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Read Ebook: L'Illustration No. 2501 31 Janvier 1891 by Various

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Ebook has 470 lines and 26791 words, and 10 pages

Quelle loi m?t?orologique r?git les saisons? Voil? une question qui nous est adress?e de toutes parts et ? laquelle nous aimerions pouvoir r?pondre. Si la connaissance du temps est encore ? ses d?buts et infiniment ?loign?e des certitudes qui font la gloire de l'astronomie, ce n'est pas une raison pour d?sesp?rer d'arriver jamais ? aucun r?sultat, et c'est au contraire une raison de plus pour ne n?gliger aucune circonstance--surtout lorsqu'elles sont importantes--d'?tudier la question et de faire faire un pas en avant ? la m?t?orologie. Peut-?tre les remarques suivantes contribueront-elles ? avancer un peu la solution du probl?me.

Les cyclones qui ont ?t? observ?s r?cemment aux ?tats-Unis et qui ont travers? l'Atlantique pour aborder l'Europe par l'?cosse ont ?t? li?s d'une mani?re tout ? fait directe et tr?s ?troite au changement subit du temps et ? la cessation du froid sur toute l'Europe. Il y a certainement l? une relation de cause ? effet.

Quand l'Europe est sous le coup de froids rigoureux comme ceux qui ont s?vi du 26 novembre au 20 janvier, l'atmosph?re qui p?se sur elle est, contrairement ? nos impressions nerveuses, plus lourde que celle qui accompagne la pluie et les temp?tes. Le barom?tre se tient aux environs de 770 millim?tres.

Les minima thermom?triques correspondent ? ces maxima barom?triques. C'est ce qu'on appelle le r?gime anticyclonique, barom?tre ?lev?, vents du nord et de l'est, froids plus ou moins intenses. Ce r?gime est d?truit par l'arriv?e des d?pressions atmosph?riques. Le vent tourne ? l'ouest, le barom?tre baisse, le d?gel et les pluies arrivent, et parfois m?me un temps de printemps, chaud et magnifique, comme celui de dimanche et lundi derniers, o? le soleil a ?t? plus chaud et plus brillant que dans bien des journ?es de mai. Le contraste a ?t? subit et pourrait ?tre consid?r? comme fantastique si la variabilit? de notre climat ne nous y avait accoutum?s de tout temps.

Pour bien nous rendre compte de cet ?tat de choses, comparons entre elles deux journ?es montrant bien ce contraste. Choisissons celles des 20 et 21 janvier. Voici d'abord la carte barom?trique et la carte thermom?trique de la premi?re. On a r?uni par une m?me courbe les points qui ont la m?me pression barom?trique, et, pour la seconde carte, ?galement par une m?me courbe ceux qui ont la m?me temp?rature. Il est visible, sur la premi?re de ces deux cartes, que la haute pression de 770 millim. s'?tend de Brest ? Paris, Belfort, Lyon, Toulouse, Madrid, et celle de 765 m. de Portsmouth ? Hambourg, Prague, Munich, Gap, Barcelone. Les hautes pressions r?gnent ?galement sur la Russie. Les faibles pressions, inf?rieures ? 760mm, commencent ? se marquer sur l'Irlande, l'?cosse, la mer du Nord et la Norv?ge; je dis commencent, parce que la veille et les jours pr?c?dents les hautes pressions dominaient l? comme sur le reste de l'Europe.

Eh bien, ce jour-l?, 20 janvier, dernier jour du froid, on voit par la carte thermom?trique que toute l'Europe ?tait dans le froid, ? l'exception des ?les britanniques. La courbe de z?ro part de Tr?bizonde pour passer par Belgrade, Florence, la Corse, Barcelone, Cordoue, Lisbonne et remonter par le Portugal jusqu'? Londres et Christiania. La courbe de 5? au-dessous de z?ro passe par Turin, Cette, Bayonne, Nantes, Bruxelles, Copenhague. La courbe de 10? de froid enveloppe une partie de la France et la Suisse, de Lyon ? Berne et ? Belfort. La veille, le froid s?vissait plus fort encore ? l'est de la France: -15?, -20? et -25?.

Voil? l'?tat anticyclonique: froids rigoureux et haute pression.

Comment ce froid a-t-il cess??

Tout d'un coup, par l'accentuation de la d?pression barom?trique qui commen?ait la veille.

Il nous a paru int?ressant de mettre ces faits sous les yeux de nos lecteurs. L'hiver a cess? par l'arriv?e d'une s?rie de cyclones, qui tous ont pass? au nord des ?les britanniques. La question de pronostiquer la fin des hivers reviendrait donc ? celle de pronostiquer l'arriv?e des cyclones, l'arriv?e des d?pressions barom?triques, l'arriv?e du vent d'ouest. Lors m?me que le cyclone am?nerait des temp?tes de neige , le changement de r?gime n'en serait pas moins probable.

Nous venons de parler de la cessation de l'hiver. Est-il vraiment termin?, comme nous aimerions le croire? Le froid reviendra-t-il? Si les hautes pressions barom?triques reparaissent, la m?me s?rie de froids ne peut-elle recommencer, le vent du nord-est souffler de nouveau et glacer l'Europe enti?re?

Quelle est la cause imm?diate du froid?

On pourrait croire que c'est cet impitoyable vent du nord-est, qui nous arrive de Russie et de Sib?rie, o? le thermom?tre descend si souvent au-dessous de 30 degr?s de glace; mais il importe encore ici d'analyser la question. Or, pr?cis?ment aux dates des plus grands froids, tels que le 10 d?cembre 1879 et la p?riode du 17 au 20 janvier derniers dont nous avons mis les cartes thermom?triques sous les yeux de nos lecteurs, le froid ne va pas en augmentant dans la direction d'o? vient le vent; il est, au contraire, moins fort en Russie qu'en France. Ce n'est donc pas le vent du nord-est qui nous apporte le froid.

Pourtant les grands froids co?ncident toujours avec ce courant polaire.

Mais ils s'accentuent sur place, sur la France m?me. Pourquoi?

Si l'atmosph?re n'existait pas, la chaleur re?ue du Soleil ne serait pas conserv?e un seul instant ? la surface de notre plan?te, le sol ne s'?chaufferait jamais et resterait constamment gel?, parce que la Terre vogue au sein d'un espace absolument froid, dont la temp?rature est de 273 degr?s au-dessous de z?ro.

Si l'atmosph?re ?tait tr?s rar?fi?e, comme celle qui existe au-dessus des hautes montagnes, notre plan?te serait ?galement couverte de glaces ?ternelles.

Quel est l'?l?ment qui, dans l'atmosph?re, est le plus efficace pour conserver la chaleur re?ue du Soleil? Ce n'est ni l'oxyg?ne, ni l'azote: c'est la vapeur d'eau. Une mol?cule de vapeur d'eau est 18,000 fois plus efficace pour conserver la chaleur qu'une mol?cule d'air sec. Gr?ce ? cette facult? pr?cieuse, l'atmosph?re agit comme une v?ritable serre et emmagasine la chaleur solaire re?ue, l'emp?che de rayonner du sol et d'aller se perdre dans l'espace glac?.

Eh bien! le courant du nord-est, arrivant des continents, est le plus sec de tous les courants atmosph?riques. Pendant le r?gime des hautes pressions, c'est lui qui r?gne. L'air est sec. Il peut avoir plus d'?paisseur. Peu importe. Il n'a pas la propri?t? de conserver la chaleur. Cette chaleur re?ue est, d'ailleurs, bien faible en d?cembre et janvier. Les jours sont courts, et les rayons solaires glissent obliquement sans pouvoir ?chauffer le sol. La terre se refroidit, d'autant plus compl?tement que l'atmosph?re qui la recouvre est plus froide elle-m?me et surtout plus s?che. L'hiver pourrait revenir--moins glacial naturellement--si les hautes pressions revenaient elles-m?mes.

Telle est l'explication qui nous semble la plus probable de l'origine comme de la fin des grands froids dans nos climats.

Camille Flammarion.

LA MORT DU ROI KALAKAUA

Le souverain de l'archipel hawa?en, qui vient de mourir ? San-Francisco o? il s'?tait rendu pour r?tablir sa sant? compromise, ?tait n? le 16 novembre 1836; il avait cinquante-quatre ans, et r?gnait depuis quinze ans.

Cette mort, qui en tout autre temps e?t pass? inaper?ue du public, peut avoir de graves cons?quences et pr?cipiter des ?v?nements que tous ceux qui sont au courant des choses de l'Oc?anie sentent prochains. Depuis vingt ans, deux grandes successions sont ouvertes, et l'Europe se les dispute: l'Oc?anie d'une part, l'Afrique de l'autre. Les terres riches et fertiles que baigne l'Oc?an Pacifique ?veillent les convoitises des grandes puissances. La race indig?ne qui les peuple s'?teint lentement au contact de la civilisation. La France, l'Angleterre et l'Allemagne ont pris pied sur cette insulaire partie du monde, dont la superficie habitable d?passe celle de l'Europe; solidement assises, la France ? Tahiti, aux Marquises, ? la Nouvelle Cal?donie, l'Angleterre en Australie, ? la Nouvelle-Z?lande et dans la Nouvelle-Guin?e, l'Allemagne sur la terre de l'empereur Guillaume et dans l'archipel Bismarck, elles attendent les ?v?nements. Elles ne sont pas seules. De San-Francisco, reine du Pacifique, les ?tats-Unis surveillent la Polyn?sie et ont d?j? fait du tropical royaume hawa?en une station maritime et une d?pendance commerciale de la grande R?publique, dont 2,100 milles marins la s?parent. Ses missionnaires ont civilis? ces ?les, ses colons les ont peupl?es, ses capitaux en ont d?velopp? les ressources, ses lignes de paquebots ont reli? l'archipel au continent, son commerce l'enrichit, et Honolulu, capitale du royaume, est devenue la Nice oc?anienne des val?tudinaires et des millionnaires les ?tats du Pacifique.

Si le gouvernement am?ricain h?site devant une annexion plus compl?te, si ses hommes d'?tat reculent devant la tentation de fonder, en dehors du continent, un ?tat nouveau, il n'en est pas de m?me des colons am?ricains ?tablis dans l'archipel, des fils de colons qui y sont n?s, et qui verraient dans cette annexion un retour ? leur nationalit?, une source de fortune, une plus-value de leurs terres, de grands d?bouch?s assur?s ? leurs produits, une immigration importante. Depuis un demi-si?cle, l'histoire du royaume hawa?en est celle de la lutte sourde soutenue par l'?l?ment indig?ne contre les tendances annexionnistes des colons am?ricains.

M?l? ? cette lutte, appel? ? y prendre part pendant de longues ann?es, ? des titres divers, mais surtout comme ministre des affaires ?trang?res du royaume, l'auteur de ces lignes a beaucoup connu le roi Kalakaua. Son histoire vaut d'?tre dite; elle est peut-?tre le prologue d'?v?nements graves.

Lui-m?me devait mourir jeune; il s'?teignit subitement, le 11 novembre 1872, jour o? il atteignait sa quarante-deuxi?me ann?e. Avec lui finissait la dynastie des Kam?ham?has. Les Chambres se r?unirent pour d?signer un nouveau souverain. Deux candidats se mirent sur les rangs. En premi?re ligne venait le prince William Lunalilo, cousin du roi, arri?re-petit-fils, par les femmes, de Kam?ham?ha Ier et ?g? de trente-trois ans; en seconde ligne, David Kalakaua. Aucune loi n'excluait les femmes du tr?ne et la reine Emma pouvait ?tre ?lue, mais elle se refusa ? toutes les sollicitations, invitant ses partisans ? donner leurs voix au prince William. Il fut nomm? ? une grande majorit?.

Elev? par les missionnaires am?ricains, il avait re?u d'eux des id?es lib?rales avanc?es. Avec la naissance et les dons ext?rieurs d'un prince, il avait les instincts et les convictions d'un radical. Elu roi, il apportait sur le tr?ne ces contradictions. Il n'?tait pas mari?; invit? par le parlement ? d?signer son successeur il s'y refusa nettement, all?guant que, n'?tant pas convaincu de l'excellence de la forme monarchique, il ne se reconnaissait pas le droit de faire un roi; il laissait donc ? ses sujets, lui mort, et m?me de son vivant, toute libert? d'exprimer leurs pr?f?rences et de lui retirer, s'ils le d?siraient, le mandat qu'il tenait d'eux. Il e?t ?t? plus logique de ne pas le solliciter, mais il ne devait pas le garder longtemps. Le 3 f?vrier 1874 il mourait apr?s un r?gne de treize mois.

David Kalakaua restait seul, et le 12 f?vrier, malgr? l'opposition malencontreuse de la reine Emma qui, cette fois, consentait ? se mettre sur les rangs pour faire ?chouer sa candidature, les chambres r?unies l'appelaient au tr?ne par un vote presque unanime de 30 voix sur 45. Il y apportait des qualit?s s?rieuses, un vif d?sir de maintenir l'autonomie hawa?enne, mais une volont? vacillante qui n'?tait pas ? la hauteur du r?le que lui imposaient les circonstances. Elles ?taient difficiles. La conclusion d'un trait? de r?ciprocit? avec le cabinet de Washington enrichissait les planteurs hawa?ens auxquels il donnait le monopole de l'?coulement de leurs sucres sur le march? de San Francisco; mais il mettait le royaume dans une d?pendance ?troite des ?tats-Unis. La d?nonciation du trait? pouvait le ruiner; l'annexion assurait ? jamais sa prosp?rit?: aussi ?tait-elle plus que jamais ardemment d?sir?e des planteurs, des capitalistes, des propri?taires du sol. En ?change des faveurs octroy?es, le gouvernement am?ricain demandait la cession de l'embouchure de la rivi?re de la Perle, pr?s de Honolulu, pour y ?tablir un d?p?t de charbon et une station navale. C'?tait la premi?re main mise, la premi?re ali?nation partielle du territoire national, et les indig?nes ne s'y trompaient pas. Entre les avantages offerts et les concessions demand?es, le roi h?sitait, cherchant ? gagner du temps, m?contentant partisans et adversaires du trait?.

Puis, les th?ories r?publicaines de son pr?d?cesseur avaient affaibli le prestige de la royaut?. D?sireux de le rehausser, Kalakaua s'entourait d'hommes connus pour leur opinions autoritaires, essayant de remonter un courant qui l'emportait, de gouverner en dehors des Chambres; l'agitation croissait, d?g?n?rant en r?volte. Les colons s'arm?rent et, impuissant ? conjurer la temp?te, le roi dut subir les conditions qu'ils lui impos?rent: renvoi de son Cabinet, nouvelle Constitution, choix de ses ministres limit? aux chefs du mouvement. Le 6 juillet 1887, le roi, contraint et forc?, signait une Constitution qui lui enlevait une partie de ses pr?rogatives, et le 29 novembre de la m?me ann?e, sous la pression de ses nouveaux ministres, il ratifiait le trait? de r?ciprocit? renouvel? pour sept ans en ?change de la cession de l'embouchure de la Perle.

Cette cession portait ? son comble l'irritation des indig?nes; ils voyaient, en outre, dans la d?ch?ance partielle du roi une atteinte aux droits de leur race. Ils se groupaient autour de leur souverain, annon?ant hautement l'intention de lui restituer ses pouvoirs. Des hommes r?solus et ambitieux se mettaient ? la t?te des m?contents. Le roi ?tait en sympathie avec eux, mais il n'osait ni avouer hautement ses partisans ni d?savouer ses ministres. Aussi, quand l'insurrection ?clata, elle n'aboutit qu'? une inutile effusion de sang. David Kalakaua resta neutre, retir? dans sa maison de campagne, pendant que ses adh?rents se faisaient tuer ? Honolulu.

R?duit ? un r?le de plus en plus effac?, il ne fit plus, ? partir de ce jour, que r?gner sans gouverner. Sa sant? ?tait atteinte, et quand ses m?decins, inquiets, recommand?rent un s?jour de quelques mois sous un climat moins d?bilitant que celui des ?les, il accepta l'offre du gouvernement am?ricain, qui mettait ? sa disposition la fr?gate Charleston, portant le pavillon de l'amiral Brown, commandant l'escadre du Pacifique. Il s'embarqua le 25 novembre 1890, et le 3 d?cembre dernier d?barquait ? San-Francisco, o? les honneurs royaux lui ?taient rendus. Les troupes, l'escort?rent jusqu'au Palace-H?tel, pr?par? pour le recevoir, et la population de la ville lui fit l'accueil le plus sympathique. Peu de jours apr?s son arriv?e, il s'alitait et mourait le 20 janvier.

Nous donnons ci-dessus, en m?me temps que le portrait du roi d?funt, celui de la reine Kapiolini, sa veuve, qu'il avait ?pous? en 1860, et dont il n'avait pas eu d'enfant.

Aux termes de l'article de la Constitution r?glant l'ordre de succession au tr?ne, sa soeur, la princesse Liliuokalani, n?e le 2 septembre 1833, et mari?e ? un Am?ricain, M. J. O. Dominis, devient reine des ?les Hawa?.

Une lourde t?che lui incombe. Dans cet oc?an Pacifique sur lequel l'Europe d?borde, anxieuse d'agrandir son domaine colonial, l'Am?rique s'?tend, plus soucieuse d'une souverainet? de fait que d'une suzerainet? de nom. Dans l'archipel hawa?en la race blanche se multiplie et s'enrichit, la race indig?ne d?cro?t, victime de ses aspirations ? s'assimiler une civilisation meurtri?re pour le sauvage. Et cependant, pour qui le conna?t, ce peuple a m?rit? de vivre. Docile ? l'impulsion europ?enne, il a r?pudi? ses dieux, ses traditions superstitieuses, ses instincts belliqueux, sa barbare f?odalit?, son autocratie tyrannique. Il a adopt? les id?es, les coutumes, les moeurs, la religion, les lois, non de ses vainqueurs, mais de ses a?n?s. Par son climat, par la fertilit? de son sol, par son ?tonnante richesse, le royaume hawa?en est la perle de la Polyn?sie, perle de grand prix, dont la possession donnera ? la puissance qui l'occupera la clef de l'oc?an Pacifique du nord, l'unique ?tape entre l'Am?rique et l'Asie. Une femme saura-t-elle, pourra-t-elle d?fendre l'archipel contre les convoitises ?trang?res, et, sur les d?bris d'une race en d?croissance rapide, maintenir l'ind?pendance nationale?

C. de Varigny.

LES TH??TRES

D?s l'aube deux p?cheurs ont pris leurs places accoutum?es sur les trains de bois de l'?le Louviers. Aux regards inquiets qu'ils jettent autour d'eux, il est facile de se rendre compte qu'ils ne sont pas venus l? pour go?ter la fra?cheur du matin et pour suivre leurs lignes au courant du fleuve. Un jeune officier descend l'escalier qui m?ne de la berge au lavoir. Le plus ?g? des p?cheurs, qui a nom Labussi?re, le reconna?t, c'est Martial Hugon, qui autrefois lui a sauv? la vie au r?giment de Savoie-Carignan, o? ils se sont connus soldats l'un et l'autre. Assez mauvais soldat avant de devenir m?diocre com?dien, Labussi?re allait porter la main sur son sup?rieur, lorsque Martial l'a emp?ch? de commettre un acte d'indiscipline qui perdait le pauvre diable.

Depuis, sa vie s'est tra?n?e on ne sait trop o?, comme il lui pla?t de le dire. Quant ? Hugon, le voici commandant d'artillerie, il apporte ? la Convention les drapeaux de Fleurus. Qui l'am?ne ? cette place et ? cette heure matinale? Un roman d'amour. Il y a un an, il rencontrait dans les environs de Paris une religieuse novice chass?e du couvent des Ursulines de Compi?gne. La malheureuse, mourante de faim et de froid, grelottait les pieds dans la neige. Elle avait nom Fabienne Lecoulteux, pas de parents, pas d'asile. Martial l'a conduite chez une de ses tantes ? lui; bient?t les jeunes gens se sont aim?s et se sont jur? de s'appartenir l'un ? l'autre. Le cri de la patrie en danger a retenti; Martial, qui ?tait de ceux de Jemmapes et du camp du Grand-Pr?, a ?t? bless?, et est demeur? trois longs mois prisonnier ? Anvers; il a ?t? ensuite un des soldats de Fleurus, le voil? ? Paris. Sa parente est morte; la maison est vide: qu'est devenue Fabienne?

D'apr?s quelques indices elle doit habiter ce quartier. On l'aurait vue m?me ? ce lavoir. Peut-?tre cette matin?e de juillet, le 9 Thermidor, lui rendra-t-elle sa bien-aim?e, et Labussi?re, qui donne la r?plique ? un ami retrouv?, le met au courant de ce Paris, dans lequel Martial rentre laissant la R?publique glorieuse ? la fronti?re. L?-bas, c'est le triomphe, ici c'est la terreur.

Cependant, les laveuses qui sont arriv?es depuis quelques instants poussent des cris furieux, et poursuivent en hurlant <> une jeune femme qui ne trouve de refuge que dans les bras de Martial. Les m?g?res l'ont condamn?e ? la fa?on dont le tribunal r?volutionnaire agit avec ceux qu'il accuse: elle n'a pas r?pondu ? leurs propos; c'est une ci-devant. Martial cherche en vain ? la d?fendre contre ces femelles t contre ces sans-culottes accourus ? la rescousse, lorsque l'apparition <> arr?te cette ?meute. Cet agent sinistre de la police de Robespierre met la main sur Fabienne, il la ferait conduire en prison, et de l? ? la mort sans autre forme de proc?s, si Labussi?re ne tirait de sa poche une carte qu'il fait passer sous les yeux de l'agent de police lequel s'incline avec force excuses devant une autorit? sup?rieure.

Voil? le premier acte du Thermidor de M. Sardou. Il est charmant, des plus int?ressants dans une exposition, vive, attachante et chaleureuse, d'un drame qui va se d?rouler dans une des plus terribles journ?es de la R?volution.

Labussi?re qui a pris ? t?che de sauver son ami Martial et Fabienne avec lui, les conduit l'un et l'autre chez le sans-culotte B?rillon, un gros bonnet de la section, lequel a pour femme la citoyenne Jacqueline, costumi?re au petit th??tre Mareux. Brave femme, cette Jacqueline, et pr?te ? rendre service m?me ? un ci-devant.

Seul avec Fabienne et Martial, Labussi?re s'explique. Il est employ? au comit? de salut public. Oui. Comment est-il arriv? l?? Apr?s son expulsion du th??tre Mareux, un jeune auteur, Pix?r?court, l'a recommand? au chef du bureau des dossiers, Fabien Pillet, qui lui a donn? une place modeste aupr?s de lui. C'est Labussi?re qui met en ordre ces dossiers accusateurs qu'on r?clame au moment o? les victimes sont envoy?es au tribunal r?volutionnaire. L?, ce brave gar?on a trouv? moyen d'?tre utile aux pauvres gens. Lui aussi, il a ses prot?g?s; il exerce subrepticement un droit de gr?ce au p?ril de sa t?te, il an?antit les accusations: ces papiers il les r?duit en p?te dans un baquet pendant la nuit et, aux premi?res heures du matin il va, accompagn? d'un petit employ?, son complice, les jeter en boules dans la Seine.

Mais on commence ? trouver que le d?sordre est trop grand au d?p?t et ces dossiers disparus inqui?tent le chef de la police g?n?rale, H?ron.

Fabienne tressaille ? ce nom: elle le conna?t ce policier dont la femme ?tait autrefois au service de la m?re de Fabienne; elle a eu ? implorer sa protection; H?ron ivre alors, comme toujours du reste, a voulu lui faire payer le service demand?, elle l'a repouss? en le renversant et s'est enfuie; ce qui s'est pass? ensuite, Fabienne l'ignore, mais Labussi?re le sait. H?ron a fait grand bruit de cette histoire; il a d?clar? qu'une chouanne, une nouvelle Charlotte Corday, avait tent? de tuer un nouvel ami du peuple. La haine de H?ron poursuit Mlle Lecoulteux; il n'y a plus, selon Labussi?re, qu'? fuir Paris et ? gagner, le soir m?me, la Belgique, et il va retenir leurs places ? la diligence.

Avec l'acte suivant, nous voici dans les bureaux du Comit? de salut public aux Tuileries. Labussi?re et son ami Martial apprennent l? l'arrestation de Fabienne, un envoy? de Fouquier-Tinville apporte ? Labussi?re le dossier de la malheureuse fille, avec ordre de classer toute suite l'affaire, afin que l'accus?e comparaisse, le jour m?me, dans deux heures, devant le tribunal. Que faire? l'amour ?go?ste de Martial n'h?site pas. Parmi cette foule de dossiers, le dossier d'une femme est l? et porte aussi le nom de Lecoulteux, il faut le prendre et faire la substitution, on enverra imm?diatement la malheureuse ? l'?chafaud, c'est vrai, mais Fabienne sera sauv?e. Ce droit de mort sur une inconnue effraye Labussi?re qui se r?volte d'abord et qui lutte contre les pri?res et les larmes de son ami. Cette sc?ne magistrale marque le point culminant de l'oeuvre. La salle en a ?t? profond?ment ?mue.

Cependant Fabienne est enferm?e ? la Conciergerie. Les deux amis sont accourus vers elle. Les charrettes attendent, vont-elles partir? Les municipaux ex?cutent la sentence. La chute de Robespierre n'est pas d?finitive. Demain on verra. Mais aujourd'hui, c'est la mort de Fabienne, elle le sait, du reste, la pauvre cr?ature, et dans un billet elle a dit ? Martial le dernier adieu. Les condamn?s d?filent entre la haie faite par les gendarmes, sous les injures de la canaille. Fabienne para?t, les cheveux coup?s, pr?te pour la mort, lorsque Martial et Labussi?re lui pr?sentent un papier. Elle n'a qu'? signer.

La loi qui tue la femme l'?pargne si elle d?clare qu'elle va ?tre m?re. Cette noble fille se r?volte ? l'id?e de sauver sa vie par un mensonge et par une honte et elle monte fi?re et vaillante ? la mort. Martial s'?lance vers elle; un gendarme l'arr?te, et, comme Martial fait r?sistance, le gendarme le tue d'un coup de pistolet.

Le succ?s, comme vous devez le penser, a ?t? des plus grands, et la Com?die-Fran?aise a tout fait pour l'assurer et par la beaut? des d?cors et par les soins apport?s ? la mise en sc?ne. Quant aux trois com?diens charg?s des trois principaux r?les de la pi?ce, ils ont fait merveille. Labussi?re c'est M. Coquelin, qui remplit ces quatre actes du feu de son ?me et de toutes les ressources de son prodigieux talent. M. Marais, qui joue Martial, a ?t? tr?s chaleureusement applaudi. Mlle Bartet, si ?mue, si touchante, a ?t? acclam?e par toute la salle.

M. SAVIGNY.

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