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Read Ebook: Le Capitaine Martin; ou les Trois croisières by Reybaud Louis

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Ebook has 43 lines and 6477 words, and 1 pages

Les assaillants se pr?cipit?rent vers les ouvertures par lesquelles leurs ennemis pouvaient sortir; ils esp?raient les surprendre, les enfermer, les forcer ? capituler. Malheureusement le capitaine espagnol avait entendu le premier, cri du timonier; et, pressentant le p?ril, il s'?tait ?lanc? vers ses armes, avait ralli? ses officiers et gagn? le gaillard d'arri?re. Les matelots, de leur c?t?, ?taient parvenus ? s'ouvrir un chemin, et se rangeaient en bataille sur l'avant. Les forces ?taient ? peu pr?s ?gales de part et d'autre. Aussi le combat prit-il le caract?re d'une boucherie. La nuit emp?chait de distinguer les amis des ennemis, et plus d'un coup, port? par les Malouins vint frapper des compagnons d'armes. Pendant une heure environ on lutta ainsi ? l'aveugle. Martin venait de recevoir un coup de sabre qui, en lui fendant la joue, avait fait sauter un oeil de son orbite. Il gisait ?vanoui le long des bastingages. Son jeune et vaillant second prit le commandement et sut maintenir ses avantages.

Martin ?couta tous ces d?tails, et, malgr? la perte de son sang, malgr? l'horrible blessure qui lui partageait le visage et lui co?tait un oeil, il parut rena?tre au r?cit qu'on lui faisait. A peine souffrit-il que l'on pans?t sa blessure et qu'on lui arrange?t tant bien que mal un lit sur le pont. Malgr? la fi?vre, malgr? l? souffrance, il voulut commander le navire et le conduire ? Saint-Malo. Quarante jours apr?s son d?part il y rentrait avec sa prise. A peine arriv?, il ?crivit le billet suivant:

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L'entrevue fut accord?e; mais il para?t que le r?sultat n'en fut pas selon les voeux du capitaine, car, au retour, il disait ? sa femme:

Gertrude fut heureuse ce jour-l?. Elle avait un mari borgne et manchot, mais un mari, fid?le d?sormais.

Ainsi, chaque acte important de sa vie co?tait quelque chose au capitaine Martin. Pour peu qu'il continu?t ainsi, il allait ressembler au fameux comte de Rantzau, qui, ? l'heure de sa mort, ne put donner ? la tombe qu'un bras, qu'un oeil, qu'une jambe et qu'une oreille.

La dot de Catherine.

Qu'on juge de la joie du bon Martin en revoyant, apr?s cinq ann?es de captivit?, sa femme et sa fille, sa fille surtout. Il demeurait en extase devant elle: il ?tait heureux comme un enfant quand elle venait l'embrasser, se placer famili?rement sur ses genoux. Gr?ce ? l'ordre parfait que Gertrude avait su mettre dans la maison, les deux femmes n'avaient manqu? de rien pendant l'absence du chef de la famille. Les ressources du m?nage ?taient born?es; mais une administration pr?voyante les avait accrues. Catherine n'avait pas m?me manqu? de l'instruction de luxe en usage parmi les classes ais?es; elle avait eu des ma?tres, de musique et de dessin. Aucun travail p?nible n'?tait ?chu ? ses jolies mains. Sa m?re gardait pour elle le gros de la besogne et se f?chait quand on voulait l'aider.

Au spectacle de ce d?vouement et de cette tendresse, Martin eut un cruel retour sur lui-m?me: il se souvint d?s sommes qu'il avait inutilement d?pens?es; de tant d'or perdu au jeu, prodigu? dans de somptueux repas, jet? ? des cr?atures perdues. Que de richesses mal plac?es, que de lingots qui s'?taient, pour ainsi dire, fondus entre ses doigts! S'il avait eu tout cela en ce moment, quel, sort il aurait pu assurer ? cette enfant, dont les beaux yeux bleus se reposaient sur lui avec tant d'affection et de gr?ce. Pour la premi?re fois, de sa vie, Martin se prit ? regretter l'argent, ? en sentir le prix. De plusieurs millions gagn?s et dispers?s, c'?tait ? peine s'il lui restait alors une trentaine de mille livres. Apr?s vingt ans de courses, il en ?tait revenu ? son point de d?part. Or, qu'?tait-ce que trente mille livres pour le capitaine Martin, qui les jouait, nagu?re, sur un coup de d?? Trente mille livres de dot pour Catherine, il n'eut jamais ose signer un contrat pareil! Cette pens?e tourmentait notre corsaire et troublait son bonheur.

Catherine ne faisait pas de semblables calculs; mais un autre souci l'agitait. Pendant la captivit? de son p?re, un jeune cavalier de Saint-Malo, neveu de Duguay-Trouin, servant sous ses ordres, avait distingu? la jeune fille, et celle-ci ne s'?tait pas montr?e insensible ? cette pr?f?rence. Sans se l'?tre avou?, les deux enfants s'aimaient. Paul Kerval ?tait beau, jeune, brave; il tenait aux meilleures familles de la ville. On le disait loyal, modeste et rang?. Tous ces avantages tent?rent Gertrude; elle s'aper?ut de la passion naissante des jeunes gens et n'osa pas imposer sur-le-champ une rupture. Paul avait soin de se trouver partout o? il esp?rait rencontrer Catherine, sur la promenade, ? l'?glise, dans les salons des amis communs. En l'absence de son mari, la pauvre m?re ne savait quel parti prendre; et lorsque Martin fut de retour, la crainte d'un reproche arr?ta longtemps cet aveu pr?s de s'?chapper. Quant ? Catherine, elle ne savait que rougir ? l'approche, du jeune officier, et il lui e?t ?t? difficile de se rendre compt? de ce qu'elle ?prouvait. Gertrude seule comprenait qu'un ?change de regards, si innocent qu'il f?t, ne pouvait-pas se continuer sans p?ril.

Pendant un mois environ, Martin, tout entier au bonheur de revoir sa famille, ne s'aper?ut de rien. Catherine elle-m?me, avec cet instinct des coeurs aimants, avait compris que le retour de son p?re l'astreignait ? s'observer davantage. Sa passion naissante se cr?a alors une sorte de diversion dans une foule d'attentions adorables qui enchantaient le capitaine. On eut dit qu'elle cherchait ? d?sarmer d'avance son juge, qu'elle se m?nageait des tr?sors d'indulgence pour le jour o? elle en aurait besoin. L'amour est f?cond en capitulations de ce genre, en pr?parations ing?nieuses, en stratag?mes vraiment profonds; il a sa diplomatie et ses ruses. Martin se livrait ? ces t?moignages de tendresse sans deviner le motif qui les rendait aussi vifs, aussi pers?v?rants. Catherine, d'ailleurs, n'agissait pas par calcul, mais seulement avec la disposition particuli?re aux ?mes touch?es par la passion, avec cette facult? d'expansion qui se communique ? tout ce qui les environne et r?pand autour d'elles on ne saurait dire quel charme id?al.

Cependant il ?tait difficile qu'une jeune fille p?t longtemps tromper un vieux corsaire; la situation ne pouvait pas se prolonger ainsi et rester dans cet ?quivoque. Un jour de grande f?te, Martin avait accompagn? sa femme et sa fille ? la messe de la cath?drale. L'autel ?tait couvert de cierges et de fleurs, l'encens fumait, l'orgue jouait. Paul Kerval n'avait eu garde de manquer une si belle occasion: cach? derri?re un pilier, il pouvait voir Catherine et en ?tre vu: Gertrude tremblait que le capitaine n'aper??t cet innocent man?ge. Pendant quelque temps le jeune homme se contint et Catherine ne d?tourna pas les yeux de dessus son livre de messe. Mais peu ? peu les distractions arriv?rent. Cet encens, cette orgue, ces fleurs, cette clart? qui r?gne dans la nef, tout dispose l'?me aux ?motions tendres; le recueillement qu'interrompent les chants religieux favorise ce langage du regard bien plus ?loquent que la parole. Les deux enfants r?sist?rent d'abord ? ces s?ductions, ? l'attrait de se sentir longtemps ensemble, sous les m?mes vo?tes, dans la m?me enceinte, respirant le m?me air, jouissant des m?mes sc?nes; mais la passion fut enfin la plus forte et la r?serve cessa. Martin surprit un coup d'oeil furtif de sa fille, et, avec ce sang-froid de flibustier qui ne l'abandonnait pas, il chercha sans affectation ? voir o? ce coup d'oeil s'adressait. Paul ne se d?fiait pas du capitaine, sa prudence de vingt-deux ans se trouva en d?faut. Au bout d'un quart d'heure d'observation, Martin savait tout; au sortir de l'?glise, il s'enferma avec Gertrude, et ses soup?ons se trouv?rent confirm?s par un aveu. Le capitaine n'?tait pas homme ? s'emporter avec sa femme. Il comprit les scrupules qui avaient dict? sa conduite; il ne s'amusa pas ? faire du bruit, ce qui ne r?pare jamais rien; mais, prenant son parti sur-le-champ, il se rendit chez le jeune Kerval, le prit ? part et lui dit:

--Monsieur Paul, vous aimez ma fille!

A cette brusque apostrophe le jeune homme balbutia.

--Point de mauvaises d?faites, monsieur Paul, vous aimez ma fille, je le sais; et on en jase.

--Croyez bien, capitaine!...

-Allons au fait. Catherine n'a rien, et vous ?tes riche; elle est la fille d'un p?cheur, et vous appartenez aux meilleures familles de Saint-Malo; voil? des obstacles invincibles, vous ne pouvez donc pas l'?pouser, monsieur Paul. Sachez maintenant, au cas o? vous esp?reriez la s?duire, que si vous ne discontinuez pas vos poursuites, je vous br?lerai la cervelle de ma main, duss?-je me la faire sauter ensuite, foi de Martin!

Kerval ?tait brave, mais il savait aussi ? qui il avait affaire; D'ailleurs la pens?e d'une s?duction ne lui ?tait pas venue; il aimait Catherine loyalement; et quoiqu'il n'e?t pas os? encore s'en ouvrir ? sa famille, il d?sirait du fond du coeur pouvoir en faire sa femme. Il r?pliqua donc:

--Capitaine, je vous demande deux jours pour prendre un parti.

--Monsieur Paul, reprit l'intraitable Martin, il n'y en a qu'un qui puisse me satisfaire, c'est de quitter Saint-Malo ? l'instant. Je connais les ruses de l'amour; je sais qu'un p?re ne saurait les d?jouer toutes. Ainsi, filez votre c?ble par le bout, si vous voulez conserver mon amiti?.

--Demain, capitaine, vous aurez ma r?ponse.

--Mon vieux matelot, dit-il famili?rement ? Martin, je viens te demander ta fille en mariage.

--Vous, monsieur Duguay? reprit le corsaire ?tonn?.

--Entendons-nous, vieux: pour moi, non; mais pour mon neveu, Paul Kerval, et au nom de toute sa famille.

Le capitaine demeura un instant sans voix. Cette proposition, ainsi faite, passant par une telle bouche, avait une gravit? qui le dominait. Il comprenait que le bonheur de sa fille ?tait s?rieusement en cause, et que des scrupules personnels seraient mal venus ? compromettre un si brillant avenir. A la demande de Duguay-Trouin, il n'opposa donc d'abord que le silence.

Celui-ci reprit alors:

--Eh bien, Martin, qu'as-tu donc? est-ce que tu h?sites? Le corsaire sentit qu'une prompte explication ?tait n?cessaire. Contenant son ?motion, il r?pondit:

--Mon commandant, vous m'apportez l? mon b?ton de mar?chal, le r?ve de ma vie, et pourtant je sais forc? de vous refuser. Ma fille n'a point de dot.

--Qu'importe? Kerval est riche!

--Raison de plus: pour relever le nom d'un p?cheur, ma fille avait besoin d'une fortune; elle ne l'a plus; son p?re, en dissipateur, la lui a gaspill?e.

En disant ceci, le corsaire roulait une larme dans ses yeux.

--Martin, dit Duguay-Trouin, insistant.

--Non, Monsieur Duguay, ma fille serait malheureuse. On la prend pour sa beaut?; mais sa beaut? passera, et alors les regrets viendront. Une grande fortune, voil? ce qui rapprocherait les distances; elle ne l'a pas.

--Capitaine, vous poussez trop loin les scrupules, reprit Duguay, ?mu malgr? lui.

--Commandant, je connais les hommes; ma fille serait malheureuse. Il lui faut une dot, et voici ce que je propose: Avec le peu qui me reste, je vais armer un corsaire. On me conna?t ? Saint-Malo, on sait comment je conduis la course. Dans huit jours je pars, dans trois semaines je serai de retour. Si je rapporte une dot ? Catherine, le mariage se fera; sinon... ? la garde de Dieu.

Portsmouth, 15 septembre.

Quand cette lecture fut achev?e, et que la douleur des deux femmes se fut un peu calm?e, Duguay-Trouin ajouta:--Madame Martin, c'est ? vous maintenant que je demande votre fille Catherine, pour mon neveu Paul Kerval. Le mariage se fera apr?s l'expiration du deuil.

La pauvre Gertrude ne put que se jeter dans les bras de sa fille, en fondant en larmes. Trois ans apr?s, Mme Paul Kerval venait attendre, sur le m?me m?le de Saint-Malo, son mari, qui avait fait partie de la brillante exp?dition de Rio-Janeiro, si heureusement conduite par Duguay-Trouin. Quand la distribution du butin, estim? ? vingt-cinq millions, se fit parmi les ?quipages, le brave commandant dit ? son neveu:

--Paul, tu te feras allouer sur ma part deux cent mille francs. C'est la dot de Catherine. Je veux ?tre l'ex?cuteur testamentaire du pauvre capitaine Martin.

FIN DU CAPITAINE MARTIN

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