bas de soie de leur jambe droite ?tait rouge; le c?t? gauche ray? de bleu, rouge et blanc, et le bas blanc et rouge. On avait esp?r? sans doute, au ch?teau royal, que cette troupe ?trang?re pourrait dissiper l'attroupement; mais on se trompa. Ces impassibles soldats, suivant froidement, exactement et sans les d?passer, les ordres qu'on leur avait donn?s, circul?rent avec sym?trie entre les groupes arm?s qu'ils divisaient un moment, vinrent se r?unir devant la grille avec une pr?cision parfaite, et rentr?rent en ordre comme ? la manoeuvre, sans s'informer si les ennemis ? travers lesquels ils ?taient pass?s s'?taient rejoints ou non.
Mais le bruit, un instant apais?, redevint g?n?ral ? force d'explications particuli?res. On entendait partout des appels, des injures et des impr?cations; il ne semblait pas que rien p?t faire cesser ce combat que la destruction de l'un des deux partis, lorsque des cris, ou plut?t des hurlements affreux, vinrent mettre le comble au tumulte. L'abb? de Gondi, alors occup? ? tirer un cavalier par son manteau pour le faire tomber, s'?cria:--Voil? mes gens! Fontrailles, vous allez en voir de belles; voyez, voyez d?j? comme cela court! c'est charmant, vraiment!
Lorsque cette d?go?tante cohue eut inond? les quais de ses milliers d'individus infernaux, elle produisit un effet ?trange sur les combattants, et tout ? fait contraire ? ce qu'en attendait leur patron. Les ennemis de chaque faction abaiss?rent leurs armes et se s?par?rent. Ceux de MONSIEUR et de Cinq-Mars furent r?volt?s de se voir secourus par de tels auxiliaires, et, aidant eux-m?mes les gentilshommes du Cardinal ? remonter ? cheval et en voiture, leurs valets ? y porter les bless?s, donn?rent des rendez-vous particuliers ? leurs adversaires pour vider leur querelle sur un terrain plus secret et plus digne d'eux. Rougissant de la sup?riorit? du nombre et des ignobles troupes qu'ils semblaient commander, entrevoyant, peut-?tre pour la premi?re fois, les funestes cons?quences de leurs jeux politiques, et voyant quel ?tait le limon qu'ils venaient de remuer, ils se divis?rent pour se retirer, enfon?ant leurs chapeaux larges sur leurs yeux, jetant leurs manteaux sur leurs ?paules, et redoutant le jour.
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