Read Ebook: Cinq-Mars; ou Une conjuration sous Louis XIII (Tome 2 of 2) by Vigny Alfred De Jeanniot Pierre Georges Illustrator
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Ebook has 1534 lines and 83217 words, and 31 pages
Lorsque cette d?go?tante cohue eut inond? les quais de ses milliers d'individus infernaux, elle produisit un effet ?trange sur les combattants, et tout ? fait contraire ? ce qu'en attendait leur patron. Les ennemis de chaque faction abaiss?rent leurs armes et se s?par?rent. Ceux de MONSIEUR et de Cinq-Mars furent r?volt?s de se voir secourus par de tels auxiliaires, et, aidant eux-m?mes les gentilshommes du Cardinal ? remonter ? cheval et en voiture, leurs valets ? y porter les bless?s, donn?rent des rendez-vous particuliers ? leurs adversaires pour vider leur querelle sur un terrain plus secret et plus digne d'eux. Rougissant de la sup?riorit? du nombre et des ignobles troupes qu'ils semblaient commander, entrevoyant, peut-?tre pour la premi?re fois, les funestes cons?quences de leurs jeux politiques, et voyant quel ?tait le limon qu'ils venaient de remuer, ils se divis?rent pour se retirer, enfon?ant leurs chapeaux larges sur leurs yeux, jetant leurs manteaux sur leurs ?paules, et redoutant le jour.
--Vous avez tout d?rang?, mon cher abb?, avec cette canaille, dit Fontrailles, en frappant du pied, ? Gondi, qui se trouvait assez interdit; votre bonhomme d'oncle a l? de jolis paroissiens!
--Olivier, dit Fontrailles, partez donc pour Saint-Germain avec Fournier et Ambrosio; je vais rendre compte ? MONSIEUR, avec Montr?sor.
Tout se s?para, et le d?go?t fit sur ces gens bien ?lev?s ce que la force n'avait pu faire.
--Eh bien, arrivez donc! leur cria-t-il de loin, courant au-devant d'eux; arrivez donc enfin! que se passe-t-il? que fait-on l?? quels sont ces assassins? quels sont ces cris?
--On crie: <
Gaston, sans faire semblant d'entendre, et tenant un instant la porte de sa chambre ouverte, pour que sa voix p?n?tr?t jusque dans les galeries o? ?taient les gens de sa maison, continua en criant de toute sa force et en gesticulant:
--Je ne sais rien de tout ceci et n'ai rien autoris?; je ne veux rien entendre, je ne veux rien savoir; je n'entrerai jamais dans aucun projet; ce sont des factieux qui font tout ce bruit: ne m'en parlez pas si vous voulez ?tre bien vus ici; je ne suis l'ennemi de personne, je d?teste de telles sc?nes...
Fontrailles, qui savait ? quel homme il avait affaire, ne r?pondit rien, et entra avec son ami, mais sans se presser, afin que MONSIEUR e?t le temps de jeter son premier feu; et, quand tout fut dit et la porte ferm?e avec soin, il prit la parole:
--Monseigneur, dit-il, nous venons vous demander mille pardons de l'impertinence de ce peuple, qui ne cesse de crier qu'il veut la mort de votre ennemi, et qu'il voudrait m?me vous voir R?gent si nous avions le malheur de perdre Sa Majest?; oui, le peuple est toujours libre dans ses propos; mais il ?tait si nombreux, que tous nos efforts n'ont pu le contenir: c'?tait le cri du coeur dans toute sa v?rit?; c'?tait une explosion d'amour que la froide raison n'a pu r?primer, et qui sortait de toutes les r?gles.
--Mais enfin, que s'est-il pass?? reprit Gaston un peu calm?: qu'ont-ils fait depuis quatre heures que je les entends?
--Cet amour, continua froidement Montr?sor, comme M. de Fontrailles a l'honneur de vous le dire, sortait tellement des r?gles et des bornes, qu'il nous a entra?n?s nous-m?mes, et nous nous sommes sentis saisis de cet enthousiasme qui nous transporte toujours au nom seul de MONSIEUR, et qui nous a port?s ? des choses que nous n'avions pas pr?m?dit?es.
--Mais enfin, qu'avez-vous fait? reprit le prince...
--Ces choses, reprit Fontrailles, dont M. de Montr?sor a l'honneur de parler ? MONSIEUR, sont pr?cis?ment de celles que je pr?voyais ici m?me hier au soir, quand j'eus l'honneur de l'entretenir.
--Il ne s'agit pas de cela, interrompit Gaston; vous ne pourrez pas dire que j'aie rien ordonn? ni autoris?; je ne me m?le de rien, je n'entends rien au gouvernement...
--Je conviens, poursuivit Fontrailles, que Votre Altesse n'a rien ordonn?; mais elle m'a permis de lui dire que je pr?voyais que cette nuit serait troubl?e vers les deux heures, et j'esp?rais que son ?tonnement serait moins grand.
Le prince, se remettant peu ? peu, et voyant qu'il n'effrayait pas les deux champions; ayant d'ailleurs dans sa conscience et lisant dans leurs yeux le souvenir du consentement qu'il leur avait donn? la veille, s'assit sur le bord de son lit, croisa les bras, et, les regardant d'un air de juge, leur dit encore avec une voix imposante:
--Mais enfin, qu'avez-vous donc fait?
--Eh! presque rien, monseigneur, dit Fontrailles; le hasard nous a fait rencontrer dans la foule quelques-uns de nos amis qui avaient eu une querelle avec le cocher de M. de Chavigny qui les ?crasait; il s'en est suivi quelques propos un peu vifs, quelques petits gestes un peu brusques, quelques ?gratignures qui ont fait rebrousser chemin au carrosse, et voil? tout.
--Absolument tout, r?p?ta Montr?sor.
--Comment, tout! s'?cria Gaston tr?s ?mu et sautant dans la chambre; et n'est-ce donc rien que d'arr?ter la voiture d'un ami du Cardinal-Duc? Je n'aime point les sc?nes, je vous l'ai d?j? dit; je ne hais point le Cardinal; c'est un grand politique, certainement, un tr?s grand politique; vous me compromettez horriblement; on sait que Montr?sor est ? moi; si on l'a reconnu, on dira que je l'ai envoy?...
--Le hasard, r?pondit Montr?sor, m'a fait trouver cet habit du peuple que MONSIEUR peut voir sous mon manteau, et que j'ai pr?f?r? ? tout autre par ce motif.
Gaston respira.
--Vous ?tes bien s?r qu'on ne vous a pas reconnu? dit-il; c'est que vous sentez, mon cher ami, combien ce serait p?nible... convenez-en vous-m?me...
--Si j'en suis s?r, ? ciel! s'?cria le gentilhomme du prince: je gagerais ma t?te et ma part du Paradis que personne n'a vu mes traits et ne m'a appel? par mon nom.
--Eh bien, continua Gaston, se rasseyant sur son lit et prenant un air plus calme, et m?me o? brillait une l?g?re satisfaction, contez-moi donc un peu ce qui s'est pass?.
Fontrailles se chargea du r?cit, o?, comme l'on pense, le peuple jouait un grand r?le et les gens de MONSIEUR aucun; et, dans sa p?roraison, il ajouta, entrant dans les d?tails:--On a pu voir, de vos fen?tres m?mes, monseigneur, de respectables m?res de famille, pouss?es par le d?sespoir, jeter leurs enfants dans la Seine en maudissant Richelieu.
--Ah! c'est ?pouvantable! s'?cria le prince indign? ou feignant de l'?tre et de croire ? ces exc?s. Il est donc bien vrai qu'il est d?test? si g?n?ralement? mais il faut convenir qu'il le m?rite! Quoi! son ambition et son avarice ont r?duit l? ces bons habitants de Paris que j'aime tant!
--Oui, monseigneur, reprit l'orateur; et ici ce n'est pas Paris seulement, c'est la France enti?re qui vous supplie avec nous de vous d?cider ? la d?livrer de ce tyran; tout est pr?t; il ne faut qu'un signe de votre t?te auguste pour an?antir ce pygm?e, qui a tent? l'abaissement de la maison royale elle-m?me.
--H?las! Dieu m'est t?moin que je lui pardonne cette injure, reprit Gaston en levant les yeux; mais je ne puis entendre plus longtemps les cris du peuple; oui, j'irai ? son secours!...
--Ah! nous tombons ? vos genoux! s'?cria Montr?sor s'inclinant...
--C'est-?-dire, reprit le prince en reculant, autant que ma dignit? ne sera pas compromise et que l'on ne verra nulle part mon nom.
--Et c'est justement lui que nous voudrions! s'?cria Fontrailles, un peu plus ? son aise... Tenez, monseigneur, il y a d?j? quelques noms ? mettre ? la suite du v?tre, et qui ne craignent pas de s'inscrire, je vous les dirai sur-le-champ si vous voulez...
--Mais, mais, mais... dit le duc d'Orl?ans avec un peu d'effroi, savez-vous que c'est une conjuration que vous me proposez l? tout simplement?...
--Fi donc! fi donc! monseigneur, des gens d'honneur comme nous! une conjuration! ah! du tout! une ligue, tout au plus; un petit accord pour donner la direction au voeu unanime de la nation et de la cour: voil? tout!
--Mais... mais cela n'est pas clair, car enfin cette affaire ne serait ni g?n?rale ni publique: donc ce serait une conjuration; vous n'avoueriez pas que vous en ?tes?
--Moi, monseigneur? pardonnez-moi, ? toute la terre, puisque tout le royaume en est d?j?, et je suis du royaume. Eh! qui ne mettrait son nom apr?s celui de MM. de Bouillon et de Cinq-Mars?...
--Apr?s, peut-?tre, mais avant? dit Gaston en fixant ses regards sur Fontrailles, et plus finement qu'il ne s'y attendait.
Celui-ci sembla h?siter un moment...
--Eh bien, que ferait MONSIEUR, si je lui disais des noms apr?s lesquels il p?t mettre le sien?
--Ah! ah! voil? qui est plaisant, reprit le prince en riant; savez-vous qu'au-dessus du mien il n'y en a pas beaucoup? Je n'en vois qu'un.
--Enfin, s'il y en a un, monseigneur nous promet-il de signer celui de Gaston au-dessous?
--Ah! parbleu, de tout mon coeur, je ne risque rien, car je ne vois que le Roi, qui n'est s?rement pas de la partie.
--Eh bien, ? dater de ce moment, permettez, dit Montr?sor, que nous vous prenions au mot, et veuillez bien consentir ? pr?sent ? deux choses seulement: voir M. de Bouillon chez la Reine, et M. le grand ?cuyer chez le Roi.
--Tope! dit MONSIEUR gaiement et frappant l'?paule de Montr?sor, j'irai d?s aujourd'hui ? la toilette de ma belle-soeur, et je prierai mon fr?re de venir courre un cerf ? Chambord avec moi.
Les deux amis n'en demandaient pas plus, et furent surpris eux-m?mes de leur ouvrage; jamais ils n'avaient vu tant de r?solution ? leur chef. Aussi, de peur de le mettre sur une voie qui p?t le d?tourner de la route qu'il venait de prendre, ils se h?t?rent de jeter la conversation sur d'autres sujets, et se retir?rent charm?s, en laissant pour derniers mots dans son oreille qu'ils comptaient sur ses derni?res promesses.
L'ALCOVE
Les reines ont ?t? vues pleurant comme de simples femmes.
CHATEAUBRIAND.
Qu'il est doux d'?tre belle alors qu'on est aim?e.
DELPHINE GAY.
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