Read Ebook: Memnon ou la sagesse humaine by Voltaire
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Ebook has 44 lines and 5137 words, and 1 pages
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Edition: 10
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Nous remercions la Biblioth?que Nationale de France qui a mis ? dispositions les images dans www://gallica.bnf.fr, et a donn? l'authorization ? les utilizer pour preparer ce texte.
OEUVRES
VOLTAIRE.
DE L' IMPRIMERIE DE A. FIRMIN DIDOT,
RUE JACOB, N? 24.
OEUVRES
VOLTAIRE
PR?FACES, AVERTISSEMENTS, NOTES, ETC.
PAR M. BEUCHOT.
A PARIS,
CHEZ LEF?VRE, LIBRAIRE,
RUE DE L'?PERON, K? 6. WERDET ET LEQUIEN FILS,
RUE DU BATTOIR, N? 2O.
MEMNON,
LA SAGESSE HUMAINE.
Pr?face de l'?diteur
AVERTISSEMENT DE L'AUTEUR
Nous tromper dans nos entreprises, C'est ? quoi nous sommes sujets; Le matin je fais des projets, Et le long du jour, des sottises.
Ces petits vers conviennent assez ? un grand nombre de raisonneurs; et c'est une chose assez plaisante de voir un grave directeur d'?mes finir par un proc?s criminel, conjointement avec un banqueroutier. A ce propos, nous r?imprimons ici ce petit conte, qui est ailleurs; car il est bon qu'il soit partout.
Billard, et l'abb? Grizel, fameux directeur de consciences. K. -- Sur ces deux personnages, voyez la note des Stances ? Saurin . B.
MEMNON,
LA SAGESSE HUMAINE.
Memnon con?ut un jour le projet insens? d'?tre parfaitement sage. Il n'y a gu?re d'hommes ? qui cette folie n'ait quelquefois pass? par la t?te. Memnon se dit ? lui-m?me: Pour ?tre tr?s sage, et par cons?quent tr?s heureux, il n'y a qu'? ?tre sans passions; et rien n'est plus ais?, comme on sait. Premi?rement je n'aimerai jamais de femme; car, en voyant une beaut? parfaite, je me dirai ? moi-m?me: Ces joues-l? se rideront un jour; ces beaux yeux seront bord?s de rouge; cette gorge ronde deviendra plate et pendante; cette belle t?te deviendra chauve. Or je n'ai qu'? la voir ? pr?sent des m?mes yeux dont je la verrai alors, et assur?ment cette t?te ne fera pas tourner la mienne.
En second lieu je serai toujours sobre; j'aurai beau ?tre tent? par la bonne ch?re, par des vins d?licieux, par la s?duction de la soci?t?; je n'aurai qu'? me repr?senter les suites des exc?s, une t?te pesante, un estomac embarrass?, la perte de la raison, de la sant?, et du temps, je ne mangerai alors que pour le besoin; ma sant? sera toujours ?gale, mes id?es toujours pures et lumineuses. Tout cela est si facile, qu'il n'y a aucun m?rite ? y parvenir.
Ensuite, disait Memnon, il faut penser un peu ? ma fortune; mes d?sirs sont mod?r?s; mon bien est solidement plac? sur le receveur-g?n?ral des finances de Ninive; j'ai de quoi vivre dans l'ind?pendance: c'est l? le plus grand des biens. Je ne serai jamais dans la cruelle n?cessit? de faire ma cour: je n'envierai personne, et personne ne m'enviera. Voil? qui est encore tr?s ais?. J'ai des amis, continuait-il, je les conserverai, puisqu'ils n'auront rien ? me disputer. Je n'aurai jamais d'humeur avec eux, ni eux avec moi; cela est sans difficult?.
Ayant fait ainsi son petit plan de sagesse dans sa chambre, Memnon mit la t?te ? la fen?tre. Il vit deux femmes qui se promenaient sous des platanes aupr?s de sa maison. L'une ?tait vieille, et paraissait ne songer ? rien; l'autre ?tait jeune, jolie, et semblait fort occup?e. Elle soupirait, elle pleurait, et n'en avait que plus de gr?ces. Notre sage fut touch?, non pas de la beaut? de la dame , mais de l'affliction o? il la voyait. Il descendit, il aborda la jeune Ninivienne dans le dessein de la consoler avec sagesse. Cette belle personne lui conta, de l'air le plus na?f et le plus touchant, tout le mal que lui fesait un oncle qu'elle n'avait point; avec quels artifices il lui avait enlev? un bien qu'elle n'avait jamais poss?d?, et tout ce qu'elle avait ? craindre de sa violence. Vous me paraissez un homme de si bon conseil, lui dit-elle, que si vous aviez la condescendance de venir jusque chez moi, et d'examiner mes affaires, je suis s?re que vous me tireriez du cruel embarras o? je suis. Memnon n'h?sita pas ? la suivre, pour examiner sagement ses affaires, et pour lui donner un bon conseil.
La dame afflig?e le mena dans une chambre parfum?e, et le fit asseoir avec elle poliment sur un large sofa, o? ils se tenaient tous deux les jambes crois?es vis-?-vis l'un de l'autre. La dame parla en baissant les yeux, dont il ?chappait quelquefois des larmes, et qui en se relevant rencontraient toujours les regards du sage Memnon. Ses discours ?taient pleins d'un attendrissement qui redoublait toutes les fois qu'ils se regardaient. Memnon prenait ses affaires extr?mement ? coeur, et se sentait de moment en moment la plus grande envie d'obliger une personne si honn?te et si malheureuse. Ils cess?rent insensiblement, dans la chaleur de la conversation, d'?tre vis-?-vis l'un de l'autre. Leurs jambes ne furent plus crois?es. Memnon la conseilla de si pr?s, et lui donna des avis si tendres, qu'ils ne pouvaient ni l'un ni l'autre parler d'affaires, et qu'ils ne savaient plus o? ils en ?taient.
Comme ils en ?taient l?, arrive l'oncle, ainsi qu'on peut bien le penser: il ?tait arm? de la t?te aux pieds; et la premi?re chose qu'il dit fut qu'il allait tuer, comme de raison, le sage Memnon et sa ni?ce; la derni?re qui lui ?chappa fut qu'il pouvait pardonner pour beaucoup d'argent. Memnon fut oblig? de donner tout ce qu'il avait. On ?tait heureux dans ce temps-l? d'en ?tre quitte ? si bon march?; l'Am?rique n'?tait pas encore d?couverte, et les dames afflig?es n'?taient pas ? beaucoup pr?s si dangereuses qu'elles le sont aujourd'hui.
Memnon, honteux et d?sesp?r?, rentra chez lui: il y trouva un billet qui l'invitait ? d?ner avec quelques uns de ses intimes amis. Si je reste seul chez moi, dit-il, j'aurai l'esprit occup? de ma triste aventure, je ne mangerai point; je tomberai malade; il vaut mieux aller faire avec mes amis intimes un repas frugal. J'oublierai, dans la douceur de leur soci?t?, la sottise que j'ai faite ce matin. Il va au rendez-vous; on le trouve un peu chagrin. On le fait boire pour dissiper sa tristesse. Un peu de vin pris mod?r?ment est un rem?de pour l'?me et pour le corps. C'est ainsi que pense le sage Memnon; et il s'enivre. On lui propose de jouer apr?s le repas. Un jeu r?gl? avec des amis est un passe-temps honn?te. Il joue; on lui gagne tout ce qu'il a dans sa bourse, et quatre fois autant sur sa parole. Une dispute s'?l?ve sur le jeu, on s'?chauffe: l'un de ses amis intimes lui jette ? la t?te un cornet, et lui cr?ve un oeil. On rapporte chez lui le sage Memnon ivre, sans argent, et ayant un oeil de moins.
Il cuve un peu son vin; et d?s qu'il a la t?te plus libre, il envoie son valet chercher de l'argent chez le receveur-g?n?ral des finances de Ninive pour payer ses intimes amis: on lui dit que son d?biteur a fait le matin une banqueroute frauduleuse qui met en alarme cent familles. Memnon, outr? va ? la cour avec un empl?tre sur l'oeil et un placet ? la main pour demander justice au roi contre le banqueroutier. Il rencontre dans un salon plusieurs dames qui portaient toutes d'un air ais? des cerceaux de vingt-quatre pieds de circonf?rence. L'une d'elles, qui le connaissait un peu, dit en le regardant de c?t?: Ah, l'horreur! Une autre, qui le connaissait davantage, lui dit: Bonsoir, monsieur Memnon; mais vraiment, monsieur Memnon, je suis fort aise de vous voir; ? propos, monsieur Memnon, pourquoi avez-vous perdu un oeil? Et elle passa sans attendre sa r?ponse. Memnon se cacha dans un coin, et attendit le moment o? il p?t se jeter aux pieds du monarque. Ce moment arriva. Il baisa trois fois la terre, et pr?senta son placet. Sa gracieuse majest? le re?ut tr?s favorablement, et donna le m?moire ? un de ses satrapes pour lui en rendre compte. Le satrape tire Memnon ? part, et lui dit d'un air de hauteur, en ricanant am?rement: Je vous trouve un plaisant borgne, de vous adresser au roi plut?t qu'? moi, et encore plus plaisant d'oser demander justice contre un honn?te banqueroutier que j'honore de ma protection, et qui est le neveu d'une femme de chambre de ma ma?tresse. Abandonnez cette affaire-l?, mon ami, si vous voulez conserver l'oeil qui vous reste.
Memnon, ayant ainsi renonc? le matin aux femmes, aux exc?s de table, au jeu, ? toute querelle, et surtout ? la cour, avait ?t? avant la nuit tromp? et vol? par une belle dame, s'?tait enivr?, avait jou?, avait eu une querelle, s'?tait fait crever un oeil, et avait ?t? ? la cour, o? l'on s'?tait moqu? de lui.
P?trifi? d'?tonnement et navr? de douleur, il s'en retourne la mort dans le coeur. Il veut rentrer chez lui; il y trouve des huissiers qui d?meublaient sa maison de la part de ses cr?anciers. Il reste presque ?vanoui sous un platane; il y rencontre la belle dame du matin, qui se promenait avec son cher oncle, et qui ?clata de rire en voyant Memnon avec son empl?tre. La nuit vint; Memnon se coucha sur de la paille aupr?s des murs de sa maison. La fi?vre le saisit; il s'endormit dans l'acc?s, et un esprit c?leste lui apparut en songe.
Il ?tait tout resplendissant de lumi?re. Il avait six belles ailes, mais ni pieds, ni t?te, ni queue, et ne ressemblait ? rien. Qui es-tu? lui dit Memnon. Ton bon g?nie, lui r?pondit l'autre. Rends-moi donc mon oeil, ma sant?, ma maison, mon bien, ma sagesse, lui dit Memnon. Ensuite il lui conta comment il avait perdu tout cela en un jour. Voil? des aventures qui ne nous arrivent jamais dans le monde que nous habitons, dit l'esprit. Et quel monde habitez-vous? dit l'homme afflig?. Ma patrie, r?pondit-il, est ? cinq cents millions de lieues du soleil, dans une petite ?toile aupr?s de Sirius, que tu vois d'ici. Le beau pays! dit Memnon: quoi! vous n'avez point chez vous de coquines qui trompent un pauvre homme, point d'amis intimes qui lui gagnent son argent et qui lui cr?vent un oeil, point de banqueroutiers, point de satrapes qui se moquent de vous en vous refusant justice? Non, dit l'habitant de l'?toile, rien de tout cela. Nous ne sommes jamais tromp?s par les femmes, parceque nous n'en avons point; nous ne fesons point d'exc?s de table, parceque nous ne mangeons point; nous n'avons point de banqueroutiers, parcequ'il n'y a chez nous ni or ni argent; on ne peut nous crever les yeux, parceque nous n'avons point de corps ? la fa?on des v?tres; et les satrapes ne nous font jamais d'injustice, parce que dans notre petite ?toile tout le monde est ?gal.
Memnon lui dit alors: Monseigneur, sans femme et sans d?ner, ? quoi passez-vous votre temps? A veiller, dit le g?nie, sur les autres globes qui nous sont confi?s: et je viens pour te consoler. H?las! reprit Memnon, que ne veniez-vous la nuit pass?e pour m'emp?cher de faire tant de folies? J'?tais aupr?s d'Assan, ton fr?re a?n?, dit l'?tre c?leste. Il est plus ? plaindre que toi. Sa gracieuse majest? le roi des Indes, ? la cour duquel il a l'honneur d'?tre, lui a fait crever les deux yeux pour une petite indiscr?tion, et il est actuellement dans un cachot, les fers aux pieds et aux mains. C'est bien la peine, dit Memnon, d'avoir un bon g?nie dans une famille, pour que de deux fr?res, l'un soit borgne, l'autre aveugle, l'un couch? sur la paille, l'autre en prison. Ton sort changera, reprit l'animal de l'?toile. Il est vrai que tu seras toujours borgne; mais, ? cela pr?s, tu seras assez heureux, pourvu que tu ne fasses jamais le sot projet d'?tre parfaitement sage. C'est donc une chose ? laquelle il est impossible de parvenir? s'?cria Memnon en soupirant. Aussi impossible, lui r?pliqua l'autre, que d'?tre parfaitement habile, parfaitement fort, parfaitement puissant, parfaitement heureux. Nous-m?mes, nous en sommes bien loin. Il y a un globe o? tout cela se trouve; mais dans les cent mille millions de mondes qui sont dispers?s dans l'?tendue tout se suit par degr?s. On a moins de sagesse et de plaisir dans le second que dans le premier, moins dans le troisi?me que dans le second, ainsi du reste jusqu'au dernier, o? tout le monde est compl?tement fou. J'ai bien peur, dit Memnon, que notre petit globe terraqu? ne soit pr?cis?ment les Petites-Maisons de l'univers dont vous me faites l'honneur de me parler. Pas tout-?-fait, dit l'esprit; mais il en approche: il faut que tout soit en sa place. Eh mais! dit Memnon, certains po?tes, certains philosophes, ont donc grand tort de dire que tout est bien? Ils ont grande raison, dit le philosophe de l?-haut, en consid?rant l'arrangement de l'univers entier. Ah! je ne croirai cela, r?pliqua le pauvre Memnon, que quand je ne serai plus borgne.
Pope. B.
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