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Read Ebook: Cruelle Énigme by Bourget Paul

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Ebook has 216 lines and 46729 words, and 5 pages

Aucun des convives, que cette tirade et la r?ponse divertissaient parmi l'?clat des cristaux, les parures des femmes, les pyramides des fruits et les touffes de fleurs, ne se doutait de l'indignation qu'une pareille causerie soulevait chez Hubert. Qui donc aurait pris garde ? ce tout jeune homme, silencieux et modeste, ? l'un des bouts de la table? Il se sentait, lui, cependant, froiss? jusqu'? l'?me dans les convictions intimes de son enfance et de sa jeunesse, et il jetait ? la d?rob?e le regard sur Th?r?se. Elle ne pronon?a pas cinquante paroles durant ce d?ner. Elle semblait ?tre partie, en id?e, bien loin de cette conversation qu'elle ?tait cens?e gouverner; et, comme si on e?t ?t? habitu? ? ces absences, personne n'essayait d'interrompre sa r?verie. Elle avait ainsi des heures enti?res o? elle s'absorbait en elle-m?me. La p?leur de son visage devenait plus chaude; l'?clat de ses yeux se retournait en dedans, pour ainsi dire; ses dents apparaissaient, toutes minces et serr?es, ? travers ses l?vres qui s'entr'ouvraient. A quoi pensait-elle, en ces minutes, et par quelle secr?te magie ces m?mes minutes ?taient-elles celles o? elle agissait le plus fortement sur l'imagination de ceux qui subissaient son charme? Un physiologiste aurait sans doute attribu? ces soudaines torpeurs ? des passages d'?motion nerveuse. N'y avait-il pas l? le signe d'un ?garement de sensualit? contre lequel la pauvre cr?ature luttait de toutes ses forces? Hubert Liauran n'avait vu dans le silence de ce soir que la d?sapprobation d'une femme d?licate contre les discours des amis de son mari, et ?'avait ?t? pour lui une supr?me douceur de se rapprocher d'elle et de lui parler au sortir de ce d?ner o? ses plus ch?res croyances avaient ?t? bless?es. Il s'?tait assis sous le regard de ses yeux, redevenus limpides, et dans un des coins du salon,--une pi?ce toute meubl?e ? la moderne, et dont l'opulence de petit mus?e, les peluches, les ?toffes anciennes, les bibelots japonais contrastaient aussi absolument avec les appartements s?v?res de la rue Vaneau, que l'existence de Mme Castel et de Mme Liauran pouvait contraster avec celle de Mme de Sauve. Au lieu de reconna?tre cette ?vidente diff?rence et de partir de l? pour ?tudier la nouveaut? du monde o? il se trouvait, Hubert s'abandonnait ? un sentiment trop naturel ? ceux dont l'enfance a grandi dans un atmosph?re de f?minine g?terie. Habitu? par les deux nobles cr?atures qui avaient veill? sur sa jeunesse ? toujours associer l'id?e de la femme ? quelque chose d'inexprimablement d?licat et pur, il ?tait immanquable que l'?veil de l'amour s'accompl?t chez lui dans une sorte de religieuse et de respectueuse ?motion. Il devait ?tendre sur la personne qu'il ch?rirait, quelle qu'elle f?t, toute la d?votion con?ue par lui pour les saintes dont il ?tait le fils. En proie ? cette ?trange confusion d'id?es, il avait, d?s ce premier soir, et rentr? chez lui, parl? de Th?r?se ? sa m?re et ? sa grand'm?re qui l'attendaient, dans des termes qui avaient d? n?cessairement ?veiller la d?fiance des deux femmes. Il le comprenait aujourd'hui. Mais quel est le jeune homme qui a pu commencer d'aimer sans ?tre pr?cipit?, par la douce ivresse des d?buts d'une passion, ? des confidences irr?parables, et trop souvent meurtri?res ? l'avenir m?me de son sentiment?

De quelle mani?re et par quelles ?tapes ce sentiment avait-il p?n?tr? en lui? Cela, il n'aurait pas su le dire. Lorsqu'une fois on aime, ne semble-t-il pas qu'on ait aim? toujours? Des sc?nes s'?voquaient cependant, et rappelaient ? Hubert l'insensible accoutumance qui l'avait conduit ? voir Th?r?se plusieurs fois par semaine. Mais n'avait-il pas ?t? pr?sent? peu ? peu chez elle ? toutes ses amies, et, aussit?t ses cartes d?pos?es, ne s'?tait-il pas trouv? pri? de toutes parts dans ce monde qu'il connaissait ? peine et qui se composait, pour une partie, de hauts fonctionnaires du r?gime tomb?; pour une autre partie, de grands industriels et de financiers politiciens; pour un tiers enfin, d'artistes c?l?bres et de riches ?trangers? Cela faisait une libre soci?t? de luxe, de plaisir et de mouvement, dont le ton devait beaucoup d?plaire au jeune homme, car il n'en pouvait comprendre les qualit?s d'?l?gance et de finesse, et il en sentait bien le terrible d?faut, le manque de silence, de vie morale et de longues habitudes. Ah! il s'agissait bien pour lui d'observations de ce genre, pr?occup? qu'il ?tait uniquement de savoir o? il apercevrait Mme de Sauve et ses yeux. D'innombrables heures se repr?sentaient ? lui o? il l'avait rencontr?e,--tant?t chez elle, assise au coin de son feu vers la tomb?e de l'apr?s-midi et ab?m?e dans une de ses taciturnes r?veries,--tant?t en visite, habill?e d'une toilette de ville et souriant, avec sa bouche d'H?rodiade, ? des conversations de robes ou de chapeaux,--tant?t, sur le devant d'une loge de th??tre, et causant ? mi-voix durant un entr'acte,--tant?t dans le tumulte de la rue, emport?e par son cheval bai-cerise et inclinant sa t?te ? la porti?re par un geste gracieux. Le souvenir de cette voiture d?terminait chez Hubert une nouvelle association d'id?es, et il revoyait l'instant o? il avait, pour la premi?re fois, avou? le secret de ses sentiments. Mme de Sauve et lui s'?taient, ce jour-l?, rencontr?s vers les cinq heures dans un salon de l'avenue du bois de Boulogne, et comme la pluie commen?ait ? s'abattre, intarissable, la jeune femme avait propos? ? Hubert, venu ? pied, de le prendre dans sa voiture, ayant, disait-elle, une visite ? faire pr?s de la rue Vaneau qui lui permettrait de le d?poser sur le chemin, ? sa porte. Il avait pris place, en effet, aupr?s d'elle, dans l'?troit coup? doubl? de cuir vert o? tra?nait un peu de cette atmosph?re subtile qui fait de la voiture d'une femme ?l?gante une sorte de petit boudoir roulant, avec tous les menus objets d'une jolie installation. La boule d'eau chaude ti?dissait sous les pieds; sur le devant, la glace pos?e dans sa gaine attendait un regard; le carnet plac? dans la coupe avec son crayon et ses cartes de visite parlait de corv?es mondaines; la pendule accroch?e ? droite marquait la rapidit? de la fuite de ces minutes douces; un livre entr'ouvert et gliss? ? la place o? l'on met d'ordinaire les emplettes portatives, r?v?lait que Th?r?se avait pris chez le libraire le roman ? la mode. Au dehors, c'?tait, dans les rues o? les lumi?res commen?aient de s'allumer, le d?cha?nement d'un glacial orage d'hiver. Th?r?se, envelopp?e d'un long manteau qui dessinait sa taille, se taisait. Au triple reflet des lanternes de la voiture, du gaz de la rue et du jour mourant, elle ?tait si divinement p?le et belle, qu'? bout d'?motion Hubert lui prit la main. Elle ne la retira pas; elle le regardait avec des yeux immobiles, et comme noy?s de larmes qu'elle n'e?t pas os? r?pandre. Il lui dit, sans m?me entendre le son de ses propres paroles, tant ce regard le grisait: <> Elle p?lit davantage encore, et lui mit sur la bouche sa main gant?e, pour le faire taire. Il se mit ? baiser cette main follement, en cherchant la place o? l'?chancrure du gant permettait de sentir la chaleur vivante du poignet. Elle r?pondit ? cette caresse par ce mot que toutes les femmes prononcent dans des minutes pareilles,--mot si simple, mais dans lequel tant d'inflexions se glissent, depuis la plus mortelle indiff?rence jusqu'? la tendresse la plus ?mue: <> Il l'interrogea: <> Et alors, comme elle le regardait avec ces m?mes yeux par lesquels un rayon de f?licit? s'?chappait, il put l'entendre qui, d'une voix ?touff?e, murmurait: <>

Pour la plupart des jeunes gens de Paris, une telle sc?ne aurait ?t? le pr?lude d'un effort vers la compl?te possession d'une femme aussi ?videmment ?prise,--effort qui e?t peut-?tre ?chou?, car une femme du monde qui veut se d?fendre trouve bien des moyens de ne pas se donner, m?me apr?s des aveux de ce genre, ou des marques plus compromettantes d'attachement,--pour peu qu'elle soit coquette. Mais la coquetterie n'?tait pas plus le cas de Mme de Sauve que l'audace physique n'?tait le cas de l'enfant de vingt-deux ans dont elle ?tait aim?e. Ces deux ?tres ne se voyaient-ils point plac?s par le hasard dans une situation de la plus ?trange d?licatesse? Il ?tait, lui, incapable d'entreprendre davantage, ? cause de son enti?re puret?. Quant ? elle, comment n'aurait-elle pas compris que s'offrir ? lui, c'?tait risquer d'?tre aim?e moins? De telles difficult?s sont moins rares que la fatuit? des hommes ne l'avoue, dans les conditions faites aux sentiments par les moeurs modernes. Entre deux personnes qui s'aiment, dans l'?tat pr?sent des moeurs, toute action devient en m?me temps un signe; et comment une femme qui sait cela n'h?siterait-elle pas ? compromettre pour jamais son bonheur en voulant l'?treindre trop vite? Th?r?se ob?issait-elle ? cette raison de prudence, ou bien trouvait-elle dans les respects br?lants de son ami un plaisir de coeur d'une nouveaut? d?licieuse? Chez tous les hommes qu'elle avait rencontr?s avant celui-ci, l'amour n'?tait qu'une forme d?guis?e du d?sir, et le d?sir lui-m?me une forme enivr?e de l'amour-propre. Toujours est-il que, durant les mois qui suivirent ce premier aveu, elle accorda au jeune homme tous les rendez-vous qu'il lui demanda, et que tous ces rendez-vous demeur?rent aussi essentiellement innocents qu'ils ?taient clandestins. Tandis que le train de Boulogne emportait Hubert vers la plus d?sir?e de ces rencontres, il se ressouvenait des anciennes, de ces passionnantes et dangereuses promenades, hasard?es presque toutes ? travers le Paris matinal. Ils avaient ainsi aventur? leur na?ve et coupable idylle dans tous les endroits o? il semblait invraisemblable qu'une personne de leur monde p?t les rencontrer. Combien de fois avaient-ils visit?, par exemple, les tours de Notre-Dame, o? Th?r?se aimait ? promener sa gr?ce jeune parmi les vieux monstres de pierre sculpt?s sur les balustrades? A travers les minces fen?tres en ogive de la mont?e, ils regardaient tour ? tour l'horizon du fleuve encaiss? entre ses quais et de la rue encaiss?e entre ses maisons. Il y avait dans une des b?tisses tapies ? l'ombre de la cath?drale, du c?t? de la rue Chanoinesse, un petit appartement au cinqui?me ?tage, prolong? par une terrasse, derri?re les vitres duquel ils imaginaient un roman pareil au leur, parce qu'ils y avaient vu deux fois une jeune femme et un jeune homme qui d?jeunaient, assis ? une m?me table ronde et la fen?tre entr'ouverte. Quelquefois les rafales du vent de d?cembre grondaient autour de la basilique, des tourmentes de neige fondue battaient les murs. Th?r?se n'en ?tait pas moins exacte au rendez-vous, descendant de son fiacre devant le grand portail, traversant l'?glise pour sortir sur le c?t?, puis retrouver Hubert dans le sombre p?ristyle qui pr?c?de les tours. Ses fines dents brillaient dans son joli sourire, sa taille mince paraissait plus ?l?gante encore dans ce d?cor de l'ancienne cit?. Sa gr?ce heureuse semblait agir m?me sur la vieille gardienne qui distribue les cartes du fond de sa loge et parmi ses chats, car elle lui envoyait un sourire de reconnaissance. C'est dans l'escalier de ces antiques tours qu'Hubert s'?tait hasard? ? mettre pour la premi?re fois un baiser sur ce p?le visage, pour lui divin. Th?r?se gravissait devant lui, ce matin-l?, les marches creus?es qui tournent autour du pilier de pierre. Elle s'arr?ta une minute pour respirer; il la soutint dans ses bras, et comme elle se renversait doucement en appuyant la t?te sur son ?paule, leurs l?vres se rencontr?rent. L'?motion fut si forte qu'il pensa mourir. Ce premier baiser avait ?t? suivi d'un autre, puis de dix, puis d'autres encore, si nombreux qu'ils n'en savaient plus le nombre. Oh! les longs, les angoissants, les profonds baisers, et dont elle disait tendrement, comme pour se justifier dans la pens?e de son doux complice: <> De ces adorables baisers, ils avaient ainsi peupl? follement tous les asiles o? leur imprudent amour s'?tait abrit?. Hubert se souvenait d'avoir embrass? Th?r?se, assis tous les deux sur une pierre de tombeau, dans une all?e d?serte d'un des cimeti?res de Paris, tandis que le jardin des morts ?tendait autour d'eux, par une matin?e bleue et ti?de, son fun?bre paysage d'arbres toujours verts et de s?pulcres. Il l'avait embrass?e encore sur un des bancs de ce parc lointain de Montsouris, un des plus inconnus de la ville, parc tout nouvellement plant? qu'un chemin de fer traverse, que domine un pavillon d'architecture chinoise et autour duquel s'?tend l'horizon d'usines du lamentable quartier de la Glaci?re. D'autres fois, ils s'?taient promen?s, ind?finiment, en voiture, le long du morne talus des fortifications, et, lorsque l'heure arrivait de rentrer, c'?tait toujours Th?r?se qui partait la premi?re. Il la voyait, cach? lui-m?me dans le fiacre arr?t?, qui, de son pied svelte, franchissait les ruisseaux. Elle marchait sur le trottoir sans qu'une tache de boue d?shonor?t sa robe et se retournait comme involontairement pour l'envelopper d'un dernier regard. C'est dans ces occasions-l? qu'il sentait trop bien quels dangers il faisait courir ? cette femme; mais, quand il lui parlait de ses craintes, elle r?pondait en secouant sa t?te d'une expression si ais?ment tragique: <> Ils en ?taient venus, bien qu'ils continuassent de n'?tre point l'un ? l'autre enti?rement, aux familiarit?s de langage dont s'accompagne la passion partag?e. Ils s'?crivaient presque tous les matins des billets dont un seul aurait suffi pour ?tablir que Th?r?se ?tait la ma?tresse d'Hubert, et cependant elle ne l'?tait point. Mais, ? quelque d?tail que s'arr?t?t le souvenir du jeune homme, il trouvait toujours qu'elle ne lui avait disput? aucune des marques de tendresse qu'il lui avait demand?es. Seulement il n'osait rien concevoir au del? de lui prendre les mains, la taille, le visage, et de s'appuyer, comme un enfant, sur son coeur. Elle avait avec lui cet abandon de l'?me, si entier, si confiant, si indulgent, le seul signe du v?ritable amour que la plus habile coquetterie ne puisse imiter. Et, par contraste ? cette tendresse, pour en mieux encore aviver la douceur, ? chacune des sc?nes de cette idylle avait correspondu quelque douloureuse explication du jeune homme avec sa m?re, ou quelque cruelle angoisse ? retrouver Mme de Sauve, le soir, aupr?s de son mari. Ce dernier ne faisait r?ellement aucune attention ? Hubert, mais le fils de Mme Liauran n'?tait pas encore habitu? aux d?shonorants mensonges des cordiales poign?es de main offertes ? l'homme que l'on trompe... Qu'importaient ces mis?res cependant, puisqu'ils allaient, lui la retrouver, elle l'attendre, dans la petite ville anglaise o? ils devaient passer ensemble deux jours? ?tait-ce d'Hubert, ?tait-ce de Th?r?se que venait cette id?e? Le jeune homme n'e?t pas su le dire. Andr? de Sauve se trouvait en Alg?rie pour une enqu?te parlementaire. Th?r?se avait une amie de couvent et qui habitait la province, assez s?re pour qu'elle p?t se donner comme ?tant all?e chez elle. Elle pr?tendait, d'autre part, que la position sur le chemin de Paris ? Londres fait de Folkestone, en hiver, le plus s?r abri, parce que les voyageurs fran?ais traversent cette ville sans jamais s'y arr?ter. A la seule id?e de la revoir, le coeur d'Hubert se fondait dans sa poitrine, et il se sentait, avec un fr?missement impossible ? d?finir, sur le point de rouler dans un gouffre de myst?re, d'enivrant oubli et de f?licit?.

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Elle l'entra?na par la main dans une pi?ce contigu? au salon, dont la fen?tre donnait sur le jardin de l'h?tel. Le feu ?tait allum? dans la chemin?e. Des fleurs ?gayaient les vases pos?s sur l'encoignure et aussi la table, sur laquelle Th?r?se avait d?ploy?, pour lui donner un air plus ? eux, une ?toffe japonaise apport?e par elle. Elle y avait plac? trois cadres avec les portraits d'elle que le jeune homme pr?f?rait. Il se retourna pour la remercier, et il rencontra un de ces regards qui font d?faillir tout le coeur, par lesquels une femme attendrie semble remercier celui qu'elle aime du plaisir qu'il a bien voulu recevoir d'elle. Mais la pr?sence du domestique, en train de d?poser et d'ouvrir la valise, l'emp?cha de r?pondre ? ce regard par un baiser.

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--<> dit-il, sans pouvoir trouver une phrase ? r?pondre, tant l'?motion heureuse lui envahissait toute l'?me. <> ajouta-t-il tout bas, et pour lui seul, tandis qu'il la regardait dispara?tre par la porte, avec cette taille et cette d?marche de tr?s jeune fille que lui avait laiss?e son mariage sans enfants; et il fut oblig? de s'asseoir pour ne pas s'?vanouir devant l'?vidence de son bonheur. La cr?ature humaine est si naturellement organis?e pour l'infortune, qu'il y a dans la r?alisation compl?te du d?sir un je ne sais quoi d'affolant, comme la soudaine entr?e dans le miracle et dans le songe, et, ? un certain degr? d'intensit?, il semble que la joie ne soit pas vraie. Et puis, l'?tranget? de la situation ne devait-elle pas agir comme une sorte d'opium sur le cerveau de cet enfant, qui ne pouvait pas comprendre que son amie avait saisi cette circonstance pour sauver justement par cette ?tranget? les difficiles pr?liminaires d'un plus complet abandon de sa personne?

Oui, cette joie ?tait-elle vraie?... Hubert se le demandait, un quart d'heure plus tard, assis aupr?s de Mme de Sauve devant la table carr?e du petit salon sur laquelle ?tait dispos? tout l'appareil n?cessaire pour le go?ter: la th?i?re d'argent, l'aigui?re d'eau chaude, les fines tasses. N'avait-elle pas encore emport? ces deux tasses de Paris avec elle, afin, sans doute, de les garder toujours? Elle le servait, comme elle avait dit, de ses jolies mains d'o? elle avait retir? son anneau d'alliance, afin d'?loigner de la pens?e du jeune homme toute occasion de se rappeler qu'elle n'?tait pas libre. Durant ces heures de l'apr?s-midi, le silence de la petite ville se faisait comme palpable autour d'eux, et la sensation de la solitude partag?e s'approfondissait dans leurs coeurs, si intense qu'ils ne se parlaient pas, comme s'ils eussent craint que leurs paroles ne les r?veillassent de la sorte de sommeil enivr? qui gagnait leurs ?mes. Hubert appuyait sa t?te sur sa main et regardait Th?r?se. Il la sentait si parfaitement ? lui dans cette minute, si voisine de son ?tre le plus secret, qu'il ne ressentait m?me plus le besoin de ses caresses. Ce fut elle qui, la premi?re, rompit ce silence dont elle eut subitement peur. Elle se leva de sa chaise et vint s'asseoir ? terre, aux pieds du jeune homme, la t?te sur ses genoux; et, comme il continuait ? ne pas bouger, elle eut une inqui?tude dans ses yeux; puis, docilement, avec ce son de voix vaincu auquel nul amant n'a jamais r?sist?: <> L'angoisse ? laquelle la charmante femme se trouvait en proie ?tait si forte, qu'Hubert vit ses traits s'alt?rer un peu, tandis qu'elle pronon?ait cette phrase. Tout le drame qui s'?tait jou? en elle depuis le commencement de cette liaison se formulait pour la premi?re fois. Surtout ? cette minute, le voyant si jeune, si pur, si d?pourvu de brutalit?, si selon son r?ve, elle ?prouvait un insens? besoin de lui prodiguer des marques de sa tendresse et elle tremblait plus que jamais de l'effaroucher, et peut-?tre, car il y a de ces replis ?tranges dans les consciences f?minines, de le corrompre. Elle continuait, se livrant au plaisir de penser tout haut sur ces choses pour la premi?re fois: <

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Ce m?me m?lange de caressante inqui?tude, de soudaine exaltation, et d'enfantillage tendre, continua de sa part durant toute cette promenade qui se composa, pour l'un et pour l'autre, d'une suite d'?motions supr?mes. Par un hasard comme il ne s'en produit pas deux au cours d'une vie humaine, ils se trouvaient plac?s exactement dans les circonstances qui devaient porter leurs ?mes au plus haut degr? possible d'amour. Le monde social, avec ses devoirs meurtriers, se trouvait ?cart?. Il existait aussi peu pour leur pens?e que le cocher qui, juch? haut par derri?re et invisible, conduisait le l?ger cab o? ils se trouvaient en t?te ? t?te, le long de la route de Folkestone ? Sandgate et ? Hythe. Le monde de l'esp?rance s'ouvrait devant eux, en revanche, comme un jardin par? des plus belles fleurs. Ils se voyaient r?compens?s, lui de son innocence, elle de la r?serve que sa raison lui avait impos?e, par une impression aussi d?licieuse que rare: ils jouissaient de l'intimit? de coeur qui ne s'obtient d'ordinaire qu'apr?s une longue possession, et ils en jouissaient dans toute la fra?cheur du d?sir timide. Mais ce d?sir timide avait pour arri?re-fonds chez tous les deux une enivrante certitude, perspicace chez Th?r?se, obscure encore chez Hubert, et c'?tait dans un vaste et noble paysage qu'ils promenaient ces sensations rares. Ils suivaient donc cette route, de Folkestone ? Hythe, mince ruban qui court au long de la mer. La verte falaise est sans rochers, mais sa hauteur suffit pour donner ? la route qu'elle surplombe cette physionomie d'asile abrit?, reposant attrait des vall?es au pied des montagnes. La plage de galets ?tait recouverte par la mar?e haute. Elle remuait, cette large mer, sans qu'un oiseau vol?t au-dessus d'elle. Son immensit? verd?tre se fon?ait jusqu'au violet ? mesure que le jour tombant assombrissait l'azur froid du ciel. La voiture allait vite sur ses deux roues, tra?n?e par un cheval fortement r?bl?, que son mors trop gros for?ait par instants ? relever sa t?te en tordant sa bouche. Th?r?se et Hubert, serr?s l'un contre l'autre dans la sorte de petite gu?rite roulante ouverte ? moiti?, se tenaient la main sous le plaid de voyage qui les enveloppait. Ils laissaient leur passion se dilater comme cet oc?an, fr?mir en eux avec la pl?nitude de ces houles, s'ensauvager comme cette c?te st?rile. Depuis que la jeune femme avait demand? ? son ami ce singulier serment, elle semblait un peu plus calme, malgr? des passages de soudaine r?verie qui se r?solvaient en effusions muettes. Lui, de son c?t?, ne l'avait jamais si absolument aim?e. Il lui fallait sans cesse la prendre contre lui, la serrer dans ses bras. Un infini besoin de se rapprocher d'elle encore davantage montait ? sa t?te et le grisait; et, cependant, il appr?hendait l'arriv?e du soir avec cette mortelle angoisse de ceux pour qui l'univers f?minin est un myst?re. Malgr? les preuves de passion que lui donnait Th?r?se, il se sentait devant elle en proie ? une d?faillance de sa volont?, insurmontable, qui serait devenue de la douleur s'il n'avait pas eu en m?me temps une immense confiance dans l'?me de cette femme. Cette impression de l'ab?me inconnu dans lequel allait se plonger leur amour et qui l'e?t ?pouvant? d'une terreur presque animale, se faisait plus tranquille parce qu'il descendait dans cet ab?me avec elle. V?ritablement elle avait une intelligence adorable des troubles qui devaient traverser celui qu'elle aimait. N'?tait-ce pas pour m?nager ses nerfs trop vibrants qu'elle l'avait entra?n? ? cette promenade, durant laquelle le grandiose spectacle, le vent du large et les marches ? pied ? de certaines minutes, maintenaient, et lui et elle, au-dessus des troubles in?vitables du trop ardent d?sir? Ils all?rent ainsi, jusqu'? l'heure tragique o? les astres ?clatent dans le ciel nocturne, tant?t cheminant sur les galets, tant?t remontant dans la petite voiture, prenant et reprenant sans cesse les m?mes sentiers, sans pouvoir se d?cider ? retourner, comme s'ils eussent compris qu'ils retrouveraient d'autres instants de bonheur, mais d'un bonheur comme celui-l?, jamais! L'obscure intuition de l'?me universelle, dont les visibles formes et les invisibles sentiments sont le commun effet, leur r?v?lait, sans qu'ils s'en rendissent compte, une myst?rieuse analogie et comme une correspondance divine entre la face particuli?re de ce coin de nature et l'essence ind?finie de leur tendresse. Elle lui disait: <>; et il ne souriait pas d'incr?dulit? ? cette phrase, comme elle ne doutait pas lorsqu'il lui disait: <> Et, quand ils marchaient, c'est lui qui prenait le bras de Th?r?se et qui s'y appuyait c?linement. Il symbolisait ainsi, sans le savoir, l'?trange renversement des r?les qui voulait que, dans cette liaison, il e?t toujours repr?sent? l'?l?ment f?minin, avec sa fr?le personne, son innocence enti?re, la candeur de ses ?motions craintives. Certes, elle ?tait bien femme aussi, par sa d?marche souple, par la finesse f?line de ses mani?res, par ses yeux fondus qui se donnaient ? chaque regard. Elle paraissait pourtant une cr?ature plus forte, mieux arm?e pour la vie que le d?licat enfant, oeuvre fragile de la tendresse de deux femmes pures, qu'elle avait enlac? d'un si l?ger tissu de s?duction, et qui, ? peine plus grand qu'elle de trois lignes du front, s'abandonnait avec une fraternelle confiance; et le mouvement m?me de leur d?marche, d'une parfaite harmonie de rythme, disait assez la compl?te union des coeurs qui les faisait vibrer ensemble ? ce moment d'une ?troite mani?re.

Ils rentr?rent. Le d?ner qui suivit cet apr?s-midi de songe fut silencieux et presque sombre. Il semblait que tous deux eussent peur l'un de l'autre. Ou bien seulement ?tait-ce chez elle une recrudescence de cette crainte de d?plaire qui lui avait fait diff?rer jusqu'? cette heure l'abandon de sa personne, et chez lui la sorte de farouche m?lancolie, dernier signe de l'animalit? primitive, qui pr?c?de chez l'homme toute entr?e dans le complet amour? Comme il arrive ? des moments pareils, leurs discours se faisaient d'autant plus calmes et indiff?rents que leurs coeurs ?taient plus troubl?s. Ces deux amants, qui avaient pass? la journ?e dans la plus romanesque exaltation, et qui se retrouvaient dans la solitude de cet asile ?tranger, semblaient n'avoir ? se dire que des phrases sur le monde qu'ils avaient quitt?. Ils se s?par?rent de bonne heure, et comme s'ils se fussent dit adieu pour ne se voir que le lendemain, quoiqu'ils sentissent bien tous les deux que dormir s?par?s l'un de l'autre ne leur ?tait pas possible. Aussi Hubert ne fut-il pas ?tonn?, quoique son coeur batt?t ? se rompre, lorsque au moment o? il allait lui-m?me se rendre aupr?s d'elle, il entendit la clef tourner dans la porte; Th?r?se entra, v?tue d'un long peignoir souple de dentelles blanches, et dans ses yeux une douceur passionn?e: <>--... Vers le milieu de la nuit, le jeune homme s'?veilla, et cherchant des l?vres le visage de sa ma?tresse, il trouva que ses joues qu'il ne voyait pas ?taient inond?es de pleurs. <> lui dit-il. <> ?nigmatiques paroles qu'Hubert devait se rappeler si souvent plus tard, et qui, m?me ? cette minute, et sous ces baisers, firent soudain se lever en lui la vapeur de tristesse, accompagnement habituel du plaisir. A travers cette vapeur de tristesse, il aper?ut, comme dans un ?clair, une maison de lui bien connue, et les visages pench?s sous la lampe, parmi les portraits de famille, des deux femmes qui l'avaient ?lev?. Ce ne fut qu'une seconde, et il posa sa t?te sur la poitrine de Th?r?se pour y oublier toute pens?e tandis que la vague plainte de la mer arrivait jusqu'? lui, adoucie par la distance,--rumeur myst?rieuse et lointaine comme l'approche de la destin?e.

Quinze jours plus tard, Hubert Liauran descendait sur le quai de la gare du Nord, vers cinq heures du soir, revenant de Londres par le train de jour. Le comte Scilly et Mme Castel l'attendaient. Mais que devint-il lorsqu'il aper?ut, parmi les visages qui se pressaient autour des portes, celui de Th?r?se? Ils avaient arr?t? par lettres qu'ils se rencontreraient, le soir de ce jour qui ?tait un mardi, au Th??tre-Fran?ais, dans sa loge. Elle, pourtant, n'avait pas r?sist? au d?sir de le revoir quelques heures plus t?t; et dans ses yeux ?clatait une ?motion supr?me, faite du bonheur de le contempler et du chagrin d'?tre s?par?e de lui; car ils ne purent ?changer qu'un salut, qui ?chappa heureusement ? la grand'm?re. Th?r?se disparut, et tandis que le jeune homme se tenait dans la salle des bagages, un involontaire mouvement de mauvaise humeur s'?levait en lui, qui lui faisait se dire que les deux vieilles gens, dont il ?tait pourtant si aim?, auraient bien d? n'?tre pas l?. Cette petite impression p?nible, qui lui montrait, ? la minute m?me de son retour, le poids de la cha?ne des tendresses de famille, se renouvela aussit?t qu'il se retrouva en face de sa m?re. D?s le premier regard, il se sentit ?tudi?, et, comme il n'avait gu?re l'habitude des dissimulations, il se crut devin?. C'est qu'en effet ses yeux, ? lui, avaient chang?, comme changent ceux d'une jeune fille devenue femme, d'un de ces changements imperceptibles qui r?sident dans une nuance d'expression. Mais comment la m?re s'y serait-elle tromp?e, elle qui depuis tant d'ann?es suivait tous les reflets de ces prunelles noires, et qui maintenant y saisissait un fond de f?licit? enivr?e et insondable? Mais poser une question ? ce sujet, la pauvre femme ne le pouvait pas. Les nuances, ces ?v?nements principaux de la vie du coeur, ?chappent aux formules des phrases, et de l? naissent les pires malentendus. Hubert fut tr?s gai durant le d?ner, d'une gaiet? que rendait un peu nerveuse la pr?vision d'une difficult? toute prochaine. Comment sa m?re allait-elle prendre sa sortie du soir? Il n'y avait pas une demi-heure qu'on avait quitt? la table, lorsqu'il se leva, comme quelqu'un qui va dire adieu.

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--<> fit Mme Castel qui voulut ?pargner ? sa fille l'humiliation d'un refus qu'elle pr?voyait.

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--<>, se dit Mme Liauran; et, comme le silence s'?tait fait parmi les h?tes du salon apr?s le d?part d'Hubert, elle ?couta si la porte d'entr?e de l'h?tel allait s'ouvrir aussit?t. Il s'?coula une demi-heure sans qu'elle n'entend?t le bruit du battant. Elle n'y put tenir et pria le g?n?ral d'aller jusque dans l'appartement du jeune homme, sous le pr?texte de prendre un livre, afin de savoir s'il s'?tait habill? ce soir. Il s'?tait habill? en effet. Il allait donc chez Mme de Sauve, ou bien dans le monde, afin de l'y revoir. Ce fut la conclusion que tira de cet indice la m?re jalouse, qui, pour la premi?re fois, avoua au comte ses longues inqui?tudes. L'accent dont elle parlait emp?cha ce dernier d'avouer ? son tour l'emprunt qu'Hubert avait fait aupr?s de lui des trois mille francs, d?pens?s sans doute, songea-t-il, ? suivre cette femme.

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Ainsi, l'?vidence d'une m?tamorphose de caract?re subie par son fils la torturait d?s ce premier jour. Ce fut pis encore durant ceux qui suivirent. Elle ne voulut cependant pas admettre tout de suite que son cher, son candide Hubert f?t l'amant de Mme de Sauve. Elle ne se r?signait pas ? l'id?e qu'il p?t se rendre coupable d'une faute de cet ordre sans de terribles remords. Elle l'avait ?lev? dans de si ?troits principes de religion! Elle ignorait que pr?cis?ment le premier soin de Th?r?se avait ?t? d'endormir tous les scrupules de conscience de son jeune ami, en le conduisant, par d'insensibles degr?s, de la tendresse timide ? la passion br?lante. Pris au lacet de ce doux pi?ge, Hubert n'avait ? la lettre jamais jug? sa vie depuis ces cinq mois, et la nature s'?tait faite la complice de la femme aimante. Nous nous repentons bien de nos plaisirs, mais il est malais? d'avoir des remords du bonheur, et l'enfant ?tait heureux d'une de ces f?licit?s absolues qui ne voient m?me pas les souffrances qu'elles causent. C'?tait cependant sur le pouvoir de sa souffrance que Mme Liauran comptait presque uniquement dans la campagne qu'elle avait entreprise, elle, une simple femme qui ne savait de la vie que ses devoirs, contre une cr?ature qu'elle imaginait ? la fois prestigieuse et fatale, ensorcelante et meurtri?re. Elle avait adopt? le na?f syst?me commun ? toutes les jalousies tendres, et qui consiste ? montrer sa peine. Elle se disait: <> Le malheur ?tait qu'Hubert, enivr? par sa passion, n'apercevait dans la peine de sa m?re qu'une injustice tyrannique ? l'?gard d'une femme qu'il consid?rait comme divine, et d'un amour qu'il estimait sublime. Lorsqu'il revenait du bois de Boulogne, le matin, apr?s avoir mont? ? cheval et vu passer Mme de Sauve dans la voiture attel?e de deux ponettes grises qu'elle conduisait elle-m?me, il rencontrait ? d?jeuner le profil attrist? de sa m?re, et il se disait: <> Il raisonnait, au lieu de sentir. Sa m?re lui mettait son coeur saignant sur son chemin, et il passait outre. Quand il devait d?ner au dehors, et qu'? l'instant du d?part l'adieu de sa m?re lui pr?sageait que Mme Liauran passerait ? le regretter une soir?e de m?lancolie, il songeait: <> Et c'?tait vrai. La ma?tresse avait cette g?n?rosit? facile des femmes qui se savent immens?ment pr?f?r?es, et qui se gardent bien de demander ? celui qui les aime d'agir comme elles le d?sirent. Le plaisir est si d?licat de laisser son amant libre, de l'encourager m?me ? vous sacrifier, quand on est certaine de ce que sera sa d?cision! Il arrivait aussi qu'Hubert rev?nt ? l'h?tel de la rue Vaneau ayant eu avec Th?r?se un rendez-vous secret dans la journ?e,--Emmanuel Deroy avait mis ? la disposition de son ami le petit appartement de gar?on qu'il conservait avenue Friedland.--Mais alors, soit que la tristesse nerveuse dont s'accompagnent les trop vifs plaisirs le rend?t cruel, soit que de secrets remords de conscience vinssent le tourmenter, soit que le contraste f?t trop fort entre les formes charmantes que prenait la tendresse de Th?r?se et les formes tristes que rev?tait celle de Mme Liauran, le jeune homme devenait r?ellement ingrat. L'irritation grandissait en lui, et non la piti?, devant le chagrin de celle dont il ?tait pourtant le fils idol?tr?. Marie-Alice saisissait cette nuance, et elle en souffrait plus que de tout le reste, sans deviner que l'exc?s de sa douleur ?tait une faute irr?parable de conduite et qu'une comparaison d?moralisante s'?tablissait dans l'esprit d'Alexandre-Hubert entre les s?v?rit?s de la famille et les caressantes d?lices de l'affection choisie.

La m?re, ?puis?e par une inqui?tude continuelle, ?tait ? bout de forces, quand un ?v?nement inattendu, quoique facile ? pr?voir, mit davantage encore en saillie l'antagonisme qui la faisait se heurter sans cesse contre son fils. On ?tait dans la semaine sainte. Elle avait compt? sur la confession et la communion d'Hubert pour hasarder une tentative supr?me et le d?cider ? rompre des relations qu'elle jugeait encore incompl?tement coupables, mais si dangereuses. Il ne pouvait pas entrer dans sa t?te de fervente chr?tienne que son fils manqu?t au devoir pascal. Aussi n'avait-elle aucun doute sur sa r?ponse, en lui demandant ? un moment o? ils se trouvaient seuls:

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Cette r?ponse fut l'?clair qui montra soudain ? Marie-Alice l'ab?me o? son fils avait roul?, tandis qu'elle le croyait seulement sur le bord. Elle ne fut pas dupe une minute du pr?texte imagin? par Hubert. Et d'o? lui seraient venus des doutes religieux, ? lui qui depuis des mois ne lisait aucun livre? Elle connaissait d'ailleurs la simplicit? d'?me de cet enfant, ? l'instruction de qui elle avait pr?sid?. Non; s'il ne voulait pas communier, c'est qu'il ne voulait pas se confesser. Il avait horreur d'avouer une faute inavouable. Laquelle, sinon celle qui avait ?t? l'oeuvre mauvaise de ces six mois?... Adult?re! Son fils ?tait adult?re! Mot terrible et qui lui repr?sentait, ? elle, si loyale, si pure, si pieuse, la plus r?pugnante des bassesses, l'ignominie du mensonge m?lang?e aux turpitudes de la chair. Elle trouva dans son indignation l'?nergie d'ouvrir enfin tout son coeur ? Hubert. Elle lui dit, boulevers?e comme elle ?tait par ses craintes religieuses pour le salut de cet enfant aim?, des phrases qu'elle n'aurait jamais cru pouvoir prononcer, nommant Mme de Sauve, l'accablant des plus durs reproches, la fl?trissant de tout ce qu'une femme honn?te peut trouver en elle de m?pris pour une femme qui ne l'est pas, invoquant le souvenir du pass? commun, mena?ante tour ? tour et suppliante, d?cha?n?e enfin et ne calculant plus.

--<> Et sur cette r?plique, prononc?e avec tout le sang-froid que lui avait laiss? le sentiment de l'injustice de sa m?re, il sortit de la chambre, sans ajouter un mot.

--<>, disait Mme Liauran ? Mme Castel en lui racontant cette sc?ne, qui fut suivie de vingt jours de silence entre la m?re et le fils. Ce dernier se montrait au d?jeuner, baisait sa m?re au front et lui demandait de ses nouvelles, s'asseyait ? table et n'ouvrait pas la bouche de tout le repas. Le plus souvent, il n'assistait pas au d?ner. Il avait confi? ce chagrin, comme il confiait tous ses chagrins, ? Th?r?se, qui l'avait suppli? de c?der.

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--<> avait dit le jeune homme en lui couvrant les mains de baisers et se noyant sous le regard de ces yeux, pour lui si doux. Mais s'il avait mieux aim? sa ma?tresse ? cause de cette g?n?rosit?, il avait ressenti davantage la rancune que les phrases de leur p?nible querelle avaient soulev?e en lui contre sa m?re. Celle-ci cependant avait ?t? secou?e par cette brouille au point d'en avoir une recrudescence de sa maladie nerveuse, qu'elle put cacher ? celui qui en ?tait la cause. Il lui fut presque absolument interdit de bouger, ce qui ne l'emp?chait pas, la nuit, et au prix d'atroces souffrances, de se tra?ner jusqu'? sa fen?tre. Elle ouvrait les carreaux, puis les volets, avec une pr?caution de criminelle, silencieusement, afin de voir, au moment de la rentr?e d'Hubert, ses crois?es ? lui s'?clairer, et devant cette lumi?re qui filtrait par un mince filet, attestant la pr?sence de ce fils ? la fois si cher et si perdu, elle sentait sa col?re se d?tendre et le d?sespoir l'envahir.

Ils se r?concili?rent, gr?ce ? l'entremise de Mme Castel, qui souffrait entre ces deux hostilit?s un double martyre. Elle obtint de la m?re la promesse qu'il ne serait plus jamais parl? de Mme de Sauve, et du fils des excuses pour sa bouderie de tant de jours. Une nouvelle p?riode commen?a, o? Marie-Alice essaya de retenir Hubert ? la maison en modifiant un peu son train de vie. Acharn?e ? esp?rer m?me dans le d?sespoir, comme il arrive toutes les fois qu'on a dans le coeur un trop passionn? d?sir, elle se dit que la puissance de cette femme sur son fils devait tenir beaucoup aux distractions que sa soci?t? lui procurait. L'int?rieur de la rue Vaneau n'?tait-il pas bien monotone pour un jeune homme inoccup?? Elle sentait maintenant qu'elle avait ?t? tr?s imprudente, trouvant Hubert de sant? trop d?licate et d'ailleurs si d?sireuse de sa pr?sence, de ne l'attacher ? aucune carri?re. Elle eut la na?vet? de se dire qu'il fallait ?gayer un peu leur solitude, et, pour la premi?re fois depuis son veuvage, elle donna de grands d?ners. Les portes de l'h?tel s'ouvrirent. Les lustres s'allum?rent. La vieille argenterie aux armes des de Trans orna la table, autour de laquelle se press?rent quelques vieilles gens, et quelques charmantes jeunes filles, aussi ?l?gantes et jolies que les cousines de Trans ?taient provinciales et gauches. Mais Hubert, depuis qu'il aimait Th?r?se, s'?tait interdit, par une douce exag?ration de fid?lit?, de regarder jamais une autre femme qu'elle. Et puis, on ?tait au mois de mai. Les journ?es se faisaient ti?des et claires. Sa ma?tresse et lui s'?taient hasard?s ? faire des promenades dans quelques-uns des bois qui environnent Paris, ? Saint-Cloud, ? Chaville, dans la for?t de Marly. Assis dans la salle ? manger de la rue Vaneau, Hubert se rappelait le sourire de Th?r?se lui offrant une fleur, l'alternance sur son front de la lumi?re du soleil et de l'ombre des feuillages, la p?leur de son teint parmi les verdures, un geste qu'elle avait eu, la pose de son pied sur l'herbe d'un sentier. S'il ?coutait la conversation, c'?tait pour comparer les propos des convives de Mme Liauran aux reparties des convives de Mme de Sauve. Les premiers abondaient en pr?jug?s; c'est l? l'in?vitable ran?on de toute vie morale tr?s profonde. Les seconds ?taient impr?gn?s de cet esprit parisien dont le jeune homme n'apercevait plus la triste vacuit?. Il assistait donc aux d?ners de sa m?re avec le visage de quelqu'un dont l'?me est ailleurs.

--<> sanglotait Mme Liauran; tout l'ennuie de nous et tout l'amuse de cette femme.>>

--<>, r?pondait Mme Castel.

Attendre! C'est le mot dernier de la sagesse; mais, dans l'attente, l'?me passionn?e se d?vore douloureusement. Pour Marie-Alice, dont la vie ?tait tout enti?re concentr?e sur son enfant, chaque heure maintenant retournait le couteau dans la plaie. Il lui ?tait impossible de ne pas se livrer sans cesse ? cette inquisition du petit d?tail dont les plus nobles jalousies sont victimes. Elle remarquait chaque nouveau brimborion de jeune homme que son fils portait, et elle se demandait s'il ne s'y rattachait pas quelque souvenir de son coupable amour. Il avait ainsi au petit doigt une alliance d'or qu'elle ne lui connaissait point. Ah! ce qu'elle aurait donn? pour savoir s'il y avait une date et des mots grav?s ? l'int?rieur! Il lui arrivait, lorsqu'elle l'embrassait, de respirer sur lui un parfum dont elle ne connaissait pas le nom, et qui ?tait certainement celui qu'employait sa ma?tresse. Toutes les fois que Mme Liauran retrouvait cette odeur, d'une finesse p?n?trante et voluptueuse, c'?tait comme si une main lui e?t physiquement serr? le coeur. Enfin, au degr? de passion o? elle ?tait mont?e, tout devait faire et faisait blessure. Si elle constatait qu'il avait les yeux battus, le teint p?li, elle disait ? sa m?re: <> ?'avait toujours ?t? l'habitude, dans cette maison de moeurs simples, que les lettres fussent remises en mains propres ? Mme Liauran, qui les distribuait ensuite ? chacun. Hubert n'avait pas os? demander ? Firmin, le concierge, de faire infraction pour lui ? cette r?gle. N'aurait-ce pas ?t? mettre ce domestique dans le secret des dissentiments qui le s?paraient de sa m?re? Or, sa ma?tresse et lui s'?crivaient tous les jours, qu'ils se fussent ou non rencontr?s d?j?, par cette prodigalit? de coeur des nouveaux amants qui ne savent de quelle mani?re se donner l'un ? l'autre davantage. Hubert parvenait souvent ? ?viter que sa m?re ne v?t ces lettres, en convenant bien exactement de l'heure o? Th?r?se mettrait son billet ? la poste, et il se h?tait de descendre de chez lui ? temps pour prendre le courrier lui-m?me des mains du concierge. Souvent aussi la lettre arrivait inexactement, et il fallait qu'elle pass?t par Mme Liauran. Cette derni?re ne s'y trompait jamais. Elle reconnaissait l'?criture, pour elle la plus ha?ssable qui f?t au monde. Souvent encore Th?r?se envoyait, au lieu d'une lettre, une de ces petites d?p?ches bleues qui vont si vite, et la sensation que ce papier avait ?t? mani?, une heure auparavant, par les mains de la ma?tresse de son fils, ?tait intol?rable ? la pauvre femme. Afin d'?viter ? Hubert des ruses d?shonorantes, et ? elle-m?me une si horrible palpitation du coeur, elle prit le parti de donner l'ordre que les lettres de son fils lui fussent donn?es directement. Mais alors elle perdit les seuls signes qu'elle e?t de la r?alit? des relations du jeune homme et de Mme de Sauve, et cela fut une source de nouvelles esp?rances, par suite de nouvelles d?sillusions. Au mois de juillet, Hubert ayant cess? de sortir le soir, elle s'imagina qu'ils ?taient brouill?s; puis George Liauran, qu'elle avait pris pour confident de ses inqui?tudes, parce qu'elle savait qu'il connaissait Th?r?se, lui apprit qu'elle ?tait partie pour Trouville, et cette d?ception lui fut un coup de plus. C'est le privil?ge et le fl?au des organismes o? les nerfs pr?dominent, que les douleurs, au lieu de s'assoupir par l'accoutumance, s'exag?rent et s'exasp?rent infatigablement. Les plus menus d?tails renferment en eux un infini de chagrin, comme une goutte d'eau l'infini du ciel.

Des quelques personnes qui composaient l'intimit? de la rue Vaneau, celle qui s'inqui?tait le plus des chagrins de Marie-Alice ?tait pr?cis?ment George Liauran, parce qu'il ?tait aussi celui auquel cette femme montrait le plus compl?tement sa peine. Elle comprenait qu'il ?tait le seul ? pouvoir un jour la servir. A chaque visite nouvelle, il mesurait le ravage produit chez elle par l'id?e fixe. Ses traits s'att?nuaient, ses joues se creusaient, son teint se plombait, ses cheveux, demeur?s si noirs jusque-l?, blanchissaient par touffes. Il arrivait parfois ? George d'aller dans le monde au sortir d'une de ces visites et d'y rencontrer son cousin Hubert, presque toujours dans le m?me cercle que Mme de Sauve, ?l?gant, joli, les yeux brillants, la bouche heureuse. Ce contraste soulevait dans cet homme d'?tranges sentiments, tout m?lang?s de bien et de mal. D'une part, en effet, George aimait beaucoup Marie-Alice, et d'une affection qui avait ?t? autrefois tr?s romanesque, durant les premiers jours de leur jeunesse ? tous deux. D'autre part, la liaison, pour lui certaine, de ce charmant Hubert et de Th?r?se, l'irritait, sans qu'il compr?t bien pourquoi, d'une col?re nerveuse. Il ?prouvait ? l'?gard de son cousin, l'invincible malveillance que les hommes de plus de quarante ans et de moins de cinquante professent pour les tr?s jeunes gens qu'ils voient se pousser dans le monde, et, en d?finitive, prendre leur place. Et puis, il ?tait de ces viveurs finissants qui ha?ssent l'amour, soit qu'ils en aient trop souffert, soit qu'ils le regrettent trop. Cette haine de l'amour se compliquait d'un entier m?pris pour les femmes qui commettent des fautes, et il soup?onnait Th?r?se d'avoir eu d?j? deux intrigues; l'une avec un jeune d?put? du nom de Fr?d?ric Luzel, l'autre avec un ?crivain c?l?bre, Alfred Fani?res. Il ?tait de ceux qui jugent d'une femme par ses amants,--ce en quoi il avait tort, car les raisons pour lesquelles une pauvre cr?ature se donne sont le plus souvent personnelles, ?trang?res ? la nature et au caract?re de celui qui fait l'occasion de cet abandon. Or, Fr?d?ric Luzel cachait sous sa grande franchise de mani?res une brutalit? compl?te, et Alfred Fani?res ?tait un assez joli gar?on aux mani?res fines, dont la c?linerie dissimulait ? peine le f?roce ?go?sme de l'artiste adroit, pour lequel tout n'est qu'un moyen de parvenir, depuis ses habilet?s de prosateur jusqu'? ses succ?s d'alc?ve. C'?tait sur le germe de corruption d?pos? dans le coeur de Th?r?se par ces deux personnages que George comptait secr?tement lorsqu'il imaginait une fin probable ? la liaison d'Hubert. Il se disait que Mme de Sauve avait d? contracter aupr?s de ces deux hommes, dont il connaissait le cynisme et les moeurs, des habitudes de plaisir et des exigences de sensations. Il calculait que la puret? d'Hubert devait un jour la laisser inassouvie,--et, ce jour-l?, il ?tait presque immanquable qu'elle le tromp?t. <> George Liauran, pareil sur ce point aux trois quarts des personnes de son ?ge et de son monde, ?tait persuad? qu'un jeune homme doit se former, le plus t?t possible, une philosophie pratique, c'est-?-dire, suivant les vieilles formules misanthropiques, peu croire ? l'amiti?, consid?rer la plupart des femmes comme des coquines, et interpr?ter par l'int?r?t, avou? ou d?guis?, toutes les actions humaines. Le pessimisme mondain n'a pas beaucoup plus d'originalit? que cela. Le malheur veut qu'il ait presque toujours raison.

Telles ?taient les dispositions du cousin de Mme Liauran, ? l'endroit du sentiment d'Hubert et de Th?r?se, lorsqu'il lui arriva, au mois d'octobre de cette m?me ann?e, de se trouver dans un cabinet particulier du caf? Anglais, en train de d?ner avec cinq autres personnes. Le repas avait ?t? d?licat et bien entendu, les vins exquis, et l'on bavardait, entre hommes, le caf? servi, les cigares allum?s; et voici le bout de dialogue que George surprit entre son voisin de gauche et un des convives,--cela au moment o? lui-m?me venait de causer avec son voisin de droite, de sorte que toute la port?e de la phrase lui ?chappa d'abord:

--<> et il fit claquer ses l?vres en humant une derni?re goutte de liqueur rest?e au fond de son verre.

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Et ce pensant, il regardait l'amphitryon, ?l?gant de bas ?tage, qui exultait de joie de traiter quelques hommes de club tr?s ? la mode.

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--<> fit l'interlocuteur; et les propos continu?rent d'aller, les cigares de se consumer, le kummel et la fine champagne de remplir les petits verres, et ces moralistes de juger la vie. Le jeune homme qui avait racont? au cours de la conversation l'anecdote scandaleuse sur Mme de Sauve, ?tait un gar?on d'environ trente ans, p?le, mince, d?j? us?, tr?s aimable d'ailleurs, et du nombre de ceux dont le nom attire universellement l'?pith?te de <>. De fait, il se serait br?l? la cervelle plut?t que de ne pas payer une dette de jeu dans le d?lai fix?. Il n'avait jamais refus? une affaire d'honneur, et ses amis pouvaient compter sur lui pour une d?marche, m?me difficile, ou un service d'argent, m?me consid?rable. Mais dire ce que l'on sait des intrigues d'une femme du monde, apr?s boire, o? en serait-on, s'il fallait s'interdire ce sujet de causerie, ainsi que les hypoth?ses sur le secret de la naissance des enfants adult?rins? Peut-?tre m?me le bavard qui avait ainsi affirm?, comme t?moin oculaire, les l?g?ret?s de Th?r?se de Sauve, aurait-il vers? de r?elles larmes de chagrin s'il avait su que son discours servirait d'arme contre le bonheur de la jeune femme. C'est un in?puisable sujet de m?lancolie pour celui qui va dans le monde sans se pervertir le coeur, que de voir comment les f?rocit?s s'y accomplissent parfois avec une enti?re s?curit? de conscience. Mais d'ailleurs, est-ce que George Liauran n'aurait pas appris de quelqu'autre source tous les d?tails que l'indiscr?tion de son compagnon de table venait de lui r?v?ler si soudainement et avec cette indiscutable pr?cision? A vrai dire, il ne s'en ?tonna pas une minute. Il se r?p?ta bien deux ou trois fois, en rentrant chez lui: <> mais il ?prouvait secr?tement le vilain et irr?sistible chatouillement d'?go?sme que procure neuf fois sur dix la vision du malheur d'autrui. Ses pronostics ne se trouvaient-ils pas v?rifi?s? Et cela aussi n'allait pas sans une certaine douceur. La misanthropie vulgaire a beaucoup de ces satisfactions, lesquelles endurcissent le coeur qui les ?prouve. On finit, lorsqu'on m?prise l'humanit? d'un m?pris sans nuance, par s'applaudir de sa mis?re, au lieu d'en saigner. Quant au doute, il ne l'admit pas une minute, surtout en se rappelant ce qu'il savait de Ludovic de La Croix-Firmin. C'?tait une esp?ce de fat, qui pouvait, ? la r?flexion, para?tre d?pourvu de toute sup?riorit?; mais il plaisait aux femmes par ces motifs myst?rieux que nous ne comprenons pas plus, nous autres hommes, que les femmes ne comprennent le secret de la puissance sur nous de quelques-unes d'entre elles. Il est probable qu'il entre dans ces motifs beaucoup de cette bestialit? toujours pr?sente au fond de nos relations de personne ? personne. La Croix-Firmin avait vingt-sept ans, l'?ge de la pleine vigueur, des cheveux blonds et tirant sur le roux, avec des yeux bleus dans un teint clair, et des dents qui luisaient ? chacun de ses sourires, toutes blanches entre des l?vres tr?s fra?ches. Quand il souriait ainsi, avec son menton creus? d'une fossette, avec son nez carr?, avec les boucles fris?es de sa chevelure, il rappelait ce type, immortel ? travers les races, du visage du Faune, o? les anciens ont incarn? la sensualit? heureuse. Ce qui achevait de lui donner ce caract?re de charme physique auquel il devait d'avoir inspir? beaucoup de fantaisies, c'?tait une souplesse de mouvements particuli?re aux ?tres chez lesquels la force vitale est tr?s compl?te. Il ?tait de moyenne taille, mais athl?tique. Quoiqu'il f?t parfaitement ignorant et d'une intelligence tr?s m?diocre, il poss?dait le don qui fait d'un homme ainsi b?ti un personnage dangereux; il avait, ? un rare degr?, ce tact et ce flair qui r?v?lent la minute o? l'on peut oser, celle o? la femme, cr?ature en rapides passages, en fugitives ?motions, appartient au libertin qui la devine. La Croix-Firmin avait donc eu beaucoup d'aventures, et, quoique sa naissance et sa fortune dussent faire de lui un parfait gentleman, il les racontait volontiers; ces indiscr?tions, au lieu de le perdre, lui servaient, si l'on peut dire, de r?clame. En d?pit de ses l?gers discours et de sa fatuit?, ce jeune homme n'avait pour ennemie aucune des femmes qui s'?taient compromises pour lui, peut-?tre parce qu'il ne repr?sentait ? leur m?moire que de la sensation heureuse,--c'est l'?toffe des meilleurs souvenirs, disent les cyniques, et pour les ?mes sans hauteur, quoi de plus vrai?

Ce fut pr?cis?ment sur l'indiscr?tion de La Croix-Firmin que George compta pour r?unir quelques preuves nouvelles ? l'appui du fait qu'il avait appris dans le d?ner du caf? Anglais. En sa qualit? de vieux gar?on, il avait l'imagination triste et pr?voyait plut?t la mauvaise fortune que la bonne. Par suite, il s'?tait habitu? depuis longtemps ? y voir clair dans les dessous du monde social. Il savait l'art d'aller ? la chasse de la v?rit? secr?te, et il excellait ? ramasser en un corps les propos ?pars qui flottent dans l'atmosph?re des conversations de Paris. Dans la circonstance, il n'?tait pas besoin de tant d'efforts. Il s'agissait uniquement de trouver de quoi corroborer un d?tail par lui-m?me indiscutable. Quelques visites ? des femmes du monde qui avaient pass? la saison ? Trouville, et une seule ? une femme du demi-monde, Ella Virieux, ma?tresse en titre du meilleur camarade de La Croix-Firmin, suffirent ? cette enqu?te. Il ?tait bien certain que Ludovic avait ?t? l'amant de Mme de Sauve, et cela de notori?t? publique, ainsi que de son propre aveu, ? lui, aux bains de mer. Un d?part h?tif avait seul pr?serv? Th?r?se d'une avanie in?vitable, et maintenant que l'existence parisienne recommen?ait, dix scandales nouveaux faisaient d?j? oublier ce scandale d'?t?, destin? ? devenir douteux comme tant d'autres. George Liauran y aper?ut un s?r moyen de rompre enfin la liaison d'Hubert et de Th?r?se. Il suffisait pour cela de pr?venir Marie-Alice. Il eut bien une minute d'h?sitation, car enfin il se m?lait d'une histoire qui ne le regardait en rien; mais le fond inavou? de haine qu'il cachait en lui, ? l'?gard des deux amants, l'emporta sur ce scrupule de d?licatesse, et aussi le r?el d?sir de d?livrer d'un chagrin mortel une femme qu'il ch?rissait. Le soir m?me du jour o? il avait caus? avec Ella Virieux, qui lui avait rapport?, sans y attacher d'autre importance, les confidences de Ludovic ? son amant, il ?tait ? l'h?tel de la rue Vaneau, et il racontait ? Mme Liauran, couch?e aupr?s de la berg?re de Mme Castel, l'inattendue nouvelle qui devait changer du coup la face de la lutte entre la m?re et la ma?tresse.

--<>--Elle dit cette phrase avec un accent profond, o? se r?sumaient toutes les id?es qu'elle s'?tait faites depuis tant de jours sur la ma?tresse de son fils. Elle avait tant pens? ? ce que pouvait ?tre cette passion d'une cr?ature coupable, pour qu'elle f?t plus forte sur le coeur d'Hubert que son amour ? elle, qu'elle sentait pourtant infini! Elle continua, en secouant sa t?te blanchie que la r?verie avait tant lass?e: <> Et, tendant la main ? George: <--<

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