Read Ebook: Neue Kindergeschichten aus Oberheudorf: Fünfzehn heitere Erzählungen by Siebe Josephine
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Les princes de la maison souveraine d'Este, une des plus puissantes d'Italie, ?taient les seconds M?dicis de l'Italie en de?? des Apennins; les armes, les lettres, les arts, les grandes charges ? la cour des papes, les cardinalats, les papaut?s m?me, fr?quents dans leur maison, leurs richesses enfin, faisaient de la cour de ces princes, ? Ferrare, une autre Rome, une autre Florence. La cour de L?on X lui-m?me n'a pas ?t? illustr?e, parmi les si?cles, par deux noms plus immortels que les noms de l'Arioste et du Tasse, ces deux clients de ces grands M?c?nes du seizi?me si?cle ? Ferrare.
Manso dit que Torquato avait la vue courte et faible par la continuelle lecture ? laquelle il se livrait sans repos, et m?me par celle de sa propre ?criture prodigieusement fine et souvent illisible.
Le costume habituel du Tasse ?tait, ajoute Manso, conforme ? la gravit? et ? la simplicit? de go?t d'un homme qui se respecte lui-m?me jusque dans ses v?tements. Son v?tement ordinaire, d?s sa jeunesse, ?tait toujours noir, sans aucun des ornements et des broderies en usage de son temps; il n'?tait, en g?n?ral, suivi que d'un seul page; mais, quoique sobre, son costume ?tait ?loign? de la n?gligence. Il aimait le linge blanc et fin, et il en faisait faire d'amples provisions; mais il le portait sans lacet et sans broderie. Pour ses aliments, il n'aimait que les choses l?g?res, douces, sucr?es; il avait une invincible r?pugnance ? tout ce qui ?tait fort ou amer; il ne buvait que de l'eau l?g?rement coup?e des vins liquoreux de Gr?ce et de Chypre; tout ?tait temp?r? dans ses go?ts comme dans son ?me. Sa conversation, sans vivacit? et sans saillies, coulait de ses l?vres avec naturel, lenteur et m?lancolie; il ne causait point pour ?blouir, mais pour se r?pandre dans le sein de l'amiti?, soit par retour de sa pens?e sur les adversit?s de son berceau, soit par pressentiment de ses malheurs futurs. L'ombre de la m?lancolie, planant sur ses traits, m?lait un int?r?t tendre et une piti? vague ? l'admiration que son nom et sa personne inspiraient partout o? il paraissait.
Tel est le portrait minutieux qu'un contemporain et un ami trace du Tasse; ce portrait est parfaitement conforme ? celui que nous poss?dons nous-m?me, copi? sur le portrait original, peint sur le Tasse vivant ? Florence, et qui nous a ?t? pr?t? par notre illustre ami, le marquis Gino Caponi, homme digne de vivre dans sa galerie en soci?t? avec ces grands hommes de sa patrie.
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La nouvelle de la derni?re maladie de son p?re l'arracha pour quelque temps aux s?ductions et aux dangers de la cour de Ferrare. Le duc de Mantoue avait pris soin de la vieillesse de Bernardo Tasso, il l'avait nomm? gouverneur de la petite forteresse d'Ostie sur le P?. C'est l? que le p?re du Tasse expira apr?s une courte maladie, ? l'?ge de soixante-seize ans, le 4 septembre 1569. Torquato ?tait arriv? ? temps ? Ostie pour recevoir les adieux et les b?n?dictions de ce tendre p?re. Son h?ritage, dilapid? d'avance par des serviteurs avides et infid?les, ne suffit ni aux frais de sa maladie ni ? ceux de ses fun?railles. Torquato consacra ? ces pieux devoirs quelques ducats emprunt?s sur gage aux juifs usuriers de Ferrare. L'infortun? Bernardo, consol? au moins par la pr?sence de son fils, n'avait t?moign? ? sa derni?re heure que la joie d'aller rejoindre, dans le sein de Dieu, cette Porcia qu'il avait tant aim?e, et de laisser sur la terre, pour perp?tuer son nom, un fils dont la tendresse et la gloire naissante le r?compensaient de ses longues adversit?s.
Apr?s avoir remerci? le duc de Mantoue de la protection qu'il avait donn?e ? son p?re, le Tasse se h?ta de retourner ? Ferrare pour assister au mariage de la soeur de L?onora, Lucr?zia d'Este, avec le prince d'Urbin, Marie de la Rov?re. L'isolement dans lequel le mariage de sa soeur laissa L?onora ? la cour de Ferrare parut redoubler encore l'inclination qui la portait vers le Tasse. Cette faveur de la princesse pour le po?te ?tait trop pure pour qu'elle cherch?t ? la d?rober aux regards des courtisans. L?onora, idole du peuple de Ferrare par sa beaut? et par ses talents po?tiques, avait en m?me temps une si juste r?putation de vertu et de pi?t? qu'on la regardait dans tout le duch? comme l'interm?diaire visible de la Providence, et qu'on attribuait ? ses pri?res la vertu surnaturelle de fl?chir le ciel et d'?carter les fl?aux. On trouve une trace de cette croyance populaire dans les vers d'un po?te du temps, Philippe Binaschi:
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Le Tasse s'encouragea de plus en plus ? son po?me par la faveur que lui t?moignait la princesse. La gloire n'?tait plus seulement pour lui dans une vaine et froide renomm?e, mais dans l'applaudissement d'une femme ador?e qui donnait un coeur ? cette gloire. Il en ?crivit six chants en quelques mois, avec la double inspiration de la po?sie et de l'amour. Il s'?tait d?cid? enfin ? l'?crire dans le rhythme chantant de l'Arioste, son pr?d?cesseur et son mod?le, c'est-?-dire en stances r?guli?res de dix vers, sorte de r?citatif admirablement appropri? au r?cit, assez musical pour soutenir l'haleine, pas assez pour fatiguer l'oreille.
L'Arioste avait assoupli ce m?tre ? la po?sie l?g?re, le Tasse allait l'?lever ? la po?sie h?ro?que. C'?tait une grande audace au Tasse d'affronter de si pr?s dans Ferrare la comparaison avec l'Hom?re du badinage italien. Nous trouvons dans une lettre de Voltaire ? Chamfort du 16 novembre 1774, une appr?ciation admirablement juste de cet Arioste que le Tasse allait surpasser dans le sujet, en l'imitant dans la forme. Nous sommes heureux de rencontrer dans l'esprit si juste et si infaillible de Voltaire notre propre opinion de l'immense sup?riorit? de l'Arioste sur son copiste na?f mais n?glig?, la Fontaine.
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C'?tait aux approches de la Saint-Barth?lemy; il se rendit ? Rome avec son ami Manzuoli, un des secr?taires du cardinal, et fut accueilli par le pape Pie V, auquel il adressa une ode latine qui lui m?rita sa faveur.
LAMARTINE
XCIIe ENTRETIEN
VIE DU TASSE.
Mais une autre faveur plus tendre et plus durable que celle des rois, des papes et des cardinaux, veillait de loin sur lui malgr? sa disgr?ce; c'?tait celle des deux charmantes princesses de Ferrare, Lucr?zia, duchesse d'Urbin, et L?onora, toujours rest?e ? la cour de son fr?re. Elles se concert?rent pour obtenir d'Alphonse II, leur fr?re, qu'il attach?t ? sa personne le jeune Torquato, gloire future de leur maison, et d?j? souci secret de leur coeur. Alphonse c?da ? leurs sollicitations; il prit Torquato ? son service personnel, il lui accorda une pension de seize couronnes d'or par mois, et il le dispensa de toute fonction et de toute assiduit? pour le laisser tout entier ? la po?sie, seul service digne de son g?nie.
Combl? de ces faveurs dont il devinait la source, ce qui les lui rendait plus ch?res, il accourut ? Ferrare au mois de mai 1572. Alphonse et ses soeurs le re?urent en favori de la famille. On lui permit d'aller faire un court s?jour ? Rome pour consulter les ?rudits, les th?ologiens et les critiques du temps, sur les chants d?j? achev?s de son po?me. Auguste ne traita pas Virgile avec plus de lib?ralit? quand ce po?te voulut aller en Gr?ce et en Troade pour polir ses oeuvres. Le Tasse s'exprime ainsi lui-m?me dans sa correspondance sur Alphonse:
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La mort de la jeune duchesse de Ferrare, Barbara d'Autriche, et celle du cardinal Hippolyte d'Este, oncle d'Alphonse, r?pandirent le deuil sur cette cour. Le Tasse ?crivit ? Alphonse des consolations o? la tendresse s'unit au respect; le po?te perdait lui-m?me, dans le cardinal Hippolyte d'Este, un de ses protecteurs les plus d?clar?s et les plus puissants ? Rome. C'est ce cardinal qui venait de construire ? Tivoli, non loin des cascades et des ruines de la villa de M?c?ne, ce merveilleux palais d'Este et ces jardins, type de ceux d'Armide, o? les ?difices, les terrasses, les grottes, les arbres, les fleurs et l'eau jaillissant ou courant dans des canaux harmonieux, remplissaient l'oreille de m?lodies ?ternelles semblables aux concerts des harpes ?oliennes. C'est l? qu'il convoquait tous les po?tes et tous les artistes de l'Italie ? jouir des magnificences et ? concourir ? la gloire de la maison d'Este. Le Tasse, recommand? ? son oncle par L?onora, avait d?j? joui une fois de l'accueil de ce cardinal, dans son premier voyage ? Rome.
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On accuse la fortune d'?tre hostile aux grands g?nies litt?raires, po?tiques, artistiques: nous n'admettons pas qu'un grand don de l'esprit soit une hostilit? ou une mal?diction de la fortune; nous conviendrons plut?t que les grandes imaginations, quand elles ne sont pas en ?quilibre parfait avec les autres facult?s du bon sens et du raisonnement, portent leur malheur en elles-m?mes. Tout ce qui est excessif est d?faut; tout ce qui n'est pas harmonie est d?sordre dans notre organisation. Cette sensibilit? exquise, qui est la premi?re condition de toute sup?riorit? dans les beaux-arts, est aussi le tourment de ceux qui la poss?dent. Un philosophe anglais a remarqu? avec une admirable justesse que <
Or, si cette impossibilit? de vivre est absolue pour un ?tre qui serait compl?tement sup?rieur ? la g?n?ralit? des hommes, cette difficult? de vivre heureux est relative dans les ?tres dou?s seulement d'une sensibilit? sup?rieure de quelques degr?s ? celle de leurs semblables. Les hommes ? puissante imagination, tels que le Tasse, sont au nombre de ces victimes de leur propre sup?riorit?. Beaucoup imaginer, c'est beaucoup pr?tendre; beaucoup penser, c'est beaucoup souffrir; ?tre grand, c'est ?tre disproportionn? dans un monde de m?diocrit?s ou de petitesses; ?tre disproportionn?, c'est ?tre d?plac?; ?tre d?plac?, c'est cr?er autour de soi des inimiti?s, c'est ?prouver soi-m?me une inimiti? involontaire et g?n?rale contre tous ceux qui ne vous c?dent pas la place aussi vaste que la demandent vos facult?s sup?rieures. Telle est la loi des ?tres qui sont jet?s dans le monde avec une prodigalit? de nature trop disproportionn?e au moule humain; ils sont malheureux, mais sont-ils malheureux parce qu'ils sont trop complets? non, ils sont malheureux parce qu'ils ne le sont pas assez; ils sont ? plaindre, parce qu'une seule de leurs facult?s est excessive, et que les autres facult?s correspondantes sont inf?rieures. S'il y avait ?galit?, ?quilibre, harmonie entre toutes leurs facult?s; si la sensibilit? ?tait contre-balanc?e par la raison, l'imagination par la justesse, l'enthousiasme par le bon sens, la passion par le devoir, la douleur par la force, ces hommes puissants dans une seule aptitude deviendraient puissants dans toutes, et leur sup?riorit? sp?ciale, qui fait leur malheur, se changerait en une sup?riorit? universelle qui ferait la gloire de l'humanit?.
Tels furent les v?ritables grands hommes dans l'antiquit? et dans tous les temps, les Hom?re, les Aristote, les Socrate, les Cic?ron, les Solon, les Virgile, les Rapha?l, les Michel-Ange, les Shakespeare, les Racine, les F?nelon, les po?tes, philosophes, l?gislateurs, hommes d'?tat, orateurs, artistes, chez lesquels une imagination grandiose ?tait en rapport exact avec une infaillible raison. Ces hommes subirent sans doute les vicissitudes ordinaires de la vie de leurs semblables: mais la fortune ne parut pas s'acharner sur eux de pr?f?rence aux autres hommes; ils n'accus?rent point le sort d'une partialit? exceptionnelle; ils furent plus grands sans ?tre plus mis?rables; pourquoi? parce qu'ils furent plus complets, parce que cette m?me sup?riorit? pond?r?e d'intelligence, qui leur servit ? cr?er leurs oeuvres, leur servit aussi ? affronter, ? supporter ou ? vaincre les difficult?s de la vie. Ils furent carr?s ?gaux sur leurs quatre faces, offrant la m?me ?tendue d'imagination, de raison, de force et de r?sistance ? la vie. S'ils n'eussent ?t? grands que d'un seul c?t?, ils auraient faibli comme le Tasse ou comme J.-J. Rousseau; et le monde inintelligent aurait accus? leur mauvaise fortune: c'est leur imparfaite nature qu'il fallait accuser. Un pr?jug? pu?ril met les po?tes en suspicion de d?mence; ce pr?jug? est n? assez naturellement, dans le monde, de l'opinion que l'imagination pr?domine exclusivement dans les po?tes, et que cette pr?dominance de l'imagination seule les pr?dispose ? l'?garement d'esprit. Cela est vrai des mauvais po?tes, qui n'ont pas cultiv? leur raison ? l'?gal de leur imagination; cela est souverainement faux des bons po?tes, qui sont la raison transcendante et cr?atrice, vivifi?e et color?e par l'imagination, l'harmonie supr?me de l'intelligence, et qui sont par cela m?me les plus raisonnables des hommes.
Dans le Tasse, la sensibilit? et l'imagination seules ?taient sup?rieures; la raison, qui ne manquait pas ? sa po?sie, manquait ? sa vie; l'intelligence ?tait saine, le caract?re ?tait ?gar?; sa m?lancolie, faiblesse de sa trame, comme dans Rousseau, obscurcissait sa raison.
Ce fut le malheur de son organisation qui amena celui de sa destin?e.
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Le duc et la duchesse d'Urbin, sachant que les gr?ces faites au Tasse ?taient les plus douces flatteries au coeur de L?onora, lui firent pr?sent d'un anneau orn? d'un magnifique rubis, qu'il vendit plus tard ? Mantoue comme sa derni?re ressource contre la faim, pendant ses mis?res. Le Tasse revint ? Ferrare avec le prince et la princesse, pour assister au second d?part du cardinal Louis d'Este pour la France. Le d?part de ce fr?re ch?ri co?ta des larmes ? L?onora; le Tasse s'effor?a de la consoler dans ses vers, qui respirent une respectueuse compassion ? ses peines.
Cependant la douce intervention de L?onora et de sa soeur Lucr?zia para?t avoir suspendu ou temp?r? l'effet du m?contentement de leur fr?re. Le Tasse obtint l'autorisation de se rendre ? Rome, ? Padoue, ? Venise, pour ?purer son po?me de tout ce qui pouvait blesser les plus l?gers scrupules de la th?ologie, de la philosophie, de la langue ou du go?t. Il partit et revint ? Ferrare sans avoir r?ussi ? faire imprimer son po?me ? Venise, parce qu'on n'y accordait pas de privil?ge de propri?t? aux auteurs.
Il y trouva le duc Alphonse de plus en plus refroidi envers lui par de nouvelles d?couvertes des n?gociations poursuivies secr?tement par le Tasse avec les M?dicis. La duchesse d'Urbin s'effor?a de r?concilier le prince et le po?te; L?onora, plus tendre et plus active encore dans son int?r?t, conjura le Tasse d'accepter d'elle-m?me les avantages que son fr?re s'obstinait ? lui faire attendre.
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