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Read Ebook: Dernières Années de la Cour de Lunéville Mme de Boufflers ses enfants et ses amis by Maugras Gaston

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Ebook has 1896 lines and 126265 words, and 38 pages

Stanislas ne cesse de donner ? tous les membres de cette heureuse famille des marques de sa bienveillance. En 1751, M. de Craon ayant eu des besoins d'argent, le Roi lui acheta son h?tel de Nancy pour 70,000 livres; tel ?tait du moins le prix port? sur le contrat; mais le prince re?ut de la main ? la main une somme suppl?mentaire de 60,000 livres.

Contrairement aux usages de l'?poque, la marquise n'a pas consenti ? se s?parer de ses enfants; elle les a gard?s pr?s d'elle et elle se montre excellente m?re, tr?s tendre, tr?s attentive. Bien qu'encore fort jeunes, ils commencent ? se montrer ? la Cour et on les voit peu ? peu figurer dans toutes les r?unions intimes. Stanislas, avec sa bont? ordinaire, leur fait grand accueil et les comble de cadeaux. La ga?t? et la gentillesse de la <>, surnom flatteur que les courtisans ont d?cern? ? Mlle de Boufflers, sont particuli?rement appr?ci?es.

Si le cr?dit de la favorite n'a pas diminu?, celui de son ancien ennemi, le P?re de Menoux, n'a pas subi non plus d'alt?ration, et il brille toujours du m?me ?clat.

Cependant la situation r?ciproque des deux adversaires a subi des modifications profondes. Apr?s bien des p?rip?ties, bien des luttes ?piques, le j?suite et la ma?tresse, se voyant impuissants ? s'?vincer l'un l'autre, ont fini par o? ils auraient d? commencer, par vivre ? peu pr?s d'accord, chacun se bornant ? sa sp?cialit? et restant jalousement cantonn? sur son terrain. Le j?suite, satisfait de conserver son influence, ne cherche plus ? en abuser et il ne pr?tend plus ? l'omnipotence; il ferme les yeux sur Mme de Boufflers, la laissant en paisible jouissance d'une situation acquise. La marquise, de son c?t?, toujours fine et habile, ?vite avec soin des querelles qui pourraient lui co?ter cher. A mesure que Stanislas vieillit, en effet, il montre un d?tachement de plus en plus marqu? pour les biens terrestres; par contre il para?t s'attacher davantage aux r?compenses futures. Le r?le du confesseur est donc devenu plus facile ? mesure que celui de la ma?tresse devient plus d?licat.

La vie de la Cour n'a pas chang?; dans la journ?e on chasse, on se prom?ne, on sort ? cheval ou en carrosse, on consacre des heures enti?res au trictrac, ? la com?te; la marquise peint ou joue de la harpe devant le Roi; on assiste ? des concerts, ? des repr?sentations dramatiques. Le soir on se r?unit, comme par le pass?, chez la favorite, on fait de la musique, des lectures attrayantes, on rime ? tort et ? travers, on se livre aux douceurs de la conversation, et les heures s'envolent. A dix heures, le Roi, immuable dans ses habitudes, se retire dans ses appartements.

Stanislas continue ? avoir une grande repr?sentation et les deux millions qu'il re?oit de la France y suffisent ? peine. Chaque mois M. de la Galaizi?re fait payer au tr?sorier du Roi, M. Alliot, 166,666 livres.

La d?pense mensuelle, y compris les gardes du corps, les cadets, les suisses, les appointements de toute la maison, la bouche, l'?curie, la musique, la v?nerie, les b?timents, les aum?nes, les pensions, en un mot toutes les d?penses ordinaires, s'?l?ve ? 140,000 livres.

Depuis la mort de la Reine, la bouche a consid?rablement augment?. La table, qui n'?tait autrefois que de seize couverts, est maintenant de vingt-cinq. Aussi la d?pense monte-t-elle, non compris le vin et le gibier, ? plus de 30,000 livres par mois.

Si Mme de Boufflers n'a presque pas chang? au physique, elle n'a pas davantage chang? au moral; son coeur est toujours aussi jeune, il ?prouve le m?me besoin d'aimer, et moins que jamais il peut s'accommoder de la solitude. Le vicomte d'Adh?mar, apr?s tant d'autres, a ?t? oubli?. La marquise s'est prise d'une belle passion pour le comte de Croix, un des plus brillants seigneurs de la Cour, aimable, spirituel et du meilleur ton; <>; pour le moment, c'est lui qui est l'heureux ?lu. Il semble m?me que son r?gne ait ?t? moins ?ph?m?re que celui de ses pr?d?cesseurs.

Mais l'amour dans le coeur de l'aimable femme ne fait pas de tort ? l'amiti?; elle est rest?e fid?le ? ses vieux amis: Panpan et l'abb? Porquet font plus que jamais partie de son petit cercle intime; pas de jour o? elle ne passe avec eux de longues heures.

Quant ? Saint-Lambert, il a fait comme Voltaire; apr?s la mort de Mme du Ch?telet, il a fui Lun?ville et il n'y revient plus qu'? d'assez rares intervalles. C'est ? Nancy qu'il a ?tabli sa r?sidence; mais comme il est plein de confiance en lui et que la Lorraine lui para?t un champ bien restreint pour ses m?rites, il se rend fr?quemment ? Paris, o? ses tristes aventures lui ont attir? plus de r?putation que ses meilleurs po?mes. Il est accueilli d'abord avec curiosit?, puis bient?t recherch? par toute la soci?t?. Nous l'y retrouverons dans quelques ann?es.

La marquise n'a pas renonc? ? ses go?ts litt?raires, elle <> et, comme autrefois, elle compose en se jouant, dans ses heures de loisir, des chansons qui ne manquent pas de m?rite. Mais combien diff?rentes des productions de sa jeunesse! Il semble qu'elle soit d?j? arriv?e ? l'heure du d?senchantement, et que, l'?ge aidant, elle commence ? mieux comprendre la vanit? des choses de ce monde. La mort de sa meilleure amie a ?t? pour elle un grand enseignement, elle en a gard? au coeur une tristesse qu'elle ne peut surmonter. Malgr? elle, elle revoit sans cesse ces heures lugubres du mois de septembre 1749. Tout ce qui coule de sa plume subit maintenant l'influence de ce changement d'id?es et ses po?sies fugitives, autrefois si mordantes et si gaies, sont agr?ment?es d'une pointe de philosophie morose qui, loin de les priver de leur charme, leur donne une incontestable saveur.

Elle se laisse aller sans cesse ? de m?lancoliques r?flexions. N'?crit-elle pas un jour cette chanson d?sabus?e:

CHANSON

L'homme est n? pour la tristesse, Son ?tat est la douleur. Esclaves de la faiblesse, Tyrannis?s par l'erreur, Nous nous ?garons sans cesse Pour arriver au malheur.

La vanit? de la vie et des biens de ce monde est devenue le th?me ordinaire de ses m?ditations. C'est une pens?e d?sesp?rante qui la hante et qu'on retrouve ? chaque instant sous sa plume:

CHANSON

Pour un instant, On sort du n?ant, Et d?s qu'on vit, on est las de vivre; On hait son sort Et l'on craint la mort Sans estimer la vie.

Dieu tout-puissant, Qu'on dit bienfaisant, Tous les mortels pleurent de vos pr?sents; Et soit qu'ils meurent Ou qu'ils demeurent Tous sont m?contents.

Rien n'est un bien, Le pass? n'est rien, Et le pr?sent passe comme un songe; De l'avenir Ne crois pas jouir, L'espoir est un mensonge.

Panpan, lui non plus, n'a pas renonc? au culte des muses, mais quand il rime, c'est toujours en l'honneur de la divine marquise. Chaque ann?e il compose pour sa f?te un bouquet qu'il vient lui d?biter en grande c?r?monie. En 1750, il ?crit pour elle ce couplet:

C'est votre f?te, Th?mire. Pourquoi cet air glacial? Tout reconna?t votre empire, L'amour m?me est mon rival. Ce dieu, malgr? cette mine Dont sont obscurcis vos traits, Ce dieu qui vous examine Applaudit ? vos attraits.

Il arrive, ? tire d'ailes, Ch?mer ce jour avec nous; Il rit, vous voyant si belle, Son triomphe en est plus doux. Sur nous sa victoire est s?re. Il vous donne, au lieu de fleurs, De sa m?re la ceinture, Son carquois et tous les coeurs.

Le cher abb? Porquet, toujours jeune et s?millant, n'entend pas ?tre en reste de galanterie: lui aussi consacre ses loisirs ? d?cocher d'aimables flatteries ? la m?re de son ?l?ve:

D'?gl? sur tous les coeurs si l'empire s'?tend, Dit un jour la reine de Gnide, C'est de moi seule qu'il d?pend; Qu'on la regarde et qu'on d?cide. C'est, r?pliqua Minerve, un effet de mes soins; Qu'on l'?coute et puis qu'on prononce. Du d?bat les Gr?ces t?moins Aux deux divinit?s firent cette r?ponse: D?esses, terminez des discours superflus; ?gl? vous doit beaucoup, mais nous doit encore plus; Tout ce qu'en sa faveur votre amour n'a pu faire, A vos bienfaits nous l'avons ajout?; Vous donnez, il est vrai, l'esprit et la beaut?, Mais c'est par nous que vos dons savent plaire.

Panpan et Porquet ne sont pas les seuls ? chanter la gr?ce souveraine et l'irr?sistible charme de Mme de Boufflers. La <> est l'unique et ?ternel sujet des po?tes de la cour.

L'un d'eux lui adresse ce songe:

Dans mon sommeil j'ai cru suivre les traces D'un jeune enfant aux rives de Paphos; Il m'a conduit dans le Temple des Gr?ces, Et sur l'Autel il a grav? ces mots:

<

?gl? ne veut ni briller ni s?duire Par son esprit, par toute sa ga?t?; Elle vous pla?t comme une autre respire; On n'aper?oit jamais sa vanit?.

Cessons, dit-il, ?gl? toujours nouvelle Est le sujet de mille heureux portraits; Il faut avoir presque autant d'esprit qu'elle, Pour d?finir tout ce qu'elle a d'attraits.>>

En 1750 le bruit se r?pand que la noble dame, sous l'influence des souvenirs qui l'oppressent, songe ? son salut, qu'elle parle de p?nitence, d'aust?rit?s; ce langage si nouveau bouleverse toute la Cour et M. de Luc? se fait l'interpr?te de l'?moi g?n?ral en la d?tournant d'un exc?s de z?le si f?cheux, et en la suppliant de <>. Chacun ne gagne-t-il pas le ciel ? sa mani?re, et celle qu'elle a adopt?e n'est-elle pas en somme la plus facile et la plus agr?able?

C'est le jour de la Sainte-Catherine que le galant Luc? d?pose aux pieds de la marquise ce bouquet, un peu vif assur?ment, mais d'un tour fort plaisant.

Votre patronne fut, dit-on, Vierge, philosophe et martyre; Croyez-le, et n'allez pas en rire, Baillet en est la caution. Elle eut ces vertus incroyables, Sublimes, inassociables, Qu'en ses ?lus jadis Dieu voulut r?unir, Afin d'avoir ? nous offrir Des mod?les inimitables. Ce m?me Dieu, pour nous punir De voir, de penser, de jouir Et d'oser ?tre raisonnables, Nous a priv?s de ces biens ineffables; Et ne nous a laiss? dans son juste courroux, Pour consoler notre mis?re, Que le don d'?tre heureux, et ce d?sir d'en faire Que nous adorons tous en vous. Depuis ce tems la saintet? Devint de jour en jour plus simple et plus facile; D'un ton, de jour en jour, on baissa l'Evangile, Pour l'ajuster ? la fragilit? De notre faible humanit?. Dans notre si?cle, enfin, il n'est plus de miracles, On n'entend plus tonner d'oracles, Et vous seule en rendez ? ce peuple d'amans Qui vient admirer, sur vos traces, L'esprit qui pare les talens, La beaut? qu'animent les gr?ces. Je sais que de cette fa?on Avec bien moins de gloire, et bien moins de renom, On arrive au c?leste d?me: Mais pourvu qu'on entre en Sion, Qu'importe que ce soit en suivant S. Platon, Le grand S. Bayle, ou l'ardent S. J?r?me? Tous ces chemins m?nent ? Rome. Puisque nous avons ? choisir Pour nous sauver, embrassons la m?thode La plus simple, la plus commode, La plus faite pour r?ussir. L'ambition insatiable, Dans le grand oeuvre du Salut, Trop souvent fait manquer le but, Et devient un exc?s coupable. On doit craindre de s'?garer Par un d?bordement de z?le: L'humble seul ne sauroit errer. Vous pensez, vous sentez, vous serez toujours belle; Irez-vous nuit et jour vous en d?sesp?rer? Non, non. Sentez, pensez, songez ? plaire: Mais vous plaisez sans y songer. Vivez donc, n'allez pas tristement vous plonger Dans les d?tails de l'?ternelle affaire, Dont le tr?s haut daigna charger Un ang?lique et prudent ?missaire, Qui sans vous saura l'arranger.

Comme ? l'ordinaire, la cour de Lun?ville ne manque pas de visiteurs; leur pr?sence charme le Roi, qui les accueille toujours avec grand plaisir.

La princesse de la Roche-sur-Yon, fid?le ? ses habitudes, arrive en Lorraine au mois de mai 1750 et elle partage son ?t? entre Plombi?res et Lun?ville. Stanislas, bien qu'il ne songe pas un instant ? donner suite aux ?tranges projets de sa fille, fait grand accueil ? la princesse, dont l'esprit et la ga?t? l'amusent; pour la distraire, il donne des d?ners, des spectacles, des feux d'artifice, et il cherche ? la retenir pr?s de lui le plus longtemps possible. Pendant son s?jour, M. et Mme de Craon, Mmes de Boufflers, de Bassompierre, de Chimay ne quittent pas le Roi et l'aident ? faire les honneurs du ch?teau.

Il y a quelques nouveaux venus en Lorraine, et notre esquisse de la cour ne serait pas compl?te si nous n'en faisions un portrait rapide.

D'abord l'?v?que de Troyes, Poncet de la Rivi?re. C'est un pr?lat galant et fort ambitieux. Persuad? que le meilleur moyen de gagner les bonnes gr?ces du Roi est de faire la cour ? Mme de Boufflers, il se d?clare aussit?t fort ?pris de la marquise; mais, ? sa grande surprise, ses avances sont repouss?es et il en est pour ses frais. Il porte alors ses hommages aux pieds d'autres dames de la cour, et il obtient par leur influence le poste de grand aum?nier du Roi de Pologne. Stanislas ?tait flatt?, dit Voltaire, d'avoir un ?v?que ? ses gages, et <>.

N? ? Paris en 1707, mort en 1780.

Nous avons vu que, lors de ses fr?quents voyages ? Versailles, Stanislas s'arr?tait toujours au ch?teau de Luzancy, chez un de ses vieux amis, un Hongrois, le comte de Bercheny, celui dont la faveur avait autrefois caus? tant de soucis ? Mme du Ch?telet. Mais les courts s?jours que le comte faisait en Lorraine ne suffisaient pas ? l'amiti? plus exigeante du Roi; ? partir de 1750, il fut d?cid? que M. de Bercheny viendrait habiter Lun?ville avec sa famille, c'est-?-dire ses six enfants, sa belle-soeur, et le fils d'un de ses parents, qu'il avait pour ainsi dire adopt?, le jeune Valentin Esterhazy. Toute cette nombreuse famille fut log?e dans un vaste appartement de l'aile droite du ch?teau, sur la cour d'honneur.

M. de Bercheny ?tait propri?taire de la terre de Luzancy, dont il restaura le ch?teau. Il ?tait venu en France ? la suite de la d?faite de Rakoczy et il avait offert son r?giment de hussards au Roi, qui le combla d'honneurs. En 1744, il fut nomm? lieutenant-g?n?ral.

Il en avait eu seize.

M. de Bercheny ?tait un parfait honn?te homme de l'ancien temps, mais il n'aimait pas le monde et ?tait de formes peu polic?es. Il se levait de bonne heure, faisait de longues pri?res, fumait deux pipes et prenait deux tasses de caf? ? l'eau, apr?s quoi il s'habillait et recevait ses enfants. Il passait ensuite dans son cabinet, ou il allait se promener, et d?nait ? midi. L'apr?s-d?ner, si ses occupations ne le r?clamaient pas, il restait dans le salon et faisait une partie. A huit heures il soupait, fumait sa pipe et, ses pri?res dites, allait se coucher. Il ?tait du reste bon, sensible, bienfaisant; il aimait et respectait sa femme et adorait ses enfants.

La comtesse ?tait une fille de rien, assez belle et bien faite; elle poss?dait une jolie voix, peu d'esprit, un mauvais ton; bonne femme au fond, mais d'humeur fantasque et menant son mari avec l'apparence de la soumission... elle ?tait personnelle et avare. Elle tenait les cordons de la bourse. A la fin de sa vie elle n'?tait jamais de sang-froid en sortant de table.

La soeur de Mme de Bercheny, Mlle de Wiett, ?tait une brave paysanne alsacienne, sans mani?res et d'une d?testable ?ducation. Elle avait toujours ?t? galante, d'abord dans l'espoir de se faire ?pouser, ensuite par habitude.

Ce tableau de famille ne serait pas complet si nous ne disions quelques mots du pr?cepteur des enfants, l'abb? Leconte, digne ?mule de l'abb? Porquet, avec lequel il se lia du reste tr?s rapidement.

<>

Il n'avait pas plus de moeurs que les abb?s de son temps, car un jour ses ?l?ves, gr?ce ? une porte mal ferm?e, le virent donner ? Mlle de Wiett une le?on de physique exp?rimentale qui les int?ressa beaucoup mais leur parut fort surprenante.

Pour le r?compenser de si bons soins, M. de Bercheny obtint pour lui de Stanislas le prieur? d'H?rival.

On peut croire que la famille de Bercheny, telle que nous venons de la d?peindre, n'obtint pas grand succ?s ? la cour de Lorraine, ?l?gante et lettr?e. Si les moeurs simples et la bonhomie du comte trouv?rent gr?ce devant Mme de Boufflers, il n'en fut pas de m?me des mani?res ridicules de Mme de Bercheny et de sa soeur; on ne leur ?pargna ni les moqueries cruelles, ni les sarcasmes, si bien qu'elles s'isol?rent rapidement dans leur demeure et ne firent bient?t plus ? la cour que les apparitions indispensables.

CHAPITRE II

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