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Read Ebook: Les origines de la Renaissance en Italie by Gebhart Emile

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Ebook has 169 lines and 86034 words, and 4 pages

VI, 1.

L'oeuvre de la Renaissance, que les Communes libres avaient commenc?e, fut reprise par les tyrans. Les ma?tres de l'Italie, qui doivent tout ? leur valeur personnelle, cherchent ? accro?tre par l'?clat de la civilisation le prestige de leur propre g?nie. De Fr?d?ric II et Pierre des Vignes ? L?on X et Rapha?l, il n'en est pas un peut-?tre qui n'ait prot?g? les artistes et les ?crivains. L'un des plus cruels et des plus cyniques, Sigismondo Pandolfo Malatesta de Rimini, qui a tu? sa seconde et sa troisi?me femme, et qui se rit insolemment des excommunications papales, comble de bienfaits les lettr?s de sa cour et fait ?difier par L?o Battista Alberti l'une des ?glises les plus pures de la Renaissance, o? il r?serve des tombes pour les ?rudits qu'il a aim?s. Le doux Pie II, qui l'a br?l? en effigie, ?crit de lui <>. Les guerres civiles et les coups d'?tat se d?cha?naient sur les cit?s, mais n'atteignaient point ces favoris des princes et du peuple, les hommes qui repr?sentent la vie de l'esprit. P?rouse, ensanglant?e et br?l?e par les Baglioni, abrite entre les sombres murs de ses palais l'?cole ombrienne et les ann?es printani?res de Rapha?l.

CHAPITRE IV

L'Italie du moyen ?ge ?tait rest?e, avec l'antiquit?, en communion plus intime que les autres peuples de l'Occident. Elle n'avait pas connu, au m?me degr? que ceux-ci, les cinq ou six si?cles de profondes t?n?bres qui suivirent, en France et dans l'Allemagne latine, les invasions barbares. Elle gardait vaguement cette notion, effac?e partout ailleurs, que l'ancien monde, la Gr?ce surtout, avait ouvert ? l'esprit humain la source des plus nobles conceptions. La Renaissance ne fit qu'achever une culture intellectuelle que les accidents de l'histoire n'avaient jamais abolie. P?trarque, le premier des grands humanistes, continue une tradition s?culaire dont la perp?tuit? fut l'une des causes originelles de la civilisation italienne.

Dans cette tradition, l'antiquit? latine est dominante. Plusieurs causes contribuent ? maintenir, en Italie, le prestige de la vieille Rome. L'?glise adopte le latin; le droit romain persiste, gr?ce ? la politique intelligente des Goths, ? la primaut? byzantine sous Justinien, ? la tol?rance des rois lombards, ? l'importance que la querelle du Sacerdoce et de l'Empire donne ? la loi ?crite. Rome, enfin, qui, malgr? des calamit?s inou?es, ne peut se r?signer ? la d?ch?ance, garde l'orgueil de son nom, de ses monuments et se console de tant de mis?res en maintenant dans ses institutions et dans ses moeurs quelques d?bris du pass? et le souvenir de son g?nie.

C'est par Rome, en effet, que l'Italie du moyen ?ge se rattache d'abord ? la civilisation antique. Pour les Italiens, elle est encore la capitale de l'humanit?, non pas seulement la ville sainte o? si?ge le vicaire de J?sus-Christ, mais la ma?tresse politique de tout l'Occident. La vision de l'Empire romain plane sur toute cette histoire. C'est ? Rome que les rois francs et les empereurs germaniques viennent prendre leur couronne. Pour les gibelins, l'Empereur est toujours, d'une fa?on id?ale, le souverain de Rome, l'h?ritier direct de C?sar et d'Auguste. Dante nous montre la grande cit? en deuil et en larmes, qui tend les bras vers lui et qui l'appelle:

Ils profanent le texte de l'?vangile et m?disent de la cour pontificale; ils croient, dit un contemporain, <>:

Mais le chanteur vagabond qui a ?crit la po?sie:

avait re?u un rayon du g?nie antique; ces singuliers ?picuriens font pressentir, d'un c?t?, l'incr?dulit? railleuse de Pulci, de l'autre, ils rappellent la gr?ce des Muses profanes et l'Italie virgilienne.

Par femme fut Adam d??u, Et Virgile moqu? en fut.

c'est l'Italie elle-m?me qui rend hommage au plus grand pr?curseur de sa Renaissance.

VI, 74.

Il faut distinguer ici deux courants intellectuels qui traversent l'Italie du moyen ?ge en la f?condant, d'une part, les ?coles la?ques, issues des anciennes ?coles imp?riales et qui aboutissent aux grandes universit?s; de l'autre, les ?coles eccl?siastiques et les ordres religieux, pour lesquels l'?tude est une discipline et un moyen d'apostolat.

Il alla ? l'?glise militante, chez les dominicains. Ceux-ci ont br?l? beaucoup de livres, en qualit? d'inquisiteurs, mais ils en lisaient aussi beaucoup. Il faut leur tenir compte du go?t qu'ils ont eu pour les ?tudes grecques. On a vu plus haut quelle petite fortune le grec avait trouv?e dans la France du moyen ?ge. Ce fut l'une des forces intellectuelles de l'Italie de ne jamais perdre de vue l'?toile polaire de la Gr?ce.

Par ex., ? Piano de Greci; de m?me aussi en Pouille et en Calabre.

<>--<>--<>

CHAPITRE V

La langue est l'instrument n?cessaire d'une civilisation. Les oeuvres tr?s-d?licates et complexes de l'esprit exigent un certain vocabulaire et un ?tat de la syntaxe que comportent seulement les langues d?j? profond?ment ?labor?es. La Chanson de Geste et la Chronique peuvent s'?crire ? l'aide de peu de mots et de mots qui, ? la valeur propre de leur racine, n'ajoutent point la nuance, c'est-?-dire un certain degr? de restriction dans le sens primitif, un trait plus individuel par rapport aux expressions d'un sens voisin: ? ces ouvrages fond?s sur des conceptions simples, et qui expriment surtout l'action ou l'?motion irr?fl?chie, il suffit de propositions d?tach?es, et r?duites ? leurs ?l?ments essentiels, qui r?pondent ? la suite des faits, ? la na?vet? des sensations; la p?riode, l'enlacement et la subordination des propositions, l'organisme complet et compliqu? de la langue leur sont inutiles. Mais les genres sup?rieurs ont besoin d'un langage autrement riche et d'un m?canisme plus rigoureux; la po?sie lyrique, le drame, l'?pop?e savante, le roman doivent rendre les nuances les plus fuyantes de la passion, comme l'histoire politique doit montrer, sous l'action, la volont? et tous les ressorts de la volont?. La vari?t? des vocables et la facult? analytique et dialectique de la syntaxe sont ainsi la premi?re condition d'une grande litt?rature. Enfin, il faut ? celle-ci le tr?sor des id?es g?n?rales et une langue dont les moules nombreux soient pr?ts ? recevoir toutes les formes du raisonnement. L'?tat primitif des langues est donc rebelle ? l'oeuvre de l'historien ou du philosophe; elles reproduisent alors les faits visibles, et sont impuissantes ? manifester l'abstraction; elles montrent les choses concr?tes dans leur aspect le plus g?n?ral, et ne savent point d?montrer les v?rit?s rationnelles. Les plus hauts sommets du domaine intellectuel leur sont inaccessibles.

Mais la maturit? de la langue n'est pas moins n?cessaire au g?nie collectif qu'aux ?crivains d'une nation. Un peuple, comme un individu, ne con?oit clairement que les pens?es dont le signe est clair, et, de m?me que pour la personne isol?e, le d?veloppement de la conscience, le progr?s de la vie morale et de la sagesse sont, dans la famille politique, l'effet de quelques vues tr?s-lumineuses de l'esprit. Une langue achev?e est, pour un peuple, pour toute une race, une condition de force intellectuelle. S'il s'agit d'un groupe de cit?s ou de provinces que rapproche la communaut? d'origine, de religion, d'institutions, d'int?r?ts et de moeurs, la langue doit ?tre non-seulement achev?e, mais commune; aucune civilisation g?n?rale ne se produira si, par-dessus le morcellement du sol et la diversit? des petites patries, la langue n'?tablit point l'unit? de la pens?e nationale.

La Renaissance eut tout son essor d?s que l'Italie fut en possession d'une langue vulgaire entendue de tous ses peuples et consacr?e par l'usage des grands ?crivains. L'analyse de ce curieux ph?nom?ne historique doit nous arr?ter quelques instants.

On sait que les six langues romanes ont pour source premi?re le latin, ou plut?t le dialecte populaire des Romains, dans la forme qu'il avait prise ? la fin de l'Empire; les vieux dialectes italiotes y ont ?galement laiss? quelques traces. Ce latin bourgeois et pl?b?ien se corrompit librement en Italie, apr?s la chute politique de Rome, et se d?composa en un grand nombre d'idiomes que les influences ?trang?res, les Arabes et les Normands au midi, les Germains au nord, remplirent d'?l?ments barbares. Ils tenaient tous au latin vulgaire par leur origine; mais, comme le latin classique ?tait seul ?crit et fix?, et attirait seul l'attention des lettr?s, ces idiomes s'alt?r?rent profond?ment, sans discipline ni entente. L'anarchie du langage r?pondit ? l'anarchie politique. Le r?gime municipal favorisa encore la s?paration des dialectes. Dante en compte quatorze tr?s-tranch?s ? droite et ? gauche des Apennins. Nous en distinguons une vingtaine qui sont repr?sent?s authentiquement par des textes. On les distribue, selon la longueur de la p?ninsule, en trois r?gions. Au centre, Florence, Sienne, Pistoja, Lucques, Arezzo et Rome, demeuraient les moins ?loign?es de la source primitive. Aujourd'hui encore, c'est dans ces villes que la langue du peuple se rapproche le plus de la langue litt?raire commune. A Rome m?me, la diff?rence n'est plus tr?s-sensible. A Florence, elle serait moins grande encore si de violentes aspirations n'alt?raient la douceur naturelle de l'idiome. Aux extr?mit?s du pays et surtout dans les villes maritimes, ? Palerme, ? Messine, ? Naples, ? Tarente, ? Venise, ? G?nes, on est aussi loin que possible de la langue g?n?rale de l'Italie.

Il en fut ainsi durant les premiers si?cles du moyen ?ge. Seule, une ?cole po?tique pouvait tirer une harmonie de toutes ces notes discordantes, en choisissant les meilleurs mots et les formes les plus belles,

Cependant, durant les deux premiers si?cles de la litt?rature italienne, s'?laborait, au nord de la p?ninsule, concurremment avec la langue commune des autres provinces, une sorte d'idiome litt?raire fond? sur les dialectes de la Lombardie, et qui aurait pu, si les circonstances l'avaient favoris?, devenir une septi?me langue romane. On y trouve beaucoup de r?miniscences latines, et des ?l?gances qui ne sont proprement ni proven?ales, ni fran?aises, ni toscanes, mais qui appartiennent ?galement ? tous les idiomes n?o-latins du moyen ?ge. Un manuscrit de la biblioth?que de Saint-Marc renferme un grand nombre de po?sies qui se rattachent ? cette langue, mais dont le fran?ais, m?l? au dialecte v?nitien, forme la base. Cette langue, si une litt?rature l'avait fix?e, aurait diff?r? de l'italien vulgaire, selon M. Mussafia, plus profond?ment encore que le catalan ne diff?re du proven?al. L'unit? linguistique de l'Italie aurait peut-?tre ?t? rompue, si Florence n'avait accompli l'entreprise essay?e depuis plusieurs si?cles entre les Alpes et l'Etna.

La langue de son ma?tre Gherardo, dont les exemplaires sont moins nombreux, ?tait autrement archa?que et rude: il faut, pour l'entendre, en recomposer d'abord les mots, en d?brouiller l'orthographe, enfin, la traduire. Ainsi, ces vers:

sont lus par M. Baudi de Vesme:

Ainsi, l'italien litt?raire a mis cent ans pour arriver ? Dante. Celui-ci ne l'a pas invent? comme un sculpteur forme sa statue; mais la marque de son g?nie est si profonde sur l'oeuvre ?bauch?e par ses devanciers, que c'est justice de le proclamer le p?re de la langue italienne.

CHAPITRE VI

On vient d'analyser les causes permanentes et profondes de la Renaissance italienne. On a vu les faits les plus constants dans l'histoire intellectuelle et morale de l'Italie, les libert?s de la pens?e et de la conscience, les formes de l'?tat social, l'?ducation classique et la langue, disposer le g?nie d'une race ?minente ? l'invention f?conde dans toutes les directions de l'esprit. Il faut maintenant passer en revue d'autres causes, d'une importance moins grande, parce qu'elles ont ?t? ext?rieures et d'une dur?e moins longue, sans lesquelles cependant certains caract?res particuliers de la Renaissance, certaines tendances de l'art ou de la po?sie, telles traditions litt?raires, tels traits de la vie sociale, ne seraient compris qu'? moiti?. L'Italie a ?t?, au moyen ?ge, le rendez-vous de toutes les civilisations et le champ de bataille de tous les peuples. Elle n'a point aim? les ?trangers, mais elle a re?u d'eux quelques exemples et quelques le?ons utiles qu'il importe de consid?rer.

Ses premiers ?ducateurs ont ?t? les Byzantins. Ceux-ci ont eu longtemps la main dans les affaires de la p?ninsule, m?me apr?s la chute de l'Exarchat et le d?clin politique de Ravenne. Jusqu'au Xe si?cle, ils furent les ma?tres directs de la Terre de Bari, de la Capitanate, de la Basilicate et de la Calabre, et les hauts suzerains de Venise, de Capoue, de Naples, de Salerne, d'Amalfi, de Ga?te. Venise ?tait une vassale plus docile que toutes ces villes d'origine grecque; ? partir du Xe si?cle, elle fut longtemps l'alli?e fid?le du vieil empire. Elle imitait, dans l'architecture de ses palais et de ses ?glises, les monuments de Constantinople, et aimait ? se rapprocher, par l'?clat des costumes et les pratiques jalouses du gyn?c?e, des moeurs orientales. Mais Venise ?tait alors presque isol?e de l'Italie m?me. La trace premi?re et originale des Byzantins n'est visible, pour tout le reste de la p?ninsule, que dans l'architecture religieuse de Ravenne et de quelques villes m?ridionales et siciliennes, et encore ces monuments remontent-ils au moyen ?ge le plus recul?. L'influence byzantine sur la peinture d?corative, repr?sent?e par la mosa?que, fut autrement consid?rable: elle dura jusqu'? Cimabu?. C'est elle qui doit retenir notre attention.

De m?me, les monuments normands du Midi, tels que les curieuses cath?drales de Bari et de Salerne, n'ont qu'une faible importance dans l'histoire architecturale de la Renaissance.

Les mosa?ques de Ravenne nous montrent les derniers efforts de l'art grec, de toutes parts entour? et bient?t envahi par la barbarie. Celles du Ve si?cle, au Baptist?re et ? la chapelle votive de Galla Placida , tr?s-fines encore, renferment des personnages d'un aspect majestueux, d'un dessin correct, d'un visage et d'un mouvement individuels, et les compositions o? les mosa?stes savent encore m?nager les jeux de lumi?re et d'ombre, sont d'un effet tout pittoresque. Le Christ de San-Nazario, jeune, calme, tr?s-classique de formes, est assis sur un rocher, au milieu d'un paysage; le bon Pasteur, motif si souvent reproduit par la peinture primitive des catacombes, tient d'une main sa croix, de l'autre, il caresse la brebis couch?e ? ses pieds; son front d?couvert est couronn? de cheveux boucl?s, comme les t?tes antiques; le manteau bleu lam? d'or qui l'enveloppe est drap? avec la souplesse et la simplicit? grecques. Les mosa?ques du VIe si?cle ont encore de la noblesse et de la vie; les personnages se meuvent librement sur les fonds d'or et d'azur, font des gestes oratoires, parlent ou agissent; cependant, on sent que les grandes traditions sont d?j? sur leur d?clin; le sens de la beaut? baisse, et l'inspiration de l'artiste est moins haute. A San-Vitale, saint Jean, assis, v?tu de blanc, tient son livre, et l'aigle plane sur sa t?te; saint Luc est avec son boeuf, saint Marc avec son lion; un Christ gigantesque, aux yeux fixes, se tient au sommet de la grande coupole; l'art hi?ratique a commenc?. Mais voici, d'autre part, la peinture d'histoire, les mosa?ques du choeur, ex?cut?es sous Justinien, l'Empereur, entour? de sa cour, l'?v?que Maximien suivi de ses clercs, l'imp?ratrice Th?odora, com?dienne couronn?e, qui, accompagn?e de ses femmes, porte un reliquaire ? l'?glise. Ici, la beaut? a moins pr?occup? les artistes que la ressemblance: les nez tr?s-accentu?s, les sourcils touffus, les l?vres fortes de plusieurs personnages indiquent des portraits trop fid?les et sont d?j? le signe de la d?cadence. A St Apollinare-in-Classe, l'invention du peintre se manifeste na?vement dans la pr?dication du saint parlant ? un troupeau de brebis. A St Apollinare-in-Citt?, le long des frises de la nef centrale, les vierges et les mages marchent en procession vers la madone, les saints conduits par saint Martin vont vers le Christ; Ravenne, San-Vitale et le palais de Th?odoric sont figur?s dans cet ouvrage, o? luit encore comme un lointain souvenir des Panath?n?es antiques.

A l'?cole des Beaux-Arts.

Leur situation, en face de l'Occident chr?tien, fut, durant le moyen ?ge, des plus curieuses. La chr?tient? les ha?ssait, parce qu'ils ?taient musulmans; mais elle les respectait et les enviait, ? cause de leur grande civilisation. Toute l'Europe sentait le prestige de cette race ?l?gante, dont les croisades avaient laiss? entrevoir les moeurs ?tranges et raffin?es. On admirait leurs monuments, leurs ?toffes resplendissantes, leurs meubles pr?cieux, leurs esclaves, et davantage encore leur vaillance, leur loyaut? et leur ?me toute chevaleresque. Tout ce monde scolastique et barbare comprenait combien les Orientaux le d?passaient en culture savante; du fond de leurs ?coles d'Espagne, ils r?gnaient sur toutes les sciences de la nature et troublaient le sommeil de nos docteurs. Car ils savaient mieux qu'eux les secrets d'Aristote, et Aristote n'avait-il pas connu les secrets de Dieu? C'est pourquoi Dante n'eut pas le courage de br?ler Averro?s lui-m?me,

il le mit dans la r?gion pacifique des sages entre Horace et Platon.

Les monuments de l'architecture siculo-arabe ont disparu ou sont gravement alt?r?s. La Ziza et la Cuba de Palerme, deux ruines, dont la premi?re se rapporte, dans sa forme actuelle, aux temps de la domination normande, permettent cependant de retrouver la trace du g?nie ? la fois sensuel, subtil et m?fiant des ma?tres musulmans. Ici repara?t la conception originale de l'art arabe, le motif des pendentifs ? stalactites, sur lesquels est pos?e la coupole byzantine. Les alv?oles d?licatement ?vid?s se groupent, s'?tagent en encorbellement, et montent jusqu'au haut de la vo?te, brisant et multipliant les rayons lumineux; la lumi?re, ainsi d?compos?e, irris?e par les reflets des fa?ences ?maill?es, retombe comme un voile aux nuances changeantes sur les ornements rehauss?s de couleurs et d'or, sur les vasques de porphyre d'o? jaillissent les fontaines, sur les tapis que parent les teintes vigoureuses de l'Orient. Les colonnes gr?les de marbres rares supportent de larges chapiteaux fouill?s par un ciseau capricieux, et des arcades creus?es et all?g?es par la ciselure. Dans ces retraites que remplit le bruissement des eaux vives, qu'ennoblit la parole divine, dont les versets se m?lent au d?cor de l'?difice, le r?ve mystique, l'orgueil solitaire et la volupt? sont bien abrit?s; mais, sur le dehors, les pleins formidables, les murailles aust?res, les arcades aveugles opposent ? la curiosit? du passant un rempart infranchissable.

La Sicile arabe n'?gala point l'Espagne musulmane en ?clat scientifique et litt?raire. Elle eut n?anmoins ses ?coles de m?decins, d'astrologues, de math?maticiens, de dialecticiens, de jurisconsultes, ses interpr?tes du Coran, ses th?ologiens, ses moralistes, ses sages extatiques , ses grammairiens, ses historiens, ses g?ographes et ses po?tes. Ceux-ci excellaient dans la composition h?ro?que ou passionn?e de la K?sida, petit po?me monorime o? le troubadour chantait ses propres m?rites, les charmes de sa ma?tresse, les vertus de sa race, l'esprit de son patron, le vin, les ?toiles, les fleurs, les joies ?vanouies de la jeunesse; et, dans les f?tes, le luth des musiciens, le chant et les danses des jeunes filles accompagnaient les vers des po?tes. La Sicile, qui s'?tait endormie jadis, berc?e par la fl?te de Th?ocrite, se r?veilla sous les ombrages dangereux du paradis de Mahomet.

C'est pourquoi les Normands n'ont pas arr?t? la civilisation arabe de la Sicile; sous leur domination, la culture intellectuelle s'est prolong?e, et Fr?d?ric II la recueillera intacte dans la succession des conqu?rants fran?ais. Le roi Roger II employait, dans ses actes de chancellerie, l'arabe, le grec ou le latin. Selon Edrisi, il ?tudiait la g?ographie, les math?matiques, l'?conomie administrative. Il fit graver, sur un disque d'argent, les pays du monde connu dont, pendant quinze ans, ses g?ographes arabes, r?unis en acad?mie, poursuivirent, sous ses yeux, l'?tude m?thodique, d'apr?s les t?moignages des voyageurs. De cette longue recherche sortit en outre une description encyclop?dique du sol, des fleuves, de la flore, de l'agriculture, du commerce, des monuments, de la race, des religions, des moeurs, des costumes et des langues . C'est ce livre, que l'Europe a connu seulement apr?s plusieurs si?cles, qui a rendu immortel le nom d'Edrisi. Roger pratiquait, ? l'imitation des Arabes, les sciences occultes, consultait les astrologues, invoquait les ombres de Virgile et de la Sibylle Erythr?e. Les po?tes ont chant? sa bont? et c?l?br? les f?tes de sa cour. Son g?nie ?l?gant semble avoir laiss? son empreinte ? la cath?drale de Cefal?, ? la chapelle Palatine, ? Saint-Jean-des-Ermites de Palerme, aux nobles villas de Maredolce, et de l'Altarello-di-Baida, aux portes de sa capitale.

Fr?d?ric II n'a point seulement agi d'une fa?on g?n?rale, sur le g?nie italien, par l'exemple h?ro?que de sa vie, par la culture savante, la libert? de pens?e et l'?l?gance de sa cour; son influence a particuli?rement port? sur les premiers d?veloppements de la po?sie italienne. Il fut po?te lui-m?me, et son fils, son chancelier et ses courtisans ?crivirent en vers. Il est vrai que ni la forme, ni l'inspiration de ces po?sies de l'?cole souabe ne sont d'une originalit? tr?s-franche: les moeurs voluptueuses et violentes des s?rails de Capoue, de Lucera et de Foggia, l'ardente sensualit? des Arabes ne s'y laissent point entrevoir. Ce sont des soupirs d'amour plut?t que des ?clats de passion. <>

<> Fr?d?ric c?l?bre le visage, le sourire joyeux, les yeux et la voix de sa ma?tresse, <>,

dont la gr?ce et la puret? l'attendrissent.

L'Italie fut bien r?compens?e de l'asile qu'elle donna ? nos troubadours. De l'imitation assidue de leurs chansons est sortie une langue po?tique plus fine, une m?trique plus savante, une prosodie plus souple. Les Proven?aux n'ont certes point initi? les Italiens aux passions de l'amour; m?me l'amour chevaleresque et platonique, qui fut le sentiment original de notre Midi, n'a gu?re ?t? qu'un mod?le litt?raire pour un peuple si vite affranchi du r?gime f?odal, o? la chevalerie eut toujours moins de prestige qu'en France. Mais, du commerce de nos po?tes, l'Italie a re?u une discipline morale; le culte et la d?votion de la femme, la casuistique de l'amour entr?rent dans les habitudes de son g?nie. La France de langue d'o?l devait ajouter beaucoup ? cette ?ducation po?tique de l'Italie.

Ainsi parlant, nous guidoit li chemins Droit ? Paris, l? o? mon cuer avoie.

L'Italie du moyen ?ge, que la croisade n'avait point occup?e au m?me degr? que la France, et dont l'histoire, de fort bonne heure provinciale et municipale, s'?tait renferm?e en des horizons assez ?troits, manquait d'?pop?es et de romans h?ro?ques sortis de son propre sol. C'est donc ? nous qu'elle emprunta une litt?rature dont l'Europe enti?re a si largement profit?.

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