Read Ebook: Les belles-de-nuit; ou les anges de la famille. tome 3 by F Val Paul
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Ebook has 1753 lines and 46528 words, and 36 pages
Ren? fit traverser ? sa femme le corridor entier, et descendit avec elle le grand escalier du manoir. Il s'arr?ta devant la porte du salon qu'il ouvrit.
--Entrez, dit-il.
Le salon ?tait ?clair? par une seule lampe qui br?lait sur une table, ? c?t? d'un verre et d'un flacon vides. C'?tait l? que Penho?l avait pass? sa soir?e.
Marthe fit quelques pas dans le salon et tomba ?puis?e sur un si?ge.
Ren? agita une sonnette.
--De l'eau-de-vie!... cria-t-il de loin au domestique dont les pas se faisaient entendre au dehors.
Le domestique s'?loigna, et revint l'instant d'apr?s avec un nouveau flacon d'eau-de-vie.
--Allez-vous-en..., lui dit Ren?, et qu'on serve le souper ici dans une heure.
La porte se referma. Penho?l ?tait seul avec sa femme. Il se versa un plein verre et prit place aupr?s d'elle.
--Vous ?tes p?le, madame, commen?a-t-il; je crois que vous avez peur... Vous savez donc ce que j'ai ? vous dire?...
--Au nom du ciel, monsieur, murmura Marthe, qu'est devenue ma fille?...
Penho?l la regardait en face, et ses yeux avaient une expression effrayante.
Une id?e fixe lui restait dans son ivresse, une pens?e de col?re et de ch?timent cruel.
--Votre fille!... r?p?ta-t-il, que m'importe cette enfant?...
--N'est-elle pas ? vous, Ren??... voulut dire Marthe.
--Silence!... Je suis le ma?tre pour une heure encore... J'ai le temps de vous juger et de vous punir!...
Marthe releva sur lui son regard ?tonn?. Penho?l poursuivit en essayant de railler:
--Votre fille?... Nous vous dirons ce qu'est devenue votre fille, madame!...
Et il ajouta d'un accent plus amer:
--L'enfant qu'on appelle l'Ange de Penho?l... la honte... le d?shonneur de toute une race!...
--Monsieur!... monsieur!... voulut dire encore Marthe.
--Silence!... il n'est pas temps de parler de votre Ange, madame... vous avez d'autres amours... Et puisque nous sommes seuls tous deux, nous pouvons bien causer affaires de famille!...
Il mit sa main sous sa veste de chasse et en retira un petit portefeuille vert. Marthe ne pouvait plus p?lir, mais elle tressaillit, et sa taille se redressa. Le premier mouvement d'?pouvante fut en elle si vif qu'un instant elle oublia sa fille.
Penho?l eut un sourire.
--Comme vous regardez mon portefeuille, madame!... dit-il; c'est une vieille connaissance pour vous!... Je parie que vous auriez donn? bien de l'argent pour le ravoir!...
Il parlait vrai cette fois. Le portefeuille ?tait celui que nous avons vu entre les mains de Robert de Blois, lors de son rendez-vous avec Madame, le soir de la Saint-Louis. Et c'?tait contre Marthe une arme cruelle, sans doute, puisque Robert n'avait eu qu'? montrer ce portefeuille pour vaincre ? l'instant m?me la r?sistance de la pauvre femme.
L'homme le plus froid aurait eu compassion ? voir Marthe en ce moment. Elle n'avait plus la conscience exacte de tous les malheurs qui pesaient sur elle, mais elle sentait son coeur se briser. Ses cheveux d?tach?s tombaient, alourdis et mouill?s par une sueur glac?e. Son visage exprimait une si terrible angoisse qu'il n'aurait pu changer davantage ? l'heure de l'agonie.
Penho?l n'avait point piti?.
--Je comprends bien maintenant, continua-t-il, pourquoi vous m'engagiez, l'autre jour, ? vendre le manoir... On vous avait menac?e de ceci, madame!... N'est-ce pas que vous auriez donn? tout ce que vous poss?diez au monde pour ravoir votre secret?
--Pour ma fille!... balbutia Marthe, mais devant Dieu, qui nous entend, je suis innocente, Ren?, je vous le jure.
Penho?l haussa les ?paules.
--Vous savez mentir ? Dieu comme ? moi, dit-il en posant le portefeuille sur la table pour avaler un verre d'eau-de-vie; voil? vingt ans que vous mentez... tous les jours... toutes les heures!... Mais il ne s'agit pas de cela... Moi aussi je l'ai pay? bien cher, ce portefeuille!... Autrefois, pour l'avoir, j'aurais donn? une m?tairie, un moulin, une futaie... mais o? sont les fermes de l'h?ritage de Penho?l?... O? sont les beaux champs de mon p?re... et ses ?tangs... et ses for?ts?... Je n'avais plus rien ? donner... Et pourtant il me fallait ces preuves de ma honte!
Marthe joignit ses mains.
--Plus tard, reprit Penho?l en lui imposant silence d'un geste brutal, je vous dirai quel prix j'ai pay? ce portefeuille... Maintenant, puisque je l'ai achet?, je veux en jouir... Il nous reste une bonne heure pour lire ensemble ces lettres ch?res... Ah! nous allons bien nous divertir, madame!...
La voix de Penho?l ?clata sourdement, tandis qu'il pronon?ait ces derni?res paroles. Il ?tait impossible de pr?voir le d?no?ment de cette sc?ne. Comme tous les gens habitu?s ? l'ivresse, Penho?l gardait longtemps un masque de raison et de gravit?; mais sous ce masque menteur se cachait une v?ritable d?mence.
Il pouvait parler et penser dans une certaine mesure, mais nul frein ne lui restait, et cette froide fantaisie de railler qui le tenait en ce moment ne faisait que retarder l'explosion de sa col?re aveugle.
D'ailleurs, il buvait toujours, et la lueur de sens qui ?clairait encore sa cervelle troubl?e allait bient?t s'?teindre...
Marthe ?tait sans d?fense dans cette maison qui semblait abandonn?e. Elle ne pouvait point fuir. Quand son regard cherchait d'instinct autour d'elle un aide ou un refuge, elle ne voyait que portes closes et hauts lambris o? pendaient dans leurs cadres antiques les portraits des seigneurs de Penho?l.
La lumi?re de la lampe, trop faible, ne permettait point de distinguer leurs traits aust?res; mais Marthe voyait briller ?? et l?, sous les cadres, les gardes d'or des vieilles ?p?es. Car tous les Penho?l avaient servi le roi, et chacun d'eux gardait, sous son image, ses armes de bataille.
Ce n'?tait pas la mort que redoutait Marthe. Elle pensait, sans trop d'effroi, que peut-?tre une de ces armes, entre les mains de Ren? furieux, allait punir son crime imaginaire.
Cette pens?e ne l'occupait point. Parmi tous ces portraits, perdus ? demi dans l'ombre, il y en avait un sur lequel tombaient d'aplomb les rayons de la lampe.
C'?tait un tout jeune homme, ? la figure heureuse et fi?re, et dont le regard semblait fix? sur Marthe, en ce moment, avec amour.
Ce portrait, plac? ? c?t? du s?v?re visage du commandant de Penho?l, ?tait le dernier de tous.
Il repr?sentait les traits de l'a?n? de la famille, ce Louis dont le nom s'est trouv? si souvent dans ces pages.
Quand les yeux de Marthe tombaient sur ce noble et beau visage, ils ne pouvaient plus s'en d?tacher. On e?t dit qu'elle attendait alors quelque protection myst?rieuse.
Ren? de Penho?l ouvrit le portefeuille. Sa main maladroite et tremblante y chercha un papier durant quelques secondes. Tandis qu'il cherchait, Marthe baissait la t?te.
Penho?l allait lire. Marthe attendait la premi?re phrase de cette lecture comme un coupable redoute le premier mot de son arr?t: car le portefeuille contenait une lettre ?crite par elle, et qui pouvait justifier sa condamnation ? des yeux pr?venus.
Cette lettre lui avait ?t? d?rob?e par Robert de Blois.
Ren? avait enfin trouv? ce qu'il cherchait. Marthe entendit le bruit d'un papier qu'on d?pliait avec lenteur. Elle n'osait point relever la t?te.
--Voil? qui vous a procur? de bien doux moments, madame, dit le ma?tre de Penho?l; je veux avoir ma part de votre joie, et nous allons relire cette bonne lettre ensemble.
Il approcha le papier de la lampe et se prit ? d?chiffrer p?niblement:
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