bell notificationshomepageloginedit profileclubsdmBox

Read Ebook: La vie simple by Wagner Charles

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

Ebook has 277 lines and 47113 words, and 6 pages

De tout cela, il est r?sult? ? travers les diff?rentes couches sociales, et selon les conditions, avec une intensit? variable, une agitation g?n?rale, un ?tat d'esprit tr?s complexe qui ne saurait mieux se comparer qu'? l'humeur des enfants g?t?s ? la fois combl?s et m?contents.

Si nous ne sommes pas devenus plus heureux, nous ne sommes pas devenus plus pacifiques et plus fraternels. Les enfants g?t?s se disputent souvent et avec acharnement. Plus l'homme a de besoins et de d?sirs, plus il a d'occasions de conflit avec ses semblables, et ces conflits sont d'autant plus haineux que les causes en sont moins justes. Que l'on se batte pour le pain, le n?cessaire, c'est la loi naturelle. Elle peut sembler brutale, mais il y a une excuse dans sa duret? m?me, et en g?n?ral elle se borne aux cruaut?s rudimentaires. Tout autre est la bataille pour le superflu, pour l'ambition, pour le privil?ge, pour le caprice, pour la jouissance mat?rielle. Jamais la faim n'a fait commettre ? l'homme les bassesses que lui font commettre l'ambition, l'avarice, la soif des plaisirs malsains. L'?go?sme devient plus malfaisant ? mesure qu'il se raffine. Nous avons donc assist? de ce temps ? une aggravation de l'esprit d'hostilit? entre semblables, et nos coeurs sont moins apais?s que jamais.

Est-il utile de se demander apr?s cela si nous sommes devenus meilleurs? Le nerf du bien n'est-il pas dans la capacit? de l'homme d'aimer quelque chose en dehors de lui-m?me? Et quelle place reste-t-il pour le prochain dans une vie sacrifi?e aux pr?occupations mat?rielles, aux besoins en majorit? factices, ? la satisfaction des ambitions, des rancunes et des fantaisies? L'homme qui se met tout entier au service de ses app?tits, les fait si bien grandir et multiplier qu'ils deviennent plus forts que lui. Une fois qu'il est leur esclave, il perd le sens moral et l'?nergie, et il devient incapable de distinguer le bien et de le pratiquer. Il est livr? ? l'anarchie int?rieure des d?sirs dont na?t ? la longue l'anarchie ext?rieure. La vie morale consiste dans le gouvernement de soi-m?me, l'immoralit? consiste dans le gouvernement de nous-m?mes par nos besoins et nos passions. Ainsi peu ? peu les bases de la vie morale se d?placent et la r?gle du jugement d?vie.

Pour un homme esclave de besoins nombreux et exigeants, poss?der est le bien par excellence, source de tous les autres biens. Il est vrai que, dans la concurrence acharn?e pour la possession, on en arrive ? ha?r ceux qui poss?dent, et ? nier le droit de propri?t? lorsque ce droit est entre les mains d'autrui et non entre les n?tres. Mais l'acharnement ? attaquer ce que poss?de autrui, est une preuve nouvelle de l'importance extraordinaire que nous attachons ? poss?der. Les choses et les hommes finissent par ?tre estim?s ? leur valeur v?nale et selon le profit qu'on en peut tirer. Tout ce qui ne rapporte rien ne vaut rien, et quiconque ne poss?de rien n'est rien. La pauvret? honn?te risque fort de passer pour une honte, et l'argent, m?me malpropre, n'a pas trop de difficult? ? compter pour du m?rite...--Alors, nous objectera-t-on, vous condamnez le progr?s moderne en bloc et vous voudriez nous ramener au bon vieux temps, ? l'ac?tisme peut-?tre?--Pas le moins du monde. C'est la plus st?rile et la plus dangereuse des utopies que de vouloir ressusciter le pass?, et l'art de bien vivre ne consiste pas ? se retirer de la vie. Mais nous cherchons ? mettre en lumi?re, afin de lui trouver un rem?de, une des erreurs qui p?sent le plus lourdement sur le progr?s social, ? savoir que l'homme devient plus heureux et meilleur par l'augmentation du bien-?tre ext?rieur. Rien n'est plus faux que ce pr?tendu axiome social. Au contraire, la diminution de la capacit? d'?tre heureux et l'avilissement des caract?res par le bien-?tre mat?riel sans contrepoids, est un fait que mille exemples sont l? pour ?tablir. Une civilisation vaut ce que vaut l'homme install? ? son centre. Quand cet homme manque de direction morale, tout progr?s n'aboutit qu'? empirer le mal et ? embrouiller davantage les probl?mes sociaux.

Ce principe peut se v?rifier dans d'autres domaines que celui du bien-?tre. Ne mentionnons que ceux de l'instruction et de la libert?. On se rappelle le temps o? des proph?tes ?cout?s annon?aient que, pour transformer la terre mauvaise en un s?jour des dieux, il suffisait d'abattre ces trois vieilles puissances coalis?es: la mis?re, l'ignorance et la tyrannie. D'autres proph?tes reprennent aujourd'hui les m?mes pr?dictions. Nous venons de voir que l'?vidente diminution de la mis?re n'a rendu l'homme ni meilleur ni plus heureux. Ce r?sultat a-t-il ?t? atteint dans une certaine mesure par le soin louable apport? ? l'instruction? Il n'y para?t pas ? l'heure pr?sente, et c'est bien l? le souci, l'angoisse de ceux qui se consacrent ? l'?ducation nationale.--Alors il faut ab?tir le peuple, supprimer l'instruction universelle, fermer les ?coles. Nullement: mais l'instruction, de m?me que l'ensemble des engins de notre civilisation, n'est apr?s tout qu'un outillage. Tout d?pend de l'ouvrier qui s'en sert.

De m?me pour la libert?: elle est funeste ou salutaire suivant l'emploi qu'on en fait. Reste-t-elle la libert? lorsqu'elle appartient aux malfaiteurs ou m?me ? l'homme brouillon, capricieux, irrespectueux? La libert? est une atmosph?re de vie sup?rieure qu'on devient capable de respirer par une lente et patiente transformation int?rieure.

Il faut une loi ? toute vie, ? celle de l'homme bien plus encore qu'? celle des ?tres inf?rieurs, car la vie de l'homme et des soci?t?s est plus pr?cieuse et plus d?licate que celle des plantes et des animaux. Cette loi pour l'homme est d'abord ext?rieure, mais elle peut devenir int?rieure. Aussit?t que l'homme a reconnu la loi int?rieure et s'est inclin? devant elle, il est m?r pour la libert?, par le respect et l'ob?issance volontaire. Tant qu'il n'a pas de loi int?rieure forte et souveraine, il est incapable de respirer l'air de la libert?. Cet air le grise, l'affole, le tue moralement. Un homme qui se dirige selon la loi int?rieure, ne peut pas plus vivre sous celle de l'autorit? ext?rieure, qu'un oiseau adulte ne peut vivre enferm? dans la coquille de l'oeuf; mais un homme qui n'a pas encore atteint le point moral o? il se gouverne lui-m?me, ne peut pas plus vivre sous le r?gime de la libert? qu'un embryon d'oiseau priv? de la coquille protectrice. Ces choses sont terriblement simples, et la s?rie de leurs preuves anciennes et nouvelles ne cesse de s'accro?tre sous nos yeux. Et pourtant nous en sommes toujours encore ? m?conna?tre les ?l?ments m?mes d'une loi si importante. Dans notre d?mocratie, combien sont-ils, grands et petits, qui ont compris, pour l'avoir v?rifi?e, v?cue et quelquefois subie, cette v?rit? sans laquelle un peuple est incapable de se gouverner lui-m?me? La libert? c'est le respect; la libert?, c'est l'ob?issance ? la loi int?rieure, et cette loi n'est ni le bon plaisir des puissants, ni le caprice des foules, mais la r?gle impersonnelle et sup?rieure devant laquelle ceux qui commandent courbent la t?te les premiers. Dirons-nous alors qu'il faut supprimer la libert?? Non, mais il faut nous en rendre capables et dignes, autrement la vie publique devient impossible, et une nation s'achemine, ? travers la licence et le manque de discipline, aux inextricables complications de la d?magogie.

Il faut d?gager, lib?rer, remettre en honneur la vraie vie, placer toute chose ? son rang et se souvenir que le centre du progr?s humain est dans la culture morale. Qu'est-ce qu'une bonne lampe? Ce n'est pas la plus orn?e, la mieux cisel?e, celle qui est faite du m?tal le plus pr?cieux. Une bonne lampe est une lampe qui ?claire bien. Et de m?me on est un homme et un citoyen, ni par le nombre des biens et des plaisirs qu'on s'accorde, ni par la culture intellectuelle et artistique, ni par les honneurs ou l'ind?pendance dont on jouit, mais par la solidit? de sa fibre morale. Et ceci apr?s tout n'est pas une v?rit? d'aujourd'hui, mais une v?rit? de tous les temps.

? aucune ?poque, les conditions ext?rieures qu'il avait r?alis?es par son industrie ou son savoir, n'ont pu dispenser l'homme de se soucier de l'?tat de sa vie int?rieure. La figure du monde change autour de nous, les facteurs intellectuels et mat?riels de l'existence se modifient. Nul ne peut s'opposer ? ce changement dont le caract?re brusque ne laisse pas d'?tre parfois p?rilleux. Mais la grande affaire est que, au sein des circonstances modifi?es, l'homme demeure un homme, vive sa vie marche vers son but. Or quelle que soit la route ? parcourir, pour marcher vers son but, il faut que le voyageur ne se perde pas dans les chemins de traverse et ne s'embarrasse pas de fardeaux inutiles. Qu'il veille sur sa direction, sur ses forces, sur son honneur et que pour mieux se consacrer ? l'essentiel qui est de progresser, il simplifie son bagage, f?t-ce m?me au prix de quelques sacrifices.

L'esprit de simplicit?.

Une fois saisi par la beaut? et la grandeur de la vie vraie, par ce qu'il y a de saint et de touchant dans cette lutte de l'humanit? pour la v?rit?, pour la justice, pour la bont?, il en garde au coeur la fascination. Et tout vient se subordonner naturellement ? cette pr?occupation puissante et persistante. La hi?rarchie n?cessaire des pouvoirs et des forces s'organise en lui. L'essentiel commande, l'accessoire ob?it, et l'ordre na?t de la simplicit?. On peut comparer le m?canisme de la vie int?rieure ? celui d'une arm?e. Une arm?e est forte par la discipline, et la discipline consiste dans le respect de l'inf?rieur pour le sup?rieur, et dans la concentration de toutes les ?nergies vers un m?me but. Aussit?t que la discipline se rel?che, l'arm?e souffre. Il ne faut pas que le caporal commande au g?n?ral. Examinez avec soin votre vie et celle des autres, celle de la soci?t?. Chaque fois que quelque chose cloche ou grince et qu'il na?t des complications ou du d?sordre, c'est parce que le caporal a command? au g?n?ral. L? o? la loi de simplicit? p?n?tre dans les coeurs le d?sordre dispara?t.

La pens?e simple.

Ce n'est pas notre vie seulement dans ses manifestations pratiques, mais aussi le domaine de nos id?es qui a besoin d'?tre d?blay?. L'anarchie r?gne dans la pens?e humaine; nous marchons en pleines broussailles, perdus dans le d?tail infini, sans orientation et sans direction.

D?s que l'homme a reconnu qu'il a son but, que ce but est d'?tre un homme, il organise sa pens?e en cons?quence. Toute fa?on de penser, de comprendre ou de juger qui ne le rend pas meilleur et plus fort, il la rejette comme malsaine.

Et tout d'abord, il fuit le travers trop commun qui consiste ? s'amuser de sa pens?e. La pens?e est un outil s?rieux qui a sa fonction dans l'ensemble: ce n'est pas un joujou. Prenons un exemple: voici un atelier de peintre. Les outils sont ? leur place. Tout indique que cet ensemble de moyens est dispos? en vue d'un but ? atteindre. Ouvrez la porte ? des singes. Ils grimperont sur les ?tablis, se suspendront aux cordes, se draperont dans les ?toffes, se coifferont avec des pantoufles, jongleront avec les pinceaux, go?teront aux couleurs, et perceront les toiles pour voir ce que les portraits ont dans le ventre. Je ne doute pas de leur plaisir, il est certain qu'ils doivent trouver ce genre d'exercice fort int?ressant. Mais un atelier n'est pas fait pour y l?cher des singes. De m?me la pens?e n'est pas un terrain d'?volutions acrobatiques. Un homme digne de ce nom pense comme il est et comme il aime; il y va de tout son coeur et non avec cette curiosit? d?tach?e et st?rile qui, sous pr?texte de tout voir et tout conna?tre, s'expose ? ne jamais ?prouver une saine et profonde ?motion et ? ne jamais produire un acte v?ritable.

Une autre habitude dont il est urgent de se corriger, acolyte ordinaire de la vie factice, c'est la manie de s'examiner et de s'analyser ? tout propos. Je n'engage pas l'homme ? se d?sint?resser de l'observation int?rieure et de l'examen de conscience. Essayer d'y voir clair dans son esprit et dans ses motifs de conduite est un ?l?ment essentiel de la bonne vie. Mais autre chose est la vigilance, autre chose cette application incessante ? se regarder vivre et penser, ? se d?monter soi-m?me comme une m?canique. C'est perdre son temps et se d?traquer. L'homme qui, pour se mieux pr?parer ? la marche, voudrait d'abord se livrer ? un minutieux examen anatomique de ses moyens de locomotion risquerait de se disloquer avant d'avoir fait un seul pas. <> Les chercheurs de petites b?tes et les marchands de scrupules se r?duisent ? l'inaction. Il suffit d'une lueur de bon sens pour se rendre compte que l'homme n'est pas fait pour se regarder le nombril.

Le bon sens, ne trouvez-vous pas que ce qu'on d?signe par ce mot se fait aussi rare que les bonnes coutumes d'autrefois? Le bon sens c'est vieux jeu. Il faut autre chose; et l'on cherche midi ? quatorze heures. Car c'est l? un raffinement que le vulgaire ne saurait se payer, et il est si agr?able de se distinguer! Au lieu de se comporter comme une personne naturelle qui se sert des moyens tout indiqu?s dont elle dispose, nous arrivons ? force de g?nie aux plus ?tonnantes singularit?s. Plut?t d?railler que de suivre la ligne simple! Toutes les d?viations et toutes les difformit?s corporelles que soigne l'orthop?die, ne donnent qu'une faible id?e des bosses, des torsions, des d?hanchements, que nous nous sommes inflig?s pour sortir du droit bon sens. Et nous apprenons ? nos d?pens qu'on ne se d?forme pas impun?ment. La nouveaut? apr?s tout est ?ph?m?re. Il n'y a de durable que les immortelles banalit?s et si l'on s'en ?carte c'est pour courir les plus p?rilleuses aventures. Heureux celui qui en revient, qui sait redevenir simple. Le simple bon sens n'est pas, comme plusieurs peuvent se l'imaginer, la propri?t? inn?e du premier venu, bagage vulgaire et trivial qui n'a co?t? de peine ? personne. Je le compare ? ces vieilles chansons populaires, anonymes et imp?rissables, qui semblent ?tre sorties du coeur m?me des foules. Le bon sens est le capital lentement et p?niblement accumul? par le labeur des si?cles. C'est un pur tr?sor, dont celui-l? seul comprend la valeur, qui l'a perdu ou qui voit vivre les gens qui n'en ont plus. Pour ma part je pense qu'aucune peine n'est trop grande pour acqu?rir et garder le bon sens, pour maintenir ses yeux clairvoyants, son jugement droit. On prend bien garde ? son ?p?e, de peur de la fausser ou de la laisser ronger par la rouille. ? plus forte raison faut-il prendre soin de sa pens?e.

Est malsain tout syst?me de pens?e qui s'attaque au fait m?me de la vie, pour le d?clarer mauvais. On a trop de fois mal pens? de la vie en ce si?cle. Quoi d'?tonnant que l'arbre se fl?trisse quand vous en arrosez les racines de substances corrosives? Il y aurait cependant une bien simple r?flexion ? opposer ? toute cette philosophie de n?ant: vous d?clarez la vie mauvaise? Bon. Quel rem?de allez-vous nous offrir contre elle? Pouvez-vous la combattre, la supprimer? Je ne vous demande pas de supprimer votre vie, de vous suicider, ? quoi cela nous avancerait-il? mais de supprimer la vie, non seulement la vie humaine, mais sa base obscure et inf?rieure, toute cette pouss?e d'existence qui monte vers la lumi?re et selon vous se rue vers le malheur; je vous demande de supprimer la volont? de vivre qui tressaille ? travers l'immensit?, de supprimer enfin la source de la vie. Le pouvez-vous? Non. Alors laissez-nous en paix. Puisque personne ne peut mettre un frein ? la vie, ne vaut-il pas mieux apprendre ? l'estimer et ? l'employer qu'en d?go?ter les gens?--Quand on sait qu'un mets est dangereux pour la sant?, on n'en mange pas. Et quand une certaine fa?on de penser nous ?te la confiance, la joie et la force, il faut la rejeter, certains que non seulement elle est une nourriture d?testable pour l'esprit, mais qu'elle est fausse. Il n'y a de vrai pour les hommes que les pens?es humaines, et le pessimisme est inhumain. D'ailleurs il manque autant de modestie que de logique. Pour se permettre de trouver mauvaise cette chose prodigieuse qui se nomme la vie il faudrait en avoir vu le fond, et presque l'avoir faite. Quelle singuli?re attitude que celle de certains grands penseurs de ce temps! En v?rit?, ils se comportent comme s'ils avaient cr?? le monde dans leur jeunesse, il y a de cela tr?s longtemps; mais ils en sont bien revenus et d?cid?ment c'?tait une faute.

Nourrissons-nous d'autres mets, fortifions nos ?mes par des pens?es r?confortantes. Pour l'homme, ce qu'il y a de plus vrai c'est ce qui le fortifie le mieux.

Si l'humanit? vit de confiance, elle vit aussi d'esp?rance. L'esp?rance est cette forme de la confiance qui se tourne vers l'avenir. Toute vie est un r?sultat et une aspiration. Tout ce qui est, suppose un point de d?part et tend vers un point d'arriv?e. Vivre c'est devenir, devenir c'est aspirer. L'immense devenir c'est l'esp?rance infinie. Il y de l'esp?rance au fond des choses et il faut que cette esp?rance se refl?te dans le coeur de l'homme. Sans esp?rance pas de vie. La m?me puissance qui nous fait ?tre, nous incite ? monter plus haut. Quel est le sens de cet instinct tenace qui nous pousse ? progresser? Le sens vrai c'est qu'il doit r?sulter quelque chose de la vie, qu'il s'y ?labore un bien, plus grand qu'elle-m?me, vers lequel elle se meut lentement, et que ce douloureux semeur qui s'appelle l'homme a besoin, comme tout semeur, de compter sur le lendemain. L'histoire de l'humanit? est celle de l'invincible esp?rance. Autrement il y a longtemps que tout serait fini. Pour marcher sous ses fardeaux, pour se guider dans la nuit, pour se relever de ses chutes et de ses ruines, pour ne point s'abandonner dans la mort m?me, l'humanit? a eu besoin d'esp?rer toujours et quelquefois contre tout espoir. Voil? le cordial qui la soutient. Si nous n'avions que la logique nous aurions depuis longtemps tir? cette conclusion: Le dernier mot est partout ? la mort; et nous serions morts de cette pens?e. Mais nous avons l'esp?rance, et c'est pour cela que nous vivons et que nous croyons ? la vie.

Suso, le grand moine mystique, un des hommes les plus simples et les meilleurs qui aient jamais v?cu, avait une habitude touchante: chaque fois qu'il rencontrait une femme, la plus pauvre et la plus vieille, il s'?cartait respectueusement de son chemin, d?t-il pour cela se mettre les pieds dans les ?pines ou dans une orni?re boueuse. <> Rendons ? l'esp?rance un hommage semblable: quand nous la rencontrons sous la forme du brin de bl? qui perce le sillon, de l'oiseau qui couve et nourrit sa nich?e, d'une pauvre b?te bless?e qui se ramasse, se rel?ve et continue son chemin, d'un paysan qui laboure et ensemence un champ ravag? par l'inondation ou la gr?le, d'une nation qui lentement r?pare ses pertes et panse ses blessures, sous n'importe quel ext?rieur humble et souffreteux, saluons-la! Quand nous la rencontrons dans les l?gendes, dans les chants na?fs, dans les simples croyances, saluons-la encore! car c'est la m?me toujours, l'indestructible, la fille immortelle de Dieu.

Une autre source de lumi?re sur le chemin de l'humanit? est la bont?. Je ne suis pas de ceux qui croient ? la perfection naturelle de l'homme et enseignent que la soci?t? le corrompt. De toutes les formes du mal celle qui m'effraie le plus est au contraire la forme h?r?ditaire. Mais je me suis parfois demand? comment il se fait que ce vieux virus empoisonn? des instincts vils, des vices inocul?s dans le sang, tout l'amas des servitudes que nous l?gue le pass?, n'ait pas eu raison de nous. C'est sans doute qu'il y a autre chose. Cette autre chose est la bont?.

C'est parce que ses ennemis sont chose d'en bas et que la bont? est chose d'en haut. Les cornes, les dents, les griffes, les yeux pleins d'un feu meurtrier, ne peuvent rien contre l'aile rapide qui s'?lance vers les hauteurs et leur ?chappe. Ainsi la bont? se d?robe aux entreprises de ses ennemis. Elle fait mieux encore, elle a connu quelquefois ce beau triomphe de gagner ses pers?cuteurs: elle a vu les fauves se calmer, se coucher ? ses pieds, ob?ir ? sa loi.

Je ne veux d?courager personne des hautes sp?culations, ni dissuader qui que ce soit de se pencher sur les probl?mes de l'inconnu, sur les vastes ab?mes de la philosophie ou de la science. Mais il faudra toujours revenir, de ces lointains voyages, vers le point o? nous sommes, et souvent m?me ? la place o? nous pi?tinons sans r?sultat apparent. Il est des conditions de vie et des complications sociales o? le savant, le penseur et l'ignorant ne voient pas plus clair les uns que les autres. L'?poque pr?sente nous a souvent mis en face de ce genre de situations, et je garantis ? celui qui voudra suivre notre m?thode, qu'il reconna?tra bient?t qu'elle a du bon.

Comme j'ai, en tout ceci, c?toy? le terrain religieux, dans ce qu'il a de g?n?ral du moins, on me demandera peut-?tre de dire en quelques mots simples quelle est la meilleure religion, et je m'empresse de m'expliquer sur ce sujet. Mais peut-?tre ne faudrait-il pas poser la question comme on le fait d'ordinaire, en demandant quelle est la meilleure religion? Les religions ont sans doute certains caract?res pr?cis, et des qualit?s ou des d?fauts qui sont inh?rents ? chacune. On peut donc ? la rigueur les comparer entre elles; mais ? cette comparaison se m?lent toujours des partis pris ou des partialit?s involontaires. Il vaut mieux poser la question autrement et demander: Ma religion est-elle bonne et ? quoi puis-je reconna?tre qu'elle est bonne? ? cette question voici la r?ponse: Votre religion est bonne si elle est vivante et agissante; si elle nourrit en vous le sentiment de la valeur infinie de l'existence, la confiance, l'espoir et la bont?; et elle est l'alli?e de la meilleure partie de vous-m?me contre la plus mauvaise, et vous fait appara?tre sans cesse la n?cessit? de devenir un homme nouveau; si elle vous fait comprendre que la douleur est une lib?ratrice; si elle augmente en vous le respect de la conscience des autres; si elle vous rend le pardon plus facile, le bonheur moins orgueilleux, le devoir plus cher, l'au-del? moins obscur. Si oui, votre religion est bonne, peu importe son nom. Quelque rudimentaire qu'elle soit, quand elle remplit cet office, elle proc?de de la source authentique, elle vous lie aux hommes et ? Dieu.

Mais vous servirait-elle par hasard ? vous croire meilleur que les autres, ? ergoter sur des textes, ? renfrogner votre figure, ? dominer sur la conscience d'autrui ou ? livrer la v?tre ? l'esclavage, ? endormir vos scrupules, ? pratiquer un culte par mode et par int?r?t, ou ? faire le bien par calcul d'outre-tombe, oh alors! que vous vous r?clamiez de Bouddha, de Mo?se, de Mahomet ou du Christ m?me, votre religion ne vaut rien, elle vous s?pare des hommes et de Dieu.

Je n'ai peut-?tre pas un pouvoir suffisant pour parler ainsi; mais d'autres l'ont fait avant moi, qui sont plus grands que moi, notamment celui qui raconta au scribe faiseur de questions, la parabole du bon Samaritain. Je me retranche derri?re son autorit?.

La parole simple

Et ce n'est pas l'homme du peuple seulement qui est dans l'embarras, ce sont les gens cultiv?s, c'est presque tout le monde. En politique, en finance, en affaires, m?me dans la science, les arts, la litt?rature et la religion, il y a partout des dessous, des trucs, des ficelles. Il y a une v?rit? d'exportation et une autre pour les initi?s. Il s'ensuit que tous sont tromp?s, car on a beau ?tre d'une cuisine, on n'est jamais de toutes, et ceux-l? m?mes qui trompent les autres avec le plus d'habilet? sont tromp?s ? leur tour, lorsqu'ils ont besoin de compter sur la sinc?rit? d'autrui.

On voit ? quel point il est urgent que chacun se surveille, garde sa langue, ch?tie sa plume et aspire ? la simplicit?. Point de sens d?tourn?s, point tant de circonlocutions, point tant de r?ticences, de tergiversations! Cela ne sert qu'? tout embrouiller. Soyez des hommes, ayez une parole. Une heure de sinc?rit? fait plus pour le salut du monde que des ann?es de roueries.

Un mot maintenant sur un travers national et qui s'adresse ? ceux qui ont la superstition de la parole et des d?monstrations du style. Sans doute, il ne faut pas en vouloir aux personnes qui go?tent une parole ?l?gante, ou une lecture d?licate. Je suis d'avis qu'on ne peut jamais trop bien dire ce que l'on a ? dire. Mais il ne s'ensuit pas que les choses les mieux dites et les mieux ?crites soient celles qui sont les plus appr?t?es. La parole doit servir le fait et non se substituer ? lui et le faire oublier ? force de l'orner. Les plus grandes choses sont aussi celles qui gagnent le plus ? ?tre dites avec simplicit?, parce qu'alors elles se montrent telles qu'elles sont: vous ne jetez pas sur elles le voile m?me transparent d'un beau discours, ni cette ombre si fatale ? la v?rit?, qu'on appelle la vanit? d'un ?crivain et d'un orateur. Rien n'est fort, rien n'est persuasif comme la simplicit?. Il y a des ?motions sacr?es, de cruelles douleurs, de grands d?vouements, des enthousiasmes passionn?s, qu'un regard, un geste, un cri traduisent mieux que les plus belles p?riodes. Ce que l'humanit? poss?de de plus pr?cieux dans son coeur, se manifeste le plus simplement. Pour persuader il faut ?tre vrai et certaines v?rit?s se comprennent mieux si elles sortent de l?vres simples, infirmes m?me, que si elles tombent des bouches trop exerc?es, ou sont proclam?es ? la force des poumons. Ces r?gles-l? sont bonnes pour chacun dans la vie de tous les jours. Personne ne peut s'imaginer quel profit il retirerait pour sa vie morale, de la constante observation de ce principe: ?tre vrai, sobre, simple dans l'expression de ses sentiments et de ses convictions, en particulier comme en public, ne jamais d?passer la mesure, traduire fid?lement ce qui est en nous, et surtout nous souvenir. C'est l? le principal.

Car le danger des belles paroles est qu'elles vivent d'une vie propre. Ce sont des serviteurs distingu?s qui ont gard? leurs titres et ne remplissent plus leurs fonctions, comme les cours royales nous en offrent l'exemple. Vous avez bien dit, vous avez bien ?crit: c'est bien, il suffit.

Combien y a-t-il de gens qui se sont content?s de parler et ont cru que cela les dispensait d'agir? Et ceux qui les ?coutent se contentent d'avoir entendu parler. Il se trouve ainsi qu'une vie peut bien ne se composer ? la longue, que de quelques discours bien tourn?s, de quelques beaux livres, de quelques belles pi?ces de th??tre. Quant ? pratiquer ce qui est si magistralement expos?, on n'y songe gu?re. Et si nous passons du domaine des gens de talent aux basses r?gions qu'exploitent les m?diocres: l?, dans le p?le-m?le obscur, nous verrons s'agiter tous ceux qui pensent que nous sommes sur la terre pour parler et entendre parler, l'immense et d?sesp?rante cohue des bavards, de tout ce qui braille, jase ou p?rore et apr?s cela trouve encore qu'on ne parle pas assez. Ils oublient tous que ceux qui font le moins de bruit font le plus de besogne. Une machine qui d?pense toute sa vapeur ? siffler n'en a plus pour faire marcher les roues. Cultivez donc le silence. Tout ce que vous retrancherez sur le bruit, vous le gagnerez en force.

Ces r?flexions nous am?nent ? nous occuper d'un sujet voisin, tr?s digne aussi d'attirer l'attention, je veux parler de ce qu'on pourrait nommer l'exag?ration du langage. Quand on ?tudie les populations d'une m?me contr?e, on remarque entre elles des diff?rences de temp?rament dont le langage porte les traces. Ici, la population est plut?t flegmatique et calme: elle emploie les diminutifs, les termes att?nu?s. Ailleurs, les temp?raments sont bien ?quilibr?s: on entend le mot juste, exactement adapt? ? la chose. Mais plus loin, effet du sol, de l'air, du vin peut-?tre, un sang chaud circule dans les veines: on a la t?te pr?s du bonnet et l'expression outr?e; les superlatifs ?maillent le langage et pour dire les plus simples choses on se sert du terme fort.

Si l'allure du langage varie selon les climats, elle diff?re aussi selon les ?poques. Comparez le langage ?crit ou parl? de ce temps ? celui de certaines autres p?riodes de notre histoire. Sous l'ancien r?gime on parlait autrement que sous la r?volution, et nous n'avons pas le m?me langage que les hommes de 1830, de 1848 ou du second empire. En g?n?ral le langage a une allure plus simple maintenant, nous n'avons plus de perruque, nous ne mettons plus pour ?crire des manchettes de dentelles; mais un signe nous diff?rencie de presque tous nos anc?tres, notre nervosit?, source de nos exag?rations.

Sur des syst?mes nerveux excit?s, quelque peu maladifs--et Dieu sait que d'avoir des nerfs n'est plus un privil?ge aristocratique--les paroles ne produisent pas la m?me impression que sur l'homme normal. Et inversement ? l'homme nerveux, le terme simple ne suffit pas, quand il cherche ? exprimer ce qu'il ressent. Dans la vie ordinaire, dans la vie publique, dans la litt?rature et au th??tre le langage calme et sobre a fait place ? un langage excessif. Les moyens que les romanciers et les com?diens ont employ?s pour galvaniser l'esprit public et forcer son attention, se retrouvent ? l'?tat rudimentaire dans nos plus ordinaires conversations, dans le style ?pistolaire, et surtout dans la pol?mique. Nos proc?d?s de langage sont ? ceux de l'homme pos? et calme ce qu'est notre ?criture, compar?e ? celle de nos p?res. On accuse les plumes de fer; si l'on pouvait dire vrai!

--Les oies nous sauveraient alors. Mais le mal est plus profond, il est en nous-m?mes. Nous avons des ?critures d'agit?s et de d?traqu?s; la plume de nos a?eux courait sur le papier plus s?re, plus repos?e. Ici nous sommes en face d'un des r?sultats de cette vie moderne si compliqu?e et qui fait une si terrible consommation d'?nergie. Elle nous laisse impatients, essouffl?s, en perp?tuelle tr?pidation. Notre ?criture comme notre langage s'en ressentent et nous trahissent. De l'effet remontons ? la source et comprenons l'avertissement qui nous est donn?. Que peut-il sortir de bon de cette habitude d'exag?rer son langage? Interpr?tes infid?les de nos propres impressions, nous ne pouvons que fausser par nos exag?rations l'esprit de nos semblables et le n?tre. Entre gens qui exag?rent on cesse de se comprendre. L'irritation des caract?res, les discussions violentes et st?riles, les jugements pr?cipit?s, d?pourvus de toute mesure, les plus graves exc?s dans l'?ducation et les rapports sociaux, voil? le r?sultat des intemp?rances de langage.

Et qu'il me soit permis, dans cet appel ? la parole simple, de formuler un voeu dont l'accomplissement aurait les suites les plus heureuses. Je demande une litt?rature simple, non seulement comme un des meilleurs rem?des ? nos ?mes blas?es, surmen?es, fatigu?es d'excentricit?s, mais aussi comme un gage et une source d'union sociale. Je demande aussi un art simple. Nos arts et notre litt?rature sont r?serv?s aux privil?gi?s de la fortune et de l'instruction. Mais que l'on me comprenne bien: je n'invite pas les po?tes, les romanciers, les peintres ? descendre des hauteurs pour marcher ? mi-c?te et se complaire dans la m?diocrit?, mais au contraire ? monter plus haut. Est populaire, non pas ce qui convient ? une certaine classe de la soci?t? qu'il est convenu d'appeler la classe populaire; est populaire ce qui est commun ? tous et ce qui les unit. Les sources de l'inspiration dont pourrait na?tre un art simple sont dans les profondeurs du coeur humain, dans les ?ternelles r?alit?s de la vie devant lesquelles tous sont ?gaux. Et les sources du langage populaire sont ? chercher dans le petit nombre des formes simples et fortes qui expriment les sentiments ?l?mentaires et les lignes ma?tresses de la destin?e humaine. C'est l? qu'est la v?rit?, la force, la grandeur, l'immortalit?. N'y aurait-il pas dans un id?al semblable de quoi enflammer les jeunes gens qui, sentant br?ler en eux la flamme sacr?e du beau, connaissent la piti? et pr?f?rent ? l'adage d?daigneux: <>, cette parole autrement humaine: <>.--Quant ? moi je n'ai aucune autorit? artistique, mais de la foule o? je vis j'ai le droit de pousser mon cri vers ceux qui ont re?u du talent et de leur dire: Travaillez pour ceux qu'on oublie. Faites-vous comprendre des humbles. Ainsi vous ferez une oeuvre d'affranchissement et de pacification; ainsi vous rouvrirez les sources o? puis?rent jadis ces ma?tres dont les cr?ations ont d?fi? les ?ges parce qu'ils surent donner pour v?tement au g?nie, la simplicit?.

Le devoir simple.

Quand on parle aux enfants d'un sujet qui les importune, ils vous montrent l?-haut sur les toits quelque pigeon qui donne ? manger ? son petit, ou l?-bas dans la rue quelque cocher qui maltraite son cheval. Quelquefois aussi, ils vous posent malicieusement une de ces grosses questions qui mettent l'esprit des parents ? la torture: tout cela pour d?tourner l'attention du sujet douloureux. Je crains que nous ne soyons de grands enfants en face du devoir et que, lorsqu'il s'agit de lui, nous ne cherchions plusieurs subterfuges pour nous distraire.

Le premier subterfuge consiste ? se demander s'il y a un devoir en g?n?ral, ou si ce mot ne couvre pas une des nombreuses illusions de nos anc?tres. Car enfin le devoir suppose la libert?, et la question de la libert? nous m?ne jusqu'aux r?gions m?taphysiques. Comment parler du devoir tant que ce grave probl?me du libre arbitre n'est pas r?solu?--Th?oriquement il n'y a rien ? objecter. Et si la vie ?tait une th?orie, si nous ?tions l? pour ?laborer un syst?me complet de l'univers, il serait absurde de nous occuper du devoir avant d'avoir d?montr? la libert?, fix? ses conditions, ses limites.

Mais la vie n'est pas une th?orie. Sur ce point de morale pratique comme sur tous les autres, elle a devanc? la th?orie et il n'y a aucun lieu de croire que jamais elle ne lui c?de la place. Cette libert?, relative, je l'admets, comme tout ce que nous connaissons d'ailleurs, ce devoir dont on se demanda s'il existe, n'en sont pas moins ? la base de tous les jugements que nous portons sur nous et nos semblables. Nous nous traitons les uns les autres comme responsables, jusqu'? un certain point, de nos faits et gestes.

Le th?oricien le plus enrag?, d?s qu'il sort de sa th?orie, ne se fait aucun scrupule d'approuver ou de d?sapprouver les actes d'autrui, d'instrumenter contre ses ennemis, de faire appel ? la g?n?rosit?, ? la justice de ceux qu'il veut dissuader d'une d?marche indigne. On ne peut pas plus se d?faire de la notion de l'obligation morale que de celle du temps ou de l'espace, et de m?me qu'il faut nous r?signer ? marcher avant de savoir d?finir cet espace que nous franchissons et ce temps qui mesure nos mouvements, il faut aussi nous soumettre ? l'obligation morale avant d'en avoir touch? de nos doigts les racines profondes. La loi morale domine l'homme, qu'il la respecte ou l'enfreigne. Voyez la vie de tous les jours: chacun est pr?t ? jeter la pierre ? celui qui n'accomplit pas un devoir ?vident, d?t-il m?me all?guer qu'il n'est pas encore arriv? ? la certitude philosophique. Chacun lui dira et aura mille fois raison de lui dire: <>

Qu'on nous comprenne bien toutefois. Nous ne voulons d?tourner personne de l'investigation philosophique, de la scrupuleuse recherche des fondements de la morale. Aucune pens?e qui ram?ne l'homme vers ces graves pr?occupations ne saurait ?tre inutile ou indiff?rente; nous d?fions seulement le penseur de pouvoir attendre qu'il ait trouv? ces fondements, pour faire acte d'humanit?, d'honn?tet? ou de malhonn?tet?, de courage ou de l?chet?. Et surtout, nous tenons ? formuler une r?ponse, bonne ? opposer ? tous les malins qui n'ont jamais ?t? philosophes, ? opposer ? nous-m?mes lorsque nous voudrions invoquer notre ?tat de doute philosophique pour justifier nos manquements pratiques. Par cela m?me qu'on est un homme, avant toute th?orie positive ou n?gative sur le devoir, on a pour r?gle ferme de se conduire comme un homme. Il n'y a pas ? sortir de l?.

Mais on conna?trait mal les ressources du coeur humain si l'on comptait sur l'effet d'une semblable r?ponse. Elle a beau ?tre sans r?plique, elle ne peut emp?cher d'autres interrogations de surgir. La somme de nos pr?textes pour nous soustraire au devoir est ?gale ? la somme des sables de la mer ou des ?toiles des cieux.

Nous nous retranchons donc derri?re le devoir obscur, le devoir difficile, le devoir contradictoire. Certes voil? des mots qui ?voquent de p?nibles souvenirs. ?tre un homme de devoir et douter de son chemin, t?tonner dans l'ombre, se voir livr? aux sollicitations contraires de devoirs diff?rents, ou encore se trouver en face du devoir gigantesque, ?crasant, qui d?passe nos forces, quoi de plus dur? Et ces choses arrivent. Nous ne voulons ni nier ni contester ce qu'il y a de tragique dans certains ?v?nements et de d?chirant dans certaines vies. Toutefois il est rare que le devoir ait ? se faire jour ? travers un tel conflit de circonstances et doive jaillir de l'esprit comme l'?clair de l'orage. De si formidables secousses sont exceptionnelles. Tant mieux si nous nous tenons bien lorsqu'elles se produisent; mais si personne ne trouve ?tonnant que des ch?nes soient d?racin?s par la bourrasque, ou qu'un marcheur tr?buche la nuit sur un chemin inconnu, ou qu'un soldat soit vaincu quand il est pris entre deux feux, personne non plus ne condamnera sans appel ceux qui ont ?t? battus dans les luttes morales presque surhumaines. Succomber sous le nombre et les obstacles, n'a jamais ?t? une honte.

Aussi je vais tendre mes armes ? ceux qui se retranchent derri?re le rempart inexpugnable du devoir obscur, compliqu?, contradictoire. Pour aujourd'hui ce n'est pas l? ce qui m'occupe, et c'est du devoir simple, je dirais presque du devoir facile, que je d?sire leur parler.

Illustrons cette v?rit? par des exemples.

Celui qui essaie de p?n?trer dans les dessous humbles de la soci?t? ne tarde pas ? d?couvrir de grandes mis?res physiques et morales. ? mesure qu'il y regarde de plus pr?s, il d?couvre un plus grand nombre de plaies, et, ? la longue, le monde des mis?rables lui appara?t comme une vaste cr?ation noire, devant laquelle l'individu avec ses moyens de soulagement para?t r?duit ? l'impuissance. Il est vrai qu'il se sent press? d'accourir, mais en m?me temps il se demande: ? quoi bon? ?videmment le cas est des plus angoissants. Quelques-uns le r?solvent en ne faisant rien, de d?sespoir. Ils demeurent donc st?riles et ce n'est pas pourtant la piti?, ni m?me les bonnes intentions, qui leur manquent. Ils ont tort. Souvent un homme n'a pas les moyens de faire le bien en gros, mais ce n'est pas une raison pour qu'il le n?glige en d?tail. Tant de gens se dispensent de faire quelque chose parce que, selon eux, il y a trop ? faire. Ils ont besoin d'?tre rappel?s au devoir simple. Ce devoir, le voici dans le cas qui nous occupe: que chacun, selon ses ressources, ses loisirs et ses capacit?s, se cr?e des relations dans les milieux d?sh?rit?s. Il y a des gens qui arrivent, avec un peu de bonne volont?, ? s'introduire dans l'entourage des ministres ou ? se faufiler dans la soci?t? des chefs d'?tat. Pourquoi ne parviendrait-on pas ? nouer des relations avec les pauvres gens et ? se faire des connaissances parmi les ouvriers qui manquent du n?cessaire? Une fois quelques familles connues, avec leurs histoires, leurs ant?c?dents et leurs difficult?s, vous pourrez leur ?tre d'une utilit? extr?me en faisant simplement ce que vous pouvez et en pratiquant la fraternit? sous la forme du secours moral et mat?riel. Vous aurez, il est vrai, attaqu? un petit coin seulement; mais vous aurez fait votre possible et peut-?tre entra?n? quelque autre ? faire son possible aussi. En agissant de la sorte, au lieu de constater seulement qu'il existe dans la soci?t? beaucoup de mis?re, de haine sombre, de d?sunion, de vice, vous y aurez introduit un peu de bien. Et pour peu que le nombre des bonnes volont?s semblables ? la v?tre grandisse, le bien augmentera sensiblement et le mal diminuera. Mais dussiez-vous m?me rester seul ? faire ce que vous avez fait, on pourrait vous donner ce t?moignage que vous avez fait la seule chose raisonnable, le simple et enfantin devoir qui s'offrait ? vous. Or en faisant cela vous avez d?couvert un des secrets de la bonne vie.

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

 

Back to top